L'État, la Sécurité sociale et le système de santé

Le 6 novembre, la main sur le coeur, avec des trémolos dans la voix, Raffarin a présenté le plan de son gouvernement pour, a-t-il dit, aider les personnes âgées dépendantes. Il en a tellement fait qu'on aurait dit qu'il voulait illustrer une célèbre réplique de cinéma, disant qu'avoir l'air faux jeton à ce point-là, c'est presque de la franchise !

Les mesures annoncées sont bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour améliorer vraiment le fonctionnement des maisons de retraite comme les soins à domicile nécessaires aux personnes âgées.

Quant à la suppression confirmée d'un jour férié, prétendument au bénéfice des personnes âgées, c'est tout un symbole de la politique gouvernementale.

Les personnes âgées verront-elles la couleur de l'argent que représente la journée travaillée gratuitement par l'ensemble des travailleurs de ce pays ? Ce n'est pas sûr, parce que ce ne serait pas la première fois que l'État utiliserait à tout autre fin des sommes qui devaient bénéficier aux vieux. Rappelons-nous la fameuse vignette automobile créée en 1956 pour alimenter un fonds pour les personnes âgées et récupérée par le budget de l'État dès l'année suivante.

Ce qui est sûr, par contre, c'est que cette mesure constitue une bonne affaire pour les patrons. Bien sûr, ceux-ci devront verser un peu d'argent, mais pas ce que leur rapportera cette journée de travail gratuite. La plus-value, c'est pour eux. Et ils ne verseront même pas la totalité de ce que cette journée aurait représenté en salaires. En effet, une journée sur l'année, cela devrait représenter 0,46 % du salaire annuel. Les patrons n'en verseront que 0,30 %. La différence, c'est aussi pour eux.

Cela n'empêche pas certains représentants du patronat (on pouvait en entendre un ce matin même sur France Inter) d'émettre déjà des réserves, en se félicitant certes de cette journée de travail supplémentaire, mais en déplorant cette nouvelle taxe qu'allaient devoir payer les entreprises. Comme quoi le patronat n'hésite pas à réclamer le beurre et l'argent du beurre !

Voilà comment, en tout cas, Chirac et Raffarin utilisent l'hécatombe de cet été, dont ils sont les premiers responsables (même s'ils ne sont pas les seuls, car leur politique n'est que la continuation de celle menée par tous les gouvernements depuis trente ans), pour faire de nouveaux cadeaux au patronat.

De l'argent, l'État n'en a pas pour les personnes âgées, mais il n'en a pas non plus pour la santé en général.

Aujourd'hui, les dépenses de santé de la population représentent annuellement 130 milliards d'euros. Dans ces dépenses, il y a tout ce qui concerne la santé, des honoraires de médecins à la construction et à l'équipement des hôpitaux, du coût des transports des malades ou des médicaments aux dépenses de formation du personnel médical ou de prévention.

À ce total, l'État contribue à hauteur de 1,3 %. 1,3 % du budget de la santé, pas plus. Le reste est financé surtout par la Sécurité sociale, à plus de 75 %, par les mutuelles et les compagnies d'assurances, de plus en plus, 12 %, enfin par la population, à plus de 11 %.

En fait, ce non-engagement, ce refus de l'État d'assumer les dépenses de santé ne date pas d'aujourd'hui. En France, il est aussi vieux que l'État bourgeois, on pourrait même dire que l'État en général.

Les débuts d'une politique sanitaire

Avant 1789, la charité chrétienne

Dans l'Europe du haut moyen âge, les monastères étaient les seuls dépositaires du savoir médical issu de l'antiquité grecque et romaine. L'Église exerça durant plusieurs siècles un monopole de fait sur les connaissances et sur la pratique médicales.

De nombreux monastères se dotèrent d'infirmeries, et ce sont aussi des communautés religieuses qui furent à l'origine, dans les villes, de la construction des premiers hôpitaux. Des congrégations religieuses se spécialisèrent dans l'assistance aux pauvres et les soins aux malades. Ce sont elles qui fournirent le personnel des hôpitaux et des hospices, y compris ceux qui furent créés ensuite par les villes, les seigneurs ou le roi.

La vocation de ces hôpitaux n'était pas médicale, mais charitable : il s'agissait d'y accueillir aussi bien des pèlerins, des pauvres ou des infirmes que les malades sans domicile.

Ce sont la lèpre et les grandes épidémies, de peste, de variole, etc., qui conduisirent les autorités municipales d'abord, royales ensuite, à intervenir dans le domaine de la santé à partir, surtout, du 14e et du 15e siècle. Ces interventions des autorités se limitaient à des mesures de protection : formation de cordons sanitaires d'hommes armés autour des villes, isolement et enfermement des malades.

À partir du 16e siècle, l'administration des hôpitaux échappa progressivement à l'Église et aux ordres religieux et passa sous l'autorité des communes. Les congrégations religieuses n'en continuaient pas moins à assurer leur fonctionnement.

Au 17e siècle, de lieux d'accueil des pauvres, les hôpitaux devinrent des lieux de détention. Dans toutes les grandes villes furent créés des « hôpitaux généraux » où étaient enfermés, avec les malades, les invalides et les indigents, les mendiants et les prostituées. La société qui fabriquait ces pauvres ne voulait plus les voir dans les rues. À quelques siècles de distance, c'est la même attitude que celle des maires qui bannissent les mendiants, ou de Sarkozy qui fait la chasse aux prostituées.

Sous Louis XV et Louis XVI, la lutte contre les épidémies fut à l'origine des premiers éléments d'une politique médicale d'État. L'État commença à s'intéresser à l'organisation des études de médecine, et patronna la création, en 1776, de la Société royale de médecine, chargée, par l'intermédiaire de ses correspondants dans les provinces, de la surveillance sanitaire du royaume.

Remplacer la charité chrétienne par l'assistance publique

Mais ce n'est qu'à partir de 1789, pendant la Révolution, que l'État allait, pour un temps bref, développer vraiment une politique d'assistance et de santé publiques.

Dès 1790, le Comité de mendicité qui s'était formé au sein de l'Assemblée Constituante mettait « l'assistance des pauvres dans tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie au rang des devoirs les plus sacrés de la nation ». L'assistance publique devait remplacer la charité chrétienne. Mais ces secours publics étaient conditionnés à l'engagement des pauvres qui en bénéficieraient de chercher, et de trouver, du travail, sous peine d'emprisonnement.

Un autre comité, le « Comité de salubrité », prépara un projet de « constitution de la médecine de France », repris ensuite par la Convention. Il prévoyait de nommer dans chaque district trois médecins rémunérés par l'État chargés du soin des indigents et de la distribution de remèdes gratuits. L'État devait aussi prendre en main le contrôle des hôpitaux, qui seraient désormais, eux aussi, financés par des fonds publics et réservés aux malades.

La dissolution des congrégations entraîna le départ des religieuses qui assuraient l'essentiel de l'encadrement des malades. Mais les assemblées révolutionnaires n'eurent pas le temps, ni les moyens, d'aller plus loin.

Dans les années qui suivirent la chute de Robespierre, en 1794, l'idée d'un financement public de l'assistance, de la médecine et des hôpitaux fut abandonnée. Les gouvernements qui allaient se succéder allaient en prendre même l'exact contre-pied.

L'assistance aux pauvres redevint l'affaire de la charité privée. Les hôpitaux furent replacés sous la tutelle administrative des communes. Ils se retrouvaient cantonnés à leur rôle d'hébergement des déshérités. Pour les financer, il fut à nouveau fait appel aux dons, et deux impôts de l'ancien régime, abolis par la révolution, furent rétablis : l'octroi, c'est-à-dire le péage à l'entrée des villes, et la taxe sur les spectacles. Enfin, il fut fait appel à nouveau aux congrégations religieuses.

Dans le domaine de la médecine, les assemblées révolutionnaires avaient commencé par faire table rase des institutions héritées de l'ancien régime. La formation des médecins en sortit entièrement transformée. L'enseignement, libéré de la tutelle religieuse, s'accompagnait désormais d'une formation pratique, dispensée dans les hôpitaux. La Révolution avait ouvert la voie à une médecine scientifique fondée sur l'observation, puis sur l'expérimentation. Mais pas, comme l'avaient imaginé les révolutionnaires de 1793, à une médecine organisée par l'État et accessible à tous.

L'assistance devient un droit

Le développement du capitalisme, l'industrialisation, et la naissance d'une classe, le prolétariat, qui n'avait que son travail pour vivre, posèrent le problème de la santé et de la maladie dans des termes nouveaux.

Pour les ouvriers, tomber malade, c'était perdre toute ressource et sombrer dans la misère. C'est contre ce risque de la maladie et du chômage, que naquirent les premières mutuelles ouvrières de secours. Ce furent, partout, les premières formes d'organisation de la classe ouvrière. Elles furent, selon les périodes, tolérées ou réprimées.

Mais au fur et à mesure que le mouvement ouvrier se développait et s'orientait vers la lutte contre l'exploitation, les mutuelles ouvrières des débuts, sociétés d'entraide et de solidarité, disparurent et laissèrent la place aux syndicats, organes de résistance et de lutte contre l'exploitation.

Les mutuelles qui se développèrent dans la deuxième partie du 19e siècle furent différentes, dirigées par des notables, et regroupant essentiellement des fonctionnaires, des employés et des artisans. La mutualité devenait une institution étrangère, hostile même, au mouvement ouvrier. Elle ne concernait qu'une toute petite minorité d'ouvriers.

Dans son programme de 1891, le parti socialiste de Jules Guesde et de Paul Lafargue, dénonçait « la liberté laissée à des hommes de spéculer sur la maladie de leurs semblables en leur vendant les médicaments, c'est-à-dire les moyens de recouvrer la santé, cinquante fois ce qu'ils coûtent. La grande majorité des travailleurs se trouve ainsi dans l'impossibilité de se soigner et de soigner les siens ; comment, dans ces conditions, avoir de l'argent pour le pharmacien, alors que bien souvent il n'y en a pas pour le boulanger ? »

Il fallut attendre 1893 pour qu'une loi d'assistance médicale gratuite soit votée. Son financement était assuré par les communes, les départements et à hauteur de 12 % seulement par l'État.

Pour la première fois, la loi faisait de l'assistance face à la maladie un droit, et assurait en principe à tout Français malade privé de ressources une assistance médicale gratuite à domicile ou à l'hôpital. Mais c'était en principe seulement, car les critères d'admission étaient très restrictifs et l'aide pour ceux qui en bénéficiaient tenait plus de la charité que de l'exercice d'un droit.

De l'assistance à l'assurance :les dépenses de santé à la chargedes salariés

La Première Guerre mondiale contraignit l'État à s'impliquer dans les questions de santé publique. La découverte de l'étendue des ravages de la tuberculose parmi les conscrits, puis dans les tranchées, entraîna la création de dispensaires publics et de sanatoriums. C'était la première intervention à grande échelle de l'État sur le plan sanitaire. Mais ce furent les départements qui durent supporter la plus grosse part de la charge financière, pas le budget de l'État.

La vague révolutionnaire qui secoua l'Europe au lendemain de la Première Guerre mondiale amena la bourgeoisie à faire quelques concessions.

