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- Lutte ouvrière n°1695
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Editorial
L'éditorial d'Arlette LAGUILLER
Que Jean-Christophe Mitterrand ait ou n'ait pas trempé dans une affaire de trafic d'armes, il est cependant certain, puisque ni lui ni ses avocats ne le nient, qu'il a touché la bagatelle de 13 millions de francs de commission au titre d'intermédiaire commercial entre l'Angola et des groupes industriels occidentaux. C'est-à-dire plus que le salaire annuel de cent soixante smicards français. Et la comparaison est encore plus scandaleuse quand on compare ces gains avec le niveau de vie de la population angolaise.
Les affaires africaines, Jean-Christophe Mitterrand les connaît bien. Il a été pendant des années, à l'Elysée, le bras droit de son père, pour tout ce qui concernait le continent africain. Il y a joué le rôle qui avait été celui, sous les présidences de De Gaulle et de Pompidou, d'un certain Jacques Foccart, spécialiste en barbouzerie, qui veillait à maintenir au pouvoir dans les pays d'Afrique des gouvernements favorables aux grands trusts français, là où ces derniers avaient des intérêts.
Mitterrand (le père) se prétendait « socialiste », mais la mission dont il avait chargé son fils aîné était rigoureusement la même. De 1981 à 1995, l'Etat français a aidé les pires régimes à se maintenir au pouvoir, n'hésitant pas à tremper les mains, au nom de la « coopération militaire », dans la préparation du génocide rwandais de 1994 pour se gagner les bonnes grâces de la dictature en place.
Alors, que Jean-Christophe Mitterrand, après avoir quitté ses fonctions officielles, ait continué à faire des affaires avec certains pays africains est finalement un point secondaire. Que ce faisant il soit sorti ou pas de la légalité aussi. Car le pire forfait des hommes dans son genre, c'est d'avoir contribué à perpétuer l'exploitation par l'impérialisme des peuples d'Afrique, et plus généralement des peuples de tous les pays sous-développés de la planète.
La famine sévit dans maints pays d'Afrique. Des maladies, devenues banales dans nos pays, comme la rougeole, continuent à y tuer des milliers d'enfants. Des maladies tropicales, comme le paludisme, la maladie du sommeil, la bilharziose, y font des ravages. Le SIDA touche une grande partie de la population. Mais quand les grands moyens d'information nous parlent de ces problèmes vitaux pour la vie des gens, c'est pour nous inciter à verser notre obole à quelque organisation charitable.
Car ce que les grands Etats industrialisés appellent pompeusement « aide aux pays en voie de développement » n'est le plus souvent destiné qu'à permettre aux régimes africains en place d'acheter des armements destinés à mater leur propre population, quand ce n'est pas à faire la guerre à un Etat voisin, dont la population est tout aussi misérable que la leur.
C'est tout bénéfice pour les grandes puissances impérialistes, dont les marchands d'armes font des affaires, tout en armant les troupes chargées de maintenir leur ordre social inique.
Et en plus, dans les conflits qui ravagent les Etats africains, ce sont bien souvent ces mêmes grandes puissances qui s'affrontent par combattants africains interposés, pour la possession de telle ou telle ressource naturelle.
C'est par la traite des Noirs, l'esclavagisme, que les riches négociants de Nantes, de Bordeaux ou d'ailleurs ont bâti les premières grandes fortunes de la bourgeoisie française. Et si, depuis, l'esclavage a été aboli (il y a à peine plus de cent cinquante ans), cette mentalité de négriers existe toujours dans les sommets du pouvoir, comme dans les conseils d'administration des grandes sociétés.
Alors, pour que les travailleurs des grandes métropoles industrielles, comme les peuples du monde entier, puissent pleinement profiter des fruits du progrès, il faudra bien que ce troisième millénaire voie enfin naître une société d'où aura disparu l'exploitation de l'homme par l'homme.
Arlette Laguiller
Editorial des bulletins d'entreprise du 2 janvier