Communiqué

Intervention de Michel Rodinson, au nom de Lutte ouvrière, à la réunion du NPA le 30 avril 2022

C’est au nom de Lutte ouvrière que je viens ici me joindre à l'hommage à Alain Krivine. Il restera pour nous le militant que nous avons côtoyé pendant des années, avec qui nous avons souvent collaboré de façon fraternelle, dans le cadre des relations entre notre organisation et la Ligue communiste révolutionnaire, devenue ensuite NPA. Nous avons appris son décès avec tristesse. Nous comprenons et nous partageons l'émotion qu'éprouvent les militants de son courant politique, non seulement en France mais dans le monde puisqu’il a joué un rôle important auprès de tous les groupes qui se réclament du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale. Nous savons combien c’est une perte pour vous.

Alain était un militant sincèrement attaché aux idées communistes révolutionnaires et il les a défendues toute sa vie avec chaleur, avec détermination et avec courage. Beaucoup d’autres, qui se sont retrouvés dans les idées trotskystes à une certaine période de leur vie, n’ont pas eu cette constance et ont préféré les abandonner plus ou moins vite pour aller faire carrière, parfois même comme on dit dans les ors de la République, en défendant des conceptions aux antipodes du communisme révolutionnaire. Alain n’a pas été de ceux-là et il a défendu ses idées jusqu’au bout. C’est pourquoi il mérite tout notre respect.

Naturellement ce n’est pas tout, il faut aussi parler de nos différences. Alain a été aussi toute sa vie le représentant d’une orientation de fond qui a prévalu au sein du courant trotskyste, y compris bien avant lui, et qui refusait de considérer l'implantation dans la classe ouvrière comme une priorité. C'est avec cette orientation que, depuis notre origine en tant que courant, nous avons été en désaccord et continuons de l’être. C'est aussi de là qu'ont découlé un grand nombre de nos différences politiques et des critiques que nous avons faites au courant que vous représentez. Elles se résument autour d’une critique principale, car au cours du temps le Secrétariat Unifié et la LCR ont montré, reconnaissons-le, une certaine constance dans ce que nous considérons comme des erreurs. Ils ont toujours cherché à s’agréger à des courants non prolétariens, en disant vouloir les influencer ou les infléchir sur leur gauche.

Je ne vais pas citer ici tous les cas où l’on a vu votre courant parer de telles organisations de vertus communistes révolutionnaires qu’elles n’avaient pas et ne revendiquaient d’ailleurs nullement. Sans remonter plus loin, cela a été le cas pour le FLN algérien, pour le FNL vietnamien, pour le FSLN du Nicaragua et pour beaucoup d’autres. L’idée était qu’il aurait pu y avoir une sorte de "transcroissance" de ces organisations nationalistes petites bourgeoises qui les aurait fait devenir révolutionnaires socialistes. Cela n’a bien sûr jamais été le cas : les nationalistes sont restés nationalistes tout comme ici en France les réformistes sont restés réformistes. Pour autant il n’y a jamais eu de votre part un quelconque bilan critique de cette politique et de ses échecs patents. L’obstination à la reproposer à tout propos fait qu’elle s’est résumée finalement à un simple suivisme vis-à-vis de ces organisations.

Nous en avons un exemple en ce moment même, avec votre démarche en direction de la gauche et en particulier de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, avec qui vous voudriez bien faire un accord. Vous dites que vous voulez vous retrouver avec lui au sein d'une vraie gauche, d'une "gauche combative". Mélenchon n'a pourtant pas d'autre perspective que de reconstruire une Union de la gauche telle que celle qu'on a vu à l’œuvre à différentes reprises avec Mitterrand, avec Jospin, avec Hollande, et qui a gouverné au service de la bourgeoisie. Mélenchon a même affirmé ces derniers jours qu'il pourrait tout simplement être premier ministre de Macron. Pourtant vous voudriez continuer à faire croire qu'on pourrait l'amener à défendre vraiment les intérêts des travailleurs. Nous, nous pensons que des communistes révolutionnaires doivent au contraire dénoncer ces politiciens qui tentent encore une fois de tromper les travailleurs et qui ne méritent de notre part aucune complaisance.

Le plus grave est que tout cela vous fait abandonner cet objectif fondamental qui est celui de construire des organisations ouvrières, communistes et révolutionnaires, et les implanter réellement dans le prolétariat.

C’est ainsi que, tout en continuant à vous réclamer de la Quatrième Internationale fondée par Léon Trotsky en 1938, dans la pratique votre courant s’en est éloigné, à notre avis. Le communisme révolutionnaire prolétarien s’est peu à à peu dissous dans un vague anticapitalisme ou même dans un "écosocialisme" qui se veut une innovation théorique mais qui nous semble surtout une adaptation aux courants dominants.

Nous ne voulons pas nous livrer à une concurrence puérile pour savoir qui peut s'appeler Quatrième Internationale. Votre attitude ne nous a pas empêchés d’exister, de mener notre politique et d’avoir notre propre activité internationale. Au vu de votre évolution nous pouvons même estimer avoir au moins autant que vous le droit de nous réclamer de la Quatrième Internationale fondée par Trotsky et de son programme tel qu’il l’a exprimé.

Nous, nous pensons qu'il ne faut pas céder quoi que ce soit aux courants réformistes ni d'ailleurs aux courants nationalistes. Nous le disons pour le nationalisme franchouillard à la Mélenchon. Mais nous le disons aussi à propos du nationalisme ukrainien.

Camarades, entre révolutionnaires nous n’avons pas à cacher nos divergences, nos critiques. Il n’était pas question pour moi de le faire, y compris à l’occasion de cet hommage à Alain Krivine. Au fond, c’est même pour nous encore une façon de défendre l’idéal pour lequel il a combattu toute sa vie et qui était, malgré toutes nos différences, notre idéal commun.

Nous sommes dans une période où les tensions s'aggravent. La guerre en Ukraine marque une nouvelle aggravation de la crise du capitalisme. Le danger d'une nouvelle guerre mondiale se précise. Face à cette situation, il est plus important que jamais d’affirmer l’existence d’un courant communiste internationaliste, révolutionnaire et prolétarien. C'est ce que Trotsky avait voulu faire à la veille de la Seconde guerre mondiale en proclamant la Quatrième Internationale. Comme il le disait en concluant le Programme de Transition, il faut lever bien haut son drapeau et il faut que ce soit un drapeau sans tache. Nous voulons continuer plus que jamais à le faire.

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