En 1920, un ministère de l'Hygiène et de la prévention sociale fut créé, à la suite de l'épidémie de grippe espagnole qui fit, à l'échelle de l'Europe, plus de morts que la Première Guerre mondiale elle-même. En fait de prévention, ce ministère venait après la bataille. Il deviendra, en 1930, le ministère de la Santé. Il resta, depuis, l'un des plus mal dotés de l'appareil d'État. C'est encore aujourd'hui un ministère de second ordre placé sous l'autorité du ministre de l'Emploi et de la solidarité.

La difficile naissance des Assurances sociales

Un projet de loi fut déposé, en 1921, qui proposait de créer un système d'assurances couvrant les risques maladie, maternité, vieillesse et invalidité, les Assurances sociales. Dans le domaine de la maladie, il prévoyait le remboursement des soins, et le versement d'indemnités journalières pour compenser la perte de salaire en cas d'arrêt de travail. Les promoteurs de ce système souhaitaient le rendre obligatoire pour la grande majorité des salariés de l'industrie et du commerce, le voir financer, à égalité, par des cotisations des salariés et des employeurs. Il serait subventionné par l'État jusqu'à ce qu'il trouve son équilibre financier, mais il était conçu pour fonctionner sans aide publique.

Ce projet se heurta à une opposition violente du patronat, qui protestait contre les charges sociales qui pèseraient sur la production, et sur le budget de l'État ; il se heurta à l'opposition des mutuelles, qui craignaient la concurrence des nouvelles caisses d'assurances ; enfin à l'opposition des médecins, qui défendaient leur statut.

Le projet initial prévoyait un paiement des honoraires des médecins par les caisses d'assurances, dans le cadre d'un système d'abonnement qui transformait, de fait, les médecins en salariés des caisses.

Contre ce projet, les médecins se mobilisèrent, et s'organisèrent. C'est dans le cadre de cette lutte contre la loi sur les Assurances sociales que se créa, en 1927, la Confédération syndicale des médecins français, regroupant les différentes associations de médecins, et que fut définie la « charte de la médecine libérale », qui défendait le principe du libre choix du médecin par le malade, et surtout, pour le médecin, le droit à des honoraires pour tout malade soigné, honoraires qui étaient hypocritement présentés comme résultant d'une libre négociation entre le malade et son médecin.

La loi, très amendée par rapport au projet initial pour tenir compte de ces oppositions, fut remaniée avant son entrée en vigueur en 1930.

L'affiliation aux Assurances sociales était réservée aux travailleurs dont les revenus étaient inférieurs à un salaire plafond. Mais ce plafond avait été fixé à un niveau assez élevé. La quasi totalité des ouvriers et une grande partie des employés pouvaient donc bénéficier de la loi.

Mais pour satisfaire les opposants réactionnaires à la loi, son application avait été assortie d'un grand nombre de restrictions.

Les frais d'hospitalisation, les honoraires de médecins, les médicaments ne seraient remboursés qu'à 80 %. 20 % des frais devaient donc rester à la charge de l'assuré. C'était l'instauration du ticket modérateur, censé, comme son nom l'indique, modérer la consommation médicale des assurés et les empêcher d'en abuser. Ce sont les dirigeants très bourgeois des mutuelles de la fin du 19e siècle qui l'avaient inventé. Pour éviter que les pauvres, les travailleurs n'abusent des soins, comme dirait aujourd'hui Mattei.

Le montant de l'indemnité journalière était fixé à 50 % du salaire, mais plafonné à 40 % du salaire moyen d'un ouvrier. De la même façon le remboursement des médicaments était plafonné. Quant aux honoraires médicaux et d'hospitalisation, ils étaient remboursés au tarif fixé par les caisses. Les médecins ayant refusé de s'aligner sur ce tarif, dans les faits le taux de remboursement effectif ne dépassait pas 50 %.

Pour avoir droit à cette assurance, il fallait avoir travaillé au moins 60 jours pendant le trimestre précédent la maladie. Cela excluait, de fait, les travailleurs qui n'avaient pas un emploi stable et les chômeurs, c'est-à-dire, en cette période de crise économique, une fraction importante de la classe ouvrière.

Même amendée, restreinte dans son application, la loi avait du mal à passer auprès du patronat. Ses adversaires menèrent une campagne virulente contre ce qu'ils appelaient « la loi folle ».

La CGT-U, liée au Parti Communiste, dénonçait, elle, la loi sur les Assurances sociales comme « une véritable machine de conservation sociale... Un moyen habile pour obliger, sans bourse délier, les travailleurs de ce pays à mettre leurs misères en commun pour diminuer les affres des plus malheureux. »

Elle s'opposait au principe de la cotisation ouvrière, réclamait la gratuité des soins médicaux et le versement d'indemnités de maladie égales au salaire ; elle réclamait que ces indemnités soient financées par des versements patronaux complétés par des versements de l'État « prélevés sur les budgets de la guerre et de la police », et elle réclamait l'extension de l'assurance à tous les salariés et la gestion des caisses d'assurances par les salariés.

La Sécurité sociale : un acquis... pour la bourgeoisie

Au lendemain de la guerre, en 1945, la Sécurité sociale prit le relais des Assurances sociales. Elle est souvent présentée comme une conquête de la classe ouvrière, durement acquise, par la lutte. Mais en fait, il n'y eut ni lutte, ni conquête. La Sécurité sociale fut, pour la bourgeoisie, le prix à payer pour la paix sociale, c'est-à-dire pour que l'économie soit reconstruite, redémarre, en faisant travailler la classe ouvrière au moindre coût. Ce ne fut pas une réalisation de la seule gauche. C'est de Gaulle qui présida à sa mise en place. L'État, en tant que défenseur des intérêts généraux de la bourgeoisie, instituait un système destiné à rassurer les travailleurs sur leur avenir, sans lequel le patronat aurait risqué de se retrouver face à des revendications de salaires destinées à permettre aux travailleurs et à leur famille de se soigner. Pour les travailleurs, ce ne fut donc pas un cadeau. Si la Sécurité sociale fut un acquis, ce fut pour la bourgeoisie, ce qui n'empêcha d'ailleurs pas celle-ci de se lamenter sur les « charges » que cela entraînait. Et, comme l'écrit de Gaulle dans ses Mémoires de guerre, « les privilégiés accueillirent ces transformations mélancoliquement ».

La Sécurité sociale était, comme les Assurances sociales, financée par des prélèvements sur les salaires, pas sur les profits.

Par rapport au régime des Assurances sociales de 1930, celui de la Sécurité sociale présentait un certain nombre d'améliorations. Mais il en conservait aussi plusieurs aspects restrictifs. Et le prix à payer, pour les travailleurs, était considérablement augmenté. La cotisation ouvrière passait de 4 à 6 %. Pour la part dite patronale, la cotisation passait de 4 à 10 %. Mais comme cette augmentation était accompagnée de la suppression d'une taxe d'un taux équivalent instaurée en 1942 pour indemniser les ouvriers des usines bombardées, les patrons ne cotisaient pas un centime de plus.

La nouveauté la plus spectaculaire du nouveau régime d'assurance sociale par rapport à l'ancien, c'était son extension à tous les salariés. Désormais tous les salariés, quel que fût leur salaire, donc y compris les cadres, pourraient bénéficier du régime.

Un plafond des salaires soumis à cotisations fut instauré, fixé à 120 000 francs de l'époque par an, ce qui correspondait au salaire annuel moyen d'un ouvrier. Pour l'ouvrier qui gagnait 120 000 francs, la cotisation s'appliquait sur la totalité de son salaire. Alors que pour un cadre qui gagnait le double, la cotisation ne s'appliquait que sur la moitié de son salaire. En contrepartie les pensions de retraite et les indemnités journalières de maladie étaient elles aussi plafonnées. Mais pas les prestations en nature, c'est-à-dire le remboursement des frais médicaux. Autrement dit, les petits salaires cotisaient proportionnellement plus que les gros salaires pour le même service ! Le cadeau, en l'occurrence, n'était pas pour les ouvriers.

Les conditions qui limitaient le bénéfice des prestations furent très assouplies : il suffisait en effet d'avoir travaillé 60 heures dans le trimestre écoulé pour avoir droit aux remboursements et aux indemnités journalières. Un régime d'assurance longue maladie, qui n'existait pas dans l'ancien régime des Assurances sociales, fut instauré.

Le ticket modérateur de 20 % sur les remboursements était conservé, mais il s'appliquait désormais intégralement, quel que soit le prix des médicaments par exemple. De même, le montant des indemnités journalières restait fixé à 50 % du salaire.

Le montant des honoraires médicaux devait faire l'objet de négociations avec les représentants des médecins.

Mais la Confédération syndicale des médecins français refusa de négocier sur les tarifs. Le gouvernement, plutôt que de leur en imposer un, choisit d'effectuer les remboursements sur la base d'un tarif officiel, bien inférieur la plupart du temps aux prix réels.

Dans les faits les assurés continuèrent donc à être remboursés bien au dessous des 80 % prévus par la loi.

En fait, même si elle a permis à une fraction de plus en plus grande de la population d'avoir accès aux soins, la Sécurité sociale n'a jamais assuré l'égalité de tous devant la maladie. Car le ticket modérateur ne modère pas, il dissuade les plus pauvres, ceux qui ne peuvent pas payer, d'avoir recours aux soins.

À l'origine, le nouveau régime de Sécurité sociale devait couvrir l'ensemble de la population. Les professions agricoles et les non salariés refusèrent d'intégrer la Sécurité sociale. Et les mineurs, les marins, les cheminots, les employés du gaz et de l'électricité refusèrent d'abandonner leurs régimes particuliers, dont les conditions en matière de retraite et de maladie étaient souvent plus avantageuses que celles de la Sécurité sociale.

Lors de sa mise en place, le régime général de la Sécurité sociale ne concernait donc plus que les salariés de l'industrie et du commerce. Soit environ 53 % de la population.

Cependant, dès le 1er janvier 1947, les fonctionnaires, les ouvriers de l'État, les agents d'EDF-GDF se rattachaient au régime général, mais seulement pour la couverture maladie. Même chose dans les années qui suivirent pour les agents des collectivités locales, les étudiants, les grands invalides, les veuves et les orphelins de guerre.

La croissance des dépenses de santé, prétexte à une remise en cause de la Sécurité sociale

Dès ses premières années, la Sécurité sociale fut confrontée à des difficultés financières. Ses dépenses progressaient beaucoup plus vite que ses recettes.

Principale responsable de ces difficultés : la croissance spectaculaire des dépenses d'assurance maladie. De 1945 à 1948, elles triplèrent, pratiquement, en francs constants. C'est qu'indépendamment du fait que le système permettait un meilleur accès aux soins, l'extension de l'assurance maladie à de nouveaux bénéficiaires coïncida, d'une part, avec l'explosion du nombre des naissances - le fameux baby boom - et, surtout, avec les débuts d'une véritable révolution thérapeutique marquée par la diffusion d'une nouvelle génération de médicaments et par la transformation du rôle de l'hôpital.

C'est en effet à cette époque, dans les années d'après-guerre, qu'apparurent en France les premiers antibiotiques, à commencer par la pénicilline.

La diffusion des antibiotiques permit d'améliorer grandement le pronostic des maladies infectieuses.

