La «mondialisation» de l'économie

Au sommaire de cet exposé

Sommaire

Le mot « mondialisation », traduction de l'expression « globalisation », a été utilisé au début des années 80 par les grandes écoles de gestion américaines pour décrire la stratégie du moment des grandes firmes multinationales.

Aujourd'hui, le mot est entré dans le vocabulaire des journalistes et des politiciens et, ce faisant, veut tout ou ne rien dire, au choix.

La réalité est que, depuis disons les années 70, les multinationales doivent s'adapter à la situation créée par la fin des chasses gardées coloniales et par la levée progressive d'un certain nombre d'obstacles, existant de fait ou mis en place avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Obstacles qui s'opposaient, d'une part, à la circulation des marchandises et, de l'autre, à la circulation des capitaux.

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la remise en route de l'économie dans les pays les plus détruits par la guerre ne put se faire qu'à l'abri du contrôle des changes et du commerce extérieur.

Les entreprises industrielles et commerciales étaient alors presque entièrement limitées à leurs marchés nationaux, car elles auraient été incapables d'affronter la concurrence des entreprises extérieures.

C'est au sortir de cette période, vers 1951-1952, que les grandes entreprises européennes, remises en route, et pour lesquelles le commerce international était déjà avant la guerre une nécessité, aidées par les dollars du Plan Marshall qui avait alors commencé à faire ses effets, purent renouer avec le commerce international.

C'est dans cette période que se développa une longue succession d'accords de toute sorte pour remettre en route les échanges commerciaux et financiers internationaux, surtout entre les pays de la même zone géographique, l'Europe par exemple. Commencèrent également à se former des alliances regroupant plusieurs États, dont la Communauté économique européenne devenue l'Union européenne, mais qui n'étaient pas, malgré leur nom, de véritables communautés.

Mais la circulation des marchandises était encore bien faible dans ces années-là.

Ce n'est qu'entre 1975 et 1990 que le marché des capitaux, lui, est redevenu mondial par la suppression progressive du contrôle des changes entre un grand nombre de pays, par la déréglementation, c'est-à-dire en l'occurrence par la suppression des règles qui limitaient les activités bancaires et qui soumettaient les banques, voire les entreprises, à un minimum de contrôles étatiques. Ce marché financier se développa par la suite bien plus vite que la production et que le commerce.

En fait, la « mondialisation » n'est nouvelle que par rapport aux périodes qui ont précédé, et surtout suivi, la Deuxième Guerre mondiale, et beaucoup moins par rapport à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle.

Le terrain d'action des grands capitaux est, aujourd'hui, comme au début du siècle, le monde entier. Mais ces grands capitaux sont, incontestablement, infiniment plus importants qu'ils n'étaient alors, par rapport à la production globale des marchandises.

De la guerre à la crise (1945-1975)

La remise en route de l'économie...

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l'impérialisme américain, dont l'économie non seulement n'avait pas subi de destructions mais s'était au contraire renforcée, dominait, encore plus qu'après la Première Guerre mondiale, toutes les autres puissances impérialistes.

Les principales d'entres elles, l'Angleterre et, surtout, la France, l'Allemagne et le Japon, qui avaient subi le plus de destructions, devaient remettre en route leur économie, en réparant les voies de communications endommagées, en rétablissant la production d'énergie : charbon, hydro-électricité, d'autant que les dollars manquaient pour importer du pétrole, et en reconstruisant les usines détruites. Les États prirent en charge cette remise en route, que les capitaux privés ne pouvaient, voire ne voulaient, pas assumer car c'étaient des investissements trop lourds et sans rentabilité prévisible.

Cela se fit donc sur le dos de classe ouvrière par une exploitation renforcée, l'allongement des horaires de travail et le maintien de bas salaires, constamment amputés par l'inflation. L'inflation était alors de 10 ou 20 % par an car ces États ne payaient leurs dépenses intérieures qu'en émettant de la monnaie. Au point que leurs monnaies ne valaient rien sur le marché international, même pas le papier sur lequel elles étaient imprimées....

Les importations étaient alors impossibles, faute de moyens de paiement acceptés. La seule monnaie qui l'était, c'était le dollar. Encore fallait-il en avoir et il n'y avait rien à vendre aux États-Unis pour s'en procurer.

Les pays européens en étaient réduits au troc entre eux, à tel point que tel ou tel accord de troc, ou traité d'échange bipartite, comme on disait alors, était présenté comme un énorme progrès et que le jour où il y eut la possibilité d'échanges triangulaires, d'accords tripartites, cela fut présenté comme une véritable victoire.

...sous l'égide des États-Unis

Avec le plan Marshall et le plan Dodge, les États-Unis, pour des raisons politiques et stratégiques face à l'URSS et à la Chine, pour des raisons économiques aussi car ils avaient besoin du retour à la normale du marché mondial, ont prêté aux impérialismes européens et japonais des capitaux qui leur permirent peu à peu d'amorcer la pompe du commerce international. Les prêts américains jouèrent un rôle majeur dans le redémarrage des échanges entre les puissances européennes, ce qui d'ailleurs était nécessaire aux exportations américaines de marchandises comme de capitaux.

Seule la zone contrôlée par l'Union soviétique échappa à la pénétration directe du capital américain, sans pour autant échapper complètement à sa pression.

C'est également sous l'égide des États-Unis qu'ont été créés ces organismes internationaux destinés à mettre de l'huile dans les rouages de l'économie capitaliste internationale, sans laisser jouer de façon trop aveugle les lois du marché, tout en assurant la domination des États-Unis : Fonds monétaire international, Banque mondiale, GATT, OCDE, etc.

En même temps, l'impérialisme américain assurait sa domination politique sur la planète.

Expression du rôle dominant joué par l'économie américaine, le dollar était à la fin de la guerre la seule monnaie susceptible d'être utilisée dans le commerce international de l'époque.

Les dollars servirent aux échanges, à l'égal de l'or, et les excédents de dollars furent stockés par toutes les banques centrales dès qu'elles en eurent assez pour faire des réserves de change.

Le mythe des « Trente glorieuses »

Une fois les économies des autres pays impérialistes remises en route, dans le cours des années 50, le commerce international commença à se développer de même que la production. Cela entraîna une amélioration du niveau de vie de la population laborieuse. Les nouveaux produits de consommation, électroménager par exemple, motos, scooters et petites voitures, se répandirent, et l'on vit même réapparaître des marchandises américaines ou des éléments américains dans des produits industriels de grande consommation produits en Europe ou au Japon.

C'était le début de ce qu'on a appelé bien abusivement les « 30 glorieuses » car dans aucun pays cette relative prospérité économique n'a duré 30 ans. Elle a duré 15 ans, au maximum 20. En France par exemple, la remise en route de l'économie ne fut achevée qu'au milieu des années 50 et la période de croissance qui suivit ne dura que de 1955 à 1973.

Et cette courte période n'a été vraiment « glorieuse » que pour les profits capitalistes car les travailleurs, s'ils ont vu les biens de consommation qu'ils pouvaient acquérir augmenter, ne profitèrent ainsi que d'une très faible part des gains de productivité, malgré beaucoup d'heures de travail. Et le niveau de vie des travailleurs connut d'énormes inégalités. Car il ne faut pas oublier qu'une partie de l'augmentation de la production se fit en allant chercher au Maghreb des travailleurs qu'on pouvait sous-payer et faire vivre dans des bidonvilles : bidonvilles qui ne disparurent des portes de Paris qu'après 1968, c'est-à-dire peu d'années avant le début de la crise.

Pour le reste, ces années dites « glorieuses » n'ont pas été exemptes de récessions, notamment aux États-Unis.

Les origines du marché commun

En fait, dès le début des années 60, où la paralysie du commerce mondial due aux séquelles de la guerre commença à guérir, les autres contradictions de l'économie capitaliste, dont les rivalités inter-impérialistes, revinrent au premier plan.

Les grands monopoles capitalistes, à l'étroit dans leurs frontières nationales, rivalisèrent à nouveau pour la conquête de marchés aussi bien pour leurs capitaux que pour leurs marchandises. La rivalité était d'autant plus ouverte que les chasses gardées des empires coloniaux, dont avaient longtemps bénéficié les impérialismes occidentaux, étaient en train de disparaître.

L'arène mondiale était donc tout entière ouverte à la guerre économique entre les grandes entreprises capitalistes, européennes, américaines et japonaises.

Pour tenter d'élargir leurs marchés nationaux et permettre ainsi à leurs entreprises de mieux aborder la concurrence sur le marché mondial, six pays européens dont la France et l'Allemagne s'engagèrent en 1957, avec les traités de Rome, dans un processus qui allait aboutir onze ans plus tard, en 1968, à un début de marché commun, avec la suppression des droits de douane, entre les six pays en question, et la mise en place d'un tarif douanier commun vis-à-vis des autres pays.

La crise monétaire, une des formes de la crise du système capitaliste

Mais le Marché commun était à peine mis en route que la crise monétaire éclatait, et entraînait en 1971 la décision du Trésor américain de supprimer la convertibilité du dollar en or et de dévaluer celui-ci. Ce fut alors l'effondrement du système monétaire international jusque-là basé sur le dollar et le flottement généralisé des monnaies les unes par rapport aux autres, ce qui priva les échanges internationaux de toute base monétaire stable.

C'est qu'entre temps, à partir de 1962, deux phénomènes affaiblirent le dollar. D'abord le coût grandissant de la guerre du Viet-Nam qui amena le gouvernement américain à recourir de plus en plus, et même massivement à la fin, à la planche à billets. Au début, il réussit, comme par le passé, à exporter sa propre inflation. Mais au fur et à mesure que les économies européennes et japonaise s'affermissaient, leurs monnaies en faisaient autant, et ils ne gardèrent pas tous leurs dollars. Ils en demandaient même, modestement mais de plus en plus, l'échange contre de l'or. Et les réserves de Fort-Knox s'affaiblirent au point de risquer la banqueroute totale. De là la dévaluation du dollar, et la décision de ne plus le convertir.

La crise économique prit donc d'abord la forme d'une crise monétaire ; puis, en 1973, elle prit la forme de ce qu'on a appelé la crise pétrolière ; enfin en 1974-1975 celle d'un net recul de la production. A partir de 1974-75, la crise de l'économie entraîna un regain de protectionnisme, y compris au sein du dit « marché commun », avec l'apparition de barrières réglementaires visant à gêner les importations de marchandises en provenance des autres pays. Depuis lors, on a connu une relative stagnation de la production, les périodes de franche récession alternant avec des périodes de croissance faible.

Mais quelle que soit sa forme ou le nom qu'on lui donne, c'est la crise permanente du système capitaliste.

Voilà maintenant près d'un quart de siècle que le marasme économique s'alimente de lui-même, que la production ne repart pas et que les forces productives de la planète sont immobilisées. C'est aussi une forme de mondialisation.

