Le désarmement dont parlent les « Grands » : un leurre15/01/19881988Cercle Léon Trotsky/static/common/img/clt-min.jpg

Le désarmement dont parlent les « Grands » : un leurre

L'année 1987 s'est terminée en beauté par une rencontre, le 8 décembre à Washington, entre Reagan et Gorbatchev qui ont apposé leur signature au bas d'un accord dit « historique » sur la limitation du stock d'armes nucléaires.

Rien à voir avec les accords précédents, de 1972 ou 1979, qui ne prévoyaient pas une réduction, mais la limitation de la croissance future à un niveau-plafond pas encore atteint. L'accord de décembre, par contre, prévoit d'éliminer vraiment toutes les fusées à charge nucléaire d'une portée allant de 500 à 5 000 kilomètres, déployées par les Soviétiques et les Américains en Europe, de part et d'autre du rideau de fer.

Les engins promis à la poubelle sont les SS 20 soviétiques et les Pershing et missiles de croisière américains contre lesquels des centaines de milliers de jeunes, en République Fédérale Allemande surtout, avaient protesté à plusieurs reprises par des manifestations imposantes, lorsque les Américains avaient décidé de les installer en Europe, face aux missiles soviétiques, il y a quelques années.

Ces joujoux ne sont pas une plaisanterie. Les SS 20, par exemple, sont des fusées capables de porter trois « ogives » nucléaires qui, arrivées àdestination, peuvent se séparer et, chacune séparément guidée, aller frapper en même temps trois objectifs différents. Ces fusées ont « un rayon d'action » de 3 500 à 4 000 kilomètres ; mais ce n'est évidemment qu'une façon technique de parler car les SS 20 soviétiques sont très orientés : ils visent tous l'Ouest, mis à part ceux qui sont postés aux confins orientaux du pays et visent la Chine ou le Japon. Chacune des trois têtes d'un même missile SS 20 peut porter une charge équivalant à 150/250 kilotonnes de TNT, soit l'équivalent de 17 fois la puissance de la bombe lâchée en 1945 sur Hiroshima !

Les Américains avaient recensé environ 450 de ces missiles soviétiques en Europe. Effet du whisky peut-être, Gorbatchev a avoué qu'il n'y en avait que 405 ! Quelques autres dont se vantaient les Soviétiques étaient des carcasses remplies de béton... pour tromper les satellites espions américains...

Du côté des « joujoux » américains, maintenant, les Pershing sont en quelque sorte les frères jumeaux des SS 20, avec performances et rayons d'action similaires. Mais les missiles de croisière, eux, seraient de vrais bijoux : de véritables avions à réaction sans pilote, avec un système de guidage sophistiqué qui leur permet de frapper à 3 000 kilomètres de leur point de départ avec une précision de 30 mètres, alors que ces lourdauds de SS 20 peuvent ne tomber qu'à 200 ou 300 mètres du but ! Question puissance, c'est le même ordre de grandeur que le SS 20 : 15 fois la bombe d'Hiroshima. Les missiles de croisière américains auraient l'inconvénient d'être un peu lents, à peine 700 kilomètres à l'heure, mais en revanche ils volent bas et savent déjouer les radars habituels.

Si l'on considère que les 15 kilotonnes de la bombe d'Hiroshima ont fait 100 000 morts, le petit millier d'euromissiles russes et américains réunis aurait pu faire un beau feu d'artifice, et un milliard et demi de morts environ, largement plus que le total de la population visée.

Mais tout ça, c'est du passé - ou presque - puisque Reagan et Gorbatchev ont décidé de débarrasser le plancher européen de leurs engins. C'est ça, leur fameuse « option double zéro » : parce qu'ils ont d'abord décidé de supprimer les engins de portée dite « intermédiaire » de 1 000 à 5 000 kilomètres ; ensuite d'étendre aux engins de courte portée de 500 à 1 000 kilomètres.

Mais on peut prendre aussi le « double zéro » dans le sens de « trois fois rien ». Car même si les potentialités destructrices des missiles déployés en Europe peuvent impressionner, les « Grands » ne se proposent, en les bazardant, que de réduire de 3 à 4 % le total de l'arsenal nucléaire mondial (c'est-à-dire celui des Américains et des Russes, car ceux de la France, de la Grande-Bretagne et de la Chine sont quantité négligeable).

L'accord Reagan-Gorbatchev a fait jaser pourtant dans le clochemerle européen. Les politiciens bourgeois craignent que l'Europe ne soit plus protégée. Certains pensent que les Américains les lâchent ! Eux peut-être, mais pas l'Europe. Car il ne faudrait pas oublier les sous-marins lance-missiles soviétiques et américains qui continuent en silence à sillonner le fond des mers alentour ; ni les bombardiers nucléaires, surtout américains, qui continuent à passer sans cesse au-dessus de nos têtes, prêts à ouvrir la trappe. Il ne faudrait surtout pas oublier les plus gros missiles, les beaux, les vrais, les « missiles intercontinentaux stratégiques », comme on les appelle. Ceux-là, ce n'est pas la quincaillerie qu'ils nous avaient mise en Europe. Les « Grands » se les réservent. Ils sont basés aux États-Unis et en URSS et ont une portée de 10 000 à 12 000 kilomètres pour pouvoir aller en direct d'un continent à l'autre, en trente minutes au maximum ! Sans compter une multitude d'autres engins nucléaires beaucoup plus petits. De quoi mourir déjà quelques dizaines de fois chacun.

Des progrès désarmants dans la course aux engins de mort !

Car, depuis qu'elle a commencé, dans le Pacifique comme il se doit pour une arme modèle, la bombe atomique en a fait, du chemin ! De ce « little boy » - le « petit garçon » - , nom gentillet dont était affublée la bombe larguée en 1945 sur Hiroshima, jusqu'aux « Titans » qui règnent aujourd'hui sur le monde des missiles intercontinentaux à tête nucléaire, il a grandi, le monstre ! Et ce n'est pas fini : « Titan II », le deuxième du titre, est déjà dépassé en taille et en puissance par le « MX ». Une croissance spectaculaire, ponctuée il est vrai d'accords multi ou bi-latéraux plus « désarmants » les uns que les autres.

En 1945, les deux premières bombes américaines sont lancées sur le Japon. En 1949, l'URSS met au point sa première bombe nucléaire. En 1952, les États-Unis passent de la vulgaire « bombe A » à la bombe thermo-nucléaire, la bombe à hydrogène, dont une seule atteint déjà mille fois la puissance de la bombe d'Hiroshima. En 1953, les Russes ont aussi la leur. Voilà pour la course à la puissance.

Le transport des engins nucléaires est l'objet de la deuxième course, parallèle à la première, mais encore plus coûteuse.

En 1948, les Américains ont enfin un bombardier lourd capable d'aller d'une seule traite d'un continent à l'autre. Les Russes attendent 1955 pour l'avoir. Mais - surprise ! - en 1957, ce sont les Soviétiques qui gagnent la course de l'espace en lançant « Spoutnik », le premier satellite artificiel, avec la même fusée qui pouvait servir par ailleurs de porteur intercontinental pour une bombe nucléaire. Le premier missile nucléaire intercontinental était russe. Mais, en 1961, les États-Unis possédaient déjà six sous-marins lance-missiles, alors que les Soviétiques n'eurent leurs premiers qu'en 1968. Et ces sous-marins à eux seuls portaient plus d'une centaine de missiles pouvant frapper l'URSS, alors que l'URSS n'avait en retour que quatorze missiles intercontinentaux à servir aux États-Unis.

La course aux armements n'était pas finie. En 1963, un premier accord était signé entre les deux « grands » sur l'établissement de la « Hot Line », mot à mot « ligne chaude » : il s'agissait d'un télétype direct entre Washington et Moscou, surnommé en français « le téléphone rouge ». Les deux chefs d'État, américain et soviétique, pourraient ainsi mieux communiquer en période de crise et ne pas confondre bluff et intention, premier tir nucléaire ou « accident » dû à une erreur, un malentendu ou une étourderie.

On était alors en pleine théorie de la « dissuasion », dite encore de la « destruction mutuelle assurée », dont les initiales en anglais, M.A.D., comme MAD, ont le bon goût de signifier « fou ». C'était fou, oui : l'équilibre de la terreur. Dès lors que chacun possédait largement de quoi détruire complètement l'autre, on ne pouvait plus se faire la guerre, ou c'était du suicide. Mais il fallait quand même continuer la course, pour toujours rétablir l'équilibre à un niveau supérieur !

Après l'accord sur le « téléphone rouge », l'année 1967 connut celui sur la dénucléarisation de la Lune ! Et en 1968, les deux grands décidaient d'un traité de « non-prolifération » interdisant à tous les autres pays de fabriquer leur bombe atomique. Un accord que signèrent sans hésiter les deux qui avaient déjà la bombe, plus une multitude de pays qui n'avaient aucune chance de se la payer.

En 1972, enfin, était signé le premier accord de limitation des armements entre les deux grands. Et on peut dire qu'on allait de folie en folie. Le traité dit « SALT » - S.A.L.T. ou en français « Traité de Limitation de l'Armement Stratégique » - interdisait désormais aux deux partenaires la fabrication et la mise en place de missiles « ABM » (ou Anti-Balistic Missiles). C'est-à-dire de missiles anti-missiles. Cette invention, mise au point en premier par les Russes qui commençaient à s'essouffler financièrement de devoir suivre la course de la plus riche puissance du monde, était considérée comme diabolique, une vraie catastrophe ! Un missile dont le seul but était de détruire les missiles du voisin ! Mais alors, si on pouvait se protéger, il n'y avait plus de destruction mutuelle assurée, il n'y avait plus de dissuasion possible, et plus de paix possible !

Car, rappelons-le, la prétendue règle du jeu était qu'on ne puisse pas se défendre, de telle sorte qu'on ne puisse pas attaquer !

Bref, en 1972, économies budgétaires aidant, on abandonnait d'un commun accord les vieux projets pour se lancer dans la multiplication des techniques nouvelles, celles de nouveaux missiles à têtes nucléaires multiples qui, partant en fin de course vers des objectifs différents, étaient plus difficiles à arrêter.

Le second accord du genre « SALT II », adopté par les négociateurs, mais finalement jamais ratifié par le Congrès américain, allait toujours plus loin dans la voie de la paix : cette fois, on prévoyait de limiter le nombre total de missiles que chacun des deux camps avait le droit de posséder. Et on avait la délicatesse vis-à-vis des fabricants et marchands de matériels de fixer la limite maximum à quelques centaines de missiles de plus que ceux qu'on avait déjà.

De la « Destruction mutuelle Assurée » à la « Guerre des Etoiles », ou les profits au firmament

Mais aucun accord n'a arrêté le progrès dans la course aux armements. En 1980, juste avant que le démocrate Carter passe la main au républicain Reagan, comme pour bien montrer que les deux partis étaient unanimes, les États-Unis décidaient de se lancer dans un vaste programme militaire qui devait, en cinq ans, doubler purement et simplement le budget de la défense des États-Unis.

Ce qui fut fait, et à côté de quoi la réduction du budget militaire que vient de décider Reagan n'est pas grand-chose. Et c'est cette hausse spectaculaire de budgets de défense des États-Unis, à peine écornés cette année par la nécessité d'assurer aussi la défense de Wall Street, qui avait permis à Reagan en 1983 de lancer l'ambitieux projet de l'I.D.S. ou « Initiative de Défense Stratégique », plus simplement appelé par les journalistes « Guerre des Etoiles ».

Un puissant canon à rayons laser ou à flux de particules tirerait d'un satellite un puissant rayon qui détruirait le missile agresseur dès qu'il sortirait de son silo. Mais il faudrait être prudent : un dispositif radar sur les satellites suivrait à la trace le missile qui aurait échappé au premier tir, pour lui en envoyer un deuxième. Et, pour les rares missiles qui réussiraient à passer ces barrières, les radars des satellites espions, suivant leur proie à la trace, se dépêcheraient de prévenir les stations au sol qui enverraient automatiquement la dernière charge.

