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- Lutte ouvrière n°1711
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Leur société
Projet Guigou sur les licenciements : Comment ne rien faire tout en ayant l'air d'agir
Toutes les indiscrétions qui ont précédé l'annonce par la ministre de l'Emploi, Elisabeth Guigou, des mesures que le gouvernement entendait faire adopter, prétendument pour "améliorer la protection des salariés" face au danger de licenciements, montraient qu'il n'y avait rien de sérieux et de concret en préparation. Mais la réalité a été encore plus minable, dérisoire, voire rétrograde.
L'émotion soulevée dans la population travailleuse, et au-delà, par l'annonce des plans de licenciements dans une multitude de groupes capitalistes richissimes n'a eu aucun effet sur le gouvernement socialiste. Au fil des jours les quelques gestes évoqués, qui n'auraient pas réglé le problème central du licenciement, ont été remisés. A la trappe l'indemnité de licenciement qui devait passer à un tiers de mois par année d'ancienneté ; à la trappe l'implication financière des entreprises qui licencient en faisant des profits ; à la trappe le moindre droit supplémentaire permettant de contester plus qu'aujourd'hui les licenciements voulus par un patron ; à la trappe l'obligation effective de reclassement
Alors que reste-t-il dans ce projet ? Une seule mesure d'ordre général : l'indemnité légale de licenciement passerait de un dixième de mois par année d'ancienneté à un cinquième de mois par année d'ancienneté. C'est même inférieur à la convention collective de la Métallurgie, qui touche un grand nombre d'ouvriers et qui est loin d'être la convention collective la plus favorable, qui prévoit en plus de cela des rémunérations complémentaires pour les salariés ayant une certaine ancienneté. Et c'est de toute façon largement inférieur au peu qu'offrent la plupart des groupes mettant en route des plans de licenciements. Le PDG de Danone, présent sur le plateau de France 2 lundi 23 avril à côté d'Elisabeth Guigou, a même pu déclarer : "Nous donnons cinq fois plus que ce que propose le gouvernement". En clair la seule mesure concrète d'ordre général ne touchera qu'à la marge les salariés des corporations sans convention collective de quelque importance.
L'autre mesure "phare", les congés de conversion de six mois, rebaptisés "reclassements", qui seraient attribués dans certaines circonstances, est une véritable escroquerie. Ce congé de conversion de six mois appelé improprement de "reclassement", réservé aux seules entreprises de plus de mille salariés, sanctionnerait même un recul par rapport à la situation actuelle. Les employeurs seront tenus à "des obligations de formation et d'aide au reclassement" et pas à un reclassement effectif. Les lois existantes et la jurisprudence, en effet, ont au moins dans les textes inscrit des obligations théoriques et effectives de reclassement, et pas des "aides au reclassement". Quant aux droits des chômeurs, jusqu'en juillet prochain, date de l'entrée en vigueur du PARE, la loi fait obligation à toutes les entreprises prononçant des licenciements économiques de proposer une convention de conversion de six mois à chaque salarié touché. Cela permettait au salarié de se voir garantir six mois de rémunération complète, six mois d'indemnisation supplémentaire de chômage, sans carence par rapport à ses indemnités, son préavis et ses congés payés. Ce n'est pas rien car sinon le salarié peut se voir appliqué jusqu'à près de quatre mois de carence, c'est-à-dire sans perception de quoi que ce soit en attente de ses premières indemnités. Mais avec le dispositif proposé par le gouvernement, cette carence s'appliquerait aux salariés licenciés à l'issue de leurs congés de "reclassement".
Sur le plan de la durée également ce serait une régression. Car encore aujourd'hui la loi prévoit la possibilité, pour les entreprises qui le souhaitent, des congés de conversion pouvant aller jusqu'à 10 mois, sans même parler des entreprises où ont pu être imposés des congés de conversion de deux ans.
Le PARE, qui régit les droits des chômeurs à partir du 1er juillet, n'avait rien prévu pour le maintien des conventions de conversion : les pouvoirs publics, le gouvernement devaient trancher : celui-ci vient de le faire à sa façon. Pour les entreprises de moins de mille salariés il se contente de déclarer "un dispositif de bilan de compétence et d'orientation et d'aide au reclassement sera organisé pendant la durée du préavis". Rien, moins que rien.
Mais le comble, s'il en était besoin, c'est que le projet du gouvernement a l'impudence de demander aux partenaires sociaux, dans le cadre d'un accord, de prévoir le financement de ces dispositifs "d'aide au reclassement". Ce ne serait même pas au patronat de payer ces quelques mesurettes, on va demander aux salariés de mettre la main à la poche, car ce sont eux qui sont visés par le mot impropre de "partenaires sociaux".
Le reste ne mérite même pas une mention, car la loi et la jurisprudence prévoient plus. A moins que ce ne soit justement un moyen détourné de la part du gouvernement de revenir, avec cette loi, sur les quelques avancées marginales qu'avait introduites la jurisprudence ces derniers temps
Si Jospin et sa très bourgeoise ministre de l'Emploi, Elisabeth Guigou, voulaient montrer le mépris qu'ils ont pour les travailleurs et leurs attentes face aux licenciements qui les menacent, ils ne pouvaient mieux faire. Alors pour leur imposer une autre politique, pour imposer l'interdiction sous peine de réquisition des entreprises qui font des profits et licencient quand même, le monde du travail devra utiliser ses armes à lui face à tous ses adversaires, le patronat mais aussi son allié le gouvernement socialiste.