Crise économique internationale et « mondialisation »

Depuis 1975, la production ne s'est accrue que faiblement, deux à trois fois moins vite que dans la période précédente. Et c'est justement dans cette période de fort ralentissement de l'activité productive que ce qu'on appelle aujourd'hui la mondialisation de l'économie, c'est-à-dire l'internationalisation des échanges de marchandises et de capitaux, voire de la production, a, au contraire, très fortement progressé.

C'est parce que les marchés sont trop étroits pour permettre un développement ou même le maintien de la production capitaliste que la concurrence s'est accentuée sur l'arène mondiale. Dans cette guerre, chaque entreprise capitaliste cherche à étendre ses ventes sur l'arène la plus vaste possible mais, dans ce même contexte, elle a absolument besoin du soutien inconditionnel de l'État du pays où elle a son centre de gravité. C'est pour cela que les chefs d'État, tout en participant à la négociation de divers traités, se font en même temps les représentants de commerce de leur bourgeoisie, comme actuellement Chirac en Amérique latine.

C'est pourquoi l'évolution économique actuelle a un caractère chaotique où, sans cesse, le protectionnisme le dispute à la « mondialisation ».

La concurrence mène à la concentration de la production au profit d'entreprises géantes exerçant leur activité dans plusieurs pays du monde : c'est ce renforcement des multinationales qui contribue à son tour à la mondialisation de la production et des échanges.

Mais ce qui marque aussi la période, c'est la gravité du chômage, sa mondialisation bien réelle. Il touche tous les pays, non seulement les pays pauvres comme c'était le cas depuis longtemps, mais aussi les pays riches.

Ce qui, en tous les cas, est commun à tous les pays impérialistes, c'est que, malgré la stagnation relative de la production, la bourgeoisie, qui a entamé cette période en étant confrontée à un bas taux de profit, aura réussi à le rétablir par la diminution constante et majeure de la part des classes laborieuses dans le revenu national, dans les richesses produites.

Le commerce international est-il plus « mondialisé » ?

L'évolution du commerce international illustre bien les tendances contradictoires de l'économie capitaliste.

Il s'est développé, depuis les années 60, deux fois plus vite que la production mondiale, et absorberait aujourd'hui 40 % de cette production contre 25 % il y a 25 ans.

Si l'on s'en tient à ces chiffres, contestés et contestables comme toutes les mesures de l'activité économique, mais qui sont les seuls dont on dispose, le commerce international serait de plus en plus ouvert.

En fait, cela signifie d'abord que, tant qu'il y avait pénurie, les marchés intérieurs ont absorbé les productions. En permettant d'ailleurs à l'industrie d'y vendre cher, grâce au protectionnisme, et d'accumuler et de renouveler ses moyens de production.

Puis, le marché intérieur redevenu plus ou moins saturé (du point de vue capitaliste), les industriels ont pu se tourner vers l'extérieur grâce aux gains de productivité que leurs outils industriels rénovés leur permettaient alors.

Les entraves au développement du commerce international

Cependant, cette ouverture du marché international s'est faite difficilement, laborieusement, avec des retours en arrière.

Rappelons qu'au début de la crise, une foule de règlements, de normes - sous prétexte de protéger l'environnement ou les consommateurs - fut utilisée comme autant d'instruments protectionnistes.

Mais les grandes entreprises les plus à l'étroit dans le cadre national ont poussé à la suppression de ces barrières non-tarifaires, qui entravaient les échanges, à l'intérieur de certaines zones constituées autour des principales puissances impérialistes, comme l'Union Européenne, ou encore l'ALENA, composée des États-Unis, du Canada et du Mexique, ou encore l'AFTA, la zone commerciale asiatique correspondant à la zone d'influence du Japon.

Mais l'existence de monnaies nationales différentes permet aussi de jouer sur les taux de change pour protéger son industrie. Et les États ne s'en privent pas, pas même le plus puissant, les États-Unis. Ce jeu a pris une importance pour ainsi dire symétrique à la réduction des tarifs douaniers et des obstacles réglementaires.

Le cas des impérialismes européens

L'Union européenne a ceci de particulier qu'elle correspond à la zone d'influence non pas d'une seule puissance impérialiste dominante, mais à celle de trois impérialismes, rivaux depuis bien longtemps et dont les rivalités ont été la cause directe des deux guerres mondiales précédentes, à savoir l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, sans parler des impérialismes moins puissants comme l'Italie et d'autres.

Les grands monopoles de ces trois puissances impérialistes ont un besoin vital d'un marché de la taille au moins de l'Europe, tout à la fois pour mieux rentabiliser leurs productions en produisant pour un marché plus large, et suffisamment vaste pour faire vivre des groupes industriels capables de rivaliser tant soit peu avec ceux des États-Unis et du Japon.

Mais entre le marché commun à 6 de 1968 et le marché unique à 12 de 1993 (étendu aujourd'hui à 15), il a fallu 25 ans, un quart de siècle, de laborieuses négociations.

C'est que si les raisons de s'unir l'emportent du point de vue des grands groupes capitalistes sur les raisons de rester indépendants, tous n'ont pas le même intérêt immédiat à l'ouverture des marchés.

Et puis, il reste de toute façon le problème des monnaies européennes. S'unir à 15, c'est tenter de faire fonctionner paritairement 14 monnaies différentes.

Les problèmes monétaires de l'Union européenne

Aujourd'hui, le flottement général des monnaies perturbe les échanges à l'intérieur même de l'Union européenne. Les à-coups de la spéculation perturbent et fragilisent sans cesse le fameux marché unique. Il est difficile pour un groupe industriel qui exporte dans un pays à monnaie instable de calculer à long terme les prix auxquels il peut soumettre un marché. Sans compter que le fait que, du jour au lendemain, les exportateurs anglais ou italiens ou espagnols puissent bénéficier d'un avantage commercial même momentané, en dévaluant leur monnaie, réduit évidemment l'utilité de ce marché européen où la concurrence est censée régner sans entrave.

Les gouvernements européens ont d'abord institué en 1972 ce qu'on a appelé le serpent monétaire européen, auquel a succédé en 1979 son clone, le système monétaire européen, à l'intérieur desquels les monnaies n'avaient le droit de varier que d'un pourcentage minimum. Mais le système monétaire européen n'a pas résisté à la récession de 1992-93 et à la vague spéculative qu'elle a engendrée.

C'est ainsi que la baisse de la lire de 1992 à 1995 a permis aux exportations italiennes de concurrencer sévèrement les industries textiles et automobiles françaises. De même, la baisse de la livre sterling dans la même période a permis à la Grande-Bretagne une expansion nette résorbant une partie de son chômage. Même chose au niveau mondial où le dollar bas a permis aux États-Unis de se rétablir face au Japon et à l'Allemagne.

L'absence d'une monnaie à l'échelle du continent - comme aux États-Unis - est un désavantage majeur pour les monopoles européens, mais leur fragilité et leurs rivalités ont été des obstacles insurmontables jusqu'ici (et ce n'est pas fini), exactement comme pour le marché unique. Il leur faudrait se doter d'une telle monnaie, appuyée sur un marché suffisamment vaste, pour concurrencer le dollar comme monnaie internationale.

C'est que, encore à l'heure actuelle, le dollar représente 60 % des réserves de change des banques centrales de l'ensemble des pays du monde et 50 % des échanges mondiaux sont libellés en dollars, alors que la part des États-Unis dans le commerce mondial est de 16 %.

Quatorze monnaies différentes en Europe, c'est un héritage du passé et un véritable anachronisme économique. Et encore, en ne comptant que l'Europe des 15.

Il est difficile de savoir si les rivalités entre les bourgeoisies européennes l'emporteront ou non sur leurs intérêts communs, et si l'Euro verra finalement le jour. Mais il est certain que c'est un enjeu majeur pour les principales bourgeoisies européennes, dans ce qui est depuis un siècle la course à la mondialisation du capital financier.

En effet, malgré les flottements imprévisibles, les spéculations ou les décisions des États, les monnaies, sur une longue période, reflètent la force, la puissance et la crédibilité des économies. Et de ce point de vue, une entité européenne de près de 370 millions d'habitants aurait une puissance qui permettrait à chacun de ses membres de jouer un rôle bien supérieur dans l'arène économique mondiale.

L'Union européenne : une construction fragile basée sur des rapports de force

Il est évident aussi qu'au-delà de la forme que pourra prendre l'Euro, c'est un État unifié européen ou au moins un État fédéral qui pourrait être le garant de l'unité de l'Europe, de la pérennité de son marché unique et évidemment de sa monnaie. Car tant que les appareils d'États nationaux subsistent, il leur est toujours possible de revenir sur les accords et les alliances qu'ils ont eux-mêmes acceptés.

Mais, dans chaque pays, les liens entre les grandes entreprises capitalistes et les appareils d'État sont tellement intimes, la mainmise du capital financier sur eux est telle, qu'un État européen, dépassant les rivalités et prenant en charge les intérêts généraux des différents impérialismes européens, n'est pas imaginable dans le cadre des rapports de force actuels. L'Europe politique n'est certainement pas pour demain, à moins que cela se fasse, la crise aidant, par la violence, c'est-à-dire par les moyens qu'avait voulu utiliser Hitler.

C'est que cette union est, en fonction des rapports de force, un compromis dans lequel chaque puissance a à perdre et à gagner. Les plus puissants des impérialismes comme l'Allemagne ou la France y gagneront plus et y perdront moins que l'Espagne, le Portugal ou la Grèce.

L'intérêt des capitalistes les plus puissants de ces derniers pays sera d'accéder à un marché dont, sinon, les frontières renforcées autour de l'Union européenne pourraient les écarter. Les paysans de ces pays, eux, seront peut-être bien acculés à la misère car ils ne bénéficieront peut-être pas des mêmes compensations que celles que les paysans des pays du Nord-Ouest ont obtenues pour rendre moins amère leur disparition progressive.

C'est que l'unification de l'Europe, tout comme ce qu'on appelle la mondialisation, correspond aux intérêts des multinationales, ce qui n'est pas parallèle aux intérêts des populations.

Les travailleurs révolutionnaires n'ont évidemment pas à militer pour cette Europe impérialiste. Mais s'ils ont à en combattre le caractère impérialiste, ils n'ont pas à s'opposer à l'Europe au nom d'États étriqués qui sont humainement, socialement et économiquement dépassés.

L'État national, la monnaie nationale, la souveraineté nationale, la citoyenneté nationale, ne sont pas des protections pour les travailleurs contre le capitalisme et contre les trusts. Ces trusts, cet impérialisme, ne viennent pas de l'extérieur, ils sont dans la place : au coeur de l'économie et de l'État.

Le commerce international : réglementé et inégal

Le caractère laborieux des négociations commerciales internationales, l'ouverture des marchés nationaux sont toujours l'expression d'un rapport de forces.