La « guerre des étoiles » est du grandiose, mais ça ne marche pas encore. On ne voit pas encore du tout comment fabriquer un canon à laser assez puissant pour cet usage, à moins de le faire d'un tel poids qu'on ne pourrait pas en charger les satellites : le système global nécessiterait, selon les estimations, entre 90 et 2 400 satellites, c'est dire si on est fixé ! Et il faudrait, dit-on, pour organiser tout ça, des ordinateurs plus puissants que ceux dont on dispose actuellement.

La « guerre des étoiles », ce serait le fin du fin de la défense, affirmait Reagan pour en faire adopter le budget. C'est ce qu'on dit à chaque arme nouvelle. L'immense majorité des satellites artificiels qui tournent aujourd'hui autour de notre planète sont des satellites militaires, des satellites de communications, des satellites de surveillance, d'espionnage. Mais avec cette « guerre des étoiles », Reagan proposait de faire mieux encore. Des satellites qui non seulement surveilleraient les engins du camp d'en face (ou d'en dessous !) mais qui les attaqueraient au décollage !

Si le scénario, on l'a vu, n'est pas encore fameux, le générique par contre est déjà prestigieux : les laboratoires Lawrence pour 725 millions de dollars de commandes, General Motors pour 579 millions de dollars, Lockheed pour 521 millions, TRW pour 354 millions, MacDonnel Douglas pour 350 millions, Boeing pour 346... La liste est longue. Des commandes à faire pâlir de jalousie les petits constructeurs européens, que Mitterrand a voulu consoler avec la proposition d'un programme « Eureka ». Mais personne ne l'a pris au sérieux et les représentants de la plupart des trusts militaro-électroniques européens, flanqués d'officiels, ont cavalé faire le poireau dans les anti-chambres des « big-boss » américains pour récupérer quelques miettes de la manne. En d'autres temps, peut-être ; mais avec la crise, les USA ne partagent plus !

Le système IDS est loin d'être au point. Des milliers de scientifiques américains pétitionnent contre le projet qu'ils considèrent comme une vue de l'esprit totalement irréalisable et qui va dévoyer la recherche fondamentale. Peut-être. Mais sur le plan industriel et financier, l'IDS carbure déjà à fond et c'est probablement la seule chose qui compte.

Et cette « guerre des étoiles » est probablement la dernière et meilleure illustration de l'imposture que représente la course aux armements nucléaires.

C'est d'abord une course au fric, ou plus exactement un énorme hold-up réalisé contre toute la société au profit des grands trusts de l'armement, qui sont de mèche avec les dirigeants politiques impérialistes. Dans ce domaine, l'État fournit et les fonds et les commandes d'engins encore à imaginer. Et puisqu'on part pour une guerre totalement surréaliste entre missiles et anti-missiles qui peuvent tuer des centaines et des milliers de fois, les profits, eux, ont de quoi vivre autant. La course à la guerre nucléaire peut mener son existence artificielle, seulement rattachée à ce bas monde par une pompe à fric.

Pour se consoler, on pourrait se dire qu'au moins la recherche scientifique, et le progrès, pourraient y gagner... si on survit. Mais personne n'ose dire s'il s'agit d'une recherche fondamentale ou d'une recherche sans fondement et, pour le présent, on ne voit pas du tout en quoi elle concerne l'humanité et ses besoins réels.

Et par-dessus le marché, cette course aux armements peut servir de leurre. La guerre nucléaire à la fois effraie et éblouit, selon qu'on est pessimiste ou optimiste, selon qu'on s'excite comme au cinéma devant une quincaillerie d'engins sophistiqués en se demandant si Lockheed et General Motors n'auraient pas mieux fait de racheter la Metro-Goldwyn-Mayer ; ou bien selon qu'on s'inquiète de ce qui pourrait arriver si, par folie douce ou furieuse, ces engins étaient mis en route.

Les deux « Grands » ont un intérêt commun à ce que les peuples qu'ils exploitent croient que c'est bien cette guerre nucléaire qui menace le plus la paix du monde ; et que c'est très important que les « Grands » se rencontrent, s'embrassent, bradent quelques vieux missiles d'un côté pour se lancer dans de nouveaux projets ailleurs. D'où ces mises en scène de « sommets » ; d'où le folklore du dernier, à Washington, où les télés et journaux américains ont fait passer Gorbatchev pour la « super star », tandis que les magasins de la ville vendaient des boutons de manchette en forme d'étoile rouge, et des bretelles avec la faucille et le marteau.

Mais pendant ce temps-là, une autre guerre se prépare ou se mène déjà, sur terre, avec tout ce qui reste des budgets militaires, c'est-à-dire l'essentiel, le plus gros et de loin, puisque le budget de l'armement nucléaire ne représente que 12 % du budget militaire mondial total.

Quand les « Grands » parlent de désarmement, ils parlent des armes nucléaires mais jamais des autres qu'ils utilisent déjà.

Car il faut bien noter quelque chose, c'est que quand les « Grands » nous parlent de « désarmement », c'est de limitation, voire de suppression d'armes nucléaires ! Mais la population mondiale est aujourd'hui menacée par des armes bien plus banales, bien plus classiques, bien plus conventionnelles, comme on dit ! Par les armes dont il n'est jamais question quand on nous parle de « désarmement », parce qu'il n'est jamais question qu'on supprime celles qu'on utilise déjà !

Pourtant, il y aurait du pain sur la planche. Car nous vivons dans un monde surarmé, surquadrillé d'engins et de troupes, généralement venus de loin ou financés par les grands États impérialistes.

Aujourd'hui, le nombre de pays se multiplie où c'est un cri de guerre qu'on pousse à la naissance, avec rien à se mettre, et rien à manger, mais une arme dans les pattes. Les USA, du temps qu'ils protégaient le Shah d'Iran, avec des moyens financiers, matériels et humains colossaux, n'ont pas su apprendre à lire aux gens ; ils ont juste su leur fournir une immense armée, avec des armes ultra-modernes. Ces armes se sont retournées contre le fournisseur, ou plus exactement elles le visent désormais même si, au passage, sur la trajectoire en quelque sorte, ce sont les Irakiens qu'elles tuent.

La militarisation de la planète, sous la houlette des États-Unis

Le monde compte aujourd'hui 25 millions de soldats. Par rapport aux 5 milliards d'individus, ce n'est peut-être pas tant que cela, mais les forces dont les plus gros contingents appartiennent aux grands États, sont réparties partout, selon une savante dissémination géographique du pouvoir militaire, et sous le contrôle des États-Unis et de leurs impérialismes vassaux d'un côté, de l'URSS de l'autre.

Les États-Unis ont chez eux une armée de métier de quelque deux millions d'hommes, et il y en a, en plus, 750 000 dans le monde :

- 284 000 sur mer, stationnés sur une immense armada de navires et porte-avions qui sont souvent des villes flottantes ;

- 461 000 dans des pays étrangers : 319 000 en Europe, près de 100 000 en Asie (Japon, Corée, Philippines), plus quelques milliers par-ci, par-là.

La France, elle, n'a que 58 000 hommes en permanence à l'extérieur. C'est sans commune mesure avec les États-Unis. Ces troupes sont disséminées, par paquets de petites centaines ou petits milliers, dans douze États qui sont tous - mises à part la RFA et le Zaïre - des ex-colonies de l'impérialisme français. Le pays particulièrement gâté est la République Centrafricaine, avec près de 4 000 militaires français.

Pour l'URSS, les statistiques officielles n'ont aucune valeur, et les estimations varient à des centaines de milliers près ; mais on peut dire qu'elle a une armée de 3 à 4 millions de soldats sur son territoire, et 700 000 militaires hors de ses frontières :

- 584 000 en Europe de l'Est.

- 22 000 dans le reste du monde (dans 11 pays d'Afrique, 3 d'Asie - Vietnam, Laos et Cambodge - et à Cuba).

- Et puis il y a évidemment les 95 000 soldats russes auxquels la bureaucratie fait mener sa sale guerre de style colonial en Afghanistan.

Ainsi, les grandes puissances - il y a aussi la Grande-Bretagne, qui a environ 100 000 militaires hors de ses frontières - représentent un pouvoir militaire qui a le bras long. Elles ont jeté comme un immense filet de bases militaires ou autres installations qui ne sont pas seulement utilisées comme supports maritimes, terrestres ou aériens pour des forces militaires classiques, mais qui sont en outre des lieux d'expérimentations nucléaires, de surveillance électronique, voire de renforts avancés. Certains sont d'immenses entrepôts, à des milliers de kilomètres du territoire national, pour des munitions qui comprennent des armes chimiques et nucléaires d'un pouvoir destructeur terrible.

Et pour cette guerre qui se mène déjà, et encore plus pour celle qui se prépare contre les peuples, des sommes de plus en plus faramineuses sont dépensées. Faramineuses en valeur absolue. Mais encore plus, relativement à ce qui est dépensé pour le reste, pour les besoins de la population. Et au fur et à mesure qu'on avance vers le XXIe siècle, l'écart se creuse entre ce qui est dépensé pour le militaire, et ce qui l'est pour la nourriture, l'habillement, la santé, la science et l'éducation. Et cela aussi bien dans les pays pauvres que riches.

On peut donner quelques exemples classiques, qui résument le scandale de la situation :

- Le coût d'un seul sous-marin moderne est équivalent au total des budgets annuels d'éducation de 23 pays sous-développés comptant au total 160 millions d'enfants d'âge scolaire.

- Le tout récent programme « Trident » de sous-marins et missiles nucléaires décidé par le gouvernement américain coûte quelque 30 milliards de dollars, soit le quart du produit intérieur brut de l'Inde.

Mais on peut citer la constatation, plus insolite, faite par des scientifiques américains « anti-guerre » :

- Les États-Unis consacrent près de 300 milliards de dollars par an à ce qu'ils appellent la « défense militaire » contre l'ennemi extérieur, mais 45 % des Américains sont effrayés à l'idée d'avoir à sortir seuls dehors, la nuit, ne serait-ce que pour aller à un ou deux kilomètres de chez eux.

Aujourd'hui, les dépenses militaires mondiales totales s'élèvent à près de 700 milliards de dollars. Les États-Unis y contribuent pour 300 milliards. Et pour fixer l'ordre de grandeur, la somme totale des dépenses militaires des pays européens membres de l'Alliance Atlantique n'est que le tiers du budget américain de la défense. Les États-Unis sont vraiment « le » super-impérialisme, sur le plan économique, financier mais aussi militaire. Et c'est lié. Parce que l'impérialisme, c'est la guerre. Et ça a toujours été la guerre.

Oui, l'impérialisme, c'est la guerre, et c'est le militarisme.

L'impérialisme a commencé par la conquête militaire, et il est probable qu'il crèvera de son militarisme, à l'occasion d'une prochaine guerre que sa crise ne manquera pas de l'obliger à mener contre les peuples.

L'impérialisme, c'est-à-dire le stade avancé du capitalisme, le stade où la bourgeoisie a besoin de sortir de ses frontières nationales pour exporter ses marchandises et ses capitaux sur tous les continents ; qui a connu sa période flamboyante à la fin du siècle dernier et au tout début de celui-là, ce fut une politique de conquête. Par la force des armes. Parce que les marchés où ensuite les « forces économiques » ont pu agir, où les marchandises ont pu se vendre, où la main d'oeuvre a pu être exploitée, ces marchés, il a fallu les ouvrir. Même le capitalisme américain, qui a trouvé de vastes espaces pour s'installer a eu besoin de mener la guerre contre les occupants indiens. Le monde qui était à piller, à exploiter, était occupé, et c'est le glaive ou les canons, leur utilisation ou leur menace, qui ont amené les populations indigènes, si ce n'est à de meilleurs sentiments à l'égard des nouveaux envahisseurs, du moins à l'asservissement quand elles n'ont pas été tout simplement exterminées.

Tout le monde a entendu parler des aventures coloniales de l'Angleterre et de la France. Ces vieilles puissances bourgeoises colonisatrices ont rempli à une époque les livres d'histoire de ces épopées sauvages dont elles étaient si fières. Mais même l'impérialisme américain, au XIXe siècle, est intervenu par la force plus de cent fois en dehors de ses frontières, en particulier en Amérique Latine, à Cuba et en Asie, dans les régions qui allaient devenir ses premières zones d'influence.

