Dijon : Un hôpital en plein démantèlement08/12/20222022Brèves/medias/breve/images/2022/12/Capture_1.JPG.420x236_q85_box-0%2C12%2C368%2C219_crop_detail.jpg

Brève

Dijon

Un hôpital en plein démantèlement

Illustration - Un hôpital en plein démantèlement

Ce drame a mis en lumière la situation catastrophique dans laquelle l’hôpital de Dijon vit actuellement, et qui est un scandale d’un autre type : il a été mis en coupe réglée et subit un démantèlement systématique.

Il manque tellement de personnels au bloc opératoire que bien souvent ils ne peuvent ouvrir qu’une seule salle pour les opérations urgentes, et des interventions jugées prioritaires, vitales, passent avant les fractures. Les chirurgiens n’arrivent plus à opérer. Certains transfèrent leurs malades dans les cliniques de l’agglomération, d’autres vont eux-mêmes les y opérer pour pouvoir disposer d’une salle et de personnel de bloc. On assiste à une déstructuration presque volontaire contre les personnels, leur organisation, les protocoles de soins même, qui étaient autant de barrière de sécurité protégeant les patients. C’est un travail de sape. Si les reports d’intervention arrivaient déjà dans le passé, aujourd’hui ils sont devenus la norme, et d’1 ou 2 jours on est passé à 6 ou 7. Ces reports successifs désorganisent complètement l’activité et la prise en charge des malades en est bouleversée : faut-il faire des anticoagulants à ces patients alités qui risquent des complications ? Ou les stopper pour pouvoir les opérer en sécurité ? Comment savoir, quand l’intervention est sans arrêt en suspens ? à quel moment doivent-ils être hydratés par perfusion ? Ce sont souvent des gens âgés qui ont fait une chute : comment prendre en charge leurs autres problèmes médicaux dans le temps trop long qui précède l’intervention ? Rien n’est normal dans ces situations, rien n’est organisé dans les services de chirurgie pour y faire face, et tout retombe sur les équipes soignantes, déstabilisées et souvent impuissantes. Bien sûr, cela n’est en rien une excuse, et ce drame n’aurait jamais dû arriver.

Mais cette désorganisation est le résultat de choix volontaires de la part des décideurs. C’est presque une solution pour faire passer leur politique de démantèlement des hôpitaux : commencer par s’attaquer à ce qui cadrait le fonctionnement de l’hôpital déjà dans la tête des soignants, à tout ce qui structurait et sécurisait l’activité, pour mieux « dégraisser le mammouth ». On a affaire à un démantèlement systématique des hôpitaux.

L’hôpital, ses gros budgets de fonctionnement, ses mille et un domaines d’activité, et même le caractère vital des besoins auxquels il répond, excitent tout un tas d’appétits. Visiblement il y a une nuée de sauterelles qui le visent, et mènent une politique délibérée pour transmettre le cœur du métier, les services les plus rentables, et faire en sorte que le flot des malades soit détourné vers l’extérieur, là où ils sauront en tirer profit. Chaque secteur démantibulé, découpé en confettis, est une occasion pour un labo de placer telle ou telle nouvelle technologie, pour un fournisseur de placer tel produit, de vendre tel service, pour une clinique privée de s’emparer de tel ou tel secteur particulièrement rentable.

Dans cette guerre pour dépecer ainsi les hôpitaux et en faire autant d’occasions de profit, démolir les équilibres antérieurs est une première étape indispensable. Ensuite, la finance peut glisser ses tentacules dans tous les interstices.

Le privé en embuscade

Ainsi par exemple à Dijon, toute la chirurgie est progressivement transférée vers le secteur privé. Déjà lors des premières vagues du covid en 2020, une partie de l’activité chirurgicale du CHU avait dû être faite à la clinique Bénigne Joly à Talant (en banlieue dijonnaise), car les personnels des blocs étaient réquisitionnés en renforts dans les réanimations covid. Les chirurgiens, eux, pouvaient continuer à opérer, mais n’avaient plus d’équipe pour préparer leur salle, endormir les malades et les surveiller durant l’intervention, préparer et leur tendre leurs instruments. La clinique de Talant, clinique mutualiste à but non lucratif, appartenant au Groupe VYV ( regroupement de différentes mutuelles dont la MGEN, Harmonie Mutuelle et d’autres) , avait des équipes et des salles d’opération disponibles, dans lesquelles les chirurgiens du CHU ont à l’époque assuré leurs opérations les plus urgentes, notamment en neurochirurgie et cancérologie.

Ce fonctionnement s’est pérennisé ensuite : en novembre 2020, ce sont des opérations programmées en chirurgie digestive, vasculaire, thoracique et gynécologiques, réalisées toujours par les chirurgiens du CHU, qui ont été déployées à la clinique de Talant. Ce déploiement a été l’occasion pour les 2 établissements d’annoncer le projet – depuis longtemps dans les tuyaux - de création d’un nouvel hôpital issu d’un partenariat public privé au sud de Dijon. En août 2022 ce projet de construction d’un hôpital tout neuf a été précisé : c’est un chantier de 60 millions qui est prévu, pour créer une nouvelle structure avec au moins une dizaine de blocs opératoires. Une partie serait financée avec l’argent du fameux Ségur, qui soi-disant devait servir aux soignants : 3 millions d’euros touchés par la clinique à ce titre, qui serviraient à l’achat du terrain, et 2 millions d’euros pour le CHU.

A l’heure actuelle, il serait question que les opérations programmées d’orthopédie - les poses de prothèses par exemple, ou les opérations du canal carpien, un certain nombre de chirurgies qui sont techniques, qui nécessitent peu de temps d’hospitalisation et sont donc éminemment rentables - soient entièrement et définitivement transférées vers le privé, en particulier vers la clinique de Valmy, qui appartient au groupe Ramsay Santé. Ce groupe Ramsay Santé est en train de mettre la main sur l’ensemble des cliniques de l’agglomération dijonnaise, y compris des fondations qui étaient à but non lucratif jusqu’ici.

En plus de l’activité chirurgicale, il se lance à l’heure actuelle dans la cancérologie, autre secteur profitable de l’activité de soins. Déstructurer les services de soins, les désorganiser, désorienter le personnel jusque dans ses protocoles, tout cela permet aux investisseurs avides de placements rentables de dépecer les hôpitaux et de tirer le meilleur parti du marché plein de promesses qu’est devenue la santé. Derrière l’effondrement apparent, on assiste en réalité à une véritable curée, et même si cela n’excuse en rien ce qui s’est passé, c’est criminel.

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