L'accord du GATT sur le commerce mondial date de 1947 mais il a été renégocié, complété au fil des années.

La dernière négociation, qui s'est achevée en 1994, a duré 7 ans et a accouché d'un accord de 500 pages, accompagné de 24 000 pages de règlements particuliers, ainsi que d'un nouvel organisme, l'Organisation mondiale du commerce (l'OMC), chargé de trancher les différends. L'accord à peine signé, les États-Unis, qui avaient pourtant fait prévaloir leurs intérêts, ont déjà affirmé que le droit américain primerait sur l'accord.

Cela dit, une partie importante de ce qui est comptabilisé dans le commerce international n'est en réalité que la circulation interne des produits à l'intérieur même des multinationales, d'une filiale à l'autre. Pas moins de 30 %, le tiers du commerce international des produits manufacturiers, consiste en réalité en échanges de ce type, en échanges intra-firmes. Cette proportion atteint 40 % en ce qui concerne le commerce extérieur japonais. Ce sont donc des pans entiers de la production et des échanges qui sont organisés à l'intérieur des grands groupes, et de ce fait protégés de toute concurrence et soustraits au marché mondial. Ce sont les domaines réservés et opaques des multinationales.

C'est que la mondialisation des échanges commerciaux s'effectue de façon extrêmement inégale. Par exemple, les échanges se développent beaucoup plus rapidement entre les pays d'une même zone de libre-échange, Union européenne, Amérique du nord, Zone asiatique autour du Japon, qu'ils ne se développent entre ces trois zones - ces trois plaques continentales, a dit un économiste féru de géologie.

Les échanges entre les pays de l'Union européenne représentent 70 % de leur commerce extérieur.

Les pays de l'AFTA autour du Japon réalisent près de la moitié de leur commerce international entre eux.

Seule l'Amérique du nord réalise 70 % de son commerce extérieur hors de sa zone directe.

L'accroissement du commerce international n'est même pas dû au fait que les économies nationales deviendraient plus complémentaires car ce qui s'échange de plus en plus frénétiquement d'un pays à l'autre, ce sont des biens semblables et des produits semblables. Ils sont produits par des entreprises qui se font concurrence et qui essayent de se prendre les unes aux autres des parts des mêmes marchés.

C'est vrai pour l'automobile, l'électronique comme pour la plupart des produits industriels et même, aujourd'hui, des services.

80 % des échanges commerciaux entre la France et l'Allemagne par exemple sont de cette nature.

Le gaspillage que la concurrence engendre à l'intérieur des cadres nationaux est identique dans l'arène internationale : gaspillage accru en moyens de transport, en infrastructures, en énergie, en pollutions de toute sorte. Tout cela représente les faux frais croissants de la guerre économique que se livrent les capitalistes.

Enfin et surtout, le commerce international, loin d'irriguer de plus en plus la planète, est de plus en plus concentré entre les trois principaux pôles impérialistes : l'Amérique du nord, l'Europe occidentale et une petite partie de l'Asie autour du Japon.

Ces pays assuraient à eux seuls 75 % des échanges mondiaux en 1982, ils en assuraient 87 % en 1993.

Ce qui signifie que la majeure partie de la population mondiale est de plus en plus tenue à l'écart des flux du commerce international. Même si, en valeur absolue, les échanges des pays sous-développés ont augmenté, ils sont descendus de 25 à 13 % du commerce mondial, c'est-à-dire une baisse de moitié.

Il est donc bien difficile de dire si, finalement, le commerce international, dont la croissance est indéniable, est pour autant plus mondialisé, plus ouvert, plus international, qu'au début du siècle. Tout comme à l'époque, il exclut les pays pauvres, et même de plus en plus. Il concerne, tout comme au début du siècle, pour une bonne part, les échanges internes aux trusts, de même que la compétition pour vendre les mêmes produits aux mêmes consommateurs des pays riches.

L'hypertrophie des marchés financiers

Par ailleurs, la mondialisation de l'économie concerne aussi les marchés financiers, dont on parle beaucoup.

Effectivement, on a assisté à une déréglementation des marchés financiers à partir du milieu des années 80.

Auparavant, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États avaient imposé aux banques des règles plus ou moins strictes de fonctionnement visant à empêcher qu'elles soient fragilisées par des prêts inconsidérés dépassant trop largement leurs réserves.

Parallèlement, le contrôle des changes empêchait la sortie incontrôlée de capitaux du pays. Les États contrôlaient les émissions monétaires, le crédit, et par là tentaient de réguler l'activité économique.

L'endettement des États à l'origine de la croissance des marchés financiers

Mais les quantités considérables de monnaie émises par les différents États, et en premier lieu les États-Unis, aboutirent au fait que, par exemple, les dollars en circulation à l'étranger et qui n'étaient pas rapatriés aux États-Unis servirent de dépôts pour des prêts en dollars émis au départ par des banques anglaises, puis par toutes les banques qui en possédaient. La particularité de ces crédits en eurodollars, comme on les appelle, c'est d'être une sorte de monnaie qui échappe à toute réglementation, les États-Unis ne contrôlant pas les opérations faites sur les dollars à l'étranger, et les autres États ne contrôlant pas des opérations faites avec une monnaie qui n'est pas la leur.

S'ils ne contrôlaient pas l'émission de ces crédits, les États furent par contre les premiers à y avoir recours. Dans les années 70 et 80, ils empruntèrent massivement sur le marché des eurodollars de quoi boucler des budgets en déficit croissant.

En effet, depuis le début de la crise, les États se sont couverts de dettes. C'est la contrepartie de toutes les aides, de toutes les subventions ouvertes ou déguisées pour aider capitalistes, industriels et financiers à augmenter leurs profits malgré la crise.

La dette des pays industrialisés est sept fois plus importante que celle des pays sous-développés et atteint près de 14 000 milliards de dollars, plus de 70 000 milliards de francs. Cela équivaut à plus de la moitié du Produit intérieur brut mondial.

Qu'est-ce que le PIB ?

Quelques mots à propos de ce Produit intérieur brut, le PIB, dont nous reparlerons. Il est censé mesurer la richesse produite en une année. Mais, dans le Produit intérieur brut, on ne compte pas que la production ; on compte aussi l'activité de toutes les administrations et de tous les services : transports, santé, éducation, etc. On y compte même le salaire des militaires, des policiers et des curés. On y inclut la TVA et les droits de douanes sur les produits importés. Et puis la façon de compter peut changer d'un pays à l'autre, et d'une période à une autre (un peu comme les statistiques du chômage).

C'est dire que ces chiffres ne sont pas fiables, et qu'ils sont encore moins fiables pour les pays du tiers monde, où la marge d'erreur peut être carrément de un à dix ! Mais, dans le monde capitaliste actuellement, il n'existe aucun instrument de mesure de l'activité économique, pas même les monnaies, qui puisse permettre de comparer un pays à l'autre. Les statistiques dont on dispose servent tout au plus à indiquer des évolutions relatives ou des ordres de grandeur approximatifs.

Les États déréglementent les marchés financiers

Pour en revenir à l'endettement, en France, par exemple, la dette publique qui représentait déjà près de 20 % du Produit intérieur brut au début des années 70, en représente aujourd'hui 40 %. Quant aux États-Unis, leur dette, à elle seule, est deux fois et demie plus importante que celle de tous les pays sous-développés réunis. Ils sont devenus, depuis 1985, les plus gros débiteurs du monde après en avoir été le principal créancier.

Le marché des eurodollars, qui permit au départ cet endettement phénoménal des États, s'enfla démesurément, augmentant de 3 000 % entre 1973 et 1990. S'y ajoute, sur le même principe, le marché des euromarks, des eurofrancs, des euroyens, ce qui aboutit à un marché des eurodevises de quelque 2 200 milliards de dollars, échappant, avec la bénédiction des États, aux règles que ces derniers avaient eux-mêmes établies.

Au milieu des années 80, les États abrogèrent les règles qui limitaient encore l'activité financière des banques et des entreprises et le déplacement des différents capitaux sur les différents marchés financiers. En France, ce fut en particulier le ministre socialiste de l'Economie, Pierre Bérégovoy, qui entreprit la déréglementation des marchés financiers en 1984 et 1985. Les principales places financières et boursières de la planète sont aujourd'hui ouvertes à tous les capitaux, publics comme privés, nationaux ou étrangers, offrant ainsi un marché international unifié au capital financier et aux besoins de financement des États.

Et ce marché d'une taille gigantesque se développe à un rythme bien supérieur à celui de la production et même à celui du commerce international.

Toutes les grandes entreprises, qui, depuis le milieu des années 70, ne comptent pas sur une extension de la consommation et qui, par conséquent, ne se risquent pas à accroître leur production, ont des quantités importantes de capitaux disponibles. Elles ne les investissent donc pas dans la production, mais sur les marchés financiers, seul moyen de les faire fructifier.

Mais ce sont les États eux-mêmes qui sont à l'origine de la croissance des marchés monétaires et financiers, à cause de leurs besoins d'argent incessants.

La spéculation sur les emprunts d'État

Bons du trésor, titres d'emprunts d'État, obligations publiques, etc, sont les noms divers des emprunts d'États.

C'est un placement le plus souvent sans risque pour les prêteurs, pour tous ceux qui ont des capitaux à placer, y compris les entreprises qui ne savent plus quoi faire de leur argent. Une partie importante de l'argent prélevé par les impôts est consacrée à ce qu'on appelle le « service de la dette » et sert donc à rémunérer le capital de banques, d'organismes financiers, et même d'entreprises parmi les plus importantes.

Et puis, ces titres, obligations ou autres, s'achètent, se vendent comme des marchandises et font l'objet de spéculations selon leur intérêt par rapport à d'autres valeurs boursières ou aux émissions d'État plus récentes à intérêt plus élevé ou plus faible. Chaque année la valeur de ces émissions augmente de 8 % et le volume de la dette publique dans le monde a quintuplé depuis 1980.

La spéculation sur les actions

Les entreprises qui ont besoin d'argent peuvent faire comme les États et émettre des obligations. Ou bien elle peuvent émettre des actions accordant à celui qui apporte son argent un droit de propriété sur une fraction de l'entreprise. En principe, une action est donc un titre de propriété, un capital qui donne droit à une partie proportionnelle des bénéfices. Mais en réalité les actions, quand elles entrent dans les circuits financiers, s'achètent et se vendent à un prix qui dépend du pari fait sur le dividende futur. C'est ainsi que l'annonce de licenciements dans une entreprise peut faire monter le cours de ses actions car elle est annonciatrice de profits plus élevés. Et les actions ne s'achètent pas seulement pour toucher le dividende à la fin de l'année, mais pour les revendre quelque temps plus tard, parfois quelques heures plus tard, plus cher qu'on ne les a achetées. Avec la spéculation, le capital sert à acheter pour revendre plus cher sans avoir contribué à produire quoi que ce soit entre temps. Les actions mènent donc, elles aussi, une vie propre, de plus en plus détachée de la production ou de la valeur réelle des entreprises.