Il paraît que le président américain Theodore Roosevelt écrivait la chose suivante à un ami, en 1897 : « Très confidentiellement (...) je souhaiterais presque n'importe quelle guerre, car je pense que ce pays en a besoin » . Pourquoi les États-Unis pouvaient-ils avoir besoin d'une guerre ? Très confidentiellement... parce qu'un État bourgeois a besoin d'une armée, et pas seulement d'une bande de pantouflards qui attendent leurs points de retraite dans une caserne. La bourgeoisie a besoin d'une armée qui sache se battre, qui sache se faire craindre, qui sache conquérir des territoires ou les faire plier devant la seule menace. Autrement dit, l'impérialisme a besoin de la force.

Il faut garder en mémoire que l'impérialisme - même l'impérialisme moderne qui s'est développé sur la base de l'exploitation capitaliste, de la plus-value extraite du travail aliéné - est une politique de conquête où le militaire est la continuation de la politique par d'autres moyens. Ensuite vient l'exploitation économique, qui n'exclut pas l'usage de la force, d'ailleurs. Les canons et le son du clairon pour commencer, et ensuite les capitaux et le fric. Mais la force a toujours été le premier agent économique.

Après avoir commencé ainsi, l'impérialisme a continué ainsi. Mais cet impérialisme américain, qui est devenu aujourd'hui dominant, il l'est lui aussi devenu parce que le voeu de Theodore Roosevelt s'est réalisé : une bonne petite guerre ! Et surtout deux grandes guerres mondiales qui lui ont permis d'arriver au pinacle. Economiquement et militairement, car encore une fois, ça va de pair.

Et en même temps que l'impérialisme a commencé sa carrière par les conquêtes coloniales, il inaugurait aussi la guerre inter-impérialiste, entre les grandes puissances occidentales riches et sur leur propre sol. Au travers de deux carnages, les nations civilisées ont d'ailleurs donné l'exemple de la plus grande barbarie que le monde avait jamais vue. Parce qu'il fallait se briser mutuellement pour un repartage des richesses et des zones d'influence.

Et ces périodes de guerres ont révélé, tout autant qu'elles ont accentué, la fusion quasi complète entre la direction de l'État et celle des plus grands trusts, c'est-à-dire généralement ceux de l'armement ; la mobilisation générale de toutes les richesses, de toutes les énergies, sur les fronts comme à l'arrière, sous la houlette de l'appareil d'État.

Et quand les grands trusts, les gouvernants et les généraux organisent directement la guerre, pour les profits des premiers, les choses deviennent plus claires dans les pays dits de démocratie où, en temps ordinaire, les gens peuvent croire que les hommes politiques les représentent. Tous les accessoires du décorum démocratique sont enlevés de la scène, et c'est la mobilisation générale pour la production, c'est-à-dire pour les profits maximum des plus gros trusts. La concentration capitaliste s'accélère. La militarisation aussi. Et atteignent toujours des points de non-retour.

Les États-Unis se sont imposés ainsi, grâce à deux guerres...

...Au point de devenir une machine écrasante que certains appellent maintenant « le complexe militaro-industriel », mais qui est toujours l'État impérialiste.

Avant la seconde guerre mondiale, il y avait au moins huit États militaires importants dans le monde. Les États-Unis arrivaient en tête, certes, avec le plus gros budget militaire, mais le pouvoir se partageait encore. Avant cette guerre, les USA et la Russie ne totalisaient pas plus, ensemble, que le quart des dépenses militaires mondiales. Mais depuis la guerre, alors que l'URSS et les USA ne représentent que 11 % de la population mondiale, elles atteignent la moitié des dépenses militaires mondiales totales, qui ont pourtant par ailleurs sacrément augmenté.

Pour les USA, l'évolution est frappante :

- en 1900, les États-Unis comptent 126 000 hommes dans leur armée.

- en 1939, 334 000.

- à partir des années 50, les effectifs passent à deux millions et n'en bougent plus... ou presque, car il y a eu la guerre au Vietnam.

L'augmentation des dépenses militaires américaines suit une évolution plus grande encore, qui exprime probablement le fait que les États-Unis n'ont pas seulement leurs propres troupes à entretenir, mais une partie de l'appareil militaire de tout leur « bloc ».

Le budget militaire américain - ramené à des dollars comparables - est passé de 9 milliards de dollars juste avant la seconde guerre mondiale à 100 milliards dans les années 50 ; et à près de 700 milliards aujourd'hui.

Mais ce n'est même pas l'augmentation des effectifs sous les drapeaux qui compte dans ce pays qui ne connaît toujours pas de conscription obligatoire permanente. Ce qui compte infiniment plus, c'est la capacité de l'impérialisme américain de transformer immédiatement son industrie en industrie de guerre. C'est sa capacité de transformer les cadres civils de son économie, dont elle dispose en quantité, en cadres militaires.

A l'entrée de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis disposaient d'une armée ridiculement faible. Mais lorsqu'ils se furent pleinement engagés dans la guerre, comme on disait à l'époque, ils étaient capables de fabriquer plus de matériel militaire que l'ennemi n'était capable de détruire, et on pourrait ajouter, plus d'officiers et de cadres que l'ennemi n'était capable de tuer.

C'est cela l'aspect fondamental de la militarisation de la société impérialiste. Et c'est pour cela aussi que les gestes de désarmement en temps de paix, même quand ils désarment effectivement, sont vraiment de l'escroquerie pour tromper les peuples.

Voilà. Depuis 60 ou 70 ans, sous la houlette de l'impérialisme américain qui a pris la première place, le militarisme est toujours allé en s'aggravant.

Le monde n'a jamais connu la paix.

Mais les hommes d'État des pays dits démocratiques, leurs dirigeants politiques en ont beaucoup parlé. Avec les super-profits extorqués par la guerre à tous les pauvres du monde, l'impérialisme a eu de quoi se payer ses « oeuvres » ; de quoi financer des fonctionnaires d'institutions pacifistes ; une énorme bureaucratie même. La Société des Nations a vu le jour après la première guerre mondiale, dont Lénine disait qu'elle était une caverne de brigands ! Et jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale, elle a été le lieu d'envolées lyriques sur la paix, de promesses hypocrites de désarmement, pendant que dehors, dans quasiment tous les pays d'Europe, le bruit des bottes était de plus en plus insupportable.

Après la seconde guerre mondiale, la même machinerie pacifiste impérialiste a été remise en place, avec la nouvelle appellation « d'Organisation des Nations Unies », ONU. Elle a déménagé de Genève à New York, où elle s'est installée avec des milliers de cadres et d'employés, dans un immense building qui ressemble à un siège de grande banque ou de grand trust. Et l'ONU a une Charte dont l'article 15 stipule :

« Aucun État, aucun groupe d'États n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, pour aucune raison que ce soit et en aucun cas, dans les affaires intérieures ou extérieures d'aucun autre État. Le principe énoncé ci-dessus ne proscrit pas seulement la force armée, mais aussi toute autre forme d'intervention... »

Alors, c'est peut-être parce que depuis pas mal d'années plus grand monde ne croit en la sincérité et l'efficacité des bureaucrates de l'ONU que les « Grands » se sont essayés à une autre mise en scène : les rencontres à répétition entre les dirigeants soviétiques et américains sur le désarmement nucléaire. Un domaine où ils mentent, mais qu'importe puisque personne ne peut vérifier ! Même pas eux-mêmes !

Et tandis que c'est le décorum au sommet, devant des milliers de journalistes, c'est toujours la rapacité et la force brutale dans la plus grande partie du monde.

L'histoire de la militarisation du monde se confond avec l'histoire de l'impérialisme.

Le monde dominé par l'impérialisme est aujourd'hui enfermé dans un réseau militaire perfectionné, développé au cours des décennies précédentes. Engels disait naguère que l'État, ce sont des bandes armées. Marx avait ajouté, parlant des principaux pays capitalistes de son temps, la France, l'Angleterre, etc. que toutes les révolutions n'ont fait que perfectionner un appareil d'État de plus en plus gigantesque et s'élevant de plus en plus au-dessus de la société.

Eh bien ! pendant la phase impérialiste de l'histoire de la bourgeoisie, au perfectionnement de l'appareil d'État s'est ajouté un enchevêtrement croissant, une sorte de fusion entre les plus grands trusts, les plus grands monopoles et l'appareil d'État.

Mieux ! Les bourgeoisies des puissances impérialistes et, en particulier, la bourgeoisie des États-Unis ont su non seulement perfectionner leurs propres appareils d'État, mais également ceux des pays pauvres sous leur domination.

Les puissances impérialistes savaient déjà, au temps colonial, utiliser des supplétifs indigènes pour préserver leurs intérêts. Eh bien ! avec les indépendances, le système a été perfectionné et porté à une autre échelle. Les puissances impérialistes encadrent, instruisent, modèlent et financent les bandes armées de la plupart des pays sous leur domination. C'est à cause de l'impérialisme que quelques-uns des pays les plus pauvres de la planète ont su se donner (ou plus exactement, on a su leur donner) des armées ultra-modernes. Ces armées sont destinées à représenter et à défendre bien plus les intérêts, y compris immédiats de la puissance impérialiste qui les arme et les finance, que les intérêts des classes privilégiées locales.

Mais de temps en temps, par un retour de bâton, l'armée choyée par l'impérialisme se retourne contre son tuteur impérialiste. On se souvient comment, au temps de l'Ethiopie de Haïlé Sélassié, cet État dominant une des économies les plus pauvres et une des sociétés les plus réactionnaires de la planète ; l'État de ce pays où chaque sécheresse faisait et fait encore des centaines de milliers de morts ; cet État pouvait donc s'enorgueillir de disposer de l'armée la plus nombreuse et la mieux dotée de matériels modernes de l'Afrique !

Et le développement de l'armée du Shah d'Iran, au temps où elle était promue au rang de gardien de l'ordre régional, n'avait aucun rapport avec le développement de l'économie et de la société qui l'entouraient. Il est vrai qu'aujourd'hui, les dirigeants de l'impérialisme américain ont de quoi s'en mordre les doigts !

Et de l'Ethiopie de Haïlé Sélassié jusqu'à l'Arabie Saoudite d'aujourd'hui, le militarisme des pays sous-développés, qui fait la fortune des marchands d'armes, est en fait un des aspects du militarisme de l'impérialisme. Ces bandes armées qui dominent les pays pauvres, en général directement, sans les fanfreluches parlementaires en usage dans les pays les plus riches, sous la forme de dictatures militaires, constituent la première ligne de défense des intérêts impérialistes contre les peuples de ces pays.

Tout ce développement du militarisme, y compris dans les pays pauvres, est financé sur la plus-value que l'impérialisme dégage de l'exploitation du monde. Et il est destiné à en assurer la pérennité. Même si, finalement, ce développement du militarisme et des dépenses d'armement finissent par étouffer l'économie capitaliste elle-même, perclue de dettes publiques, d'inflations, de crises monétaires.

A un certain niveau, la logique du développement de ce militarisme à l'échelle du monde échappe à la logique de l'économie capitaliste elle-même. Il est, par exemple, évident que les dépenses militaires de la France pour occuper le Tchad - sans même y ajouter les dépenses des États-Unis qui restent un peu en arrière avec leurs Awaks et leurs radars - ne pourront certainement pas être financées par la plus-value tirée de l'exploitation de ce pays, un des plus pauvres de la planète !

Le serpent se mord en quelque sorte la queue. Et l'économie impérialiste ploie sous les dépenses militaires occasionnées par son propre développement.

Cela dit, ce sont tous les travailleurs, les classes populaires, l'ensemble de la société qui paient ces dépenses (directement par les impôts ou indirectement par les restrictions sur les services publics) et c'est une minorité qui empoche. C'est de cette façon que le système redevient logique avec lui-même : que toute la société crève, du moment que le moteur de l'économie, comme disent les économistes, le profit individuel, égoïste, est préservé.

Quarante deux ans de paix impérialiste, seize millions de morts

Malgré cette accumulation sans précédent de matériel militaire ; malgré l'accroissement, en nombre comme en effectifs, de bandes armées un peu partout dans le monde, celui-ci vit, nous dit-on, depuis quarante deux ans dans la paix.