Les progrès furent fulgurants. La mortalité par infection, qui avait déjà diminué de 20 % depuis 1925, chuta de moitié entre 1945 et 1950. Ces médicaments, très efficaces, étaient aussi, surtout dans les premières années, très coûteux. Beaucoup plus coûteux que les médicaments prescrits avant-guerre par les médecins de famille pour traiter les mêmes affections. Mais beaucoup plus efficaces aussi.

L'hôpital, ouvert à la clientèle payante depuis 1941, avait alors cessé d'être le refuge des pauvres, pour se médicaliser à part entière. Il était entré lui aussi, après la Deuxième Guerre mondiale, dans une période de profondes transformations, grâce à la mise au point de nouvelles techniques.

Les premières difficultés financières de la Sécurité sociale, montées en épingle, furent le prétexte au déclenchement en 1948-1949 (la remise en route de l'économie était assurée) d'une campagne violente des milieux patronaux et de la droite contre la Sécurité sociale en général, et contre l'assurance maladie en particulier.

Ils dénonçaient « une utilisation abusive et frauduleuse de l'assurance maladie pour les petits risques », le fait que « les salariés veuillent profiter de traitements dont ils n'ont pas un besoin certain », ou encore que « la moindre maladie soit le prétexte de repos plus ou moins prolongés ». Sur ce plan, on le voit, les arguments n'ont pas changé : c'est à peu de choses près le discours que tiennent aujourd'hui Raffarin et Mattei.

Aux patrons qui se plaignirent du poids des cotisations qui leur avaient été imposées, le ministre du Travail de l'époque, Daniel Mayer, membre de la SFIO, rappelait « que toutes les augmentations de charges avaient été en réalité prélevées sur les salaires et avaient fait obstacle à une augmentation beaucoup plus forte de ceux-ci, qui sans cela eût été inévitable » et que « le total des salaires et des charges sociales, bien loin d'augmenter depuis 1938, avait sensiblement diminué ».

Autrement dit, non seulement les patrons n'avaient rien perdu à l'instauration de la Sécurité sociale, ils y avaient même gagné.

Et pour que les choses soient claires, le ministre ajoutait : « Cette augmentation des charges sociales se traduit donc en définitive par un effort de solidarité imposé aux travailleurs salariés et à eux seuls, au profit de leurs malades, de leurs enfants et de leurs vieux ». La Sécurité sociale n'a effectivement jamais fonctionné, et n'a d'ailleurs jamais été conçue, comme un moyen de redistribution entre les riches et les pauvres, mais seulement comme un instrument de solidarité entre travailleurs, entre travailleurs actifs et travailleurs retraités et entre travailleurs bien portants et travailleurs malades.

Les difficultés financières de la Sécurité sociale étaient ainsi, pour la première fois, invoquées pour justifier un retour en arrière de la protection sociale. La croissance des dépenses de santé et les assurés, accusés de trop se soigner, étaient rendus responsables de ces difficultés.

Ce débat sur les prétendus déficits de la Sécurité sociale et de l'assurance maladie s'éteignit au début des années cinquante.

Les dépenses de santé n'avaient pourtant pas cessé de croître. Ce sont les dépenses de médicaments qui continuaient à augmenter le plus vite. De 16 % par an. La révolution entraînée par l'apparition des antibiotiques se poursuivait. La mortalité générale par infection diminua à nouveau de 50 % entre 1950 et 1960.

Les dépenses d'hospitalisation continuaient, elles aussi, d'augmenter à grande vitesse : plus de 11 % en moyenne par an. Elles représentaient, à la fin des années 50, plus de 40 % du montant total des remboursements de soins de l'assurance maladie. De loin son poste le plus important.

Le nombre d'admissions dans les hôpitaux publics s'accroissait pourtant lentement, de 3,3 % par an en moyenne. Et le nombre de lits progressait peu, faute d'investissements. La croissance des dépenses résultait donc essentiellement de la hausse du prix de journée. Il augmenta en effet de 60 % entre 1952 et 1958. L'accroissement des dépenses de personnel y était pour beaucoup. Les religieuses, qui constituaient encore le quart des effectifs du personnel hospitalier public en 1939, et qui travaillaient quasi bénévolement, furent progressivement remplacées par un personnel laïc, mieux formé, plus qualifié, ce qui était un progrès sur tous les plans, même s'il revenait plus cher. En 1955 un décret aligna le traitement du personnel hospitalier sur celui des fonctionnaires. Sur la période, les frais de personnel étaient multipliés par deux.

Mais la situation économique s'améliorait. Le capitalisme français entrait dans une phase de croissance et les capitalistes dans une phase d'enrichissement qui allait s'accélérer vers la fin des années 50 et durer jusqu'au début des années 70.

1967 : une réforme sous la pression du patronat

La question d'une réforme de la Sécurité sociale et d'une maîtrise des dépenses de santé allait pourtant resurgir au bout d'une dizaine d'années, sous la Cinquième république, dans les années soixante.

De Gaulle fit une première tentative dès son retour au pouvoir en 1958. Sous prétexte d'assainissement des finances publiques, auxquelles la Sécurité sociale ne coûtait pourtant pas un sou, le ticket modérateur sur la plupart des médicaments fut relevé de 20 à 30 %.

Pourtant, la part des dépenses maladie prises en charge par la Sécurité sociale continua à progresser.

C'était dû, pour beaucoup, au fait qu'en 1960, pour la première fois depuis 1945, un accord sur les tarifs de consultation avait été signé entre la Confédération syndicale des médecins français et la Caisse nationale d'assurance maladie. Les tarifs de remboursement avaient été relevés au niveau des honoraires pratiqués par les médecins. En prime, l'assurance maladie avait pris en charge la moitié des cotisations d'assurance maladie des médecins qui appliquaient les tarifs conventionnés.

Fin 1961, 80 % des médecins étaient conventionnés.

En 1963, l'État décida de faire supporter désormais au budget du régime général de la Sécurité sociale le déficit des assurances sociales des salariés agricoles, puis de celui des mines en 1964. Jusque là, c'était l'État qui les finançait. Cela coûta, et coûte encore aujourd'hui des milliards à la Sécurité sociale et à l'assurance maladie.

Ces charges nouvelles - qui s'ajoutaient aux précédentes - plongèrent le régime général dans des difficultés financières dont l'État était le seul responsable.

Un certain nombre de commissions officielles commencèrent à évoquer la nécessité d'une réforme. Le CNPF (l'ancêtre du MEDEF) qui y participait, donnait le ton.

Dans un texte largement repris par la presse, il réclamait de limiter l'intervention de la Sécurité sociale aux « prestations essentielles ». Et, pour les tâches que les nécessités financières imposeraient de retirer à la Sécurité sociale, de « faire confiance à la mutualité et à la prévoyance libre ». C'est presque mot pour mot le programme de la réforme annoncée par Raffarin.

Les ordonnances d'août 1967, qui donnèrent à la Sécurité sociale le visage qu'on lui connaît encore aujourd'hui, donnèrent sur de nombreux points satisfaction au patronat.

Sous prétexte de rééquilibrer les comptes, des mesures financières combinaient augmentation des recettes et limitation des dépenses. Le ticket modérateur passait de 20 à 30 % pour les honoraires médicaux. Les conditions d'ouverture des droits à l'assurance maladie étaient modifiées : pour bénéficier des remboursements et des indemnités journalières, il faudrait avoir travaillé au moins 120 heures au cours du dernier mois, au lieu de 60 heures dans le trimestre.

La cotisation ouvrière aux Assurances sociales était augmentée, passant de 6 à 6,5 % des salaires.

Et au lieu d'augmenter la part patronale des cotisations, l'État créait, au bénéfice de la Sécurité sociale, une taxe prélevée sur les primes d'assurance automobile.

Tout au long de l'automne 1967 il y eut de nombreuses manifestations. Mais la réforme entra en application. Et en mai 1968, dans les accords de Grenelle entre le patronat et les syndicats, la réforme ne fut pas remise en cause, sauf sur un point : le ticket modérateur pour les honoraires médicaux était ramené de 30 à 25 %.

La réforme hospitalière

C'est de cette époque aussi que date la réforme hospitalière. Régulièrement différée sous la Quatrième république, elle avait été décidée par décret à la fin de 1958. Elle instaurait le plein temps pour les médecins hospitaliers. Jusque-là, ils ne consacraient à l'hôpital qu'une moitié de leur temps, et n'en tiraient qu'une faible partie de leurs revenus... Mais leurs titres hospitaliers leur permettaient de demander dans le privé des honoraires coquets.

Le Conseil de l'Ordre des médecins dénonça à l'époque « une sorte de fonctionnarisation forcée de tout le corps médical hospitalier ».

Pour faciliter la transition, en 1960, les médecins hospitaliers furent autorisés à pratiquer dans le cadre de l'hôpital public, et sur leur temps de travail, des consultations et des hospitalisations privées, aux honoraires libres, c'est-à-dire en grande partie non remboursés.

Cette disposition, conçue à l'origine comme temporaire, est toujours en vigueur, après une brève interruption entre 1982 et 1986.

En outre, la fusion des facultés de médecine et des hôpitaux régionaux, qui donnait naissance aux centres hospitaliers universitaires, les CHU, offrait aux médecins la possibilité d'ajouter à leurs fonctions et à leurs salaires, des fonctions et un salaire d'enseignant universitaire.

Un très important programme de construction et de modernisation des hôpitaux commença en août 1962. Il allait s'étaler sur plus de dix ans. La moitié des hôpitaux existants en 1960, qui en avaient bien besoin, furent reconstruits. En 1960, il y avait dans les hôpitaux publics 400 000 lits en salles communes, c'est-à-dire deux lits sur trois. En 1974, il n'en restait plus que 231 000, soit un lit sur trois. L'essentiel du parc hospitalier d'aujourd'hui date de cette époque, c'est-à-dire d'il y a trente ans.

En même temps, l'hôpital continuait à se transformer pour s'adapter aux techniques nouvelles. Ces transformations nécessitaient l'emploi d'un personnel de plus en plus nombreux : le nombre de médecins formés triplait en dix ans, et le nombre d'agents hospitaliers au lit du malade doublait.

Toutes ces dépenses, de construction, d'équipement, de formation du personnel, furent financées, en grande partie par des subventions des collectivités locales, par l'assurance maladie et par les malades.

Durant toute cette période, le régime de Sécurité sociale bénéficiait à une fraction toujours plus grande de la population. Le nombre de cotisants passait de 9 millions en 1951 à 15 millions en 1967. Ce développement reflétait la croissance du nombre de salariés. Il résultait aussi de l'intégration de professions qui n'étaient jusque-là pas couvertes, jusqu'aux détenus des prisons et même aux curés dans les années 70.

À la fin des années 70, 99 % de la population bénéficiaient d'une Sécurité sociale de base.

L'assurance maladie,principale cible des plans d'économie

À partir de 1974, les effets de la crise économique, qui commençait, se firent rapidement sentir sur les finances de la Sécurité sociale.

Cela n'empêcha pas le gouvernement de transférer au régime général des salariés des charges supplémentaires considérables.

En 1974 fut créé un mécanisme de compensation démographique généralisée entre les régimes obligatoires de Sécurité sociale. Les subventions de l'État aux régimes déficitaires étaient supprimées. C'était l'institutionnalisation des transferts de déficits des régimes spéciaux ou autonomes de retraite et d'assurance maladie vers le régime général des travailleurs salariés.