Ce sont quelque 25 milliards de dollars d'actions qui sont échangés chaque jour sur les places boursières du monde en période calme. Lorsque la bourse s'emballe et, plus encore, quand la panique s'empare des détenteurs d'actions, les transactions deviennent frénétiques. La quantité totale d'actions existantes représente en effet plus de 13 000 milliards de dollars (plus de la moitié du PIB mondial), en augmentation de plus de 400 % depuis 1980.

La spéculation sur les « produits dérivés »

On ne peut énumérer tous les produits financiers qui servent de supports à la spéculation.

La grande mode, c'est la spéculation sur ce qu'on appelle « les produits dérivés » réputés pour être à hauts risques, car cela consiste justement à spéculer sur les risques. Dans ce monde économique instable, existe le besoin de se protéger des risques, risques de variations des taux de change, des taux d'intérêts, des prix. Par exemple, un fermier préférera vendre sa récolte de l'été prochain à un prix convenu aujourd'hui s'il a peur que les cours baissent. En face il y a des possesseurs de capitaux qui sont prêts à assumer le risque à sa place en espérant faire une bonne affaire. On peut donc vendre son risque à un spéculateur. Les organismes financiers font ainsi des contrats quasiment sur mesure, sur les risques de variations des prix, des taux de change, des taux d'intérêts - ou les deux - et même des indices économiques ou des politiques des États.

L'imagination fertile des ingénieurs de la finance - c'est comme cela qu'on les appelle - a inventé pas moins de 1 200 produits dérivés aux noms parfois étranges : options, swaps, junk bonds (obligations pourries), « certificats nocifs », et même « obligations du ciel et de l'enfer » ! Certains sont cotés en bourse et on peut spéculer sur la spéculation. Les fonds dits de couverture (des risques), les hedge funds, qui manipulent ces produits, dont le plus connu est celui de George Soros, sont donc ainsi, par nature, des fonds spéculatifs.

Actuellement, le marché des produits dérivés, en pleine expansion équivaut à deux fois le PIB des États-Unis ! C'est dire que si les États alimentent les marchés financiers, ces derniers, comme un cancer, se démultiplient sans contrôle.

La spéculation monétaire

Et en plus des marchés boursiers, il y a aussi les marchés monétaires.

Ce sont 1 300 milliards de dollars qui se déplacent chaque jour entre les différentes monnaies. Cela équivaut, chaque jour, au Produit intérieur brut annuel d'un pays comme la France.

Une toute petite fraction de ces opérations, 5 à 8 % au maximum, correspond au paiement de marchandises ou de services vendus d'un pays à l'autre. Si on y ajoute les opérations de change non spéculatives correspondant à la circulation nécessaire des capitaux, on atteint 15 % du total. Tout le reste, 85 % des 1 300 milliards de dollars, correspond à des opérations quotidiennes purement spéculatives : c'est ce qu'on appelle l'argent chaud, qui ne tient pas en place, qui recherche le profit à très court terme et contribue grandement à l'instabilité monétaire.

Les gains spéculatifs peuvent être si importants qu'ils attirent toutes les sortes de capitaux : compagnies d'assurances, fonds communs de placements, fonds de pensions, qui sont censés investir à long terme pour gérer au plus sûr les cotisations et les dépôts qui leur sont confiés. Les fonds communs de placements américain gèrent des sommes équivalant à la moitié du PIB américain de 1996.

Quant aux fonds de pensions anglo-saxons, plus gigantesques encore, ils gardent l'argent que les futurs retraités leur confient sous des formes immédiatement négociables, actions, obligations, prêts à court terme, afin de pouvoir en tirer le meilleur profit à court terme, en participant aux jeux spéculatifs, y compris, et de plus en plus, sur les produits dérivés, y compris sur les cours des matières premières, etc.

Les profits spéculatifs détournent les capitaux de la production

Tout cela va donc dans le sens d'un gonflement des marchés financiers et d'une instabilité accrue !

Et puis, le plus grave, c'est que toute une partie du capital disponible des entreprises industrielles est aspirée par ces opérations financières plus lucratives que les investissements productifs à long terme. Les grandes entreprises se sont d'ailleurs équipées d'un département financier, voire d'une salle de marchés, à l'égal des banques.

INTEL, le fabricant de microprocesseurs, a réalisé depuis 1990 un profit de près d'un milliard de francs grâce à un produit financier créé par son département d'ingénierie financière.

Renault, par exemple, a gagné ces dernières années beaucoup plus d'argent dans ses spéculations financières que dans la construction de voitures. En 1995, Renault a perdu 1,7 milliards de francs avec sa branche automobile et gagné 3 milliards avec sa branche financière.

Il est bien sûr possible d'en perdre, l'actualité l'a montré. Mais, les pertes subies n'éloignent pas les grandes entreprises des marchés financiers. Entre 1982 et 1989, la part des capitaux disponibles des entreprises françaises consacrée aux acquisitions financières est passée de 3 à 35 % tandis que celle consacrée à l'investissement productif s'est réduite de 76 à 47 %.

Un marché monétaire international mais instable

Mais le marché monétaire international a beau être mondialisé, il n'en est pas plus rationnel pour autant. La valeur des monnaies les unes par rapport aux autres, subit des changements dont la brutalité n'a rien à voir avec l'économie réelle, même si les choses se rétablissent par la suite. Par exemple, en 1979, le dollar est descendu brutalement à 4 F ; en 1985 il est monté à 10 F ; alors qu'entre temps, comme aujourd'hui, sa valeur tournait autour de 5 F. Quel lien y a-t-il entre de telles fluctuations et les rapports économiques de l'époque, entre la France et les États-Unis ?

Et cette instabilité monétaire et financière peut avoir des conséquences tragiques pour la vie quotidienne de la population. Ainsi la crise du peso mexicain, en 1994-1995, a engendré la suppression de 700 000 emplois et la baisse des salaires d'un tiers en un an, accompagnées d'un renchérissement colossal du coût de la vie. De même la dévaluation de 50 % du franc CFA décidée par la France a eu des conséquences dramatiques pour la population pauvre des pays africains de la zone franc.

Les monnaies n'étant plus reliées à une marchandise commune comme l'étalon or, certains économistes, humoristes ou déboussolés, ont proposé comme étalon une marchandise existant sous la même forme dans presque tous les pays du monde : il s'agissait du « Big Mac ». En comparant par exemple son prix aux États-Unis et son prix en France, ils ont conclu que le taux de change réel du dollar était de 6,80 F et que le dollar à 5,50 F est donc actuellement sous-évalué.

Mais voilà qu'aujourd'hui le Big Mac, ainsi promu référence internationale des biens de consommation, est secoué lui aussi par l'instabilité : Mac Donald vient en effet d'abaisser aux États-Unis son prix de 75 % pour faire concurrence à Burger King !

Le Big Mac ne vaut donc pas mieux comme instrument de mesure que comme nourriture !

La contradiction entre le caractère national des monnaies et l'internationalisation grandissante des déplacements de capitaux est plus aiguë que jamais. Elle est source de dangers graves pour l'économie mondiale. Le fait qu'une grande partie des profits fait gonfler la bulle inflationniste des placements financiers fait planer sur le monde la menace d'un krach généralisé qu'aucun pays ne pourra maîtriser individuellement. Sauf peut-être par un repliement catastrophique sur lui-même.

Concurrence étrangère, délocalisations : ne pas se tromper d'ennemi

Mais le problème n'est pas de réglementer la spéculation. Il est de combattre le système capitaliste lui-même.

Même chose avec la concurrence. Du Parti communiste à Le Pen, nombreux sont ceux qui dénoncent la concurrence étrangère, et en particulier asiatique, qui obligerait des entreprises à fermer leurs portes, ici en France, et aggraverait le chômage.

C'est là que l'utilisation des mots comme mondialisation et autres Maastricht n'est pas neutre. Il s'agit de rendre responsables d'autres peuples, d'autres travailleurs, des difficultés qui frappent la classe ouvrière et de faire croire aux travailleurs qu'ils auraient des intérêts communs avec leurs propres exploiteurs, pour résister à la concurrence étrangère.

Ce sont des arguments contraires aux réalités. D'abord, l'arrêt du commerce international paralyserait complètement la production.

De plus, la concurrence de produits provenant des pays asiatiques peut d'autant moins être tenue pour responsable du chômage que ces produits ne représentent en France que 10 % des importations totales. Et de surcroît, ces pays doivent en contrepartie acheter aux entreprises françaises des produits de consommation, des biens d'équipement, voire du matériel militaire.

Et même si on considère l'ensemble des importations françaises, elles sont inférieures aux exportations.

Au point que certains ont calculé en termes strictement arithmétiques que la différence entre les deux entraîne un solde positif de plus d'un million d'emplois. Mais c'est un calcul, comme bien d'autres, qui n'est pas forcément fondé.

Ce qui est nuisible, c'est la concurrence elle-même, le marché capitaliste lui-même qui, de toutes façons, se joue des frontières.

Les délocalisations sont-elles responsables du chômage ?

D'autres encore dénoncent comme une menace les délocalisations vers les pays dont les salaires sont bas. Mais les capitaux qui vont s'investir dans les pays à bas salaires sont en réalité très faibles. La moitié d'entre eux concernent des secteurs comme les mines et les services (tourisme, banques, assurances, hôtellerie) qui par nature ne sont pas des délocalisations d'entreprises venues d'ailleurs. Une autre partie de ces investissements est utilisée pour produire des marchandises destinées au marché local ou régional. Sans compter tous ceux qui sont placés à court terme dans un but purement spéculatif.

Les capitaux concernant de véritables délocalisations sont minimes et concernent les secteurs du textile, de l'électronique grand public ou des services comme le traitement informatique ou la saisie de données de comptabilité.

De tous les investissements directs de la France à l'étranger entre 1985 et 1992, seuls 3 % ont concerné des investissements manufacturiers dans les pays à bas salaires.

Le Japon a délocalisé une partie importante de sa production dans les pays asiatiques de sa zone, dans le but essentiel de contourner les restrictions que les autres pays, les États-Unis en particulier, mettaient à l'importation de produits « made in Japan ».

Bas salaires et investissements

Toute une propagande mensongère insiste sur la concurrence des bas salaires dans les pays où le coût de la main-d'oeuvre est 30 à 35 fois moins élevé que dans les pays riches. Mais la productivité du travail compte tout autant que les coûts salariaux car si, dans le même laps de temps, un travailleur mieux payé fabrique, pour des raisons d'équipement ou de compétence, plus de richesses qu'un travailleur mal payé, l'avantage du bas salaire devient très relatif pour les capitalistes.

Sans compter les désavantages et les coûts supplémentaires qu'occasionnent le manque d'infrastructures, de routes sûres, de transports adaptés, la corruption du régime ou l'instabilité politique.