Mais pour parler de paix, il faut n'avoir vécu ces années-là ni en Asie, ni en Afrique, ni en Amérique Latine. Et si l'on est né dans un pays impérialiste riche, il faut encore avoir eu la chance de ne pas avoir eu « 20 ans dans les Aurès », ni avoir été GI au début des années 50 ou tout au long des années 60.

Car l'exploitation des peuples du monde entier qui a permis ce que les chantres du capitalisme ont surnommé « les 30 glorieuses » a reposé tout de même sur son lot de guerres, sur son monceau de cadavres.

Depuis la deuxième guerre mondiale, le monde a connu cent dix guerres, en ne comptant que celles qui ont fait plus de 1 000 morts. Ces guerres ont impliqué 66 pays, c'est-à-dire près de la moitié des pays de la planète.

Depuis la deuxième guerre mondiale, il n'y a pas eu une seule année sans que se déroulent simultanément au moins quatre guerres dites locales ; et l'ensemble de ces guerres ou de ces guerres civiles a fait quelque seize millions de victimes.

Certes, le monde est bien plus peuplé qu'il n'était il y a un demi-siècle. Mais tout de même, les seize millions de morts du temps de paix représentent près du cinquième de l'ensemble des victimes civiles et militaires de la deuxième guerre mondiale !

Oui, la « paix » depuis 42 ans, c'est une paix armée, violente. C'est en fait une guerre permanente contre les peuples pour leur faire accepter l'exploitation, l'inégalité, la dictature. Et, dans un certain nombre de cas, ces guerres dites locales ont pu sembler près de déboucher sur une guerre généralisée.

La seule signification du mot paix pour décrire la situation qui prévaut dans le monde depuis 42 ans, c'est que les innombrables et meurtrières guerres locales ou régionales sont restées locales ou régionales.

Mais il ne faut pas oublier que la deuxième guerre mondiale a été en ses débuts un enchaînement de guerres locales : le Japon contre la Mandchourie, l'Italie contre l'Ethiopie, l'Allemagne contre l'Autriche, puis la Tchécoslovaquie, puis la Pologne, avant de devenir une guerre généralisée en Europe par l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne et de la France, puis mondiale lorsque l'URSS et les États-Unis ont été à leur tour entraînés dans l'embrasement général.

Et il a suffi à l'époque qu'une seule grande puissance impérialiste veuille la guerre, c'est-à-dire la remise en cause par la violence de l'équilibre, pour que les différentes guerres locales confluent en un faisceau conduisant à la conflagration mondiale. Alors, la seule chose qu'on puisse dire des 42 ans passés, c'est qu'il ne s'est pas trouvé de puissance impérialiste acculée au point de se lancer dans une guerre généralisée.

Tant que subsiste l'impérialisme, la paix n'est qu'une trêve entre deux guerres ou, plus exactement, paix et guerre sont des états complémentaires et entremêlés.

Comme disait Lénine en son temps : « Les alliances pacifiques préparent la guerre et surgissent à leur tour de la guerre, se conditionnent l'une l'autre, engendrant les alternatives de luttes pacifiques et non pacifiques, sur une seule et même base, celle des liens et rapports impérialistes entre l'économie et la politique mondiales » .

Et l'histoire même de ces quatre décennies, non pas de paix, mais de non guerre mondiale, dessine en réalité clairement les antagonismes fondamentaux qui risquent d'être la cause première de la future guerre mondiale et les systèmes d'alliance autour desquels elle risque sinon de commencer, du moins de se généraliser.

Depuis pratiquement la fin de la guerre, plus précisément depuis le début de la « guerre froide » en 1947, les deux adversaires stratégiques sont de toute évidence le bloc des puissances impérialistes d'un côté et l'Union Soviétique de l'autre. C'est autour de cet antagonisme stratégique que s'agencent des alliances militaires : OTAN, OTASE, etc. d'un côté, et le Pacte de Varsovie de l'autre.

Les USA et l'URSS comme deux chiens de faïence

Les tentatives ébauchées par moment par d'autres, notamment de grands pays du Tiers Monde pour créer un troisième bloc, ont toutes fait long feu.

Le changement majeur depuis la deuxième guerre mondiale est que les puissances impérialistes ne sont pas opposées par une rivalité de la même ampleur que celle qui opposa entre les deux guerres mondiales la Grande-Bretagne aux États-Unis ou encore le Japon aux États-Unis et, en Europe, l'Allemagne à la Grande-Bretagne et à la France.

Ce n'est pas que les rivalités ont cessé. Les relations mêmes entre ces puissances impérialistes, pourtant liées par les mêmes intérêts de gangsters contre les peuples opprimés et contre leurs propres classes ouvrières ; pourtant alliées contre l'Union Soviétique, sont loin d'être devenues harmonieuses. Le capitalisme, c'est comme par le passé la concurrence entre bourgeois ; c'est la rivalité entre puissances impérialistes pour le partage du butin tiré de l'exploitation du monde.

Mais la deuxième guerre mondiale n'a pas seulement, ni même principalement assuré la victoire des « Alliés » sur les puissances de l'Axe. Elle a surtout consacré la victoire politique et l'hégémonie militaire de l'impérialisme américain sur tous les autres impérialismes du monde. Quant à la victoire économique, elle avait été remportée depuis longtemps.

La deuxième guerre mondiale a permis aux États-Unis de briser leurs ennemis, l'Allemagne et le Japon, mais tout autant de dominer leurs alliés. Aucune des puissances impérialistes ne peut aujourd'hui briser son alliance et ses rapports avec les États-Unis, quelles que soient ses velléités de le faire.

Malgré l'essor économique, par la suite, de l'Allemagne ou du Japon, on ne voit pas quelle puissance impérialiste pourrait aujourd'hui menacer l'hégémonie des États-Unis.

Mais en revanche, on voit pourquoi les États-Unis n'accepteraient aucun enchaînement d'événements qui leur enlèverait cette hégémonie qui leur permet de dominer le monde entier - le bloc soviétique et la Chine mis à part - y compris les zones de la planète qui étaient naguère la chasse gardée des puissances impérialistes aujourd'hui de seconde zone.

Les États-Unis sont devenus incontestablement le gendarme du monde dominé par l'impérialisme et, en tant que tel, en quelque sorte le mandataire de toutes les autres puissances impérialistes. Mais un mandataire préoccupé en premier lieu de ses propres intérêts, y compris contre les puissances impérialistes de seconde zone.

L'antagonisme stratégique des périodes passée, présente et future proche apparaît donc comme un antagonisme entre l'impérialisme américain dominant, directement ou indirectement, les 4/5e de la planète, et l'Union Soviétique. Mais cet antagonisme stratégique, s'il a en quelque sorte défini des relations internationales depuis la guerre, n'en a pas été l'élément moteur. L'antagonisme se mêlait même d'une profonde complicité...

Depuis 40 ans, les remises en cause de l'équilibre entre les deux blocs ne sont pas venues de la sphère des rapports entre puissances impérialistes d'un côté et l'URSS de l'autre, mais de la sphère des rapports entre l'impérialisme et les pays pauvres qu'il domine. Lorsque ces remises en cause se sont produites sur les lignes de partage des zones d'influence, c'est ce qui leur a donné souvent immédiatement un caractère de crises internationales, voire de début de ce qui pouvait apparaître comme un processus susceptible de déboucher sur une nouvelle guerre mondiale ; comme en Corée au début des années 50, au Vietnam à la fin des années 60 et, à certaines époques, au Moyen-Orient. Mais à part la crise de Berlin, la remise en cause elle-même n'est pas venue des relations entre les deux puissances, mais des peuples eux-mêmes.

Les accords de Yalta entre les puissances impérialistes victorieuses et l'URSS, pourtant même pas sanctionnés par un traité de paix, se sont révélés plus durables que la paix de Versailles et ses annexes, pourtant solennellement paraphés par toutes les grandes puissances au lendemain de la première guerre mondiale.

Malgré toute la propagande intéressée qui présente l'Union Soviétique comme le principal fauteur de guerre virtuel de la prochaine guerre mondiale, cette non-remise en cause des accords de Yalta n'est pas étonnante du côté de l'Union Soviétique. L'URSS, depuis qu'elle est dominée par la bureaucratie, ne cherche pas à remettre en cause le rapport de force existant. Les dirigeants russes ne demandent pas mieux que de sanctionner l'état actuel du monde par un traité ou par une convention avec les États-Unis. Et cela ne date sûrement pas de Gorbatchev, ni même du Khrouchtchev de la coexistence pacifique, mais de Staline !

Mais du côté de l'impérialisme américain, la pérennité de Yalta s'explique au fond par les mêmes raisons que celles qui ont rendu Yalta possible et nécessaire. Yalta, ce fut la consécration de l'alliance entre la bourgeoisie impérialiste et la bureaucratie contre le prolétariat et les peuples opprimés pour assurer une transition contrôlée de l'état de guerre à l'état de paix, sans trop de révolutions ou, en tous les cas, pas trop dangereuses.

L'après-guerre assuré, l'alliance proprement dite a été rompue. Mais pas la complicité de fait face au prolétariat et aux peuples opprimés.

Depuis la guerre, les relations explosives entre l'impérialisme et les peuples qu'il domine, et les relations entre les deux blocs que la bureaucratie voudrait bien stables, ont été en réalité profondément enchevêtrées.

C'est la guerre permanente menée par l'impérialisme contre les classes exploitées des peuples qu'il opprime, et les réactions des peuples contre cette oppression qui ont été, comme on l'a dit, l'élément moteur de la situation. Mais le rôle de l'Union Soviétique par rapport à cet antagonisme a été, de fait, contradictoire.

Objectivement, par son existence même, l'Union Soviétique a été un encouragement pour les luttes.

Mais, en même temps, la bureaucratie a toujours utilisé le crédit dont disposait l'Union Soviétique auprès des peuples opprimés par l'impérialisme pour freiner tout développement révolutionnaire ; pour le contrôler, le canaliser dans un sens acceptable par l'ordre impérialiste mondial. Et, en même temps, la bureaucratie continuait à assurer directement le rôle de gendarme dans la zone qui lui a été dévolue par Yalta, et pas seulement pour assurer la pérennité de sa propre mainmise sur cette zone contre les États-Unis.

La bureaucratie avait donné pendant et dans l'immédiat après-guerre d'innombrables preuves à l'impérialisme que non seulement elle n'avait nulle volonté de favoriser des événements révolutionnaires, mais qu'elle mettait tout son poids dans la balance pour les empêcher ou pour les étouffer.

Sans la collaboration de la bureaucratie avec l'impérialisme, les puissances impérialistes auraient eu infiniment plus de mal à combler rapidement les vides étatiques créés en Europe Centrale par l'effondrement du régime hitlérien.

Il s'est trouvé néanmoins, dans le camp des puissances impérialistes victorieuses, même pendant cette période de collaboration idyllique, des voix pour dire qu'il fallait profiter de l'occasion pour régler son compte à l'Union Soviétique, quitte à prolonger la deuxième guerre mondiale par une troisième.

Mais entre vouloir et pouvoir, il y a évidemment un fossé. Il était de toutes façons hors de question d'entraîner les peuples du camp victorieux dans une nouvelle guerre contre l'allié de la veille. Et puis, dans leur ensemble, les dirigeants du camp impérialiste victorieux, non seulement ne pouvaient pas, mais ne voulaient pas : ils avaient trop besoin de la bureaucratie soviétique.

Une fois l'Europe capitaliste remise sur les rails et toute éventualité révolutionnaire immédiate écartée, l'impérialisme américain avait moins besoin de la collaboration de la bureaucratie soviétique. A la collaboration ouverte s'est substituée la « guerre froide ».

A la tentative de l'impérialisme américain d'attirer dans sa sphère d'influence des gouvernements des pays sous occupation soviétique, par le biais notamment du plan Marshall, l'URSS répliqua par le renversement des gouvernements de coalition en Europe centrale et par leur remplacement par des gouvernements à sa dévotion. Les Démocraties Populaires étaient nées. La rupture entre les deux blocs était consommée, sans que les États-Unis d'ailleurs ne ripostent autrement que par des protestations platoniques : chacun restait maître dans son camp.

Le blocus de Berlin, en 1948-49, par les Soviétiques montait encore d'un ton l'affrontement diplomatique entre les deux camps. Mais l'affrontement diplomatique seulement.

