Argentine - 36 heures de grève générale : La classe ouvrière a montré sa force08/12/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/12/une-1691.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine - 36 heures de grève générale : La classe ouvrière a montré sa force

Secoué depuis des mois par le scandale d'une distribution de pots-de-vin à des sénateurs, affrontant des émeutes dans les régions les plus touchées par la dégradation économique, le gouvernement argentin du président radical Fernando de la Rua vient d'être contesté par une grève générale de 36 heures appelée, les 23 et 24 novembre, par les principales confédérations syndicales du pays : la CGT dissidente, la CTA et même la CGT officielle, généralement plus conciliante avec ce gouvernement, qui s'y est ralliée au dernier moment.

Un mécontentement grandissant

Les porte-parole du gouvernement ont d'abord essayé de décourager par avance les grévistes. Il y a eu toute une série de déclarations et de pressions sur le thème : cette grève générale est «inopportune et injustifiée». Avec un chômage en plein développement (si le chiffre officiel est de 16%, le travail au noir est estimé à 40%), de nouvelles émeutes de la misère dans le nord-ouest du pays, des salaires insuffisants, des pensions de retraite qui ne permettent pas de vivre (et encore faut-il que salaires et pensions soient versés !), la classe ouvrière argentine a au contraire toutes les raisons de montrer sa colère et son mécontentement.

Il fallait bien du culot pour affirmer, comme l'a fait ce gouvernement, qu'il «défend bien mieux les travailleurs que ne le font ses syndicats». Certes, les dirigeants syndicaux sont bien loin d'être des défenseurs acharnés de la classe ouvrière, mais ce gouvernement, lui, vient de distribuer des pots-de-vin à des sénateurs pour qu'ils votent une nouvelle loi de «réforme du travail», aggravant encore les conditions d'existence des travailleurs.

La grève générale a d'ailleurs été d'autant plus marquante que l'aile marchante de la CGT dissidente, la CGT dirigée par Hugo Moyano, est composée de camionneurs, un secteur qui s'est énormément développé puisque, dans le cône sud-américain, on fait surtout appel aux transports routiers pour acheminer les marchandises.

Cet appel à la grève fait suite à un mécontentement grandissant devant un gouvernement qui, pas plus que son prédécesseur, n'a la volonté politique de s'en prendre au chômage, déjà très élevé sous Menem, mais qui a pris de l'ampleur ces derniers temps en ramenant une situation explosive dans les provinces les plus déshéritées.

Bien sûr, la décision de la bureaucratie syndicale de lancer ce mouvement de grève comportait aussi des arrière-pensées. Les dirigeants des deux CGT entretiennent encore d'assez bonnes relations avec le parti péroniste, retourné dans l'opposition depuis la défaite de Menem. Et, dans la mesure où des sénateurs péronistes sont compromis dans l'affaire des pots-de-vin, redorer un blason terni rentrait dans les calculs des dirigeants syndicaux. Il n'empêche qu'ils ont aussi permis que s'exprime la colère du monde du travail face à une situation qui ne cesse de se dégrader.

Une grève bien visible

Cette colère a pris de multiples formes. Ici de grandes artères désertes, là des routes barrées par des camionneurs ou des piquets de grève. Les femmes de la CGT dissidente sont allées manifester sous les fenêtres du Parlement. Les travailleurs de l'aéronautique ont barré les accès des aéroports. Les chauffeurs de taxis ont bloqué la circulation sur la plus large avenue de Buenos Aires. Les travailleurs des services publics, eux, barraient les routes de plusieurs grandes artères de la capitale. Des ouvriers métallurgistes se sont chargés d'en faire autant sur les périphériques.

La grève était visible y compris dans les banlieue proches. Elle a touché également la province de Buenos Aires, très ouvrière, la ville de Cordoba, les provinces de Neuquen, Tucuman, Santa-Fe, etc.

Devant ce mouvement de grève, les ministres ont eu des réactions variées. La ministre du Travail, à qui tout le monde reproche qu'elle n'en crée guère, s'est ridiculisée en essayant de minimiser l'ampleur de cette grève. Le ministre de l'Economie, lui, a joué les syndicats les uns contre les autres en prétendant qu'il pouvait seulement dialoguer avec le CTA. Mais, au terme des 36 heures de grève, le gouvernement a bien dû admettre que la grève avait été forte.

Il reste que le seul geste concret venu pour le moment de la part de De la Rua a consisté à annoncer aux forces armées que, dès qu'il le pourrait, les soldats seraient les premiers parmi les employés de l'Etat à bénéficier d'un relèvement des salaires, comme pour s'assurer, en cette période de troubles grandissants, du soutien de l'appareil de répression.

Il faut dire qu'en Argentine, il est bien difficile de parler d'embellie économique. Un conseiller du ministre de l'Economie a même prédit un avenir sombre : des pensions et retraites pouvant dégringoler à 50 dollars (trois à quatre fois moins qu'actuellement), des salaires qui vont encore baisser et le chômage qui pourrait atteindre... 30% !

Si la bourgeoisie argentine entend maintenir sa domination dans des jours plus sombres, la classe ouvrière doit se préparer tout autant. L'un des problèmes est qu'aussi bien les dirigeants des appareils syndicaux, qui cherchent ainsi à faire diversion, mais malheureusement également le PC et l'extrême gauche, ne désignent pas clairement les adversaires des travailleurs argentins : la grande bourgeoisie et son appareil d'Etat. Ils se contentent, par exemple, de montrer du doigt le FMI comme source de tous les maux. Comme si ces exploiteurs bien argentins n'existaient pas !

La grande braderie des entreprises nationales, menée pendant les dix ans de présidence péroniste, a ouvert l'économie argentine aux capitaux spéculatifs, entraîné les restrictions budgétaires pour les services publics, rendu de plus en plus difficiles les conditions d'existence du monde du travail. En revanche, la bourgeoisie argentine ne s'est pas appauvrie; bien au contraire, elle a été l'une des principales bénéficiaires de l'appauvrissement général de la population.

Cette journée et demie de grève a montré que la classe ouvrière a des atouts, sa force, son nombre, et qu'effectivement elle peut paralyser la vie économique quand elle se mobilise collectivement. Mais, pour vaincre, elle a aussi besoin d'une politique claire qui désigne à la fois ses véritables adversaires et ses faux amis.

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