S'il était vrai que les bas salaires constituent une attraction irrésistible, il y a bien longtemps que les pays les plus pauvres seraient devenus les premiers pays industriels du monde et Haïti, à la porte des États-Unis, serait certainement une gigantesque base industrielle destinée à approvisionner le marché américain.

Les capitaux se concentrent dans les pays riches

Or, loin de se ruer sur les pays pauvres les capitaux ont tendance à s'en éloigner : la part totale des investissements directs à l'étranger détenue par des pays sous-développés était d'un tiers, soit 33 %, dans les années 60 ; d'un quart, soit 25 %, dans les années 80 ; et elle est maintenant d'un cinquième, soit 20 %.

Le fait que les investissements à l'étranger se tournent un peu plus ces dernières années vers certains pays sous-développés d'Asie ou d'Amérique latine peut d'autant moins inverser la tendance que ce sont pour une bonne partie des capitaux spéculatifs placés à court terme et qu'une autre partie de ces prétendus investissements consiste à transformer les créances détenues dans ces pays en actions des entreprises et des services publics que l'État privatise.

En fait, l'essentiel des exportations de capitaux des pays impérialistes se dirige vers d'autres pays impérialistes et le chômage vient de ce qu'en cette période de crise, les capitaux s'investissent très peu dans la production, que ce soit dans leur pays d'origine ou à l'étranger. Alors, le seul problème, c'est de ne plus laisser le grand capital diriger l'économie.

La croissance des multinationales

En période de crise, les multinationales éliminent les petits ou les plus faibles et s'absorbent entre elles, concentrant ainsi le capital. C'est ce qui s'est passé depuis 15 ans. Le paysage industriel a changé, de grandes entreprises se sont rachetées mutuellement. C'est à cela qu'est utilisé l'essentiel des investissements dits productifs (en-dehors du renouvellement des machines vraiment trop usées). Mais cela n'augmente pas la production. Lorsque des multinationales s'emparent d'autres ou fusionnent entre elles, c'est pour s'approprier des technologies, des réseaux commerciaux, des clientèles, des marques connues, bref se tailler des parts de marché pour agrandir leur poids et leur puissance. Ce n'est pas pour augmenter la production.

La concentration toujours plus poussée du capital fait que l'économie mondiale est aux mains de quelques milliers d'entreprises géantes, multinationales, rivalisant entre elles pour la conquête des marchés et des profits.

On en a dénombré 37 000 qui contrôlent quelque 200 000 entreprises affiliées. A elles seules, elles sont responsables des trois quarts du commerce international. Les 200 plus grandes de ces firmes ont réalisé en 1992 un chiffre d'affaire qui équivalait à plus du quart du PIB mondial (26,8 %). Et, au sein de ces 200 géantes, les dix plus grandes réalisent, à elles seules, presque autant de profits que les 190 autres réunies !

Il s'agit d'entreprises véritablement gigantesques : certaines pèsent aussi lourd que des pays entiers.

Ces multinationales gardent des liens privilégiés avec les États des pays dont elles sont originaires : les deux tiers de ce qu'elles possèdent y sont situés et les trois quarts de leurs profits en proviennent.

70 % de ces multinationales sont basées dans 14 pays seulement.

Les liens privilégiés qu'elles entretiennent avec les appareils d'États de leur pays d'origine sont pourtant loin d'être exclusifs. Partout où elles ont des intérêts, les appareils d'État, qui sont partout liés au capital financier, sont aussi à leur service, et parfois même, dans certains pays sous-développés, une seule multinationale impose sa loi à un pays.

Les capitaux ne développent pas la planète, ils la pillent

En ce qui concerne les investissements à l'étranger, on ne peut pas dire que la mondialisation se soit uniformisée depuis un siècle. De la veille de la Première Guerre mondiale à la veille de la Deuxième, les pays sous-développés avaient reçu les deux tiers de ces investissements. Ils n'en ont plus maintenant qu'un cinquième.

C'est que la possibilité pour le capital de se déplacer partout n'implique pas qu'il soit investi partout. Les limites du marché ont été atteintes dans les pays les plus pauvres, que les remboursements et les intérêts des prêts usuraires qui leur ont été faits dans une autre période achèvent d'appauvrir.

L'argent qu'ils ont emprunté au début de la crise n'a fait que passer dans ces pays car ils ont dû, en contrepartie, acheter aux entreprises des pays prêteurs des produits industriels, des biens d'équipements, du matériel militaire.

Mais les dettes et leurs intérêts sont restés à rembourser et à payer par les populations.

Les prêteurs ont parfois récupéré plusieurs fois le capital prêté.

Pendant 7 ans, de 1983 à 1990, les pays pauvres ont versé plus d'argent aux prêteurs des pays riches qu'ils n'en ont reçu.

Grâce à cette usure, pratiquée aujourd'hui encore par le capital en mal de surprofits faciles, celui-ci arrive à soutirer des fortunes aux plus misérables des misérables de la terre.

Au lieu que le capital irrigue la terre entière, comme certains le prétendent, il se concentre toujours plus dans les pays riches, au détriment des pays pauvres.

La « mondialisation » de la misère

Comme la sphère financière ne crée par elle-même aucune richesse, ses profits sont pris sur les richesses créées chaque année par la production. Comme celle-ci se développe peu et que les richesses ne s'accroissent pas beaucoup d'une année sur l'autre, voire qu'elles diminuent les années de franche récession, la bourgeoisie prend davantage sur la part du produit qui revenait au reste de la population.

Pour que les capitaux spéculatifs qui étouffent la production reçoivent leur rémunération, des pays entiers sont ruinés. La sous-alimentation y augmente. Partout, les salaires baissent. Dans les pays riches, la mendicité ne cesse de se développer.

La mondialisation de l'économie se résume alors à la capacité du capitalisme d'exploiter, de piller, de rançonner la population de la terre entière. Le système a besoin d'une exploitation sans cesse accrue pour entretenir l'énorme parasitisme du système financier. Et cela aboutit depuis vingt ans à un accroissement impressionnant des inégalités.

Les inégalités s'accroissent

Le fossé entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres ne fait que croître.

L'écart entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres de la planète a doublé depuis les années 60 : il était de 1 à 30, il est maintenant de 1 à 60. Et le fossé est plus grand encore si on compare les revenus de la population et non ceux de chaque pays.

Les 20 % les plus pauvres de la population mondiale se partagent 1 % du revenu mondial alors que les 20 % les plus riches en ont 80 %.

Près de 8 % de la population mondiale ont faim, tous les jours. L'OMS, l'Organisation Mondiale de la Santé, dénonce hypocritement ce qu'elle appelle le « génocide silencieux », la mort de 11 millions d'enfants chaque année parce que les quelques centimes d'aide qui seraient nécessaires à leur survie ne sont pas disponibles pour eux. Dans la majorité des pays d'Afrique, l'espérance de vie n'est que de 50 ans, contre 75 ans dans les pays riches.

La plupart des pays de l'Est et l'ex-URSS connaissent un véritable effondrement économique. Le revenu par habitant y a baissé en moyenne de 11 % par an depuis la chute du mur de Berlin, et leur PIB avait déjà diminué d'un tiers en 1993.

La pauvreté se répand même dans les pays riches

Au sein des pays riches eux-mêmes, il y a plus de 100 millions de personnes qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté, 30 millions de chômeurs et pas moins de 5 millions de sans abri. Selon les chiffres officiels évidemment. En France, le chômage a plus que quintuplé depuis 1975.

Aux USA, en 20 ans, le revenu des 20 % de familles américaines les plus riches a augmenté en moyenne de 19 % mais celui des 20 % les plus pauvres a chuté de 12 %. Entre 1977 et 1992, la productivité du travail a augmenté de plus de 30 % mais les salaires moyens réels ont chuté de 12 %, au point que 18 % des salariés vivent en-dessous du seuil considéré là-bas comme de pauvreté.

En Grande-Bretagne, les inégalités se sont creusées encore plus. Entre 1979 et 1992, le revenu des 10 % les plus pauvres a baissé de 17 % pendant que celui des 10 % les plus riches augmentait de 62 %. Le pourcentage de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté est passé de 9 à 25 %.

La misère est sans doute mondialisée mais sûrement pas les richesses ! Le mode de production capitaliste apparait au contraire de plus en plus parasitaire, se survivant non pas en développant la production et la consommation, mais en pressurant toute l'humanité pour rémunérer le capital.

Capitalisme et mondialisation

Ceux qui nous parlent de la mondialisation comme d'une nouvelle phase d'expansion du capitalisme, d'une nouvelle chance pour l'humanité qui permettra, après une période certes difficile à passer, de connaître une nouvelle ère de prospérité mieux répartie à l'échelle du monde, créent un nouveau terme pour faire passer une marchandise frelatée. Car tel n'est pas l'avenir que le capitalisme nous réserve.

Mais si l'on veut dire par ce terme de mondialisation que le capital s'internationalise, que son activité dépasse les frontières nationales et qu'il tisse des liens par dessus les frontières, c'est vrai.

Mais c'est une banalité.

Car ce n'est pas d'aujourd'hui que le capitalisme a mis en relation des hommes de tous les continents, relations d'échange, relations de violence, relations d'exploitation.

La base internationale du développement capitaliste

En effet le capitalisme, sous sa forme marchande, s'est dès le début développé sur une base internationale avant même de le faire dans un cadre national. Il est parti à la découverte de nouvelles terres, bien avant de piller un nouveau continent, l'Amérique, et c'est par l'exploitation forcenée de populations entières aux quatre coins du monde que la bourgeoisie européenne a pu accumuler les capitaux qui permirent ensuite son développement industriel.

Voilà comment Marx décrivait, il y a près d'un siècle et demi, l'origine du capital industriel :

« La découverte des contrées aurifères et argentifères de l'Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l'Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d'accumulation primitive qui signalent l'ère capitaliste à son aurore. »

Le véritable développement du capitalisme, le capitalisme industriel, ne s'effectua qu'à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle en Angleterre puis dans un nombre limité de pays européens. Et d'emblée la possession de débouchés extérieurs et de sources d'approvisionnement en matières premières eut une importance considérable pour le développement du capitalisme industriel. L'Angleterre ruina l'artisanat indien dont la production de cotonnades était florissante pour pouvoir écouler les produits de son industrie textile et transforma la province du Bengale en monoproductrice de jute, matière première pour l'industrie anglaise.

Monoproductrice n'est pas le terme exact, puisque la Compagnie anglaise des Indes orientales y avait déjà développé la culture de l'opium qu'elle exportait en Chine.