Et en 1977, quand fut décidée l'harmonisation des prestations des différents régimes obligatoires, ce ne fut pas non plus l'État qui en assuma la charge financière, mais le budget du régime général.

Personne ne peut être contre le fait que de plus en plus de gens puissent bénéficier des mêmes prestations d'assurance maladie que ceux du régime général, même s'ils cotisaient moins. Mais il n'y avait aucune raison de faire financer cette mesure par les salariés du régime général.

La même année, le gouvernement Barre, après une campagne sur le « trou de la Sécurité sociale » qu'il avait fortement contribué à creuser, présentait un plan dit d'assainissement. C'était le premier d'une longue série. Il y en eut au total dix-neuf jusqu'au plan Juppé. En fait, pratiquement un plan chaque année... sauf les années électorales.

Cotisations salariales en hausse,prestations en baisse

Tous ces plans eurent, à chaque fois, le même prétexte : le redressement des comptes de la Sécurité sociale.

Mis en oeuvre tour à tour par des gouvernements de droite et par des gouvernements de gauche, ces plans eurent l'assurance maladie comme principale sinon unique cible, jusqu'à ce que l'assurance vieillesse soit elle aussi visée, à partir de 1993.

La croissance des dépenses de santé était en effet présentée comme l'une des raisons principales du déficit de la Sécurité sociale.

Un plan sur deux s'est traduit par une augmentation du taux de cotisation. Mais à l'inverse de ce qui s'était fait de 1945 à 1967, presque toutes les hausses, à partir du début des années 70, portèrent uniquement sur la part salariale des cotisations.

La charge pesait de plus en plus sur les travailleurs, sur les salariés, et de moins en moins sur les patrons. Il y eut des augmentations du ticket modérateur, des baisses de taux de remboursement et des déremboursements de médicaments.

En 1979, la droite décida d'instaurer une cotisation d'assurance maladie sur les retraites.

Et la gauche, en 1981 et 1982, décida de l'appliquer aussi aux indemnités de chômage et aux préretraites supérieures au SMIC.

En 1983, Bérégovoy, ministre socialiste, créait le forfait hospitalier. Il s'agissait de faire payer à chaque malade hospitalisé une somme forfaitaire censée correspondre au prix des repas qu'il aurait bien dû payer, expliquait le ministre, s'il n'était pas à l'hôpital.

En outre, depuis 1980, les médecins qui le souhaitaient ont obtenu la possibilité de pratiquer des honoraires libres, le dépassement d'honoraires par rapport au tarif de remboursement étant à la charge du patient. Actuellement, les médecins pratiquant des dépassements d'honoraires représentent environ le quart de la profession, mais ils sont majoritaires pour certaines spécialités et dans certains départements, notamment à Paris. Ce qui pose évidemment un problème d'accès aux soins pour les patients les plus pauvres.

Des quotas pour réduire le nombre des professionnels

Par ailleurs, dans l'espoir de diminuer la consommation médicale en diminuant le nombre de praticiens, des quotas furent institués pour les professionnels de santé. Ce sont les organisations de médecins, inquiètes de l'afflux d'étudiants dans les facultés de médecine, qui avaient réclamé, au début des années 70, l'instauration de tels quotas. Mais à partir de 1978, l'État y vit un moyen de diminuer les dépenses de santé. Le nombre d'étudiants en médecine autorisés à passer en deuxième année fut considérablement abaissé, pour tomber à 3 500 en 1992.

Dans le même but, c'est-à-dire réduire le nombre de médecins en activité, le gouvernement décida en 1988 de financer la cessation anticipée d'activité des médecins de plus de 60 ans. Ou plutôt de la faire financer par l'assurance maladie. Celle-ci finançait déjà la formation des médecins et une partie de leurs cotisations retraite et maladie. Elle financerait désormais aussi leur départ en retraite anticipée. La boucle était bouclée.

Des quotas furent aussi institués à l'entrée des écoles d'infirmières à partir de 1983.

Cette politique a été poursuivie pour les infirmières jusqu'en 2000, date à laquelle les quotas ont été relevés, en catastrophe, devant la pénurie de personnel soignant qui sévissait dans tous les hôpitaux.

Dans les hôpitaux, l'insuffisance des effectifs est criante depuis plusieurs années dans un certain nombre de spécialités et dans certaines régions : les zones rurales, par exemple, ou le Nord. Malgré le recrutement de plus de 7 000 médecins étrangers, environ 3 000 postes hospitaliers seraient vacants.

Aujourd'hui, devant le risque de manquer de médecins de ville dans les prochaines années, les quotas d'accès en deuxième année de médecine ont commencé à être relevés.

Autre limitation : des quotas d'activité individuels fixant un maximum d'actes par an et par professionnel, s'appliquèrent à partir de 1993-1994 aux infirmières libérales et aux kinésithérapeutes. Les infirmières ou les kinés ayant atteint leur quota d'actes devaient refuser les clients supplémentaires. La conséquence, c'est qu'il devint très difficile pour les malades, dans beaucoup de régions, de trouver une infirmière ou un kiné disponible. Ces quotas d'activité ont été supprimés à partir de 2000.

Les hôpitaux, principale cible des plans d'économies

Ce sont les hôpitaux qui ont été la principale cible et la principale victime des plans de maîtrise des dépenses de santé.

En 1976, Simone Veil, ministre de la Santé du gouvernement Barre, avait affirmé pour la première fois que les capacités d'hospitalisation dépassaient désormais les besoins. Un document officiel prétendait qu'il y avait 60 000 lits excédentaires. À partir de cette date et jusqu'à aujourd'hui, l'État a pris une série de mesures visant à freiner, voire à arrêter l'investissement hospitalier, et à encadrer les dépenses de fonctionnement des hôpitaux.

La principale mesure, celle qui a fait le plus de dégâts dans les hôpitaux publics, fut l'instauration de la dotation globale, à partir de 1984.

Jusqu'à cette date, le financement de l'hôpital était assuré sur la base de son activité réelle, appréciée en fonction du nombre de journées d'hospitalisation et d'un prix moyen de journée calculé en fonction de ses charges.

À partir de 1984, les hôpitaux se virent attribuer en début d'année une enveloppe forfaitaire avec laquelle ils devaient financer leurs dépenses de l'année. Chaque année, la dotation évoluerait en fonction, non des dépenses réelles de l'hôpital, mais en fonction d'un taux directeur, défini à l'échelle nationale par le ministère de la Santé pour l'ensemble des hôpitaux. Les budgets étaient, de fait, bloqués, et déconnectés de l'activité réelle des hôpitaux.

Le taux de croissance des dépenses hospitalières est ainsi tombé de 11 % en 1961 à 8 % entre 1968 et 1973, pour atteindre à la fin des années 1990 une croissance à peine supérieure à 1 % par an en moyenne.

Les dépenses d'hospitalisation publique ont donc bel et bien été considérablement et durablement réduites. Mais à quel prix !

Philippe Even, ancien doyen de la faculté de médecine de Necker, et qui n'a par ailleurs rien d'un révolutionnaire, décrit les conséquences de cette réforme en ces termes : « c'est le début de l'ère glaciaire. Les grands hôpitaux de l'État s'asphyxient, se rétractent, renoncent aux investissements, aux actions nouvelles médicalement nécessaires et à la simple maintenance. Ils y sont d'autant plus contraints que le coût de la médecine s'emballe en raison même du progrès médical... Les hôpitaux refusent les malades trop lourds et renoncent aux traitements nécessaires lorsqu'ils sont onéreux. Tous les jours : pose d'une valve cardiaque, prothèses de hanche, de genou, traitements anticancéreux, etc., tout est rationné. Chaque traitement lourd est contingenté et doit être négocié entre médecins et direction. Et souvent refusé ». Et, à propos des services de cardiologie des hôpitaux publics, il donne ce conseil : « Évitez-les à partir d'octobre. Leurs budgets sont épuisés, et ils ne pourront plus vous traiter comme il conviendrait ».

Ces contraintes ne s'appliquaient pas aux cliniques privées, qui s'en donnèrent à coeur joie et multiplièrent par deux ou trois leurs activités.

Ce mode de financement est responsable du sous-équipement actuel des hôpitaux publics en scanners, appareils d'IRM, etc. Les directions d'hôpitaux ont cherché à économiser sur tout, petit matériel, hôtellerie, médicaments : rien n'a échappé à la gestion en flux tendu. Pas même le personnel.

À partir de 1980, des dizaines de milliers de lits dits excédentaires ont été supprimés. Plus de 40 000 rien que dans les dix dernières années. Mais l'activité a continué à se développer. Du fait du raccourcissement des durées moyennes d'hospitalisation, dans un lit qui voyait passer naguère deux malades dans un mois, dix peuvent se succéder aujourd'hui dans la même période. Et cela représente évidemment une charge de travail bien plus grande pour le personnel soignant. Comme les effectifs n'ont pas suivi, ses conditions de travail se sont considérablement dégradées.

Les hôpitaux psychiatriques furent les plus touchés par les réductions de capacité. Ils sont aujourd'hui incapables de faire face aux besoins, et une partie des malades qui ne trouvent plus de place à l'hôpital se retrouvent à la rue voire en prison, où la proportion des malades mentaux a cru spectaculairement.

Il y a eu aussi des fermetures d'établissements. Les hôpitaux locaux et en particulier leurs petits services de chirurgie et de maternité ont été particulièrement visés, sous prétexte qu'ils n'offriraient pas une qualité de soins et une sécurité suffisantes du fait du manque de médecins et d'un niveau trop bas d'activité. Comme si c'était plus sûr de faire parcourir en ambulance des dizaines de kilomètres dans la neige ou le brouillard à une femme sur le point d'accoucher !

Depuis 1996, et la mise en place par Juppé des Agences régionales d'hospitalisation, le mouvement de restructuration hospitalière s'est accéléré, avec, sous prétexte de rationalisation de l'offre de soins, un grand nombre de fusions, de transferts et de regroupements entre hôpitaux. Dans tous les cas, l'objectif est le même, réduire les coûts, et l'opération se solde, au total, par des suppressions de lits et de postes.

Le manque de personnel, le manque de matériel, le manque de moyens se traduisent par un allongement des délais d'attente, pour les examens, pour les consultations, pour les opérations, avec les inconvénients, voire les risques que cela peut présenter. Du moins pour ceux qui n'ont pas les moyens de se payer la consultation privée d'un médecin hospitalier ou les dépassements de tarifs non remboursés d'une clinique bien équipée, mieux équipée que l'hôpital voisin.

Des exonérations pour les patrons, des impôts pour les travailleurs

À partir de 1991-1992, et surtout de 1993, les rentrées de cotisations de la Sécurité sociale subirent le contrecoup d'un nouveau ralentissement économique, et d'une brutale remontée du chômage. Ce qui n'a pas empêché le gouvernement de multiplier les exonérations de cotisations patronales. Au point que le montant des exonérations, qui représentait 4 % du montant des cotisations patronales, en représente aujourd'hui 20 %. Et de nouveaux plans furent lancés, pour réduire encore les prestations et faire payer plus les assurés sociaux.

