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Espagne : Dans les chemins de fer, grève des agents de conduite
Les 24, 25 et 26 mars, une grève des agents de conduite de la RENFE (qui correspond à la SNCF en Espagne) a paralysé totalement les grandes villes du pays, en particulier Madrid où tout le réseau banlieue s'est arrêté aussi bien pour le transport des marchandises que pour celui des voyageurs. La direction de la RENFE a dû faire appel à des services de bus pour assurer en partie le service minimum qui existe légalement en Espagne, et que les cheminots refusaient de respecter. Ce conflit du travail est devenu, pour quelques jours, un véritable problème politique pour le gouvernement.
On a vu la direction de la RENFE, le gouvernement et tous les médias faire chorus contre cette grève. Les agents de conduite mis en cause ont été insultés pour avoir osé faire une grève " sauvage ". Ils étaient accusés de défendre leurs privilèges corporatistes aux dépens des autres travailleurs. Toutes les chaînes de télévision ont monté en épingle l'indignation des voyageurs non pas à l'égard de la RENFE, qui pourtant ne faisait rien pour résoudre le problème, mais à l'égard de ces cheminots que certains traitaient même de " fascistes ".
Ce mouvement a été présenté comme une grève organisée par le SEMAF, le syndicat corporatiste des agents de conduite. Mais la réalité est tout autre. Car si le SEMAF (qui est un syndicat aussi intégré à la RENFE que les autres) a joué un rôle dans la mobilisation, il n'a pas été le facteur déclenchant de la grève.
L'étincelle qui a mis le feu aux poudres été le renvoi d'un agent de conduite par un chef qui l'accusait de sabotage parce qu'il faisait grève. L'agent de conduite du train suivant a refusé de partir, puis les autres ont fait de même. C'est alors que plus de 300 agents de conduite se sont mis en arrêt maladie pour ne pas être obligés de se soumettre au " service minimum ". Ce fut comme une traînée de poudre
le vendredi 24 mars, à 15 heures, la grève était totale à Madrid et s'étendait dans toutes les autres villes. Le SEMAF n'avait ni prévu, ni voulu cette réaction spontanée de solidarité des travailleurs qui ont exprimé ainsi leur ras-le-bol face aux attaques de la direction et leur contestation des grèves inoffensives organisées par les syndicats.
Ce conflit dur prend ses racines dans les attaques répétées que subissent les cheminots depuis bien longtemps. Cela fait des années en effet que la politique de la RENFE consiste à réduire le nombre de lignes de chemin de fer, à privatiser de fait certains secteurs, à réduire le nombre de postes de travail et à liquider progressivement les ateliers de maintenance. Par ailleurs, les salaires de base restent très bas (un agent de conduite a un salaire de base d'environ 5 000 F), et si les primes de productivité ou autres augmentent ce salaire, elles peuvent à tout moment être remises en cause et n'entrent de toute façon pas dans le calcul des retraites. D'autre part la mobilité des agents de conduite est très astreignante. Quant à la politique concernant les mutations, elle ne tient aucun compte des obligations personnelles ou familiales des agents de conduite : changements d'affectations rendant nécessaire un double domicile, retour impossible dans les villes d'origine. Le mécontentement est particulièrement grand sur ce problème. Tout comme est important le mécontentement concernant l'âge des retraites et préretraites.
A la fin de 1999, dans le cadre des discussions concernant le renouvellement périodique de la convention collective, le comité d'entreprise ainsi que tous les syndicats avaient signé dans un premier temps une plate-forme unitaire. Cet accord avait suscité certaines illusions. Elles furent bien éphémères. Le syndicat proche des socialistes, l'UGT, se retira de la plate-forme dès janvier 2000, tandis que les autres syndicats représentatifs, les Commissions Ouvrières (CCOO), liées au PC, la CGT (anarchiste) et le SEMAF, continuaient à organiser des mobilisations. L'entreprise contre-attaqua en fixant au 29 février la date limite de la signature de la convention. Si à cette date l'accord conclu avec PUGT n'était pas signé, la misérable augmentation de salaire prévue serait remise en cause. Devant cette situation la fédération du transport des Commissions Ouvrières, favorable à un alignement sur l'UGT, destitua la direction du syndicat de la RENFE et la remplaça par des représentants qui étaient prêts à signer. La CGT et le SEMAF continuaient donc seuls à défendre la plate-forme, mais sans pour autant répondre aux attentes des travailleurs.
A partir de mars la direction commença donc à négocier, avec l'UGT et les Commissions Ouvrières, la question de l'agent unique dans les trains, alors que jusqu'à présent il y avait à bord des motrices un agent de conduite accompagné d'un aide. Les agents de conduite refusaient de voir le poste d'aide supprimé. Le SEMAF mit alors en avant un plan d'actions devant se traduire par 18 journées de grèves, 6 en mars, 6 en avril et 6 en mai. Pour le SEMAF, ces grèves devaient respecter le service minimum, qui fixe l'obligation d'assurer 70
des trains, une obligation qui rend les grèves inefficaces et démoralisantes pour les travailleurs.
C'est dans ce contexte qu'est intervenu le licenciement de l'agent de conduite qui a complètement changé la situation. Car la réaction spontanée, unanime et déterminée des agents de conduite a donné un tout autre caractère à la lutte. A partir du 24 mars les gares se sont transformées en assemblées permanentes où la majorité des agents de conduite, avec ou sans affiliation syndicale, discutaient, organisaient des piquets permanents et continuaient la grève. La direction annonça le licenciement d'agents du SEMAF et de divers grévistes. Ce coup resserra un peu plus les liens entre les grévistes. La tension montait. Les travailleurs étaient unanimes, ce qui exaspéra la direction de la RENFE. Et l'on vécut alors des scènes qui rappelaient l'époque du franquisme. Des inspecteurs de la RENFE accompagnés de gardes civils allaient chercher chez eux les agents de conduite qui, s'étant déclarés malades, n'étaient pas venus au travail.
Mais devant la montée de cette tension, la direction demanda au SEMAF d'ouvrir des négociations le samedi 25 mars et un accord fut conclu le lendemain. Quelques petites améliorations salariales furent accordées. Mais l'entreprise obtint la reconnaissance du principe de l'agent unique, contre un engagement à convertir les aides en agents de conduite. Les sanctions et licenciements furent annulés. Parmi les travailleurs il y eut un sentiment de victoire, même si beaucoup pensent qu'en continuant la grève il aurait été possible d'obtenir davantage. Au-delà des machinistes, ce mouvement a été ressenti par l'ensemble des cheminots, comme dans d'autres secteurs, comme un succès et comme une démonstration qu'il était possible de faire reculer le patronat et le gouvernement.