Lorsque, au XIXe siècle, la Chine interdit le commerce de l'opium qui devenait un drame social, l'Angleterre répondit à cette interdiction par une intervention militaire. En 1841, Canton et d'autres ports furent bombardés, des centaines de Chinois massacrés et l'Angleterre arracha à la Chine l'île de Hongkong et lui imposa l'ouverture au commerce de quatre ports dont Canton et Shangaï. A partir de 1857, de nouvelles expéditions militaires, menées en commun par les Anglais et les Français et couronnées par le glorieux fait d'armes de la mise à sac du Palais impérial de Pékin, obligèrent la Chine à accepter le libre commerce de l'opium, l'ouverture de tout le pays au commerce européen, ainsi que le droit pour les missions chrétiennes d'acquérir des terres dans le pays.

Les puissances européennes imposaient par les armes la liberté de leur commerce, ce qui est un bon exemple de mondialisation avant le mot.

Le capitalisme a transformé le monde

L'Angleterre était de loin la première puissance capitaliste au milieu du XIXe siècle : avec 2 % de la population mondiale, elle assurait 40 à 45 % de la production manufacturière mondiale ! La mondialisation s'opérait sous sa domination.

L'extension de la révolution industrielle, tout au long du XIXe siècle, transforma les autres pays d'Europe occidentale en nations capitalistes se développant à l'abri de leurs frontières, protégées des autres par des barrières douanières, tout en se livrant entre elles, à l'extérieur, une guerre commerciale féroce.

Dès 1848, Marx résumait cette évolution du capitalisme, dans le Manifeste communiste :

« Ce qui distingue l'époque bourgeoise de toutes les précédentes, c'est le bouleversement incessant de la production, l'ébranlement continuel de toutes les institutions sociales ». « Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe. Partout elle doit s'incruster, partout il lui faut bâtir, partout elle établit des relations. En exploitant le marché mondial, la bourgeoisie a donné une forme cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand regret des réactionnaires, elle a dérobé le sol national sous les pieds de l'industrie. »

« L'ancien isolement et l'autarcie locale et nationale font place à un trafic universel, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit. »

L'impérialisme, « stade suprême du capitalisme » depuis un siècle

A l'aube du XXe siècle, l'impérialisme renforça considérablement l'internationalisation du capital, et donna au capitalisme des aspects très semblables à ceux d'aujourd'hui.

La dictature du capitalisme financier

Lénine écrivait en 1915, au cours de la Première Guerre mondiale :

« Le « souverain » actuel, c'est déjà le capital financier, qui est particulièrement mobile et souple, dont les fils s'enchevêtrent, et dans chaque pays et au plan international, qui est anonyme et n'a pas de rapports directs avec la production, qui se concentre avec une facilité remarquable et qui est déjà extrêmement concentré, car quelques centaines de milliardaires et de millionnaires tiennent positivement entre leurs mains le sort actuel du monde entier. »

Et dans son ouvrage « L'impérialisme, stade suprême du capitalisme », écrit l'année suivante, il définit ainsi l'impérialisme :

« L'impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier ; où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan ; où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes ».

La dictature des marchés financiers n'est donc certainement pas une nouveauté.

Le monde entier partagé

Pour assurer des débouchés à leurs marchandises, pour avoir le contrôle des sources de matières premières, pour exporter leur surplus de capitaux et tirer profit de la surexploitation d'une main-d'oeuvre quasi gratuite, les pays européens les plus industrialisés s'étaient en effet lancés entre 1870 et 1900 dans une course à la conquête coloniale. En quelques dizaines d'années les principaux pays impérialistes se partagèrent littéralement la planète.

Et au début du XXe siècle, ce partage du monde était bel et bien achevé. Et c'est bien pour cela, parce que le monde entier était partagé, qu'il y a eu deux guerres mondiales visant au repartage du monde de la part de ceux des impérialistes arrivés trop tard pour participer suffisamment à leur gré à la curée.

A l'époque, la dépendance prit la forme de la colonisation. Mais, dès ses débuts, l'impérialisme exerça aussi sa domination sous d'autres formes.

Citons à nouveau Lénine : « le capital financier est un facteur si puissant, si décisif,(...), dans toutes les relations économiques internationales, qu'il est capable de se subordonner et se subordonne effectivement même des États jouissant d'une complète indépendance politique. »

C'est dire que les « investissements directs à l'étranger », comme les placements usuraires, ne sont vraiment pas des nouveautés mais caractérisent l'économie impérialiste depuis, au bas mot, un siècle. C'est par l'intermédiaire de ces prêts que le capital anglais et le capital français par exemple ont réduit l'Egypte à leur merci, que le capital anglais domina les pays d'Amérique latine y compris les plus riches d'entre eux, l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay. Ou encore que le capital allemand s'assujettit la Turquie. Quant aux fameux emprunts russes, ils lièrent des années durant la Russie à l'Angleterre et à la France.

Une revue allemande, Die Bank affirmait en 1913 que « il n'y a pas dans tout le pays, une seule affaire qui donne, fût-ce approximativement, des bénéfices aussi élevés que la médiation pour le placement d'un emprunt étranger. »

Si bien que Lénine constatait, en 1916, que « même lorsque la population est stagnante, que l'industrie, le commerce et les transports maritimes sont frappés de marasme, le « pays » peut s'enrichir par l'usure. » Et il soulignait qu'il était impossible de faire une distinction en régime capitaliste entre placements productifs, dans l'industrie et le commerce, et placements spéculatifs consacrés aux opérations boursières et financières, tant les banques et les grands trusts combinaient intimement les deux types de placements.

Dès la fin du XIXe siècle, l'Angleterre tirait cinq fois plus de revenus de son capital placé à l'étranger que de son commerce extérieur, alors qu'elle était la première puissance commerciale du monde.

Cette immense puissance financière était déjà extrêmement concentrée à l'époque de Lénine puisque quatre États, l'Angleterre, la France, les États-Unis et l'Allemagne, possédaient ensemble « près de 80 % du capital financier mondial ».

L'impérialisme n'a pas supprimé les contradictions du système, bien au contraire

L'impérialisme a donc poursuivi la « mondialisation » de l'économie depuis un siècle. Il l'a poursuivie à la façon capitaliste : concentration de richesse à un pôle, dépendance à l'autre. Cela n'a amené ni développement idyllique des forces productives, ni bien-être général pour l'humanité.

L'unification économique du monde sous l'égide du capital n'a pas supprimé la concurrence, la guerre économique. Au contraire, cette guerre économique a, depuis un siècle, le monde entier pour arène.

Elle n'a pas supprimé, non plus, les États nationaux. Elle les a subordonnés encore plus au grand capital.

L'impérialisme a considérablement renforcé la puissance des États, au service des trusts et contre les peuples. Intervenant de plus en plus massivement dans l'économie, pour aider par mille et un moyens, la bourgeoisie à s'approprier une part croissante des richesses produites, intervenant militairement parfois, ils sont devenus d'énormes machines bureaucratiques, voire policières et militaires.

Ce n'est pas le moindre paradoxe que plus l'impérialisme mondialise, plus il renforce sa domination sur les appareils d'État nationaux.

Une première guerre mondiale pour le repartage du monde

C'est en Europe que la contradiction entre les bases nationales étroites du développement capitaliste et la nécessité de se déployer dans l'arène mondiale est devenue particulièrement aiguë. La bourgeoisie anglaise et la bourgeoisie française et même les bourgeoisies belge et portugaise avaient résolu le problème en s'emparant de territoires coloniaux immenses, complètement disproportionnés par rapport à leur puissance économique réelle. L'Angleterre possédait en 1913 un empire colonial de 400 millions d'habitants s'étendant sur plus de 30 millions de kilomètres carrés (soixante fois la métropole). La France, elle, s'était emparée de plus de 10 millions de kilomètres carrés (20 fois la métropole).

Mais la bourgeoisie allemande, dont la puissance industrielle allait dépasser celle de ses rivales, s'était lancée avec retard dans la course aux colonies et n'avait réussi à conquérir qu'un peu plus de deux millions et demi de kilomètres carrés, le quart en surface des colonies de la France et moins du dixième de celles de l'Angleterre.

L'industrie allemande, alors la plus puissante du continent, ne pouvait que tenter de remettre en cause cette répartition. C'était une question de vie ou de mort pour elle, comme cela l'était pour les impérialistes nantis de ne pas se laisser dépouiller.

La Première Guerre mondiale qui en a résulté a été l'expression sanglante de la contradiction entre la mondialisation du capital et l'étroitesse de sa base nationale.

Et c'est tout un symbole que les soldats allemands, bombardés dans leurs tranchées par l'artillerie anglaise, pouvaient, à leur grande surprise, lire sur le culot de ceux des obus anglais qui n'avaient pas explosé : « licence Krupp », le nom du grand trust allemand de l'acier, qui recevait, via la Suisse, des redevances britanniques sur chaque obus fabriqué par les firmes anglaises dans les usines d'armements ! Ce n'est pas de la vraie et de la bonne mondialisation, cela ?

Les bases objectives de la corruption du mouvement ouvrier...

Lénine qualifiait l'impérialisme de « stade suprême du capitalisme » pour indiquer que celui-ci était entré dans la phase de sénilité de son développement.

La sénilité, ce n'est pas encore la mort, et Lénine écrivait clairement que le capitalisme était encore capable de développer la production malgré ses contradictions, qu'il pouvait développer telle ou telle branche de l'industrie, transformer tel ou tel pays.

Mais pour Lénine, l'essentiel n'était pas là. Son ouvrage, écrit en pleine guerre, était destiné aux militants révolutionnaires pour leur permettre de comprendre les causes profondes de la guerre mondiale et leur permettre de voir clair dans la politique des dirigeants réformistes qui monopolisaient alors la direction du mouvement ouvrier, en France, en Angleterre et en Allemagne.

Lénine expliquait le développement du réformisme au sein du mouvement ouvrier international par le caractère parasitaire de l'impérialisme qui tire des surprofits en pillant « le monde entier ».

« On conçoit » écrivait-il plus tard, dans une préface à une réédition de son ouvrage « que ce gigantesque surprofit (car il est obtenu en sus du profit que les capitalistes extorquent aux ouvriers de « leur » pays), permette de corrompre les chefs ouvriers et la couche supérieure de l'aristocratie ouvrière. Et les capitalistes des pays « avancés » la corrompent effectivement : ils la corrompent par mille moyens, directs et indirects, ouverts et camouflés.

Cette couche d'ouvriers embourgeoisés ou de « l'aristocratie ouvrière », entièrement petits-bourgeois par leur mode de vie, par leurs salaires, par toute leur conception du monde, est le principal soutien de la IIe Internationale, et, de nos jours, le principal soutien social (pas militaire) de la bourgeoisie. »

Et il ajoutait : « Si l'on n'a pas compris l'origine économique de ce phénomène, si l'on n'en a pas mesuré la portée politique et sociale, il est impossible d'avancer d'un pas dans l'accomplissement des tâches pratiques du mouvement communiste et de la révolution sociale à venir » .