Il y eut d'abord en 1993 le plan Balladur sur les retraites, portant dans le privé la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite à taux plein de trente-sept ans et demi à quarante ans. Et il y eut, deux ans plus tard, le plan Juppé. La partie du plan Juppé qui voulait aligner la durée de cotisation pour les fonctionnaires sur celle du privé fut retirée, à la suite des grèves de novembre - décembre 1995. Mais celle qui concernait les dépenses de santé et l'assurance maladie ne fut pas retirée. Elle fut même complétée, et aggravée, l'année suivante, en 1996.

Ce nouveau plan prévoyait une augmentation des cotisations maladie des retraités et des chômeurs, l'augmentation des taxes sur le tabac et sur l'alcool, un nouveau prélèvement sur tous les revenus, mais évidemment pas ceux des entreprises, une augmentation du forfait hospitalier, et une augmentation d'un point de la CSG (Contribution sociale généralisée).

Cet impôt nouveau, créé en 1991 par Michel Rocard, avait d'abord servi à alimenter la Caisse d'allocations familiales, puis, après une première augmentation en 1993, le Fonds de solidarité vieillesse.

Le point supplémentaire de CSG décidé par Juppé était affecté au financement de l'assurance maladie. En contrepartie, la cotisation salariale d'assurance maladie était diminuée d'autant.

En raison de la dissolution de l'Assemblée nationale par Chirac en 1997, Juppé n'eut pas le temps de veiller durablement à la bonne application de son plan. Après les élections qui suivirent cette dissolution, c'est Jospin qui s'en chargea.

En 1998, le taux de la CSG était de nouveau augmenté. De 4,1 points sur les salaires, et de 2,8 points sur les retraites et les indemnités de chômage. Cette augmentation était destinée au financement de l'assurance maladie. En contrepartie, les cotisations d'assurance maladie des salariés étaient diminuées d'autant. Les salariés ne payaient plus qu'une cotisation d'assurance maladie minime - 0,75 % - de leurs salaires, pour financer leurs indemnités journalières.

Le remplacement des cotisations maladie salariales par la CSG a été présenté par la gauche comme une mesure de justice parce qu'il mettait à contribution tous les revenus et pas seulement les revenus salariaux. En fait, près de 90 % des ressources de la CSG proviennent des prélèvements sur les revenus des salariés, des retraités, des chômeurs.

Depuis 1998, la CSG est devenue le premier impôt direct, devant l'impôt sur le revenu, et touche même ceux qui, parce que leurs salaires sont trop faibles, ne payent pas celui-ci.

En 1999, le gouvernement Jospin a créé la CMU, couverture maladie universelle, destinée à fournir une couverture à ceux qui étaient mal couverts, ou pas couverts du tout contre le risque maladie.

La CMU n'a d'universel que le nom

Quand ils évoquent le bilan de leur passage récent au gouvernement, les dirigeants du Parti socialiste sont fiers de rappeler cette création de la CMU. Il n'y a pourtant vraiment pas de quoi se vanter. Car si des millions de personnes étaient plongées dans la misère et démunies face à la maladie, les responsables en étaient tous les gouvernements qui s'étaient succédé depuis vingt ans, dont les leurs.

En effet à la suite de la création du forfait hospitalier, des baisses de ¬remboursement de médicaments, des augmentations du ticket modérateur, etc., depuis vingt ans la part des dépenses de santé prises en charge par la Sécurité sociale n'a cessé de régresser, tandis que la part remboursée par les mutuelles complémentaires ou payée directement par les malades a grandi régulièrement.

Le résultat, c'est que la fraction la plus pauvre de la population s'est trouvée exclue en tout ou partie du système de soins. La fraction de la population qui n'a plus de couverture sociale, bien sûr, mais aussi celle qui, tout en étant affiliée au régime de base de la Sécurité sociale, n'a pas les moyens de souscrire à une assurance ou à une mutuelle complémentaire.

Les ouvriers licenciés qui n'ont pas retrouvé de travail, par exemple, et qui, en même temps que leur salaire, ont perdu leur couverture complémentaire liée à l'entreprise. Et les retraités qui ont eux aussi perdu leur couverture complémentaire en quittant leur entreprise. Les plus de 65 ans sont la catégorie d'âge parmi laquelle la proportion de personnes bénéficiant d'une couverture complémentaire faible ou nulle est la plus importante.

Des antennes de Médecins sans frontières ou de Médecins du monde ont dû ainsi faire leur apparition dans les quartiers populaires.

C'est ce qui a conduit des médecins à créer, au sein des hôpitaux publics, des consultations ouvertes aux plus pauvres, aux patients sans couverture sociale, aux sans papiers, à tous ceux que l'hôpital était amené à refouler, depuis la mise en place du budget global en 1984.

À Paris, la première de ces consultations a été ouverte en 1992 à l'hôpital Saint-Antoine. C'est la consultation Baudelaire, appelée ainsi parce que, au 19e siècle, le poète était venu se faire soigner à Saint-Antoine grâce à l'aide médicale gratuite. Par la suite, ces consultations spécialisées se sont multipliées. Elles sont devenues obligatoires sous le nom de permanences d'accès aux soins de santé (PAS) en 1998.

Le gouvernement Jospin a finalement mis en place la CMU, régime de base pour ceux qui n'ont aucun droit, et la CMU complémentaire pour ceux qui, tout en étant affiliés à la Sécurité sociale, n'ont pas les moyens de cotiser, en plus, à un régime complémentaire. La CMU, en fait, a remplacé un certain nombre de dispositifs d'aide médicale qui existaient déjà.

Triste bilan : à la fin de l'année 2002 1,4 million de personnes avaient demandé à bénéficier de la CMU de base, et 4,5 millions à bénéficier de la CMU complémentaire.

La CMU n'a cependant d'universel que le nom, puisqu'elle est soumise à une condition de ressources. Ne peuvent en effet en bénéficier que les personnes dont les ressources ne dépassent pas 562 euros par mois pour une personne seule.

En raison de ce seuil, fixé volontairement très bas par les pouvoirs publics, 5 % de la population, soit trois millions de personnes, restent sans couverture complémentaire.

Ceux qui restent exclus, parce que dépassant les seuils de revenus, ce sont tous les jeunes et tous les travailleurs précaires, à temps partiels ou à temps plein, mal payés, mais aussi les handicapés et les retraités les plus pauvres. Par exemple les titulaires du minimum vieillesse ou de l'allocation d'adulte handicapé dont les montants se situent un peu au-dessus du plafond qui donne droit à la CMU.

Les plans successifs de « redressement » de la Sécurité sociale, contrairement à ce que prétendent leurs défenseurs, ont en réalité abouti à un rationnement des soins : à un rationnement par l'argent, à un rationnement social.

La réforme de Chirac : encore des économies sur le dos des malades

À peine réélu, en 2002, Chirac annonça rapidement son intention de continuer sur la même voie, et d'engager une réforme de l'assurance maladie. Il en faisait, avec la réforme des retraites, un de ses objectifs prioritaires.

Les manifestations et les grèves contre la réforme des retraites ayant rendu Chirac et Raffarin prudents, cette réforme fut renvoyée à plus tard.

En attendant, réforme ou pas, les mesures se sont accumulées.

Dorénavant, le surcoût des visites à domicile qui ne seront pas estimées médicalement justifiées ne sera plus remboursé. Faire payer plus les malades, c'est ce que Mattei appelle les « responsabiliser ».

Le taux de remboursement de 614 médicaments présentés comme modérément efficaces a été abaissé de 65 % à 35 %. 82 autres médicaments, présentés, eux, comme inefficaces, voire dangereux, ont été purement et simplement déremboursés.

Pour justifier ces mesures, Mattei s'est référé à une classification établie, en 1999, à la demande de Martine Aubry. Il s'agissait de faire dépendre le taux de remboursement du « service médical rendu » par chaque médicament, c'est-à-dire, en fait, de sa plus ou moins grande utilité, évaluée par une commission d'experts.

La logique aurait voulu que les médicaments jugés inutiles, voire - c'est Mattei qui le dit - nocifs, soient retirés du marché. Le gouvernement s'est contenté de les dérembourser. Le but de tout cela n'a évidemment rien à voir avec la santé publique. D'ailleurs, depuis que la classification a été établie, en 1999, 211 nouveaux médicaments à « service médical rendu » jugé insuffisant ont été admis au remboursement...

Les assureurs et les mutuelles complémentaires ont d'ores et déjà annoncé des hausses de tarifs pour faire face à la baisse des taux de remboursement par la Sécurité sociale.

Quant aux médicaments non remboursés, leur prix étant fixé librement par l'industriel qui les fabrique et par le pharmacien qui les vend, le jour même de la publication de leur liste, leurs prix ont connu des hausses souvent vertigineuses. Les laboratoires vont récupérer sur les prix ce qu'ils risquent de perdre sur les quantités.

Enfin, 70 groupes de médicaments sont désormais vendus au prix de leurs génériques.

Les médicaments génériques sont des copies de médicaments qui ne sont plus protégés par des brevets. Ils sont vendus, en principe 30 % moins cher. Un grand nombre de fabricants dont les produits ont été mis en concurrence avec des génériques ont aligné leurs prix sur ceux des génériques. C'est la preuve qu'ils pouvaient le faire, et que le gouvernement aurait pu le leur imposer, tout simplement, s'il l'avait voulu.

Les économies, si économies il y a, seront donc entièrement réalisées sur le dos des malades, et particulièrement des plus démunis.

Les trusts pharmaceutiques dans le même temps ont toutes les raisons de se réjouir. Le gouvernement leur a accordé ce qu'ils réclamaient depuis longtemps : la liberté des prix pour leurs nouveaux produits considérés comme innovants. Une mesure qui se traduira par des millions, voire des milliards de dépenses supplémentaires pour l'assurance maladie, qui paye donc les profits de l'industrie pharmaceutique, comme d'ailleurs de l'industrie du matériel médical.

Les mesures annoncées pour l'année prochaine sont de la même eau. Le forfait hospitalier devrait passer à 13 euros par jour au lieu de 10,67, soit une augmentation de plus de 20 %. Il sera difficile, à ce prix-là, de prétendre qu'il s'agit d'une simple participation aux frais de repas. Car bien des gens, dans la population laborieuse, ne consacrent pas 13 euros par personne et par jour à la nourriture.

Mattei a annoncé aussi un renforcement des contrôles. Renforcement des contrôles des arrêts maladies. Renforcement des contrôles des malades qui bénéficient, au titre de la longue maladie de la prise en charge à 100 %. Enfin renforcement des contrôles de l'attribution de l'Aide médicale d'État, l'AME, réservée à ceux qui n'ont rien, pas même des papiers. Toutes ces mesures, sans grande portée financière du point de vue de l'assurance maladie, n'ont sans doute pas d'autre objectif que de faire plaisir à la partie la plus réactionnaire de l'électorat.

Quant au plan hôpital 2007 et à ses dix milliards d'euros d'investissements, censés illustrer l'effort du gouvernement en faveur de l'équipement hospitalier, il s'agit d'une pure et simple escroquerie.

Non pas que les hôpitaux n'aient pas besoin de rénovations. À force de sacrifier, pour cause de budget bloqué, les travaux d'entretien, beaucoup d'entre eux sont devenus vétustes.

Mais ces rénovations seront financées par des emprunts des hôpitaux eux-mêmes et par des subventions de l'assurance maladie. L'État, pour sa part, contrairement à ce que tente de faire croire Mattei, ne versera pas un euro.

