Brève

Eric Pecqueur

à l'Assemblée de la FRSEA et des Jeunes Agriculteurs

Eric Pecqueur : à l'Assemblée de la FRSEA et des Jeunes Agriculteurs

Des représentants de 7 autres listes aux élections régionales y ont également pris la parole, dont Xavier Bertrand et Sandrine Rousseau. Des caméras de France 3 ont filmé les interventions de chacun.

Eric Pecqueur :

Bonjour à toutes et à tous,

Tout d’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir invité. Je vous remercie de votre sens du pluralisme.

Comme vous le savez peut-être, la liste que je conduis s’intitule « Lutte Ouvrière – Faire entendre le camp des travailleurs ». C’est tout à fait dans cet état d’esprit que je m’adresse à vous aujourd'hui, quitte, peut-être, à froisser quelques oreilles. En effet, lorsque nous voulons faire entendre le camp des travailleurs, nous voulons faire entendre le camp de tous ceux qui travaillent, qui cherchent à vivre de leur travail et n’exploitent personne. C’est le cas d’un grand nombre d’agriculteurs, mais pas de tous, car le monde de l’agriculture est très divers, j’y reviendrai.

Mais ce n’est pas le cas des industriels de l’agroalimentaire, du matériel agricole ou des banques qui, comme le Crédit Agricole –n’en déplaise à ceux qui accueillent ce débat- tirent leurs bénéfices de l’exploitation du travail des agriculteurs et du travail de leurs salariés.

Cette année a été marquée par de nombreuses mobilisations du monde agricole, des producteurs de lait et des éleveurs notamment. Ils protestaient d’abord contre la baisse des prix qui leur était imposée par l’ensemble des intervenants de la filière.

La colère légitime des agriculteurs s’est d’abord dirigée, à juste titre, contre les grandes surfaces, qui dominent la distribution au travers de leurs centrales d’achat et contrôlent 80% du marché. La colère s’est ensuite dirigée, là encore à juste titre, contre les abattoirs ou les transformateurs les plus agressifs, ceux qui achètent le lait et la viande et qui ont revendiqué jusqu’au bout, haut et fort, leur volonté de baisser leurs prix d’achat au détriment des éleveurs.

On a même vu, cet été, comment des entreprises comme Bigard ou la Cooperl – qui est pourtant une coopérative- ont méprisé la mobilisation des éleveurs de porcs. A mes yeux, ces événements ont fourni un exemple assez parlant de la façon dont les décisions sont prises et, surtout, de qui décide dans cette société.

En effet, à peine le gouvernement se vantait-il d’être parvenu à un accord pour que le porc soit acheté au minimum 1, 40 euros le kilo, que les industriels le dénonçaient. Et ils ne l’ont pas simplement dénoncé en parole, mais aussi avec leurs pieds, ou plutôt avec leurs portefeuilles. Bigard – numéro un de l’abattage et de la découpe de viande en France-, et la Cooperl, numéro un dans le porc-, ne sont tout simplement pas allés acheter la viande de porc au marché de Plérin, qui traite la plus grosse partie des ventes dans ce domaine. Cela a entraîné la fermeture de ce marché pendant plusieurs jours. Et cela a aussi contraint les éleveurs ne dépendant pas de contrats spécifiques à vendre directement aux industriels, au prix qu’ils voulaient bien leur faire. C’était ça ou ne pas vendre leur production.

Dans cet épisode, finalement, il s’est juste déroulé au grand jour ce qui se pratique de façon masquée tous les jours. Les industriels de la Cooperl et de Bigard se sont assis sur les décisions annoncées par le gouvernement, et celui-ci, complice, s’est incliné.

Dans leur combat contre les banques qui les étranglent avec leurs intérêts, contre les industriels et la grande distribution qui les étranglent avec leurs prix, les petits agriculteurs peuvent trouver des alliés parmi les autres travailleurs, qui sont victimes des mêmes, que ce soient les salariés du secteur ou ceux de sa périphérie : ouvriers agricoles, ouvriers de l’agro-alimentaire, employés des grandes surfaces ou des banques, mais aussi l’ensemble des salariés qui forment la grande masse des consommateurs.

Tous ensemble, unis dans une large mobilisation, ils pourraient d’ailleurs imposer le contrôle des prix et des comptes des entreprises en les rendant publics : on verrait alors à qui profite réellement le travail de tous. On verrait aussi qu’il y a suffisamment d’argent pour rémunérer correctement les petits agriculteurs et les salariés de ces entreprises.

Mais lorsque la mobilisation des agriculteurs, comme cela a finalement été le cas cet été, sous l’influence des dirigeants de la FNSEA, s’oriente vers le fait de réclamer des baisses de charges et des aides à la modernisation, elle ne va plus, à mon sens, dans le sens de l’intérêt ni des salariés, ni des petits agriculteurs.

Car à ce jeu-là, ce sont les plus grosses exploitations qui bénéficient des plus grosses aides. Et cela contribue d’ailleurs à favoriser la disparition des plus petites exploitations.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas UN monde agricole. Les intérêts des petits agriculteurs et ceux des gros doivent être distingués car ils ne jouent pas dans la même cour. Les intérêts des gros agriculteurs sont bien plus proches de ceux des industriels que de ceux des petits éleveurs. Les petits éleveurs étaient sans doute parmi les plus mobilisés cet été. Ils sont effectivement étranglés entre les fournisseurs d’aliments, de porcelets, les abattoirs et la grande distribution, sans oublier les banques.

Et dans bien des cas d’ailleurs, c’est un même groupe qui concentre ces différentes fonctions. Autant dire que la marge de manœuvre de ces éleveurs est égale à zéro. Ils sont complètement dépendants des groupes capitalistes et saignés par les banques. Mais quand les agriculteurs revendiquent l’augmentation des prix sans parler des marges, c’est-à-dire sans s’en prendre clairement aux industriels et aux grands de la distribution, aux Carrefour, Auchan ou autres, ce sont les consommateurs, et surtout les plus modestes, qui risquent de payer.

Quand certains revendiquent la baisse des charges, ils parlent peut-être de leurs charges, mais ils parlent aussi des salaires des travailleurs. Ces revendications-là les désolidarisent de ceux qui pourraient être leurs meilleurs alliés contre les capitalistes, c’est-à-dire les salariés. Quand certains condamnent la concurrence étrangère, cela revient pour l’essentiel à réclamer la baisse des salaires, ici, et à s’aligner sur ce que réclament des entreprises comme Bigard, la Cooperl ou Bonduelle. Ces groupes de l’agro-alimentaire font respectivement plus de 4 milliards de chiffre d’affaires pour Bigard et 2 milliards chacun pour la Cooperl et Bonduelle. En réalité, ils veulent pouvoir maximiser leurs profits en payant aux cultivateurs et aux éleveurs les prix les plus bas, tout en faisant pression pour baisser encore les salaires dans leurs usines.

En fait, pour offrir une alternative progressiste à toute la société, il faudra contester la domination des capitalistes sur l’économie.

Et ce sont les travailleurs dans leur ensemble, en redevenant une force sociale et politique qui en ont la capacité.

Les travailleurs paysans, qui triment du matin au soir pour tenter de gagner leur vie, ont toute leur place dans ce combat qui est le nôtre.

Eric Pecqueur, Amiens le 27 novembre 2015

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