... et le pourrissement de toute la société

Le fait essentiel pour Lénine n'était pas que le capitalisme puisse encore durer malgré ses contradictions, mais bien plutôt qu'il était atteint d'une maladie mortelle pour la société.

En se débattant dans des contradictions insolubles et de plus en plus violentes, le capitalisme est de plus en plus parasitaire, il étouffe les possibilités de développement de l'humanité et il avait déjà conduit le prolétariat du monde à la boucherie de la Première Guerre mondiale.

Le mérite de Lénine par rapport à tous ceux, y compris ceux qui se prétendirent marxistes, voire le furent un temps avant de devenir social-démocrates, qui ont écrit sur l'impérialisme au début du siècle, c'est d'avoir su tirer jusqu'au bout les conclusions politiques de cette analyse.

Depuis cette époque, le capitalisme a bien sûr opéré d'autres transformations, il y a eu d'autres découvertes technologiques et des changements dans les productions.

Mais le fait essentiel est que le fonctionnement impérialiste entraîne le pourrissement de la société.

L'impérialisme, un danger mortel pour l'humanité

Lénine est mort en janvier 1924, avant que son analyse de la putréfaction du capitalisme au stade de l'impérialisme reçoive une confirmation plus horrible encore avec le cataclysme de la crise de 1929, qui eut comme conséquence l'apparition de la dictature du capital à l'état pur, dépouillée de tout trompe-l'oeil démocratique, sous la forme de la barbarie nazie.

La crise de 1929

Pourtant, quelques années auparavant, quelques mois même avant qu'éclate la crise économique de 1929 aux États-Unis, nombreux étaient ceux qui chantaient à nouveau les louanges du capitalisme, de sa croissance qu'ils prévoyaient illimitée et qui devait apporter la prospérité à tous.

L' « american way of life » était célébrée comme un modèle universel.

En janvier 1929, le nouveau président américain, Hoover, annonçait même comme proche le jour où « la malédiction de la misère serait bannie des États-Unis ».

Et, quelques mois plus tard, en octobre 1929, c'était le krach boursier de New-York qui entraîna l'économie mondiale tout entière dans une crise d'une brutalité, d'une violence et d'une durée qu'on n'avait pas encore connues.

Tous les pays furent frappés les uns après les autres.

Le fascisme et la guerre

En Allemagne, la politique du grand capital consista à se servir du fascisme pour écraser la classe ouvrière et lui faire payer, par des prélèvements énormes sur son niveau de vie, de quoi faire tourner la grande industrie et en particulier l'industrie de guerre, afin de tenter, à nouveau, un autre partage du monde et en premier lieu de l'Europe.

L'humanité connut une Deuxième Guerre mondiale, parce que l'impérialisme a besoin de l'arène internationale pour survivre et que les États sont prêts pour cela à jeter des peuples entiers les uns contre les autres. La guerre, ce fut le produit de l'internationalisation du capital, sous sa forme la plus brutale.

Alors oui, cette période de l'entre-deux-guerres donne certainement à réfléchir sur les formes que peut prendre la mondialisation capitaliste. Elle peut donner à réfléchir sur l'agitation fiévreuse du milieu des années 20 qui donnait l'illusion d'un nouveau souffle du capitalisme, avec le développement de la production de masse des automobiles, avec les records enregistrés à la bourse et le développement d'une spéculation financière de plus en plus frénétique.

Évidemment l'histoire ne se répète pas sous la même forme. Mais depuis Lénine, on sait que la pourriture du système capitaliste est une gangrène pour toute la société, y compris pour le mouvement ouvrier lui-même, au sein duquel l'opportunisme avait déjà atteint, à l'époque, dans toute une série de pays, « sa pleine maturité », disait Lénine, qui ajoutait : il « l'a dépassée, et s'est décomposé en fusionnant complètement, sous la forme du social-chauvinisme, avec la politique bourgeoise ».

La responsabilité des dirigeants socialistes et staliniens

Lénine écrivait ce texte, en 1916, à un moment sombre de l'histoire du monde, alors que rien ne pouvait laisser prévoir l'imminence de la révolution en Russie.

Quand il écrivait sur la décomposition que provoquait l'impérialisme dans le mouvement ouvrier et surtout parmi ses chefs, il parlait évidemment du rôle de la social-démocratie devenue « va-t-en guerre » dès le début de la boucherie mondiale, chaque parti social-démocrate du côté de sa propre bourgeoisie.

Dans une préface, plus tard, il faisait allusion au rôle contre-révolutionnaire des chefs sociaux-démocrates en 1917 en Russie, et en 1918-1919 en Allemagne où, en combattant la révolution allemande, ils isolèrent la révolution russe.

Bien sûr, il ne pouvait alors prévoir le rôle qu'ils allaient jouer en livrant, sous la République de Weimar, le prolétariat allemand à Hitler et aux bouchers national-socialistes. Ni le rôle qu'ils jouèrent pour paralyser la montée révolutionnaire des années 36 en France et en Espagne.

Il ne pouvait non plus prévoir le rôle pourrissant que joua l'impérialisme sur le processus de dégénérescence stalinienne et dont la répercussion fut, de fait, la social-démocratisation, telle que l'entendait Lénine, de tous, ou presque tous les partis communistes occidentaux issus de la Troisième Internationale.

C'est ce rôle de l'impérialisme qui a réduit le mouvement ouvrier organisé à la situation où il est aujourd'hui.

On peut vraiment dire que ce ne sont pas les réalisations de l'impérialisme dans ce siècle, sa puissance ou sa stabilité économique, qui ont assuré sa pérennité.

Non ! C'est ce processus de corruption du mouvement ouvrier occidental qui lui a permis de faire face à tous les soubresauts sociaux, de démoraliser le prolétariat des bastions impérialistes et de le maintenir, sans perspectives, sous son exploitation.

L'humanité a payé cher le maintien du capitalisme au XXe siècle...

Si l'on revoit l'histoire de ce siècle, qui commença par une crise économique majeure, de 1900 à 1903, on peut faire le compte des années sans crise économique ou sociale.

De 1914 à 1918, ce fut la Première Guerre mondiale, la plus horrible de tous les temps. Aujourd'hui encore, on ne peut visiter sans pleurer les champs de bataille du nord et de l'est de la France, où des millions d'hommes moururent dans la boue des tranchées, où comme à Verdun il tomba, en dix mois, mille obus au mètre-carré.

Les désastres de cette guerre mirent, en France, plusieurs années à s'effacer. Et en Allemagne plus longtemps encore.

Quelques années de répit, même pas dix ans, et après cela ce furent la crise de 1929 et la montée du fascisme allemand qui prit le relais de l'italien, apparu en 1920. Et puis ce furent la marche irrésistible vers la guerre, le coup d'État de Franco en 1936 et la guerre civile qui s'ensuivit, l'occupation de l'Autriche, de la Tchécoslovaquie par le Reich, le partage de la Pologne et, en septembre 1939, le début de la Seconde Guerre mondiale en Europe.

En Asie, elle avait déjà commencé avec l'invasion de la Chine par le Japon. De septembre 1939 à août 1945, la guerre mondiale dura six ans.

Puis ce fut la reconstruction, avec ses misères, ses restrictions, son exploitation forcenée, jusqu'à ce qu'enfin, au début des années 60, les masses populaires en France, bien avant l'Angleterre et l'Allemagne, puissent retrouver un tout petit peu d'espoir de bien-être. Cela dura jusqu'au début des années 70, où commença la crise que nous connaissons.

C'est dire que, sur 96 ans, il y eut près de 60 ans de guerres, de crises, de soubresauts sociaux gravissimes, comme la prise du pouvoir par les fascistes italiens et les nazis allemands ou la guerre civile espagnole. Soit 36 ans de répit contre 60 ans de drames. Voilà ce que l'impérialisme nous a réservé en moins d'un siècle, même dans les seules contrées développées d'Europe. Et voilà, malheureusement, ce qu'ils nous promet pour le siècle à venir si nous le laissons faire.

... et paiera plus cher encore au XXIe siècle s'il se perpétue

En fait, ce que prévoyait Lénine lorsqu'il écrivait « l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme » pour les années à venir, en plein milieu de la guerre mondiale, est peut-être valable pour l'avenir proche.

La situation mondiale de l'économie est grosse de dangers. Il n'y a plus guère d'inflation monétaire dans les grands pays industrialisés, mais il y a une inflation fantastique sur les valeurs boursières, sur les produits de la spéculation. Un arrêt brutal de cette fuite en avant, une déflation crevant cette bulle, provoqueraient une catastrophe économique comme jamais encore vus dans le monde.

Pour en sortir, les grands pays devraient réduire en esclavage leur propre population. Ils devraient se transformer en camps de travail obligatoire et ils devraient recourir pour cela à la dictature et à la terreur avec tous les moyens dont peut disposer aujourd'hui un État moderne, et cela avant de se livrer, d'un pays à l'autre, à des guerres totales où des populations entières seraient anéanties.

Car il ne faut pas croire que ce qui s'est passé en Yougoslavie ou ce qui se passe à l'heure actuelle en Afrique ne peut pas arriver dans les pays les plus évolués. Rappelons que l'Allemagne était l'un des pays les plus cultivés et les plus évolués de la planète, avec des scientifiques de valeur, des industries à la pointe de la technique, des chimistes ayant révolutionné la science, des musiciens ou des poètes qu'on n'a pas surpassés.

Ce n'est pas parce qu'ils manquent de culture que ce qui se passe entre les Tutsis et les Hutus est affreux. C'est l'impérialisme qui en est responsable, en ayant tout fait pour que ces populations soient élevées dans la haine l'une de l'autre.

Et demain, malgré notre culture, malgré la rapidité des communications actuelles, malgré les amitiés tissées ou pas par Internet, les peuples des pays les plus industrialisés, les plus cultivés, pourraient à nouveau se battre comme des bêtes. Rien de ce qui est arrivé dans le siècle qui vient de s'écouler n'est exclu pour celui qui s'ouvre devant nous.

Si la jeunesse d'aujourd'hui laisse faire, elle pourrait connaître tout ce que ses aînés ont connu, et peut-être en pire.

Jamais la lutte révolutionnaire, jamais la révolution ne demandera autant de sacrifices, pas même le millième, que ce que l'impérialisme peut nous réserver.

Nationalisme contre mondialisation : un piège mortel pour les travailleurs

« Le monde est entré dans une phase de croissance longue. Désormais, les capitaux irradient l'ensemble de la planète » , aurait déclaré Raymond Barre. Si c'est vrai, espérons que ce n'est pas au sens de Tchernobyl ! Mais les gens comme Barre ne peuvent tromper les travailleurs, sauf lorsqu'ils sont au pouvoir.

Et notre problème est aussi de combattre les affirmations de ceux qui se revendiquent, peu ou prou, de la classe ouvrière.