Dans le même temps, le gouvernement a mis fin à l'existence du FIHMO, fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, qui délivrait au compte-gouttes des crédits aux hôpitaux qui en faisaient la demande, à la condition qu'ils présentent, en même temps, un plan d'économies « clairement identifiées », disait la loi. C'est par ce fonds financé par le ministère de l'Emploi, que transitaient les seules - et maigres - subventions aux hôpitaux provenant du budget de l'État. La disparition de ce fonds veut dire que désormais toutes les subventions seront à la charge de l'assurance maladie. C'est d'ailleurs l'assurance maladie qui devra prendre en charge financièrement les dossiers en cours de l'ex FIHMO, afin, « d'assurer la continuité des engagements de l'État ». On ne saurait mieux dire. L'État se désengage, et désormais se désengage complètement. Le peu qu'il donnait aux hôpitaux, il ne le donnera plus. Désormais, c'est l'assurance maladie qui paiera tout.

D'ailleurs, au total, il y a longtemps que l'État tire bien plus d'argent des hôpitaux qu'il ne leur en donne, par l'intermédiaire de la TVA, que n'importe quelle entreprise privée récupère, ce que les hôpitaux ne peuvent pas faire.

Ces premières mesures annoncent la couleur de la réforme en préparation.

Accroître la part du financement privé

Comme on ne peut pas dépenser plus que ce qu'on a - ont le culot d'affirmer Mattei et Raffarin qui savent très bien trouver des fonds pour les subventions patronales ou le budget des armées -, pour sauver l'assurance maladie et la Sécurité sociale, il va falloir choisir. Choisir ce que l'assurance maladie continuera à rembourser, et ce qu'elle remboursera moins, ou plus du tout.

Et choisir entre les soins qui seront pris en charge par la Sécurité sociale et ceux qui seront du ressort des mutuelles et des assureurs privés.

C'est ce qu'ont commencé à faire déjà, par petits bouts, tous les gouvernements depuis trente ans. La part des mutuelles et des assurances privées et la part laissée aux malades dans le financement des dépenses de santé n'ont cessé de croître.

Mais pour le gouvernement Raffarin, il s'agit d'aller plus loin, et plus vite. Comme il l'a fait pour les médicaments.

En juin dernier, au congrès de la Fédération de la mutualité française, Mattei expliquait qu'il allait appliquer « à l'ensemble des actes de la vie médicale et paramédicale » la même méthode qu'aux médicaments : tous les services et tous les produits de santé « seront examinés sous l'angle du service médical rendu afin de justifier au plus près les raisons de leur prise en charge par nos systèmes d'assurance collective ». Et surtout, c'est sous-entendu, de leur non prise en charge. Et Mattei ajoutait : « à cette décision d'admission, qui relève de l'État, les organismes d'assurance complémentaire doivent être plus étroitement associés ».

C'est cela, le sens de la réforme qui est annoncée. Beaucoup de soins seront moins remboursés par l'assurance maladie, et plus par les mutuelles et les assurances privées, parce que classés comme moyennement utiles ; et beaucoup de soins ne seront plus remboursés du tout, parce que considérés par nos gouvernants comme inutiles.

Cela veut dire une part supplémentaire de frais laissés à la charge des malades et, surtout, un rationnement des soins accru pour ceux qui ne pourront pas souscrire à une assurance complémentaire, ou pour ceux qui ne pourront souscrire qu'une assurance a minima.

Car c'est cela que veut dire le transfert des assurances sociales aux assurances privées, que Raffarin appelle de ses voeux. Les assureurs ne travailleront pas pour rien. Leur objectif, c'est le profit.

Alors pour les assurés, il faudra choisir, entre payer plus cher ou être moins bien couvert pour le risque maladie.

Une partie de la population se saignera aux quatre veines pour assurer un maximum de soins à sa famille. Une autre partie, sans doute la majorité, qui ne le pourra pas, ne se soignera qu'en dernière extrémité, dans de mauvaises conditions.

Alors, il ne faut pas laisser faire le gouvernement Chirac-Raffarin.

Ils mentent quand ils disent que c'est la croissance des dépenses de santé qui appauvrit l'assurance maladie.

Ce sont l'État et les patrons qui appauvrissent l'assurance maladie

Pour les retraites, le prétexte, c'étaient les déficits futurs liés au vieillissement de la population et à l'accroissement du nombre de retraités.

Pour l'assurance maladie, le prétexte, c'est le déficit actuel, qui risque d'entraîner la faillite de la Sécurité sociale dans son ensemble. Un déficit dans lequel, d'ailleurs, le vieillissement de la population serait, là encore, pour quelque chose.

Pour 2002, le gouvernement annonce un déficit du budget de l'assurance maladie de 6,1 milliards d'euros (contre 2 milliards en 2001 et 1,2 milliards en 2000).

6,1 milliards, par rapport au budget de l'assurance maladie de 126 milliards, cela représente 4,8 %. En 2003, le déficit du budget de l'État a dépassé 44 milliards, ce qui représente 16 %. Et pour 2004, le gouvernement prévoit un déficit de plus de 55 milliards, soit 19 % du budget de l'État. Personne, ni au gouvernement, bien sûr, ni à gauche, ni dans la grande presse, ni même à Bruxelles, ne parle de déficit « abyssal ». Et personne n'explique que c'est l'existence même de l'État qui est en jeu.

Ce déficit s'expliquerait par un ralentissement de la croissance des ressources de l'assurance maladie et, surtout, par une croissance trop rapide de ses dépenses.

Que les ressources de l'assurance maladie, comme d'ailleurs de tous les budgets sociaux, croissent moins vite, ce n'est pas étonnant. L'assurance maladie tire l'essentiel de ses ressources des cotisations et de la CSG, qui sont prélevées sur les salaires. Avec les plans de licenciements massifs à répétition, les chiffres du chômage sont repartis à la hausse. Et moins de travailleurs, moins de salaires, c'est moins de cotisations.

Alors ceux qui appauvrissent l'assurance maladie, ce sont d'abord ceux qui sont responsables du chômage et des bas salaires. Ce sont les patrons qui licencient afin d'accroître leurs profits, de faire monter le prix de leurs actions, d'augmenter les dividendes versés à leurs actionnaires. Afin aussi, de se verser sous forme de salaires, de primes, ou d'indemnités de départs, des sommes extravagantes, représentant des dizaines d'années de salaires des ouvriers qu'ils ont jetés sur le pavé.

Mais l'État contribue aussi à cet appauvrissement. Car il ne se prive pas de jongler avec les impôts qui sont théoriquement prévus pour financer l'assurance maladie. Et c'est ainsi que depuis 2000, une série de mesures ont soustrait à l'assurance maladie près de 500 millions d'euros par an.

Mais surtout, les gouvernements n'ont pas cessé d'exonérer à tout va les patrons de leurs cotisations sociales.

Entre 1993 et 2002, sous le gouvernement de Balladur d'abord et celui de Jospin ensuite, le montant de ces exonérations a été multiplié par six.

Raffarin n'a eu qu'à prendre le relais.

Au 1er janvier 2003, il existait au total 36 dispositifs différents aboutissant à exonérer les patrons de cotisations sociales sous prétexte de favoriser l'emploi, pour un montant total annuel de près de 20 milliards d'euros.

L'État s'est engagé à compenser ces pertes de recettes pour la Sécurité sociale. Il ne le fait qu'en partie. Cela coûte, chaque année, 2 milliards d'euros à la Sécurité sociale.

Au total, en comptant tout, la part des patrons dans le financement du régime général est de l'ordre de 43 %. Cette part était d'environ 54 % en 1989. Plus de dix points de réduction donc. C'est énorme. Par rapport aux ressources de la Sécurité sociale, cela fait un trou, chaque année de l'ordre de 20 à 30 milliards d'euros. C'est cela le trou de la Sécurité sociale. Mais c'est le gouvernement, ce sont les patrons qui le creusent.

Cela n'empêche pas le gouvernement dans le même temps de prétendre que ce sont les dépenses de l'assurance maladie qui croîtraient beaucoup trop vite. Et il annonce déjà un déficit de 10 milliards en 2003 et de 14 milliards en 2004, si rien n'est fait ajoute-t-il.

Au cours des 25 dernières années, le rythme de croissance des dépenses de santé a été considérablement ralenti : de 8,6 % par an en 1970-1975, il est passé à 5,4 % en 1980-1985 pour tomber à 2,5 % en 1995-2000. Rien à voir avec ce qu'on nous dit d'une croissance exponentielle impossible à maîtriser !

Mais les dépenses d'assurance maladie seraient reparties à la hausse. En 2002, elles auraient augmenté de 7,2 %.

Les personnes âgées mises en accusation

Mais qu'est-ce qui explique cette augmentation excessive, déraisonnable aux yeux du gouvernement ?

D'après le très officiel rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, cette augmentation s'expliquerait par deux raisons dites « structurelles ». D'une part le progrès technique, qui offre des traitements plus efficaces mais plus coûteux. D'autre part le vieillissement de la population, qui se traduit par une hausse du nombre de personnes âgées, dont la consommation médicale est élevée.

C'est vrai, il y a de plus en plus de personnes âgées.

Il est vrai aussi que les personnes âgées consomment plus de médicaments, vont plus souvent chez le médecin ou à l'hôpital que la moyenne. Les plus de 65 ans consommeraient, en moyenne, quatre fois plus de soins que le reste de la population. Et 70 % des dépenses de santé proviendraient des six derniers mois de la vie humaine.

Ce vieillissement de la population et cette concentration des soins sont, en grande partie, le résultat des progrès extraordinaires accomplis par la médecine.

Entre 1950 et 2001, l'espérance de vie à la naissance a augmenté de 12 ans pour les hommes et de 13 ans pour les femmes. Soit un gain d'une année supplémentaire tous les quatre ans.

De plus en plus de gens vivent de plus en plus longtemps. Faut-il s'en plaindre ?

Et ne faut-il pas donner les crédits nécessaires aux structures d'accueil des personnes âgées ? Cela fait des années qu'elles n'en reçoivent pas, ou pas assez. Et en 2003, le gouvernement les a réduits de 180 millions d'euros. On a vu le résultat. Il en faut au contraire plus, beaucoup plus que ce que Raffarin vient d'annoncer et qui n'est que poudre aux yeux.

Le vieillissement de la population avait déjà servi de prétexte pour tenter de justifier la réforme des retraites. Il sert maintenant pour celle de l'assurance maladie.

Au printemps 2003, à la suite de la publication d'un rapport de la Cour des comptes, la plupart des journaux ont mené campagne sur le thème : les vieux consomment trop de médicaments. Autrement dit, ils coûtent trop cher à la Sécurité sociale. Évidemment, depuis la catastrophe meurtrière de l'été dernier, ce genre de discours est devenu plus difficile à tenir. Mais il n'a pas vraiment disparu. Et c'est quand même ce qu'il y a, en filigrane, derrière un certain nombre des mesures annoncées par Mattei.

Aujourd'hui, la médecine se trouve confrontée à des maladies qu'on ne guérit pas, comme on peut guérir d'une maladie infectieuse. Des maladies chroniques, ou des maladies du vieillissement, les maladies cardio-vasculaires, le diabète, l'insuffisance rénale, l'arthrose, etc. Contre ces maladies, les traitements sont prolongés et souvent coûteux. Faut-il les limiter ?