« Guerre froide » entre les « Grands », mais guerre chaude entre les peuples

Le conflit en Europe restait une « guerre froide ». Mais une autre guerre, brûlante celle-là, avait débuté ailleurs qu'en Europe, ailleurs que dans les pays industriels, avec un prolétariat fort, sous haute surveillance ; une guerre que ni l'URSS ni les États-Unis n'avaient suscitée, une guerre dont ils se seraient volontiers passé : la guerre des peuples opprimés.

La vague de révolutions coloniales a été d'une immense ampleur : elle a commencé avant même la fin de la guerre, embrasé une grande partie de l'Asie, éclatant successivement ou simultanément en Inde, en Malaisie, en Indonésie, en Chine, au Vietnam ; elle a enflammé le Moyen-Orient, puis elle est passée en Afrique, à Madagascar, en Algérie.

Le gros de cette vague a déferlé disons entre 1944 et 1949. Mais les ondes de choc continuèrent à se propager plus tard, au milieu des années 50, jusqu'au début des années 60.

Cette immense vague révolutionnaire ne s'est transformée nulle part en guerre à mort contre l'impérialisme. Il aurait fallu pour cela qu'elle se mène consciemment comme une guerre de classe. Partout, des directions nationalistes bourgeoises ou petites-bourgeoises ont canalisé, limité la lutte pour en faire, partout, une lutte pour la seule indépendance nationale. C'est-à-dire que, dans le cas des pays colonisés, ce ne fut pas une guerre contre l'impérialisme en général, mais une guerre contre une des formes de domination de l'impérialisme, la forme coloniale.

Mais il se trouve que cette forme était liée à la domination des vieux impérialismes anglais, français, belges, hollandais...

Les anciennes puissances coloniales, qui ont essayé de réoccuper, au lendemain de la guerre, des positions qui ne correspondaient plus ni à leur puissance réelle, ni à leurs possibilités, ont été éjectées sans ménagement par les peuples en révolte. Les impérialistes anglais et français ont réussi, dans certaines de leurs ex-colonies et jusqu'à un certain point, à préserver leurs intérêts sous des formes nouvelles. Mais dans bien des cas, ce sont les États-Unis qui prirent la place.

Les peuples en lutte ont fait office de liquidateurs judiciaires des vieux impérialismes faillis. Mais, malheureusement, du fait de la politique des dirigeants nationalistes petits-bourgeois ou bourgeois des luttes d'émancipation, cette liquidation s'est faite, globalement, au profit de l'impérialisme américain.

Du point de vue des relations entre puissances impérialistes, les révolutions coloniales, canalisées et étouffées par des directions nationalistes bourgeoises, complétaient en quelque sorte l'évolution engagée depuis plusieurs décennies, parachevée pendant la deuxième guerre mondiale et consacrant le déclin définitif des anciennes puissances impérialistes.

Les États-Unis, lorsqu'ils ont repris l'héritage, puis les anciennes puissances coloniales, lorsqu'elles y furent contraintes, ont prolongé leur domination sur les peuples opprimés de façon plus subtile, concédant sinon aux peuples révoltés, du moins à leurs classes privilégiées, un drapeau, un hymne, une place à l'ONU, mais réprimant avec autant, sinon bien souvent plus de férocité, toute menace contre l'ordre impérialiste mondial.

Nous ne prendrons qu'un seul exemple : celui de l'Indonésie. Le peuple indonésien a dû payer par plusieurs dizaines de milliers de morts le droit de conquérir l'indépendance nationale contre les Hollandais qui tentaient de rétablir une situation coloniale. Car si les États-Unis ont fait d'amicales pressions sur les Hollandais pour qu'ils quittent une ancienne colonie dont la domination dépassait manifestement leurs possibilités, ils n'ont tout de même pas poussé les choses jusqu'à contraindre les Hollandais à partir.

Mais, dans l'Indonésie devenue indépendante, le peuple indonésien devait paier, quelque 15 ans plus tard, par près d'un million de morts le coup d'État inspiré par la CIA, mais perpétré par « sa » propre armée, financée et encadrée par les Américains !

Et on pourrait ici citer le cas du Congo ex-belge devenu le Zaïre, contrôlé par les États-Unis. Ou encore, au fond, le cas du Vietnam où les États-Unis ont tenté d'occuper la place que l'impérialisme français a été contraint, par la lutte du peuple vietnamien, de laisser vacante. Mais, dans le cas du Vietnam, les États-Unis ne l'auront pas emporté au paradis de l'impérialisme...

Mais le cas du Vietnam, comme avant lui, celui de la Corée, illustre cependant comment les luttes des peuples ont dans certaines circonstances failli déborder le cadre des guerres limitées et au fond contrôlables par l'impérialisme américain.

Car il ne faut pas oublier, non seulement pendant la guerre froide, mais même après le dégel de 1953-54, qu'à plusieurs reprises l'impérialisme américain s'est engagé dans une escalade guerrière qui dépassait le cadre d'une guerre contre un peuple, et fit craindre la généralisation, au point de frôler la conflagration générale.

C'est aux confins de la Chine que se produisirent les deux crises majeures : en Corée au début des années cinquante, au Vietnam quelque quinze ans après.

Et ce n'est pas pour rien, car la Chine fut le seul grand pays opprimé qui, par suite de circonstances historiques particulières, a basculé, après Yalta, pour un temps, dans le camp soviétique.

En Chine, après avoir vainement tenté de patronner une alliance entre Tchang Kai Tchek et Mao Tse Tung, les États-Unis finirent par choisir de soutenir celui des deux pouvoirs rivaux qu'ils connaissaient le mieux : celui de Tchang Kai Tchek, plutôt qu'un Mao dont la référence encore à une étiquette communiste inspirait la méfiance à Washington.

Les débuts de la guerre froide en Europe poussèrent par contre, à partir de 1947, l'URSS à prendre, sans lui apporter une aide réelle, le parti de Mao alors que jusque-là, respectant scrupuleusement les accords de Yalta, elle avait soutenu le gouvernement chinois officiel, celui de Tchang, allant même jusqu'à lui livrer par exemple des armes saisies aux Japonais de peur qu'elles ne tombent entre les mains des troupes de Mao.

La guerre de Corée

La victoire de Mao Tse Tung en 1949 renforçait du coup le camp de l'URSS d'un allié numériquement de poids. Loin d'avoir pu reprendre une partie du terrain concédé à l'URSS, les États-Unis se sentaient en train d'en perdre. Et c'est pourquoi ils intervinrent massivement dès que, le 25 juin 1950, les troupes de la Corée du Nord pénétrèrent dans la Corée du Sud sous contrôle américain, dans le but de réunifier le pays coupé en deux par le partage entre les deux « Grands ». Repoussant rapidement les troupes nord-coréennes jusqu'aux frontières de la Chine, l'occasion sembla pour le général Mac Arthur, de tester les capacités de résistance militaire de la toute nouvelle Chine de Mao. Mais il fut rappelé à plus de réalisme par le Pentagone et Washington.

La contre-offensive menée en Corée même, par les troupes chinoises, eut vite fait de prouver au gouvernement américain qu'une tentative de renverser par les armes le régime chinois serait une aventure militaire des plus incertaines, demandant infiniment plus d'hommes que les cent cinquante hommes - officiellement troupes de l'ONU - dont disposaient les généraux américains au plus fort de la guerre, sans compter les troupes sud-coréennes peu fiables. Même limitée, la guerre de Corée a fait plus trente mille morts, plus de cent mille blessés, rien que du côté américain et quatre cent mille morts et quatre cent mille blessés dans les rangs de l'armée sud-coréenne. Quant aux morts nord-coréens et chinois, les morts civiles, on les ignore.

L'idée folle du général Mac Arthur, en décembre 1950, de lancer quelques bombes atomiques en territoire chinois n'aurait pu avoir de sens que dans le cadre d'une décision américaine de transformer la guerre de Corée en une offensive contre la Chine elle-même. Et, dans ses mémoires, le président Truman rappelle que, pour lui, il paraissait impensable de procéder à une nouvelle mobilisation aux USA.

Il ne restait plus aux États-Unis qu'à faire machine arrière et à chercher une issue négociée à la guerre de Corée. Une solution qui, après de longues négociations et encore des mois de guerre aboutit en juillet 1953 à rétablir la frontière entre les deux Corées, là où avait démarré la guerre, au 38e parallèle.

La guerre d'Indochine

La guerre d'Indochine, la première guerre d'émancipation du Vietnam, celle des années 1944-1954 contre l'impérialisme français, bien qu'elle fut une guerre d'indépendance comme beaucoup d'autres à la même période, finit cependant par poser des problèmes à l'impérialisme américain par le fait que la guerre d'indépendance était dirigée par le Parti Communiste Vietnamien d'Ho Chi Minh, parti nationaliste à passé stalinien, ayant donc des liens tant avec Moscou qu'avec Mao ; et surtout, du fait que l'Indochine se trouvait à la lisière des deux blocs. Les États-Unis, en 1945, se montrèrent dans un premier temps favorables à l'indépendance de cette colonie française et envoyèrent même une aide et un conseiller militaire américain à Ho Chi Minh. Les staliniens vietnamiens avaient d'ailleurs fait leur travail en écrasant toute possibilité de révolution ouvrière à Saïgon en août 1945 en éliminant physiquement les trotskystes. Les staliniens étaient fidèles en cela tant à l'esprit des accords de Yalta qu'à leurs propres intérêts de direction petite bourgeoise nationaliste.

Les débuts de la guerre froide, la victoire de Mao en Chine avaient changé, aux yeux des Américains, les données du problème vietnamien. Dès lors, pour eux, l'enjeu au Vietnam était de ne pas laisser tomber ce pays, à la frontière de la Chine, entre les mains d'un parti ayant des liens avec Moscou. Et ils commencèrent à financer les opérations militaires que menaient depuis 1945 l'armée française pour reprendre à Ho Chi Minh le contrôle du pays. Mais pas au point cependant de consentir aux dirigeants français - dont certains le lui avaient demandé - de lancer une bombe atomique sur les zones contrôlées par le Vietminh afin de dégager Dien Bien Phu.

On sait que, même soutenu jusqu'à un certain point par les États-Unis, l'impérialisme français a subi au Vietnam une cuisante défaite. Il a bien fallu liquider l'affaire vietnamienne. Les États-Unis ont pris l'affaire en mains. Il leur a bien fallu admettre que le Vietnam du Nord bascule dans le camp soviétique.

La partition du Vietnam en deux, le Nord sous le contrôle du Vietminh, le Sud sous le contrôle d'un régime soutenu par les Américains, faisait la part du feu. Elle donnait aussi à l'armée américaine une base supplémentaire en Asie.

Mais pour tenter de consolider cette solution dans cette région explosive du Sud-Est asiatique, les États-Unis se sont résolus à s'assurer la caution de l'URSS et aussi de la Chine. Voilà qui sonnait le glas de la « guerre froide ».

La « Coexistence pacifique » : Hongrie et Suez

Peu à peu, ce qui allait devenir la doctrine dite de « coexistence pacifique » entre l'URSS et le camp impérialiste commençait à prendre forme.

Amorcé donc dès 1952, du vivant de Staline, le nouveau rapprochement entre l'URSS et les États-Unis allait être scellé par la rencontre à la Conférence de Genève de novembre 1955, entre le président américain Eisenhower et le nouveau chef d'État soviétique Boulganine, derrière lequel se profilait déjà le futur chef de l'URSS, Nikita Khrouchtchev.

Ce dernier, arrivé enfin en 1956 à la première place, lançait au XXe congrès du Parti Communiste d'Union Soviétique au mois de février 1956 une véritable bombe, à côté de laquelle la « transparence » de Gorbatchev porte bien son nom tellemment elle est incolore et insipide : il dénonçait les crimes de Staline, déboulonnait les statues, débaptisait les rues. C'était, paraît-il, « le dégel ». Déjà ! Et avec lui, la « coexistence pacifique » devenait la nouvelle doctrine officielle du Parti Communiste d'Union Soviétique, reprise en refrain plus ou moins vite par les partis communistes italien, français et autres. Ça y était, le monde allait pouvoir vivre en paix, le socialisme et le capitalisme n'étaient plus irrémédiablement voués à s'affronter !