Le Parti communiste français, par exemple, dénonce à juste titre le capital financier, sa mainmise sur l'économie, la spéculation et bien d'autres choses encore. Il faut dire cependant au départ que même ce qu'il dit de juste est disqualifié par sa participation passée au gouvernement et par son intention d'y participer dans l'avenir.

Car, pour reprendre une expression de Lénine, le gouvernement c'est « le conseil d'administration de la bourgeoisie », c'est-à-dire l'instrument politique du capital financier et y participer, c'est se mettre au service du capital.

En outre, pour le PCF, très exactement comme pour les autres partis, les arguments économiques sont au service de sa démagogie politique du moment. C'est ainsi que les adversaires que le PCF désigne aux travailleurs sont, pêle-mêle, l'Europe, Maastricht, les délocalisations, les exportations de capitaux à l'étranger ou encore les diktats de la Bundesbank allemande. On a vu ce qu'il en est, dans la réalité, des exportations de capitaux, des délocalisations ou de l'Union européenne.

Le « social-chauvinisme » du PCF

Mais le Parti communiste français préfère s'engager démagogiquement sur le terrain nationaliste plutôt que sur le terrain de classe, et il se trouve alors en bien mauvaise compagnie. Un Le Pen utilise exactement les mêmes arguments. Lors de l'annonce du plan de 2 500 licenciements chez Moulinex comprenant la fermeture de son usine de Mamers, Bruno Mégret s'est rendu à Mamers pour lancer une campagne nationale contre la mondialisation et les délocalisations et le Front national est allé distribuer des tracts à la porte de l'usine. Il s'est promis d'intervenir sur le terrain à chaque fois qu'une entreprise serait menacée par la mondialisation. En défendant des positions nationalistes, le PCF apporte encore un peu plus d'eau sale au moulin du Front national.

Au lieu de dénoncer la guerre économique qui se mène entre les grands trusts et les États à leur service au sein de l'Union européenne, voilà le PCF qui vole au secours de l'État français et de ses prérogatives. Et il s'évertue à entraîner les travailleurs sur ce terrain, en compagnie de Chevènement, ancien ministre de la Défense nationale - tout un symbole - en lançant une grande pétition pour un nouveau referendum sur Maastricht et la monnaie unique. Ils y sont, en plus, en compagnie de Pasqua.

Mais le PCF croit si peu à ses propres arguments, ou attache tellement peu d'importance à ses prétendues convictions, que Robert Hue a déclaré que le problème de la monnaie unique n'était pas un obstacle à la participation gouvernementale du Parti communiste. La porte est basse pour entrer au gouvernement et le plat-ventre est de rigueur.

Les États du monde capitaliste sont les instruments de leur bourgeoisie depuis bien longtemps. Avec la concentration du capital et la prédominance du capital financier, ils sont devenus, depuis le début du siècle, les instruments serviles de leurs multinationales.

Tous ceux qui font mine de s'inquiéter de la prétendue perte du pouvoir des États face aux marchés financiers s'emploient en réalité à jeter un voile sur les relations réelles entre les États et le capital financier et visent à dédouaner les gouvernements pour une politique qu'ils mèneraient à leur corps défendant, sous la contrainte de diktats extérieurs qui leur seraient imposés.

Le PCF ne fait pas autre chose lorsqu'il accuse Maastricht de tous les maux. C'est là que la politique des dirigeants du PCF va à l'encontre des intérêts des travailleurs et reprend la politique et le rôle de la social-démocratie que Lénine dénonçait.

Et pour faire mine de défendre les travailleurs, ils font diversion avec des arguments nationalistes et social-chauvins qui obscurcissent la conscience de classe et qui contribuent à répandre le poison nationaliste, largement distillé déjà par la bourgeoisie, ses intellectuels, ses journalistes, ses politiciens et son extrême-droite.

La mondialisation au service de l'humanité, c'est la société communiste

Alors, vouloir ou prétendre s'opposer au caractère international de l'économie, c'est une utopie réactionnaire.

Le capitalisme a unifié la production à l'échelle du monde - eh bien, tant mieux - mais pas assez ! C'est sur la base de cette unification qu'il sera possible pour le prolétariat, pour les peuples du monde, de bâtir une autre organisation économique et sociale à l'échelle de l'ensemble de la planète. C'est le développement capitaliste qui a, dans sa période ascendante, jeté les bases sur lesquelles on pourra organiser à l'échelle du monde une économie rationnelle respectant les hommes et l'environnement, produisant tout ce qu'il faut et rien que ce qu'il faut, sans le gâchis actuel, humain et matériel.

A notre époque, il est plus évident que jamais qu'un certain nombre de grands problèmes de l'humanité ne peuvent être réglés qu'à l'échelle de toute la planète. Les États, les frontières sont des carcans qui étouffent, emprisonnent l'économie comme l'humanité, et ce sera la tâche de la révolution à venir que d'en débarrasser l'humanité.

Mettre fin au capitalisme...

Oui, il faut mettre fin au capitalisme, ce mode de production dépassé, incapable de sortir de ses contradictions, qui fait payer un coût exorbitant à l'humanité pour assurer le profit de quelques-uns. Il étouffe littéralement l'économie sous son parasitisme et, pour survivre, il rejette une partie de l'humanité dans la misère.

Le prolétariat ne peut pas imposer à la bourgeoisie la prise en compte des intérêts généraux de la population, ce qui lui est inconcevable, mais peut lui imposer une autre répartition et une autre utilisation des richesses, car cette répartition et cette utilisation sont l'expression d'un rapport de forces.

C'est une mesure de survie pour l'immense majorité de la population laborieuse.

Mais, au-delà, les travailleurs ont les moyens de débarrasser l'humanité, une bonne fois pour toutes, de ce système économique absurde qui fait payer au monde entier un prix exorbitant pour ses contradictions internes.

... en mettant l'économie au service de tous

Il est aberrant que des sociétés d'une taille équivalente à celle de tout un pays soient entre des mains privées.

Rien qu'en socialisant les quelques milliers, voire les quelques centaines, de très grandes entreprises, c'est l'essentiel de l'économie de la planète que le prolétariat aurait les moyens de réorganiser, tant la production est concentrée aujourd'hui.

C'est le capitalisme lui-même, en concentrant de façon extraordinaire la production, qui a jeté les bases d'une réorganisation de l'ensemble de l'économie mondiale.

La possibilité de planifier à l'échelle internationale n'est pas une projection dans l'avenir : les multinationales capitalistes le font déjà depuis longtemps en leur sein, mais pour leur propre compte, au détriment des peuples.

Lénine écrivait, dans l'ouvrage déjà cité :

« Quand une grosse entreprise devient une entreprise géante et qu'elle organise méthodiquement, en tenant un compte exact d'une foule de renseignements, l'acheminement des deux tiers ou des trois quarts des matières premières nécessaires à des dizaines de millions d'hommes ; quand elle organise systématiquement le transport de ces matières premières jusqu'aux lieux de production les mieux appropriés, qui se trouvent parfois à des centaines et des milliers de kilomètres ; quand un centre unique a la haute main sur toutes les phases successives du traitement des matières premières, jusques et y compris la fabrication de toute une série de variétés de produits finis ; quand la répartition de ces produits se fait d'après un plan unique parmi des dizaines et des centaines de millions de consommateurs (vente du pétrole en Amérique et en Allemagne par la Standard Oil), alors il devient évident que nous sommes en présence d'une socialisation de la production et non point d'un simple entrelacement, et que les rapports relevant de l'économie privée et de la propriété privée forment une enveloppe qui est sans commune mesure avec son contenu, qui doit nécessairement entrer en putréfaction si l'on cherche à en retarder artificiellement l'élimination, qui peut continuer à pourrir pendant un laps de temps relativement long (dans le pire des cas, si l'abcès opportuniste tarde à percer), mais qui n'en sera pas moins inéluctablement éliminée. »

Lénine écrivait cela il y a 80 ans et, depuis, cette socialisation de la production s'est encore accrue avec la taille croissante des entreprises géantes. Mais il reste toujours à éliminer l'enveloppe pourrie de la propriété privée.

Tous les moyens matériels d'une planification rationnelle à l'échelle mondiale existent. Les satellites sont utilisés pour surveiller les cultures par exemple, mais à des fins de spéculation sur les futures récoltes, alors qu'ils pourraient, au contraire, préparer les échanges afin que nul n'ait faim. Les réserves de matières premières, de pétrole par exemple, sont évaluées en permanence par les multinationales pour fixer leur production et leurs prix. Les besoins peuvent être connus. Les multinationales, là encore, n'évaluent que la taille des marchés pour s'y adapter, c'est-à-dire les besoins solvables, mais il n'est pas plus difficile de recenser les besoins réels.

Il faudra mettre en place une monnaie mondiale, bien sûr, une unité de compte fiable, qui permette une comptabilité exacte des ressources et des besoins, de la production des biens nécessaires comme de leur répartition, une monnaie qui aidera les hommes à y voir clair dans leur activité économique et à la maîtriser.

Avant que le jour vienne où la monnaie ne sera plus utile.

La véritable mondialisation de l'économie, c'est-à-dire un développement harmonieux de la production, unifiant réellement le monde en intégrant les besoins de tous et les capacités de tous, ne peut pas être réalisée par le capitalisme. C'est le communisme qui l'accomplira.

C'est la seule perspective pour l'humanité, autre que la barbarie capitaliste. Elle est réalisable : l'humanité en a tous les moyens.

Seul le prolétariat en est capable

Il faut seulement que le prolétariat reprenne confiance dans sa force et sa capacité d'offrir une solution à l'humanité. La bourgeoisie et ses penseurs stipendiés le savent fort bien, qui assènent avec aplomb les mensonges les plus grossiers pour tromper les populations, relayés malheureusement depuis longtemps par les dirigeants de partis ouvriers qui ont renoncé à changer une société à laquelle ils se sont adaptés.

Comme le prévoyait Lénine, l'impérialisme a corrompu même le mouvement ouvrier et c'est grâce à cette corruption qu'il s'est survécu depuis le début de la Première Guerre mondiale. Il manque actuellement au prolétariat plusieurs générations successives de militants révolutionnaires. Une génération qui est morte assassinée par Hitler et par Staline. Et deux ou trois autres qui n'ont pas pu se former, la continuité étant brisée et le relais n'ayant pas pu être passé.

C'est à cela qu'est dû le retard de la révolution mondiale et c'est pourquoi l'enveloppe de la propriété privée sur l'abcès de l'impérialisme n'a pas encore été crevée.

Mais nous, nous sommes convaincus que l'histoire de l'humanité ne se terminera pas avec cette organisation sociale et économique qui la mène à l'abîme.

L'humanité est capable de la dépasser et elle a d'autres ressources à déployer.

Alors, pour la génération qui vient, il est certainement plus exaltant de participer consciemment à la préparation de cet avenir-là que d'attendre passivement que la société actuelle engendre les horreurs dont elle est encore capable.

Vive la révolution prolétarienne et vive le communisme !

Partager