Certains se posent la question. Dans un livre collectif consacré à l'État providence, et sous-titré « argument pour une réforme », publié en 1996, un conseiller d'État, ancien directeur général de l'Assistance publique de Paris, écrit : « Toute considération philosophique mise à part, la production d'éternité par les scientifiques pose le problème de son coût pour la société, notamment lorsqu'il s'agit de traiter des cas limites mais aussi, et à beaucoup plus grande échelle, lorsque l'on souhaite traiter de nombreuses pathologies de fin de vie. Certaines études donnent à penser que le coût de la prise en charge de la maladie terminale, notamment le cancer, est équivalent à celui occasionné par le traitement de toutes les autres affections intervenues au cours de la vie de l'individu considéré. L'idée vient donc naturellement à l'économiste d'abréger le traitement curatif de cette maladie terminale, pour lui substituer un traitement palliatif, efficace contre la douleur et peu coûteux, mais qui risque de faire perdre quelques jours de vie ou de survie au malade ». L'économiste en question ne conclut pas sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Cela reste donc une idée. Mais une idée qui lui est quand même venue, à lui et à d'autres.

Une idée qui est d'ailleurs derrière les projets de Mattéi, et qui ne concerne évidemment que la population laborieuse, car les riches eux, auront toujours les moyens de se faire soigner, même si leurs chances de guérir sont faibles.

L'État pille le budget de l'assurance maladie

Alors en matière de politique de santé, il faut refuser et dénoncer cette logique scandaleuse, dangereuse, pourrie, qui est la logique qui consiste à poser les problèmes de santé en termes de rentabilité financière.

La notion même de déficit, dans le domaine de la santé, est aberrante et mensongère.

La notion de déficit n'est là, en fait, que pour faire passer la pilule, que pour faire accepter à la population laborieuse d'être encore une fois pressurée et de faire toujours plus de sacrifices.

Le gouvernement veut lui faire croire qu'on ne peut pas faire autrement !

Ce n'est pas vrai. On peut faire autrement. On peut financer les dépenses de santé.

Qu'il y ait des économies à faire pour l'assurance maladie, et des abus à corriger, c'est certain. Mais pas là où Chirac et Raffarin prétendent les trouver.

Car l'assurance maladie ne finance pas que ces dépenses de santé de la population. Elle finance aussi d'autres dépenses, mises à sa charge, au fil du temps, par l'État. Simplement parce qu'il voulait alléger son propre budget, et donc financer sa politique avec l'argent des autres.

Depuis le début, le régime général, c'est-à-dire les cotisations des travailleurs salariés, a financé - selon les époques en tout ou partie, mais de plus en plus au fil du temps - la construction des hôpitaux eux-mêmes et leur entretien. L'État finance la construction des écoles, des casernes, mais pas celle des hôpitaux. Comme s'ils n'étaient pas, autant et plus que les casernes, d'intérêt collectif.

L'assurance maladie finance la formation des médecins à l'hôpital, médecins qui, une fois formés, vont ensuite, pour la plupart, quitter l'hôpital pour ouvrir leur cabinet de médecine libérale.

L'assurance maladie finance aussi une partie des cotisations sociales des médecins. Ces « subventions au système de soins », c'est le terme officiel, représentaient sur l'année 2002 1,4 milliards d'euros.

C'est l'assurance maladie aussi qui a financé la construction et le fonctionnement de la plupart des écoles d'infirmières. Là encore, il n'y a aucune raison pour que ce ne soit pas l'Éducation nationale qui prenne en charge la formation aux métiers de la santé, comme elle prend en charge la formation à tous les autres métiers.

Depuis quelques années, cette utilisation du budget de l'assurance maladie par l'État pour financer sa politique a pris un caractère systématique, institutionnel, qui transforme de façon éhontée l'assurance maladie en machine à subventions.

Il existe aujourd'hui cinq fonds financés par l'assurance maladie, dits Fonds médicaux et hospitaliers, qui n'ont pas d'autre rôle que de distribuer des subventions. C'est l'État qui décide, mais c'est l'assurance maladie qui paye.

Il y a le Fonds national d'action sanitaire et sociale, qui participe au financement de la formation continue des professions médicales.

Le Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire qui finance des actions de prévention dans le cadre des priorités de santé publique.

Il y a encore le Fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale, créé en 1996, et qui a financé 70 % de la retraite anticipée des médecins de plus de 60 ans. Il vient de cesser ses activités, après que les autorités se sont aperçues qu'on risquait de manquer de médecins. Ce fonds a financé aussi des primes aux médecins qui s'achetaient un ordinateur !

Le Fonds d'aide à la qualité des soins de ville, créé en janvier 1999, par la gauche, pour participer « à l'amélioration de la qualité et de la coordination des soins dispensés en ville ».

Et encore le FOPIM, Fonds de promotion de l'information médicale et médico-technique, créé en 2001.

Mais le fonds le plus richement doté, c'est le Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés, qui résulte de la fusion, depuis le 1er janvier 2003, du Fonds pour la modernisation des établissements de santé et du Fonds pour la modernisation des cliniques privées. C'est ce fonds, maintenant unique, qui va donc subventionner les travaux d'entretien, de construction, et l'équipement du plan Hôpital 2007 dans les cliniques privées comme dans les établissement publics. En fait surtout dans les cliniques privées. C'est Mattei qui le dit : les établissements de santé privés ne pouvant recevoir les aides contenues dans la dotation globale, « il convient par souci d'équité de veiller à les faire bénéficier prioritairement des subventions du Fonds de modernisation ».

Au total, en 2002, les dotations de l'assurance maladie à cette kyrielle de fonds ont représenté plus de 1,5 milliards d'euros. Il faut y ajouter les 600 millions d'euros correspondant au transfert en 2003 sur l'assurance maladie de charges financées antérieurement par le budget de l'État. Par exemple, le financement des centres de soins spécialisés aux toxicomanes, et celui des IVG.

Au titre des nouvelles charges, on doit compter encore la participation de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés au financement du plan Biotox. Le plan Biotox est destiné à prévoir les risques liés à des actions de type terroriste utilisant des agents biologiques.

Dans ce cadre, il a été décidé de constituer des stocks de produits. Le gouvernement a estimé le montant des besoins correspondant à ces constitutions de stocks à 155 millions d'euros pour 2003. Qui va payer ? L'État ? Le ministère de l'Intérieur ? Non, la seule Caisse d'assurance maladie des travailleurs salariés.

Que l'État, au moment où il agite partout la menace que le déficit ferait peser sur l'assurance maladie, lui impose ainsi, en plus des autres, de nouvelles charges, est proprement scandaleux. Cela montre surtout qu'il ne croit pas à ce qu'il dit, au déficit qu'il agite comme un épouvantail. Et qu'il le fait exprès.

Mais l'État n'est pas le seul à piller, à appauvrir l'assurance maladie par ses prélèvements abusifs.

Il y a aussi les laboratoires pharmaceutiques, les constructeurs de matériel médical, les cliniques privées, pour qui le budget de l'assurance maladie a constitué, depuis l'origine, un marché protégé, scandaleusement profitable.

Ce marché de la santé représente, chaque année dans les 50 milliards d'euros. En 2001, la dépense a atteint 5 milliards pour les technologies médicales.

Mais ce sont les cliniques privées et les médicaments qui se taillent la part du lion : plus de 11 milliards pour les cliniques, et plus de 27 milliards d'euros pour les médicaments (dont 15,6 milliards remboursés par l'assurance maladie).

Les cliniques privées parasitent le secteur public

Les cliniques privées (il s'agit des cliniques privées dites à but lucratif, par opposition aux hôpitaux et centres de soins privés à but non lucratif, créés par des mutuelles ou des fondations, et qui sont assimilés au service public) se développent comme des parasites, au détriment des hôpitaux publics, en mettant à profit leurs difficultés.

Aujourd'hui, un certain nombre d'entre elles appartiennent à des grands groupes, et sont cotées en Bourse, comme n'importe quelle société industrielle ou commerciale. Sauf que les profits, dans ce cas, se font sur le dos des malades, du budget de la Sécurité sociale, et bien sûr de leur personnel.

Les pouvoirs publics ont tout fait pour favoriser le développement de l'hospitalisation privée au détriment de l'hôpital public. Et ils continuent à le faire.

Les Agences régionales de l'hospitalisation créées par Juppé poussent au partage et au transfert d'activités entre structures publiques et privées.

Quand le rapprochement suppose une répartition d'activités, comme par hasard, les urgences, la médecine et les secteurs considérés comme non rentables, vont à l'hôpital public, tandis que ceux qui sont considérés au contraire comme profitables vont à la clinique privée.

Aujourd'hui, le secteur privé dit lucratif n'offre que 20 % des capacités totales d'hospitalisation, mais pratique déjà 60 % des interventions chirurgicales, 50 % des traitements anticancéreux, 40 % des accouchements en hospitalisation complète, et 90 % de la chirurgie ambulatoire. Tout le reste, qui coûte et rapporte peu, c'est pour l'hôpital public et le privé non lucratif.

Un marché scandaleusement profitable pour les trusts pharmaceutiques

Mais de toutes les dépenses de santé, le poste où les profits pèsent sans doute le plus lourd, ce sont les médicaments. C'est le poste qui, aujourd'hui, continue à augmenter le plus : plus de 9 % par an d'augmentation en 2000 et 2001.

Cette croissance est due en partie à l'augmentation régulière de la consommation. Elle est due surtout à la mise sur le marché de médicaments de plus en plus chers. En 2002, près de la moitié de la croissance du chiffre d'affaires annuel des médicaments était due à ces nouveaux médicaments.

Pour justifier leurs prix élevés, les laboratoires invoquent le coût, de plus en plus élevé, des recherches. Mais désormais, et sans doute depuis longtemps, ce sont les dépenses de commercialisation, c'est-à-dire de marketing, de publicité et de démarchage auprès des professionnels de santé, qui pèsent le plus lourd, bien plus lourd que les dépenses de recherche.

En moyenne, selon une étude récente de la Documentation française, l'industrie pharmaceutique consacrerait entre 10 et 20 % de son chiffre d'affaires à la recherche contre jusqu'à 30 % pour les dépenses de marketing et de promotion.

Récemment, la presse annonçait que le groupe pharmaceutique anglo-suédois Astrazeneca envisageait d'investir 1 milliard de dollars - à peu près l'équivalent d'1 milliard d'euros - rien que pour les dépenses de promotion et de publicité pour le lancement d'un nouveau médicament contre le cholestérol.

La fabrication des médicaments est de toutes les industries celle qui fait de loin les plus hauts taux de profit.

Dans les prix des médicaments, il y a tout : les profits colossaux de ces trusts géants, et toutes les dépenses de leur guerre commerciale !

Ce se sont pas les dépenses de santé qui s'envolent et qui mettent à mal les caisses de la Sécurité sociale, mais bien ce que coûte la mainmise des capitaux privés sur l'assurance maladie.

Il ne faut pas laisser faire Chirac et Raffarin

Un bilan catastrophique pour la population

Pour la population, le bilan de la politique d'économies menée depuis presque trente ans par tous les gouvernements, sous prétexte de juguler le déficit de l'assurance maladie mais en fait pour permettre à la bourgeoisie d'accroître sa part des richesses produites, est catastrophique.

