Papon et ses multiples défenseurs26/01/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/01/une-1698.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Papon et ses multiples défenseurs

Maurice Papon sortira-t-il de la Santé, où il purge une peine de dix ans d'emprisonnement ? Condamné, en 1998, pour complicité de crime contre l'humanité, il avait, en tant que secrétaire général de la préfecture de Bordeaux durant la Seconde Guerre mondiale, organisé la déportation de 1690 Juifs.

Chirac a déjà refusé deux fois la grâce de Papon demandée pour raisons médicales par son avocat. Celui-ci s'adresse maintenant aux instances européennes en invoquant les "traitements inhumains et dégradants", contraires aux droits de l'Homme, que subirait son client du fait de son emprisonnement à 91 ans. Le tout appuyé sur une campagne d'articles et tribunes dans la presse, et relayé par des hommes politiques, tel Barre, ancien Premier ministre de Giscard d'Estaing ayant eu Papon sous ses ordres comme ministre du Budget.

Certains ont paru surpris que Robert Badinter s'y associe : coup sur coup, cet ex-ministre de la Justice de Mitterrand a publié des tribunes favorables à la libération de Papon. Car Badinter a une réputation d'humaniste ayant combattu la peine de mort et il écrit qu'étant d'origine juive, s'il avait habité Bordeaux durant la guerre, il n'a aucun doute sur le sort que Papon lui aurait fait subir. Mais, dit-il, "il y a un moment où l'humanité doit prévaloir sur le crime" et Papon est, selon lui, trop âgé pour rester en prison.

Mais ceux qui font valoir l'argument de l'âge pour qu'on libère Papon n'agissent pas de même pour d'autres emprisonnés, tout aussi vieux que lui - car il y en a - et qui ne sont sans doute pas derrière les barreaux, eux, pour avoir envoyé à la mort des vieillards, enfants et adultes par wagons entiers. Et eux n'ont même pas de cellule individuelle, comme Papon, ni certains avantages que lui procurent sa fortune et ses relations. A commencer par celui d'avoir des défenseurs capables de se faire entendre.

Car la compassion affichée pour Papon par Badinter et Barre n'est pas seulement affaire d'"humanité". Il s'y mêle aussi, sinon surtout, le fait d'appartenir à un même monde, celui des hauts fonctionnaires et autres "grands serviteurs de l'Etat". Avec le sentiment d'avoir bien des choses en commun, plus fortes que leurs divergences politiques ou éventuellement le dégoût des uns pour la personnalité des autres.

Dans sa tribune libre parue dans Le Monde du 23 janvier, Badinter a rappelé que Papon n'a pas fait que déporter des Juifs sous Vichy, qu'il a été aussi préfet de police à Paris sous de Gaulle durant la guerre d'Algérie, et à ce titre chef de ceux qui massacrèrent des centaines de manifestants algériens en octobre 1961, sans jamais qu'il soit poursuivi et encore moins condamné pour cela. Au contraire, cela semble lui avoir acquis une certaine considération dans son monde puisque Giscard le prit ensuite comme ministre, avant qu'il aille pantoufler à la tête de grosses sociétés.

C'est cette solidarité viscérale de la classe dirigeante et des membres de son haut appareil d'Etat qui a permis à Papon d'échapper plus d'un demi-siècle à ce que l'on appelle la justice. Et d'avoir failli ne jamais être jugé, son instruction ayant duré... 16 ans, une fois les faits portés sur la place publique !

C'est cela qui explique que la plupart des hauts fonctionnaires de Vichy, comme après eux ceux des divers gouvernements français de la guerre d'Algérie, n'ont jamais été inquiétés ni condamnés.

Voilà pourquoi Touvier (chef de la milice lyonnaise) a si longtemps échappé aux poursuites avec l'aide active, entre autres, de l'Eglise. Ou pourquoi Bousquet, patron de la police de Vichy, et son adjoint Leguay, responsables de la déportation de 16 000 Juifs lors de la rafle du Vel'd'Hiv', ont ensuite pu bénéficier de protections durables jusqu'au niveau de la présidence de la République et pourquoi, là encore, l'instruction de leur procès a traîné dix ans. Cela pour ne rien dire des généraux et officiers tortionnaires durant la guerre d'Algérie, ni des hommes politiques - dont un certain Mitterrand - qui les ont couverts après les avoir dirigés.

Que le vieillard Papon sorte ou pas de prison, le plus révoltant n'est finalement pas là. Mais dans le fait qu'il ait failli n'être jamais inquiété grâce à d'innombrables complicités de toutes sortes et à tous les niveaux de la machinerie de l'Etat et des hommes qui la composent. Cette solidarité, d'abord sociale car elle est celle de gens au service d'une même classe, la bourgeoisie, c'est ce qu'expriment les Barre et Badinter. Et cela, quelles que soient les considérations dont ils l'enrobent.

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