Mais, bien plus que les accolades entre les « Grands », bien plus que le renouveau du marxisme que servaient alors les revues théoriques des partis communistes, le mois d'octobre 1956 allait porter à la connaissance du monde le véritable sens de la « coexistence pacifique » des deux systèmes.

Octobre 1956, la France était enlisée dans la guerre coloniale en Algérie. Israël piaffait d'impatience de trouver l'occasion d'étendre son territoire. Depuis la fin juillet, le nouveau président égyptien, Nasser, avait décrété la nationalisation du canal de Suez pour pouvoir, avec les revenus du canal, payer les frais de construction du barrage d'Assouan dont la Banque mondiale venait de lui refuser les crédits. Les actionnaires français et anglais de la Compagnie du Canal de Suez enrageaient de ne plus devoir toucher leurs dividendes. Le 29 octobre 1956, les blindés de l'armée israélienne pénétraient dans le Sinaï. Le 5 novembre, les forces franco-britanniques débarquaient à Port-Saïd. Le but : renverser Nasser et récupérer le Canal pour les uns, conquérir le Sinaï pour le troisième.

Octobre 1956, en Hongrie, le 23 octobre, les ouvriers de Budapest s'insurgeaient, demandaient la démission du gouvernement, formaient leurs conseils ouvriers. Le 28 octobre, peu sûr de ses troupes qui, depuis trop longtemps en place dans le pays, avaient le contact avec la population hongroise, le commandement russe décidait le cessez-le-feu dans la capitale. Mais, le 4 novembre, alors que les chars israéliens n'étaient plus qu'à quelques kilomètres du Canal et que, dans l'île de Malte, les troupes franco-britanniques s'apprêtaient à embarquer, les chars soviétiques avec des troupes neuves pénétraient dans Budapest et en quelques jours écrasaient l'insurrection.

L'écrasement des ouvriers de Budapest n'a valu, de la part des gouvernements occidentaux, que quelques hauts cris dans les discours officiels. Et probablement des soupirs de soulagement en coulisse, car il n'est à leurs yeux jamais prudent de laisser survivre des conseils ouvriers, même de l'autre côté du rideau de fer.

Depuis l'arrivée au pouvoir de Nasser, l'Egypte, en froid avec l'ancienne puissance colonisatrice de l'Egypte, la Grande-Bretagne, et avec les États-Unis, avait dû faire appel à l'URSS pour obtenir des aides et équiper son armée. Mais, au moment de l'intervention israélo-franco-britannique, l'URSS s'était empressée de disperser sur divers aérodromes les avions militaires qu'elle avait fournis à l'Egypte et dont les équipages étaient encore pour la plupart russes, plutôt que de les engager dans les combats. Et elle avait donné ordre à tous ses techniciens en poste en Egypte de gagner sans délai le Soudan. Et elle se garda bien, tant que les États-Unis eux-mêmes ne l'avaient pas fait, de condamner ouvertement l'intervention militaire des trois puissances contre l'Egypte.

Octobre 1956, les dirigeants des grandes puissances occidentales et les dirigeants de l'Union soviétique coexistaient donc bien pacifiquement... entre eux. Puisque ce n'étaient que les peuples qu'ils massacraient. Chacun chez soi.

La nouvelle crise de Berlin, en 1961, avec la construction du mur en août de cette années-là et la crise des fusées soviétiques de Cuba en octobre 1962 ne marquaient nullement un retour à la période plus tendue de la « guerre froide » : elles se plaçaient dans le cadre des pressions et marchandages entre les deux « Grands ». L'URSS tentait vainement d'obtenir une « neutralisation » de l'Allemagne, d'un camp occidental qui n'avait pas la moindre intention de se priver du potentiel économique de l'Allemagne fédérale pour renforcer son potentiel militaire. En même temps, l'URSS cherchait à forcer la main pour l'ouverture de négociations sur la course aux armements, où la petite avance qu'elle semblait avoir prise avec le lancement du premier Spoutnik était vite rattrapée par les États-Unis et lui coûtait les yeux de la tête.

Mais, dans la vigoureuse réaction des États-Unis à l'installation de fusées soviétiques à Cuba en octobre 1962, décrétant le blocus naval de l'île, menaçant de couler tout navire soviétique qui tenterait de le forcer, rappelant à l'activité vingt-quatre escadrons et quatorze mille réservistes, faisant décréter une mobilisation de troupes au Vénézuela, il y avait aussi autre chose que le simple jeu de poker entre les deux « Grands », dans le cadre de leur marchandage. C'était, bien plus qu'à Khrouchtchev, aux peuples du Tiers-Monde que Kennedy adressait sa menace.

L'occasion était trop belle pour les États-Unis, face aux peuples d'Amérique latine que l'expérience cubaine pouvait tenter, face à tous les pays du Tiers-Monde qui cherchaient accords économiques et protection militaire du côté de Moscou, de leur démontrer, par une reculade soviétique, l'inefficacité d'une telle protection et le peu de valeur qu'avait la parole soviétique.

Le bluff militaire de part et d'autre dans la crise des fusées n'était pas dépourvu de danger de dérapage mal contrôlé. Et c'est bien pourquoi il sortit, à la reprise des négociations États-Unis/URSS sur les armements, l'accord de création du fameux « téléphone rouge », la « Hot-Line ». Surtout à cause des difficultés éprouvées par les « deux K » (Kennedy et Khrouchtchev) à se communiquer la teneur et les limites de leur bluff respectif, face à la vitesse d'évolution des bâtiments de guerre sur le terrain et aux risques d'un accrochage involontaire.

De la deuxième guerre du Vietnam...

Mais en ces années 60, la guerre du Vietnam, menée par les américains cette fois, prit des proportions plus importantes et s'aggrava considérablement.

1966-1967 furent les années les plus dures de cette guerre, où les Américains durent accroître leurs effectifs militaires de 270 000 à 500 000 hommes. Incapables de gagner la guerre dans leur zone, le Sud-Vietnam, les États-Unis multipliaient les bombardements de plus en plus massifs sur le Nord, renforçaient leur dispositif militaire dans le Pacifique, entraînaient à leurs côtés des troupes sud-coréennes dans le bourbier vietnamien, et tentaient vainement d'obtenir une participation japonaise.

Mais finalement, les lourdes pertes américaines, la démoralisation au sein des troupes elles-mêmes, dans cette guerre sans espoir de victoire, ajoutées au coût exhorbitant pour le budget américain (affaiblissant la monnaie à un moment où commençait à s'amorcer la crise économique) conduisirent les États-Unis à chercher là encore une issue diplomatique à la guerre.

Alors pour empêcher que son échec au Vietnam n'encourage les peuples de la région et pour prévenir l'embrasement de tout le Sud-Est asiatique après le Vietnam, le Cambodge et le Laos, les États-Unis se résolurent à un spectaculaire renversement de politique. Le but de ce renversement était de transformer la Chine, d'adversaire qu'elle était, sinon en alliée, du moins en co-gardien de l'ordre dans cette région.

...à la « Détente », mais aussi à la crise économique

Ce fut alors, en 1973, le spectaculaire voyage de Nixon à Pékin puis à Moscou. Les États-Unis se sont engagés dans une politique de détente tout à la fois envers la Chine et envers l'Union Soviétique. Mais en contrepartie de cette politique de détente, ils ont obtenu les cautions de l'URSS et de la Chine au règlement de la question vietnamienne, limitant ainsi la portée de l'échec militaire des États-Unis et transformant leur départ de la péninsule indochinoise en un simple désengagement.

Bien que la « guerre froide » à proprement parler se soit achevée au milieu des années cinquante, jusqu'en 1973 les États-Unis s'accrochaient à la politique du « containment », visant à contenir, au besoin par les armes, l'influence de l'URSS dans les limites des accords de Yalta. Finalement, seule la Chine, passée aux mains de Mao, et le Vietnam du Nord ont réussi à déroger pendant cette période à la règle. C'est l'échec des États-Unis au Vietnam du Sud qui les a poussés à franchir un petit pas en avant et à abandonner le « containment » au profit d'une politique de détente, plus souple, visant à associer d'avantage et plus officiellement l'URSS à la défense de l'ordre mondial.

Mais 1973, première année de la détente, fut aussi la première année de la crise de l'économie capitaliste. Il y a là plus qu'une coïncidence fortuite. Ce sont les dépenses militaires des États-Unis pour maintenir l'ordre impérialiste dans le monde qui ont miné le dollar et, par la suite, tout le système monétaire. Et la crise monétaire, liée à l'origine à la guerre du Vietnam, est devenue le révélateur de la crise économique.

Alors, l'évolution de la crise est désormais autrement plus importante pour l'évolution de la situation internationale que les accords, les négociations de toutes sortes.

Pendant ces quelque quatorze ans qui se sont écoulés depuis 1973, la crise a été modérée. La production ou le commerce mondiaux ne se sont pas effondrés ; ils continuent même à croître, quoique bien plus lentement qu'auparavant. Mais le simple plafonnement de la production, qui pousse la bourgeoisie à chercher des sources d'accroissement de profit ailleurs que dans l'extension du marché, s'est déjà traduit cependant par une aggravation des conditions d'existence des peuples des pays pauvres.

Et si dans ce domaine, il n'y a pas toujours de causes mécaniques, il n'en reste pas moins que la décennie qui vient de s'écouler a vu s'accroître le nombre de révoltes et de mouvements populaires dans les pays pauvres, mais aussi de « guerres locales », comparativement à la décennie précédente.

Seulement, voilà, l'hypothèque coloniale a été entre-temps définitivement levée partout dans le monde. En 1974-75, la dernière puissance coloniale, débile, le Portugal, a dû abandonner ses colonies. Il ne reste plus sous domination coloniale que quelques points du globe auxquels s'accroche notamment l'impérialisme français, plus débile encore !

Alors, cette fois-ci, les États-Unis sont bien plus souvent ouvertement en première ligne.

On peut constater que la guerre plus accentuée que l'impérialisme américain est amené à conduire contre les peuples l'a jusqu'à présent plutôt poussé à accentuer la politique de détente à l'égard de l'URSS, plutôt que le contraire. Même le très réactionnaire Reagan, qui est arrivé au gouvernement en maudissant le Satan soviétique, a su faire ami-ami, sinon avec le Satan cacochyme en place lors de son arrivée au pouvoir, du moins avec son successeur plus vert. Parce que l'impérialisme américain a besoin d'associer la bureaucratie soviétique au maintien de l'ordre. Et, au fond, même si les États-Unis protestent du contraire, c'est avec une certaine satisfaction qu'ils considèrent le rôle de gendarme que l'URSS remplit en Afghanistan, et ce n'est pas uniquement pour le plaisir de l'y voir s'embourber. Comme c'est avec une certaine satisfaction que les États-Unis ont vu dans le cas de la Pologne, ou verront demain dans le cas - qui sait ? - de la Roumanie ou de la Hongrie, des régimes protégés par la bureaucratie russe, remettre au pas leurs classes ouvrières afin que ces régimes puissent payer leurs dettes aux banques occidentales et au Fonds Monétaire International.

En réalité, la détente, c'est-à-dire la paix elle-même entre les deux « Grands », est un aspect de la précédente phase de la guerre réelle, contre le prolétariat et les classes exploitées, menée par les bourgeoisies impérialistes.

L'impérialisme a pour l'instant plus à gagner à ménager l'alliance de fait avec la bureaucratie qu'à engager une guerre visant à la destruction de l'Union soviétique.

Mais en raison du rôle double, contradictoire de l'Union soviétique, ce sont précisément les mêmes raisons qui font que l'impérialisme américain a eu et a besoin de la bureaucratie soviétique et en particulier du crédit de Moscou auprès de ceux qui combattent l'impérialisme américain - les mêmes raisons qui pourront inciter les États-Unis à régler définitivement son compte à l'Union soviétique.

Vers une troisième guerre mondiale ?

Depuis l'explosion de la bombe atomique sur Hiroshima en 1945, tout a été dit sur l'horreur envisageable d'un futur conflit mondial. La prochaine guerre mondiale fait d 'ailleurs partie de l'univers mental des stratèges du monde impérialiste, tant la course aux armements, l'équilibre de la « terreur » et la terreur elle-même, sont devenus une forme d'existence privilégiée de l'impérialisme décadent.

