Grande-Bretagne : Moins d'un million de chômeurs... sans compter tous les autres23/03/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/03/une-1706.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Moins d'un million de chômeurs... sans compter tous les autres

C'est en grande fanfare que Tony Blair et son gouvernement ont annoncé que le nombre des chômeurs britanniques était descendu en février en dessous de la barre du million - pour la première fois depuis 1975. Et la fanfare médiatique a été d'autant plus tonitruante qu'à moins de deux mois des élections législatives et face au désastre de la fièvre aphteuse, Blair a bien besoin de pouvoir prétendre avoir "réussi" quelque chose. Mais qu'en est-il réellement de cette prétendue réussite ?

Tout d'abord, il faut rappeler que ce chiffre est en fait celui des chômeurs touchant l'allocation-chômage. La politique consistant à priver de plus en plus de chômeurs de leurs droits et à réduire du même coup les chiffres du chômage a été généralisée au début des années 1990 sous John Major - politique que le Parti Travailliste a d'ailleurs critiquée avec virulence tant qu'il était dans l'opposition. Ce qui n'a pas empêché Blair de la reprendre à son compte sitôt arrivé au pouvoir en 1997.

Ainsi, non seulement les travaillistes n'ont pas rétabli à un an la durée de paiement automatique de l'allocation-chômage, que les conservateurs avaient réduite à six mois, mais ils ont aggravé les pressions sur les chômeurs par des méthodes assez similaires au PARE préconisé en France par le Medef - méthodes qui furent introduites en Grande- Bretagne dès 1998 sous le nom de "New Deal" (nouvelle donne). Cette "aide" aux chômeurs de longue durée, faite de tracasseries administratives et de chantage pour forcer les chômeurs à prendre le premier petit boulot venu sous peine de perdre toute allocation sociale (et pas seulement le chômage), a eu effectivement pour effet de faire disparaître un grand nombre de chômeurs des statistiques. Mais de l'aveu même des services officiels, seule une minorité du demi-million de chômeurs passés par le "New Deal" a trouvé un emploi, et parmi cette minorité, la majorité l'a perdu dans les trois mois suivants - c'est-à-dire dès que l'Etat cessait de payer à l'employeur le salaire du chômeur embauché. Et bien sûr, après pareille expérience, les chômeurs en question se sont bien gardés de se présenter au bureau de chômage dont ils ne pouvaient attendre aucune aide de toute façon !

En fait, aujourd'hui, bien des catégories de chômeurs sont exclues du système d'indemnisation sous divers prétextes. C'est le cas par exemple des licenciés économiques : le patronat leur laisse le "choix" entre la prime de licenciement dérisoire prévue par la loi (une semaine de salaire par année d'ancienneté) avec six mois d'allocation-chômage ensuite (2 700 F par mois), et la prime de départ "volontaire", un peu plus substantielle, mais qui les prive du chômage parce que considéré comme résultant d'une démission. Du coup la grande majorité des licenciés économiques (et cela représente plus de 300 000 salariés depuis l'été 1999) opte pour la deuxième option. Et c'est autant de chômeurs escamotés.

De même, le nombre des travailleurs classés comme malades ou invalides, qui avait déjà triplé sous les conservateurs, a continué à augmenter sous Blair, malgré la diminution des pensions versées à ce titre par le gouvernement travailliste, au point d'atteindre aujourd'hui 2,8 millions. A quoi il faut ajouter les 700 000 mères célibataires qui n'ont d'autres ressources que les allocations sociales. Et c'est encore sans compter les chômeurs de plus de 60 ans (l'âge de la retraite est à 65 ans pour les hommes) qui sont automatiquement transférés sur un autre régime d'allocation en attendant la retraite.

Bref, en ajoutant toutes ces catégories on arrive aux alentours de cinq millions de chômeurs réels, c'est-à-dire à peu près le même niveau que lors de la récession de 1991-1992.

A ceci près, néanmoins, qu'entre-temps, les conditions d'emploi se sont aggravées de façon significative. Blair se vante du nombre des emplois, qui atteindrait 28 millions pour la première fois depuis 1990. Onze ans plus tard, et dans une période où la population active est restée pratiquement inchangée, ce n'est pas un grand "succès". Mais surtout il y a ce que masquent ces chiffres. Car il ne s'agit pas de 28 millions de salariés, ni des mêmes emplois qu'en 1990. Le nombre de travailleurs contraints de faire plusieurs postes pour vivre a augmenté. En dix ans, près d'un million d'emplois ont disparu dans les grandes entreprises de production. Une partie d'entre eux ont sans doute été remplacés par des emplois de sous-traitance, mais pas aux mêmes conditions, ni en matière d'horaires ni en matière de salaire. Quant au reste, ce sont des emplois précaires, le plus souvent à temps partiel, qui les ont remplacés. D'ailleurs, le fait que la moyenne hebdomadaire de travail (heures supplémentaires incluses) de ces 28 millions d'emplois soit de 33 heures alors que la moyenne hebdomadaire des salariés à temps plein est de 47 heures, en dit long sur l'importance du temps partiel.

Le "succès" des travaillistes à réduire le chômage a été, et continue d'être l'un de leurs grands thèmes électoraux. Mais en fait de réduire le chômage ils ont surtout fait ce qu'attendait d'eux le grand patronat - poursuivre la politique de leurs prédécesseurs en réduisant la résistance opposée par la classe ouvrière à la dégradation de ses conditions d'emploi. Et, depuis 1997, la chute brutale de la participation électorale dans les quartiers ouvriers au détriment du Parti Travailliste a montré que les travailleurs britanniques, eux, n'étaient pas dupes des vantardises de Blair.

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