Au sens propre du terme.

Tout le monde garde en mémoire le spectacle des services d'urgence des hôpitaux au mois d'août dernier. De l'accumulation de lits et de brancards dans les halls d'entrée, dans les couloirs, dans les services.

Et tout le monde garde en mémoire le spectacle de ces ministres dérangés pendant leurs vacances. Si les services de l'État, au plus haut niveau, ont été défaillants, ce n'est pas un hasard.

C'est parce que, pour eux, la santé de la population, et des plus démunis en particulier, ce n'est pas une affaire d'État.

La moitié des personnes âgées qui furent victimes de la canicule vivaient en maison de retraite. Des maisons de retraite pour lesquelles l'État, pour des raisons financières, a toujours refusé d'instaurer un ratio minimum de personnel par rapport aux résidents. Résultat, c'est encore la sélection par l'argent. Et pour ceux qui n'ont pas les moyens d'accéder aux résidences médicalisées de haut de gamme, ce sont les mouroirs, avec, pendant les périodes de vacances, on l'a vu, un infirmière pour 40 ou pour 80. C'est le secrétaire d'État aux personnes âgées Hubert Falco qui le dit : « près de 80 % des établissements sont en sous-effectif. 20 % des lits sont à rénover, et 5 % des maisons de retraite devraient être fermées ». C'est lui qui le dit, mais après coup.

Et les 180 millions de crédit prévus pour 2003 dans le cadre du plan quinquennal de modernisation des maisons de retraite qui ont été gelés, devaient permettre notamment d'embaucher du personnel.

Si les hôpitaux ont été ainsi submergés, dépassés, ce n'est bien sûr pas seulement en raison de l'afflux massif de patients. C'est parce que les structures d'accueil étaient défaillantes, faute de personnel, faute de place, faute de matériel.

C'est le très officiel rapport d'expertise demandé par Mattei au début du mois de septembre qui le dit. Évoquant le manque de personnel, il constate que les fermetures de lits des mois d'été ont dépassé, de beaucoup, les prévisions établies par les directions des hôpitaux, y compris dans les services de réanimation, et commente : « cette situation a fortement pénalisé les services d'urgence et les SAMU. Ainsi en Île-de-France, les SAMU de Paris et de la périphérie étaient-ils informés, dès le matin du 10 août, et alors que le pic d'arrivée des personnes âgées touchées par la canicule n'était pas encore atteint, de l'absence totale de lits de réanimation disponibles ». Et plus loin : « le fait que tous les malades aient été pris en charge grâce à une mobilisation exceptionnelle de la communauté hospitalière ne signifie pas que chaque patient, dans ce contexte, a pu bénéficier de tous les soins qu'il aurait reçus en temps normal. C'est évident pour les conditions de confort pendant le séjour souvent très long aux urgences, c'est sans doute vrai pour les soins médicaux plus techniques et pour l'accès aux services de réanimation ».

La vague de chaleur de l'été 2003 a certes été exceptionnelle. Mais les médecins urgentistes cités par le rapport considèrent, eux, « que la situation vécue dans les services d'accueil d'urgence au cours des dix premiers jours d'août 2003 n'est que l'exacerbation de ce qu'ils vivent toute l'année ».

Qu'est-ce qui, depuis, a été fait ? Rien. Quelques promesses, mais pas un sou, pas un médecin, pas une infirmière de plus dans les services d'urgence ou les maisons de retraite.

Et qu'est-ce qui va changer ? Rien. Car la même politique de rationnement imposée aux établissements va continuer.

Le 1er octobre, la directrice générale de l'Assistance Publique faisait parvenir dans tous les hôpitaux de l'Assistance publique une note expliquant qu'elle avait obtenu du ministère 230 millions d'euros de crédits supplémentaires, répartis sur quatre ans. Mais cette rallonge est conditionnée à « un effort équivalent de réduction structurelle de ses dépenses de 60 millions d'euros par an pendant la même période ». Autrement dit, pour recevoir 230 millions d'euros, les hôpitaux de l'Assistance publique devraient en économiser 240.

Voilà ce que valent les discours de Mattei sur les efforts du gouvernement en faveur des hôpitaux après la canicule. Ce n'est que de la poudre aux yeux. Si on les laisse faire, tout va continuer comme avant. En pire.

Alors non, la catastrophe meurtrière de cet été n'est pas une catastrophe naturelle.

C'est une catastrophe sociale, conséquence directe de cette politique imbécile, criminelle, menée depuis vingt ans et responsable du manque de moyens incroyable des structures destinées à accueillir les personnes âgées.

Inégalités sociales face à la maladie

Le rapport remis à Mattei en septembre souligne que les interventions de la brigade de sapeurs pompiers de Paris entre le 9 et le 15 août « se sont concentrées essentiellement dans les arrondissements périphériques de Paris, à l'exception du 16e arrondissement, peu touché » et donc aussi des beaux quartiers du centre. Il explique aussi que, parmi les victimes on relevait partout la présence d'ouvriers, de SDF. Ce n'est évidemment pas un hasard. Et si la canicule a fait tant de victimes parmi des personnes âgées, ce n'était pas seulement parce qu'elles étaient vieilles, c'est aussi parce qu'elles étaient pauvres.

Alors, plus généralement, cette catastrophe meurtrière est une conséquence de cette politique de guerre sociale des patrons contre les travailleurs, des riches contre les pauvres, qui a réduit les salaires, les retraites, les allocations chômage, et même l'APA, allocation personnalisée d'autonomie des personnes âgés dépendantes, cette allocation censée leur permettre de continuer à vivre chez elles.

Depuis 1945, la Sécurité sociale et l'assurance maladie ont permis en principe à une fraction de plus en plus grande de la population d'avoir accès aux soins. Mais la Sécurité sociale n'a jamais supprimé les inégalités sociales face à la maladie. Depuis la fin des années 70, loin de s'améliorer, la situation n'a fait que s'aggraver.

Globalement, depuis cent ans, l'espérance de vie n'a cessé d'augmenter et la mortalité générale de diminuer, grâce, surtout au début, à l'amélioration des conditions de vie et d'hygiène. Mais comme le note le rapport 2002 du très officiel Haut Comité de la Santé Publique, « les écarts de mortalité entre les plus riches et les plus pauvres s'accroissent de façon constante depuis les années soixante et ces écarts se creusent, jusqu'à aujourd'hui. Ils sont, de façon relative, plus importants aujourd'hui qu'ils ne l'étaient dans les années vingt ».

Aujourd'hui, à 35 ans, un cadre a une espérance de vie supérieure en moyenne de presque sept ans par rapport à un ouvrier.

Avec la politique que nous annoncent aujourd'hui Chirac et Raffarin, si on les laisse faire, cet écart se creusera encore plus. Ce sera une régression non seulement pour ce qui est de la qualité des soins, mais aussi pour ce qui est de la durée de vie.

Le fait que le budget de la Santé, que le budget de la Sécurité sociale soit isolé, soit présenté comme indépendant, avec ses dépenses et ses recettes propres, est bien commode pour l'État. Car cela lui permet, après avoir puisé largement, régulièrement, indûment dans la caisse, après l'avoir vidée, de crier au déficit et de justifier ainsi des mesures de restriction toutes les fois qu'il en a besoin, toutes les fois que le grand patronat en a besoin.

Mais parler de déficit dans le domaine de la santé, comme d'ailleurs dans tous les autres domaines de la protection sociale, cela ne veut rien dire.

C'est un problème de choix. De choix de société, comme disaient les manifestants de Saint-Affrique qui refusaient le transfert de leur petit hôpital local à 40 kilomètres, à Millau. Ils avaient raison.

Nous ne savons pas encore jusqu'où ira le gouvernement avec l'assurance maladie. Lui-même ne le sait peut-être pas encore. Une fois, il promet une réforme qui va tout changer. La fois d'après, il revient en arrière et explique qu'il ne sera question que de réajustements. Il n'a pas oublié les mouvements de grève de mai et juin.

Le gouvernement peut choisir d'étaler dans le temps ses mesures, il peut choisir de les distiller par petits morceaux. Si tel est le cas, il sera sans doute plus difficile aux travailleurs de prendre conscience de la gravité de l'attaque. Il leur sera alors peut-être plus difficile de réagir. Plus difficile, mais pas moins nécessaire.

Pour un système de santé vraiment au service de la population

Chirac et Raffarin n'ont que le mot « réforme » à la bouche. Et c'est vrai qu'il faudrait réformer le système de santé français. Mais certainement pas dans le sens qu'eux, que tout le personnel politique de la bourgeoisie française, que le patronat, que les journalistes économiques à ses ordres, donnent à ce mot. Tout au contraire.

Il n'y pas d'égalité biologique face à la maladie et à la mort. Mais il n'y a aucune raison qu'il y ait des inégalités sociales, et qui plus est, qu'elles aillent en s'approfondissant. Il faut que chaque être humain ait la possibilité de bénéficier de ce que la science, la médecine, permettent aujourd'hui. Or cela est incompatible avec la manière dont fonctionne cette société, qui ne prête intérêt à la maladie que lorsqu'elle considère qu'il s'agit d'un marché solvable.

Il n'y a aucune raison que la fabrication des médicaments soit entre les mains d'entreprises privées qui s'intéressent plus à la valeur de leurs actions en Bourse qu'à la santé des hommes, et qui gaspillent des fortunes en dépenses de promotion inutiles et en concurrence stérile sur les marchés qu'elles estiment juteux, en négligeant complètement les autres.

C'est la même chose pour le matériel médical et chirurgical, de plus en plus complexe. Et ce qui a des conséquences désastreuses dans les pays industrialisés est encore bien plus tragique dans les pays pauvres, où nombre de maladies, et pas seulement le SIDA, font des ravages parce que l'immense majorité de la population est privée de tout accès aux soins.

Il n'y a aucune raison non plus pour que toute une partie du secteur hospitalier, celle qui permet d'engranger le plus de profits, soit confiée à des capitaux privés, et qui plus est subventionnée par l'État.

L'organisation actuelle de la profession médicale date d'une époque où le matériel utilisé par le praticien se réduisait à des abaisse-langue et un stéthoscope. Mais aujourd'hui, en dehors des cliniques privées, bon nombre de cabinets de radiologie, ou de laboratoires d'analyses par exemple, sont de vraies entreprises capitalistes.

Mettre sur pied un système de santé qui réponde vraiment au service de la population, cela voudrait dire aussi changer un certain nombre de pratiques corporatistes, qui font que les médecins s'installent là où ils en ont envie et pas là où c'est le plus nécessaire, que les règles qui fixent l'ouverture d'une nouvelle pharmacie tiennent compte de la concurrence entre officines et pas des besoins de la population.

Mais en fait, ce n'est pas seulement l'organisation du système de santé qu'il faudrait changer. C'est l'organisation de toute la société.

Car si bien des gens sont choqués par le fait que la maladie est considérée comme un marché parmi d'autres, le règne du capitalisme n'est pas moins lourd de conséquences néfastes dans tous les autres domaines de la vie sociale.

Un système de santé qui permette vraiment à chacun de bénéficier des progrès de la science et de la médecine, cela ne sera vraiment possible que dans une société qui ne considérera pas la recherche du profit individuel comme le but de l'économie, cela ne sera vraiment possible que dans une société socialiste.

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