Dans une certaine mesure, la menace nucléaire comme la menace d'un conflit mondial font aussi partie de la guerre psychologique à l'encontre des peuples, de la part de ceux qui ont mis la planète en coupe réglée.

A l'heure actuelle, en effet, aucun engrenage n'est en marche qui conduirait inéluctablement à un troisième conflit mondial dans un délai prévisible. Aucun grand État impérialiste n'est acculé, pour survivre, à une politique agressive à l'égard des autres, comme ce fut le cas de l'Allemagne hitlérienne il y a cinquante ans. Aucun, même, n'est en situation de pouvoir remettre en cause le rapport des forces qui s'est établi entre eux depuis la Deuxième Guerre mondiale sous l'égide de l'impérialisme américain. Les puissances impérialistes de seconde zone sont désormais bien plus les sous-traitants et les vassaux des États-Unis que de véritables rivales.

Même Madame Thatcher n'a pu se lancer dans l'aventure de la guerre des Malouines, une de ces dernières farces colonialistes qui semblent rester à la portée du vieil impérialisme anglais, que pour autant que l'état-major américain a bien voulu mettre à la disposition de la flotte aérienne britannique les bases et les porte-avions américains de l'Atlantique.

Même Giscard d'Estaing n'a pu jouer les gendarmes au Zaïre en envoyant ses paras sur Kolwezi que pour autant que l'armée américaine a bien voulu lui prêter des avions-cargos susceptibles de transporter rapidement des troupes sur plusieurs milliers de kilomètres. Et, si aujourd'hui, le vénérable « Clémenceau », l'unique porte-avions français en état de prendre la mer, parvient laborieusement à croiser aux abords du Golfe persique, dans le sillage de toute l'armada américaine déployée face à l'Iran dans le Golfe lui-même, c'est parce que l'état-major américain, cette fois, l'a exigé de l'État français. Malgré les réticences de la France et son désir de ne pas envenimer ses rapports avec l'Iran de Khomeiny - qui lui fournit son pétrole - celle-ci, bon gré mal gré, affiche, en la circonstance, tout comme la Grande-Bretagne, sa solidarité militaire avec les États-Unis.

Manifestement, l'histoire ne se répétera pas de la même façon qu'en 1914 ou en 1939, même si elle se répète à une autre échelle et de façon plus monstrueuse encore.

Le scénario le plus probable : la guerre contre une crise sociale généralisée dans les pays pauvres

Le prochain conflit mondial ne démarrera sans doute pas sur la question de savoir s'il est possible d'instaurer un nouveau rapport des forces au sein du monde impérialiste et de répartir autrement des chasses gardées coloniales qui n'existent plus. Il ne viendra pas non plus de l'URSS...

Par contre, l'impérialisme aura à partir en guerre contre les peuples pour maintenir sous pression militaire le monde entier. Le contrôle des pays pauvres restera sans doute le véritable enjeu de la prochaine guerre impérialiste, comme après tout il avait déjà été celui des deux dernières guerres mondiales.

Si un conflit mondial s'engage, ce sera par une extension des conflits que, dans leur arrogance, les stratèges américains appellent « régionaux » et qui se sont multipliés depuis la fin de la guerre du Vietnam.

Aujourd'hui, il y a la crise économique mondiale. On n'en est sans doute qu'aux prodromes de cette crise. Mais les peuples des pays pauvres en sont les premières victimes. Cela fait des années qu'ils en paient déjà le prix fort, d'autant qu'ils sont désormais totalement intégrés au marché capitaliste mondial, et que ce sont eux qui servent d'amortisseurs aux moindres déséquilibres, aux moindres ralentissements de la croissance économique impérialiste.

Que le cours des matières premières baisse, que l'endettement du pays s'accroisse d'autant, qu'un plan d'austérité soit imposé par le FMI en échange du rééchelonnement de la dette auprès des banques occidentales, et cela signifie des couches entières de la population qui basculent d'un seul coup dans le dénuement le plus total !

Et, comme la plupart du temps, il s'agit de pays dont la faible économie est centralisée, il suffit que la moindre augmentation des prix des produits de première nécessité, habituellement subventionnés, soit décidée d'en haut, brutalement, par mesure gouvernementale, pour que d'un seul coup la population soit au bord de la révolte et se tourne contre le régime lui-même. C'est ainsi que les choses se sont passées lors des émeutes de la faim qui ont eu lieu ces dernières années, aussi bien au Maroc, en Tunisie qu'au Brésil ou en Roumanie. Cela permet d'imaginer quelles guerres sociales la crise économique est susceptible de déclencher dans les pays pauvres, des explosions sociales qui pourraient prendre d'emblée une envergure plus grande que tout ce que l'on a vu jusqu'à présent.

Dans bien des endroits dans le monde, les régimes dictatoriaux, formellement indépendants mais tenus à bout de bras par les « conseillers », les officiers, les services secrets et les dollars américains, n'ont pas réussi à tenir devant la révolte sociale des masses, comme dans l'Iran du Shah, les Philippines de Marcos ou Haïti de Duvalier... Et il y a déjà une déstabilisation sociale - comme diraient les mêmes stratèges impérialistes - aussi bien dans les pays du Maghreb, à Gaza et en Cisjordanie occupés par Israël, en Corée du Sud, que dans la Roumanie de Ceaucescu, sans parler de l'Afrique du Sud ni du Chili ou du Brésil. A chaque fois, ça fait un, plus un, plus un... mais quand on totalise sur dix ans, on mesure que ça devient un véritable phénomène mondial, comme si les conditions de la révolution sociale étaient en train d'être réunies dans les différents « Grands » pays du Tiers-Monde.

Là non plus, bien sûr, il n'y a pas d'enchaînement nécessaire ni automatique. L'impérialisme peut toujours mettre en place un cordon sanitaire autour des peuples révoltés, ne serait-ce qu'en venant au secours des dictateurs locaux. Seulement, si de tels foyers de crise sociale commençaient à se multiplier un peu partout dans le monde, c'est aussi toute la situation mondiale qui commencerait à prendre un autre tournure.

Evidemment, l'impérialisme a encore bien des possibilités de s'adapter à une telle situation. Seulement, on a vu la situation des États-Unis lors de la seule guerre du Vietnam.

Che Guevara, quoi qu'il en ait dit lui-même, quoi que ses adversaires aient dit, n'a pas été en mesure de créer plusieurs Vietnam. Mais c'est l'impérialisme qui est en passe de créer dix, douze, quinze Vietnam. Même si là, évidemment, l'impérialisme aurait encore la possibilité de faire intervenir les peuples révoltés les uns contre les autres. Il peut encore faire donner les Dominicains contre les Haïtiens, eux qui cohabitent sur la même île des Caraïbes. Il peut - comme il l'a fait il y a huit ans - engager l'Irak contre l'Iran au lendemain de la révolution qui a vu Khomeiny accéder au pouvoir. On pourrrait voir l'impérialisme contribuer comme il l'a fait tant de fois dans le passé, à une échelle plus grande encore, à détourner la colère des masses dans des guerres fratricides entre peuples, avec la complicité des régimes nationalistes ou même religieux, qui se seraient mis à la tête des masses révoltées. On pourrait voir bien des pays du Tiers-Monde n'échapper à la révolution sociale qu'au prix de nouvelles guerres de religion infiniment plus meurtrières. Mais, même cela signifierait une militarisation croissante de la planète et un risque accru pour chaque conflit de se généraliser, et on pourrait voir alors un processus guerrier général s'enclencher.

Car la guerre est liée aux crises sociales. La Première Guerre mondiale a même engendré la plus formidable vague révolutionnaire que le monde ait connue jusqu'à présent. Aujourd'hui, la guerre, une guerre impérialiste généralisée, peut être la solution de l'impérialisme à une situation de crise sociale dans les pays pauvres, avant même que la crise économique ait pris un aspect catastrophique, comparable à celle des années trente dans les pays les plus riches.

Seulement une telle guerre contre les pauvres de la planète, quel qu'en soit le prétexte invoqué, qu'il s'agisse de la lutte contre le terrorisme d'un Khadafi, contre le fanatisme islamique ou de tout autre chose, ne pourra pas être menée sans demander aussi une militarisation de la population des citadelles impérialistes.

Et c'est là où la bourgeoisie impérialiste se retrouvera confrontée à sa propre population. Et, alors, ou bien elle sera capable d'embrigader le prolétariat occidental, ou bien elle contribuera à déclencher elle-même les conditions de la révolution sociale en Occident.

Les travailleurs des pays occidentaux, dans le camp des jeunes palestiniens en blue jeans, ou dans celui des généraux impérialistes ?

Car, bien sûr, tout se tient. Aujourd'hui, la crise économique n'a pas atteint le prolétariat occidental - loin s'en faut - , au même titre que les prolétaires du Tiers-Monde. Les prolétaires des pays riches, malgré la crise et le chômage toujours croissant, bénéficient encore globalement du mode de vie auquel ils avaient pu accéder dans les années de prospérité. La crise ne les a pas encore déracinés, ni arrachés pour la plupart à leurs habitudes de vie. Et, pour l'instant, la pression du chômage a surtout pour effet d'inspirer la crainte de l'avenir, d'accentuer le conservatisme social qui va avec et, dans une certaine mesure, de détourner les prolétaires de l'action collective.

Mais il n'empêche. Cette même situation de crise, en réduisant pour le moment progressivement le niveau de vie des travailleurs des pays industriels les plus riches, crée des possibilités de liens moraux entre les prolétaires des pays riches et ceux des pays pauvres, comme il n'y en a jamais eu pendant les quarante dernières années.

Jusque-là, le fait que les révoltes dans les pays pauvres aient pris un aspect uniquement nationaliste et anticolonial faisait que la classe ouvrière des pays colonisateurs était pour ou contre, se solidarisait ou non de son propre impérialisme oppresseur, mais ne reconnaissait pas un caractère social dans ces mouvements d'émancipation. Elle approuvait ou pas les guerres coloniales, mais de toute façon elle ne se reconnaissait pas dans les révoltes des peuples coloniaux et, même si c'était à tort, bien sûr, elle considérait la lutte anticolonialiste, la lutte pour l'indépendance, comme « leurs problèmes », pas les siens.

De ce point de vue-là, les choses ont objectivement profondément changé ces dix ou quinze dernières années. Tout d'abord la plupart des pays du Tiers-Monde ont obtenu leur indépendance nationale, même si ce n'est qu'une indépendance politique formelle. Nombre de mouvements de révolte des pays du Tiers-Monde prennent désormais un caractère social ouvert.

Ensuite, ce ne sont plus des révoltes paysannes, mais des grèves ouvrières, des manifestations de masse dans les rues qui menacent les régimes en place, d'un bout à l'autre de la planète.

Les jeunes Palestiniens en blue-jeans qui lancent des pierres sur les patrouilles israéliennes à Gaza ressemblent comme des frères - y compris probablement dans leur culture et leur mode de vie, même à Gaza - aux jeunes des cités HLM des banlieues, de Paris, Lyon ou Marseille.

Les femmes du peuples d'ici ont pu tout autant se reconnaître dans les femmes du peuple de Saô Paulo, cette gigantesque métropole ouvrière du Brésil, dont la télévision avait retransmis les images lors des émeutes de la faim d'il y a deux ans, quand les supermarchés ont été pillés.

Et puis, les travailleurs des pays occidentaux voient bien qu'on est en train de démolir aussi leur niveau de vie, et la situation qui est faite à leurs pareils dans les grandes métropoles du Tiers-Monde pourrait bien devenir la leur d'ici quelques années, voire quelques mois. Sans compter que la classe ouvrière des pays les plus riches est elle-même en bonne partie composée de travailleurs venant du Tiers-Monde. Et la planète est devenue petite, c'est instantanément que les images des révoltes d'un point du monde sont retransmises à 5 000 ou 20 000 km de là.

La révolte des pauvres et des prolétaires du Tiers-Monde pourrait facilement trouver un écho chez les prolétaires des pays riches.

