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Dans le monde
Russie : L'élection sans surprise de Poutine
La victoire de Poutine, avec 52,5 % des voix dès le premier tour de l'élection présidentielle, n'a pas éton-né grand monde en. Russie. Les médius russes n'en ont eu que pour le candidat qu'Eltsine avait intronisé président par intérim en décembre dernier. Pesant bien plus que les journaux, les chaînes de télévision l'ont montré sous tous les angles. Partout sa " Lettre ouverte " aux électeurs trô- nait sur d'immenses panneaux. Elle ne contenait rien qui ressemble à un programme (il a dit en réserver l'annonce... pour après son élection), mais elle affichait l'omniprésence du candidat officiel.
Les onze autres candidats n'avaient rien non plus à présenter qui évoque, même de loin, un quelconque programme (au point que la presse russe a parfois fait état d'une campagne opposant des programmes - " bulles de savon ") mais, et c'était toute la différence avec Poutine, on ne les voyait pratiquement jamais, ni sur les murs, ni sur les écrans et encore moins sous la forme d'équipes de militants qui les auraient soutenus.
Le choeur des pro-poutine
Faisant la pluie, le beau temps et l'opinion dans les régions, les gouverneurs avaient rallié la cause de Poutine. Les partis les plus importants le soutenaient ouvertement, ou évitaient de l'attaquer même quand ils avaient leur propre candidat. Le Parti Communiste (son chef, Ziouganov, arrive deuxième avec 29,4 % des voix) sait ce qu'il peut attendre d'un Poutine qui lui a offert postes et sinécures en remerciement pour son " opposition constructive " après le scrutin législatif de décembre 1999. Grands perdants de ces législatives, les rivaux les plus en vue d'Eltsine, puis de Poutine (l'ex-Premier ministre Primakov et le maire de Moscou, Loujkov) avaient renoncé à briguer la présidence. Quant à plusieurs des douze candidats à la présidentielle (leur nombre étant censé prouver la vitalité de la " démocratie russe ", comme disent sans rire les dirigeants occidentaux), ils annonçaient même publiquement souhaiter la victoire de Poutine !
D'avance, cette élection s'annonçait donc comme une farce. Une farce tragique car, il faut le rappeler, Poutine n'a obtenu le ralliement ou l'effacement de ses principaux concurrents qu'en lançant une nouvelle guerre contre la Tchétchénie.
Juché sur un monceau de cadavres tchétchènes et aussi de soldats russes, il a donc atteint son but. Aucun parti en compétition n'a fait même semblant de se dresser devant lui, et encore moins de lui reprocher de patauger dans le sang.
Et la population ?
Quant à la population, peu voire pas du tout au courant de ce qui se passe réellement en Tchétchénie (car la télévision, seule source d'information nationale, le passe systématiquement sous silence), et de toute façon d'abord préoccupée de ses propres problèmes de survie quotidienne, elle est restée largement indifférente au scrutin.
Dans la classe ouvrière, il est probable que le vote Ziouganov a rencontré quelque écho, d'ailleurs moins pour ce qu'il signifie réellement que parce que le qualificatif " communiste " du parti de Ziouganov sonne encore pour beaucoup comme un moyen de dire son rejet d'une société où les puissants affichent un enrichissement, produit de la corruption et du vol à grande échelle. Il semble aussi que certains, parmi l'intelligentsia notamment, aient été tentés de voter Ziouganov, mais pour des raisons fort opposées: pour son acceptation répétée d'une certaine forme de marché ", pour son nationalisme, et en tant que seul candidat crédité par les sondages de quelque poids et pouvant donc capitaliser sur son nom le dégoût qu'inspire à une fraction de la petite bourgeoisie la boucherie organisée par Poutine en Tchétchénie et son passé d'homme du KGB.
Mais dans cette couche de la société, plus nombreux étaient ceux qui disaient refuser de choisir entre un " communiste " et un général du KGB, et vouloir voter " contre tous " (la loi permet en effet de cocher la case "contre tous " du bulletin de vote où elle figure à la suite de celles des candidats en lice) ou s'abstenir.
A Moscou et dans les grandes villes, ce vote " contre tous " a paru, un temps, inquiéter le Kremlin qui s'est empressé de le présenter, par médias interposés, comme un acte incivique. Mais, de toute façon, même ceux.qui n'ont pas voulu voter Poutine ne doutaient aucunement de son élection. Le parti du pouvoir avait bien trop misé sur Poutine pour qu'il puisse en aller autrement.