Chantiers de l'Atlantique (Saint-Nazaire -Loire-Atlantique) : Mourir à 20 ans pour les profits patronaux04/08/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/08/une-1673.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Chantiers de l'Atlantique (Saint-Nazaire -Loire-Atlantique) : Mourir à 20 ans pour les profits patronaux

Un ouvrier de 20 ans est mort le 27 juillet vers 16 heures sur le paquebot en construction : l'Infinity. Il tirait les câbles et a chuté dans un trou de ventilation entre le pont 6 et le pont 3. Il venait d'être embauché depuis juin et travaillait comme intérimaire dans une entreprise de sous- traitance en électricité aux Chantiers de l'Atlantique. L'émotion était grande et l'écoeurement aussi. D'autant que chaque jour les travailleurs de ce secteur se disent qu'ils peuvent être à la merci de l'accident fatal, même pour les habitués. L'endroit est mal éclairé, pas protégé. Il faut travailler au-dessus du vide, sans rien pour se retenir. Il est considéré comme le plus dangereux à bord.

Derrière les cocoricos, sur le grand chantier de Saint-Nazaire et ses paquebots de rêve, il y a la féroce réalité de l'exploitation et les conditions de travail dignes du XIXe siècle. à tel point que le Millenium qui vient de quitter le chantier et frère jumeau de l'Infinity et dont la presse, la télé ont bruyamment vanté la beauté, était surnommé le Misérium, tant la vie à bord était infernale.

13 000 salariés (dont un peu plus de 4 000 embauchés en fixe) travaillent aux Chantiers (entreprise grassement subventionnée par tous les gouvernements à coup de milliards depuis des années). Les horaires sont fous depuis la mise en place des 35 heures sauce Aubry : 2x8, 3x8, week-end, jour et nuit. Il n'est pas rare, comme sur le Millenium qui avait du retard, de voir des salariés faire deux journées en une : ils finissaient à 17 heures et reprenaient à 21 heures.

Les intérimaires sont les plus touchés ; ils viennent de toute la France et de toute l'Europe ; beaucoup vivent comme ils peuvent, s'hébergent dans des campings, même en hiver, s'entassent à plusieurs dans des chambres, des cabanons, des caravanes. Ils mangent aussi, souvent, sur le tas, presque au pied des machines ou sur les parkings, le prix du repas des selfs du chantier étant inabordable pour beaucoup.

Formés ou pas, ces travailleurs se retrouvent du jour au lendemain et sans expérience sur des postes où le minimum d'apprentissage et de sécurité n'est pas assuré.

En ce moment où l'on parle de son danger, il faut savoir qu'aux Chantiers l'amiante est encore utilisée à l'insu des salariés.Cela a d'ailleurs été dénoncé par la CGT.

Les patrons se fichent de la santé des travailleurs : on voit par exemple des ouvriers et des ouvrières travailler avec des produits extrêmement nocifs, exposés toute la journée à la laine de verre, à l'odeur des solvants, à la poussière qui s'incruste partout et forcément dans les poumons. Et le cynisme va jusqu'à ne pas les avertir du danger qu'ils courent, ni les équiper correctement pour se protéger, comme témoigne un jeune intérimaire qui a travaillé avec des produits à base de plomb sans le savoir : personne ne le lui avait dit.

Les patrons se servent à outrance de tous ces travailleurs précaires, mal informés, pour leur faire faire n'importe quoi dans n'importe quelles conditions, dans des délais records, avec des horaires fous et des salaires de misère.

Sait-on que des milliers de travailleurs intérimaires doivent eux-mêmes fournir leurs propres outils pour travailler aux Chantiers, et sont donc obligés de débourser avant même d'avoir commencé à gagner un sou, une somme qui peut varier de 1 500 F à 4 000 F suivant les métiers ? Alors c'est la débrouille individuelle avec toutes les conséquences désastreuses pour la sécurité et la santé.

Il n'y a pas un jour sans accidents plus ou moins graves ; et la pression est forte pour qu'ils soient camouflés, pas déclarés, surtout dans les entreprises de sous-traitance.

La sécurité ? Les patrons en causent, font quelques contrôles spectaculaires sur les lunettes, les casques, mais en réalité seule la productivité compte. Le PDG veut la voir augmenter de 30 % et vise la fabrication de 14 paquebots en un temps record. Les marchés juteux en perspective de la croisière n'attendent pas !

Suite à l'accident, la direction a fait part de son émotion dans un communiqué à la presse. à d'autres ! C'est en toute connaissance qu'elle a fait le choix d'aggraver nos conditions de travail et de vie pour produire plus et plus vite avec notre sueur, notre santé, notre fatigue et notre sang. Comme d'habitude, elle essaiera de dégager sa responsabilité et de trouver des boucs émissaires.

Mais pour nous, le jeune de 20 ans qui est mort à bord de l'Infinity est mort sur l'autel des profits de l'Alstom.

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