En tout cas, les conditions objectives existent pour cela. Et il suffirait qu'une direction révolutionnaire ayant l'oreille des masses leur donne la consicence politique de la communauté d'intérêt entre prolétaires des pays du Tiers-Monde et prolétaires des pays impérialistes, pour que chacune de ces explosions sociales de par le monde devienne un tremplin supplémentaire dans l'émancipation révolutionnaire de la classe ouvrière mondiale. Immanquablement, la bourgeoisie impérialiste se prépare et se préparera par avance à cette éventualité. Elle mettra tout en oeuvre pour empêcher que la guerre sociale des pauvres et des prolétaires se propage à toute la planète et, en particulier, contamine ses propres citadelles.

Jusqu'à présent, il lui avait suffi, dans les périodes de prospérité, de domestiquer sa propre classe ouvrière en lui distribuant des miettes sur les immenses profits arrachés aux peuples du Tiers-Monde et de la corrompre au travers de ses dirigeants réformistes, pour conjurer avec succès la menace d'une jonction entre les exploités des pays riches et ceux des pays pauvres.

Mais la période de prospérité est terminée. Probablement pour longtemps. Et, avec elle, les moyens de corruption du mouvement ouvrier occidental. Et dans la formidable guerre de classe à l'échelle mondiale qui se profile à l'horizon de la crise économique actuelle, il ne restera à la bourgoisie impérialiste que la ressource d'une stratégie agressive et militariste vis-à-vis de sa propre classe ouvrière. Il ne s'agira plus alors de domestiquer des classes ouvrières bien nourries, mais de museler et mettre au pas des classes ouvrières de plus en plus mal nourries, en tentant de les lancer contre leurs soeurs du Tiers-Monde.

Les conditions de la prochaine guerre mondiale seront aussi celles de la révolution mondiale

Bien sûr, on n'en est pas encore là. On n'est pas encore entré dans un engrenage de guerre mondiale, ni de révolution mondiale.

Pour le moment, au contraire, la politique de l'impérialisme américain semble consister à circonscrire au maximum les foyers de tension de par le monde, y compris au Moyen-Orient, dans l'affrontement qui oppose l'Iran et l'Irak (même si ce sont les États-Unis, qui, il y a huit ans, ont poussé l'État Irakien à déclencher la guerre contre le nouveau régime de Khomeiny lequel, pour être archiréactionnaire et avoir désarmorcé les possibilités de la révolution iranienne, restait justement trop imprévisible au goût de l'impérialisme américain).

Et ces différents foyers de tension, y compris ceux qui sont entretenus par les États-Unis, y compris les guerres que mène pratiquement directement l'impérialisme américain comme au Nicaragua en armant les Contras, restent au stade de conflits régionaux. les puissances impérialistes sont prêtes à vivre avec, militairement et stratégiquement. Ce qui signifie que, même si on continue à connaître, pour un temps, une période de « paix », ce sera peut-être la paix au sens où les deux grandes puissances continueront dans la « détente » à se rencontrer dans des négociations sans fin sur le « désarmement » nucléaire, à jouer chacune plus que jamais son rôle de gendarme dans sa propre sphère d'influence. Mais ce sera une paix plus armée encore qu'aujourd'hui si c'est possible, au fur et à mesure de la multiplication des conflits.

Si on n'est donc pas encore dans un engrenage de guerre mondiale, on voit en quoi cela peut vite dégénérer, surtout si la crise économique s'aggrave.

Mais l'aggravation de la crise pourrait alors plonger la classe ouvrière des pays riches dans une situation où elle n'aurait plus rien à perdre. Elle pourrait d'ailleurs plonger aussi la petite bourgeoisie dans la même situation, avec tous les risques de la voir à nouveau dressée contre la classe ouvrière si celle-ci ne prend pas les initiatives révolutionnaires susceptibles de l'entraîner derrière elle.

Oui, les choses pourraient alors s'aggraver et l'engrenage militariste s'accélérer à l'échelle du monde entier.

Le prolétariat des pays impérialistes serait alors mis devant des choix. Toute la question se résumera à savoir si la bourgeoisie parviendra à embrigader les prolétaires dans un tel processus guerrier et à transformer les citadelles occidentales en baraquements de SS et de kapos, au milieu des barbelés destinés à contenir la révolte des pauvres du Tiers-Monde. C'est-à-dire mettre le prolétariat occidental dans la situation des Israéliens au Moyen-Orient, ou des Blancs en Afrique du Sud, mais à l'échelle du monde cette fois.

Si c'est le cas, on aboutira au suicide du mouvement ouvrier des pays impérialistes pour toute une époque.

Et même si les peuples des pays impérialistes se résignaient au déshonneur de servir de gardien de prison pour le compte de leur impérialisme, cela ne sauverait pas l'humanité d'un conflit d'une toute autre ampleur. Cette militarisation des peuples de la planète n'en étant, alors, que l'étape obligée. Car, à un certain degré, l'impérialisme américain ne pourrait pas se passer de guerres à grande échelle, engageant les continents les uns contre les autres, c'est-à-dire en y impliquant de gré ou de force aussi bien les vieux impérialismes européens et l'impérialisme japonais que l'URSS elle-même.

On l'a vu, aucune puissance impérialiste n'est désormais capable de remettre en cause l'hégémonie américaine sur la planète, pas plus que l'URSS d'ailleurs, dont tout le puissant appareil militaire - même s'il est comparable à celui des États-Unis (et la preuve en reste à faire !) - est très loin d'être soutenu par le même potentiel économique. Mais, si ni les uns ni l'autre ne peuvent défier sérieusement la toute puissance américaine, les peuples, eux, le peuvent. Car ils ont beau être pauvres et démunis, leur principale force, comme toute force révolutionnaire justement, n'est pas simplement militaire.

Et le gendarme du monde pourrait bien se trouver dans la situation de devoir engager directement des forces sur plusieurs fronts à la fois dans le Tiers-Monde. Et, à un moment donné, il faudrait y engager directement les fantassins des pays riches eux-mêmes, à une échelle dix fois, cent fois supérieure à ce que les États-Unis ont mobilisé pour la guerre du Vietnam, avec les conséquences que l'on sait.

L'impérialisme américain a lui-même trop souvent utilisé la tactique qui consiste d'abord « à convertir en dollars le sang des fous d'Europe » comme disait Trotsky à la suite de la Première Guerre mondiale, à attendre que les autres belligérants se soient mutuellement épuisés avant d'engager directement ses propres forces, comme il l'a fait pendant la Deuxième Guerre mondiale, pour que cette fois, il accepte que les rôles s'inversent, pour la seule raison qu'il dispose aujourd'hui de la principale force militaire du monde.

Dans l'éventualité de conflits qui se multiplient et se généralisent dans le Tiers-Monde, l'impérialisme américain ne laissera pas les autres pays impérialistes faire des Yens, des Marks, des Livres Sterling ou des Francs sur le sang de ces fous d'Américains. Il ne leur laissera même pas le choix.

Les armées supplétives des régimes dictatoriaux du Tiers-Monde ne suffiront évidemment pas à mater les peuples révoltés d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique latine. Qu'à cela ne tienne ! On fera en sorte que les armées européenne et même japonaise - car on re-créera une armée japonaise en titre pour la circonstance - soient impliquées dans une guerre du Moyen-Orient ou du Sud-Est asiatique avant que les troupes américaines elles-mêmes soient à même d'intervenir contre les peuples d'Amérique latine.

Et, à ce stade, il est impensable que l'URSS elle-même ne soit pas impliquée d'une façon ou d'une autre dans cet engrenage. Bien des éventualités sont alors possibles. Tout d'abord, l'URSS pourrait être elle-même engagée dans de sales guerres dans sa propres sphère d'influence, à commencer contre les peuples des pays de l'Est, pour les mêmes raisons que les pays impérialistes s'engageront dans des guerres contre les pays pauvres de leur propre zone.

Mais, quelles que soient les bassesses et les ignominies qui seront alors perpétrées par la bureaucratie pour contribuer à sauvegarder, dans le cadre de la « détente », l'ordre mondial contre tout risque de danger révolutionnaire, il arrivera inévitablement un moment où l'impérialisme ne pourra y engager les différents peuples occidentaux qu'en leur désignant l'URSS comme adversaire principal. Car il sera sans doute plus facile de préparer psychologiquement le peuple américain, comme les peuples européens d'ailleurs, à revêtir l'uniforme au nom de la lutte du monde dit « libre » contre le totalitarisme soviétique, que contre les affamés du Tiers-Monde.

Et c'est là où l'impérialisme américain en finira définitivement avec ce qu'on appelle aujourd'hui la « détente ». Et la propagande anti-rouge lui sera d'autant plus aisée que l'Armée rouge aura au préalable réussi à écraser les peuples qui se seront révoltés contre elle.

Le prolétariat doit se préparer à désarmer la bourgeoisie

Encore une fois, aujourd'hui aucun processus susceptible de mener quasi mécaniquement à une guerre mondiale n'est enclenché. Mais les puissances impérialistes se préparent, s'entraînent et s'exercent à une telle éventualité tout en faisant des discours sur le désarmement pour donner le change.

C'est pourquoi la classe ouvrière n'a pas le choix. Elle devra les prendre de vitesse et faire en sorte que les tentatives d'enclencher un engrenage militariste qui submergera l'humanité se transforment en un processus révolutionnaire qui soulève tous les peuples bien au-delà d'eux-mêmes et de leurs frontières.

Mais cela suppose une prise de conscience véritable du prolétariat qui n'est pas acquise d'avance.

Lors des deux guerres mondiales précédentes, l'impérialisme était parfaitement préparé à embrigader le prolétariat. Mais le prolétariat, lui, s'est laissé surprendre deux fois, car ses directions politiques ne l'avaient pas préparé à cela.

Aujourd'hui, bien sûr, le prolétariat est plus averti, comme il l'était déjà en partie d'ailleurs lors de la Seconde Guerre mondiale, de l'horreur de la guerre.

Et c'est d'ailleurs à l'usage des craintes et des sentiments pacifistes de la population que les accords au sommet sur le désarmement existent.

Un tel pacifisme reflète la crainte légitime des masses devant la guerre. Et, à ce titre, nous sommes solidaires de tous ceux qui participent à des manifestations pacifistes. Mais, lorsque l'évolution de la situation amènera les puissances impérialistes à en découdre, le pacifisme deviendra, une fois de plus, un moyen de tromper et de désarmer les masses. Car il ne faut pas oublier que le pacifisme n'a jamais désarmé que les masses, pas les généraux.

Alors oui, aujourd'hui le prolétariat en est un peu partout à se défendre, à défendre ses conditions matérielles d'existence. Mais la marche de l'histoire risque de le mettre, plus tôt qu'il ne le pense, devant des responsabilités autrement plus importantes, devant des responsabilités politiques, devant des responsabilités de pouvoir.

Parce que, oui, il faudra bien un désarmement, un désarmement général. Mais la bourgeoisie impérialiste ne désarmera pas toute seule, pas même et surtout pas pour faire plaisir à la bureaucratie russe. Et il faut la désarmer, et la seule force susceptible de désarmer la bourgeoisie et de la désarmer définitivement, c'est le prolétariat.

Alors, le seul désarmement qui ne soit pas une escroquerie, un moyen de tromper les masses, c'est le désarmement de la classe bourgeoise par la violence du prolétariat, c'est-à-dire l'organisation et l'armement préalable du prolétariat.

L'histoire de ce siècle a montré à deux reprises déjà que, lorsque des contradictions du système impérialiste atteignent un certain degré de violence, la question se pose crûment devant l'humanité : ou c'est la révolution prolétarienne, ou c'est la guerre. Il n'y a pas de solution intermédiaire.

Alors, de la même façon que la bourgeoisie impérialiste se prépare consciemment et prépare consciemment les différentes stratégies susceptibles de mater les peuples et les exploités, le prolétariat, lui, devra se préparer consciemment à la guerre révolutionnaire, à la guerre de classe, à la destruction de l'impérialisme, au renversement de la domination de la bourgeoisie. Pour qu'enfin, l'humanité puisse définitivement jeter les armes à la ferraille et créer une société sans guerre, sans violence armée, et qu'enfin l'histoire de l'humanité puisse commencer véritablement !

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