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Côte-d'Ivoire : Des tensions ethniques exacerbées par les politiciens
Depuis quelques semaines, le sud-ouest de la Côte-d'Ivoire connaît un regain de tensions. Des centaines d'immigrés, originaires du Burkina-Faso, ont été chassés de leurs villages et leurs habitations incendiées. Des autochtones de l'ethnie kroumen dénient à ces " étrangers " le droit de travailler ou de cultiver la terre. Ces affrontements auraient déjà fait plusieurs morts ainsi que des milliers de réfugiés à Tabou et à Grabo.
Dans ce pays, pure création de la colonisation, cohabitent près de 90 ethnies, et périodiquement de telles tensions réapparaissent, mais dans le cas présent elles s'inspirent sans nul doute des exemples venus d'en haut.
En effet, la préparation des élections présidentielles prévues pour octobre 2000 déchaîne les rivalités, et tous les coups sont permis. Ainsi Konan Bédié, actuel président et candidat du PDCI - le parti au pouvoir depuis la décolonisation -, a entamé une violente campagne basée sur le tribalisme, les préjugés religieux et le rejet de l'étranger pour empêcher Alassane Ouattara, le dirigeant du RDR (Rassemblement des Républicains), lui-même ancien Premier ministre d'Houphouët-Boigny et ancien membre du PDCI, de se porter candidat. Relayé par les journalistes proches du pouvoir, Bédié s'est notamment acharné à démontrer que Ouattara ne serait pas né de parents ivoiriens, ce qui l'empêcherait de briguer la présidence. Pour faire bonne mesure, son certificat de nationalité a été annulé et Ouattara fait désormais l'objet d'une information judiciaire pour " faux et usage de faux documents administratifs ".
Ces manoeuvres n'ont pas été sans provoquer des réactions de la part des partisans de Ouattara, dont les marches de protestation et les manifestations ont été violemment dispersées par la police, notamment à Abidjan et à Korhogo. A la suite de ces affrontements, plusieurs dizaines de militants ont été arrêtés, tandis que onze responsables du RDR ont été condamnés à deux ans de prison ferme.
Ce n'est pas la première fois que le PDCI tente d'utiliser l'arme de la haine ethnique et le mépris de l'étranger. Mais aujourd'hui, cette campagne vise non seulement à discréditer ses adversaires politiques mais aussi à détourner le mécontentement de la population après huit années de gouvernement Bédié. Car, tandis que les trusts étrangers, aux premiers rangs desquels on retrouve les français Bouygues et Bolloré, extraient des milliards de profits du pays grâce à leur mainmise sur la distribution de l'eau, les travaux publics, l'import-export, la production de café et de cacao, les dignitaires du régime sont régulièrement mis en cause dans des scandales financiers et des détournements de fonds publics. Ce qui ne les empêche pas de prôner une politique d'austérité, dont les couches les plus pauvres de la population sont les premières à faire les frais.
Le clan de Bédié n'est d'ailleurs pas le seul à jouer sur l'ethnisme et à faire de " l'ivoirité " son fonds de commerce politique. Ouattara, lorsqu'il était Premier ministre, n'avait pas hésité à utiliser lui aussi la démagogie xénophobe, imposant une taxe sur les étrangers vivant dans le pays. Et il n'y a pas si longtemps que Gbagbo, autre candidat à la présidence mais sous les couleurs du Front Populaire Ivoirien, traitait Ouattara de " burkinabé ".
En fait, tous ces gens-là utilisent les préjugés ethnistes pour accéder ou se maintenir au pouvoir et n'ont que faire de ce qui peut en résulter. Ils courent délibérément le risque que ces tensions, aggravées par la misère et la crise économique, dégénèrent en guerre civile meurtrière comme ce fut le cas au Rwanda. Mais ils ont appris la leçon du " diviser pour régner " initiée par les colonisateurs eux-mêmes.