- Accueil
- Lutte ouvrière n°1718
- Il y a 30 ans : Le PS se jetait dans les bras de Mitterrand
Divers
Il y a 30 ans : Le PS se jetait dans les bras de Mitterrand
Jospin et les barons du PS fêtaient, il y a quelques jours, le 30e anniversaire du congrès fondateur de l'actuel Parti Socialiste, le congrès d'Epinay. Lors de ce congrès qui s'était tenu du 11 au 13 juin 1971, l'édifice du Parti Socialiste était bien vermoulu. Deux ans plus tôt, il avait été convenu d'abandonner l'ancien nom de SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière). Mais un "nouveau" Parti Socialiste avait du mal à émerger.
Alors que le Parti Communiste constituait, et de loin, le premier parti de gauche, à la fois par le nombre de ses militants, présents en particulier dans la classe ouvrière, et l'importance de son électorat, le Parti Socialiste avait éclaté en de multiples groupements et clubs. De longue date, son influence s'était érodée, malgré, ou peut-être à cause de sa longue participation gouvernementale et de sa politique antiouvrière et coloniale de 1945 à 1958. Le PS n'avait repris quelques forces qu'à la suite du retour au pouvoir de De Gaulle, qui l'avait contraint à un rôle d'opposition. Bien que, dans un premier temps, les dirigeants du PS aient été de ceux qui avaient été chercher de Gaulle à Colombey et que le PS ait fourni à ce dernier, durant quelques mois, des ministres. De 23 % des voix en 1945, le PS était tombé à 12,5 % en 1962. Il est vrai, le score était remonté à près de 19 % en 1967 et totalisait encore 16,5 % en juin 1968, mais c'était sous l'étiquette d'une Fédération de la gauche démocrate et socialiste qui ne devait pas tarder à éclater.
Aux élections présidentielles de 1969, la candidature du maire socialiste de Marseille, Defferre, n'avait recueilli que 5,01 % des voix, alors que le candidat du PCF, Duclos, en obtenait 21,27 %. Ainsi les perspectives de constituer une majorité au Parlement s'amenuisaient d'autant plus que le mode de scrutin défavorisait les formations minoritaires.
L'avenir ne s'annonçait donc pas en rose pour les notables du PS, ce qui restait de l'ancienne SFIO : maires, conseillers généraux et municipaux. Sur les 87 000 adhérents déclarés par le PS lors du congrès d'Epinay, 42 000 venaient d'être élus ou réélus conseillers municipaux aux élections de mars 1971. Par la gestion des budgets des communes, et en particulier de ceux de grandes villes comme Lille et Marseille, le PS restait associé aux affaires de la bourgeoisie et gardait une influence sur des centaines de milliers d'employés municipaux.
La question d'une alliance susceptible d'obtenir une majorité pour parvenir à nouveau au gouvernement agitait les congrès socialistes. Celui d'Epinay ne fit pas exception.
Jusque-là, une telle alliance était restée introuvable. Tant qu'avait duré la guerre froide, tout rapprochement avec le Parti Communiste était exclu, les Socialistes en étaient à rechercher une hypothétique "Troisième force", ni communiste ni gaulliste. Les choses avaient commencé à changer en 1965, après l'échec d'une tentative de Defferre. C'est alors que Mitterrand, ancien ministre de l'Intérieur durant la guerre d'Algérie, qui avait été membre d'un petit parti bien à droite du PS, s'était présenté comme candidat unique de la gauche. Il avait été accepté comme tel par les Socialistes et par le PCF, malgré les grincements de dents de nombre de militants de ce parti.
Mitterrand fut la vedette du congrès d'Epinay six ans plus tard. Député non inscrit de la Nièvre, il adhéra au Parti Socialiste à Epinay. Trois jours après la fin du congrès, le comité directeur du PS en faisait son secrétaire général, sans qu'aucun autre candidat lui soit opposé. Parmi les caciques du PS, il s'était trouvé une majorité pour voir en Mitterrand un sauveur. Mis à part le député de la Creuse, Chandernagor, qui déclara craindre une "nuit des longs couteaux" si le PS participait un jour à un gouvernement au côté du PC, tous se rallièrent - en y mettant plus ou moins de conditions - à une alliance avec le PCF sous la houlette de Mitterrand. Defferre, connu pour sa virulence anticommuniste, s'y déclara favorable. Guy Mollet, l'ancien secrétaire de la SFIO, qui avait déclaré en son temps que le Parti Communiste n'était "pas plus à gauche, mais plus à l'Est", applaudissait. Chevènement, animateur du Centre d'études et de recherches socialistes, le Ceres, passant alors pour la gauche du PS, se rallia. Quant à Mauroy, président de la fédération du Nord et futur maire de Lille, il évita de se présenter à la direction du parti, laissant le passage pour Mitterrand.
Celui-ci, l'année précédente, avait exprimé ouvertement son projet : "La formation d'un mouvement politique apte à équilibrer d'abord, à dominer ensuite le PC et à détenir par la suite une vocation majoritaire". Cela répondait bien aux attentes des socialistes, en concluant leur anticommunisme traditionnel, et leur soif de participation au pouvoir.
Pour parvenir à ses fins, Mitterrand choisit de ratisser large et même à sa gauche : "Il faut conquérir le terrain perdu sur les communistes", déclarait-il. "La conquête doit se faire aussi chez les gauchistes ainsi que chez les libéraux qui acceptent l'héritage démocratique et refusent la tyrannie capitaliste". Et, pas gêné du tout, il déclarait : "Je le dis clairement, il n'y aura pas de société socialiste sans l'appropriation collective des principaux moyens de production et d'échange". Et enfin : "Violente ou pacifique, la révolution c'est d'abord la rupture. Celui qui n'accepte pas la rupture avec l'ordre établi, celui-là ne peut être adhérent du Parti Socialiste". Preuve, s'il en fallait encore, que les opportunistes et les démagogues sont capables d'user de n'importe quelle formule et que ceux qui les croient sont bien naïfs. Ou pour ceux qui connaissaient le passé de Mitterrand, qu'ils étaient des escrocs politiques à l'égal de Mitterrand lui-même.
Evidemment, ce n'était pas pour la révolution et le socialisme que Mitterrand traçait des sillons, mais pour ouvrir de nouvelles perspectives à de jeunes loups de la politique, avides de carrière gouvernementale. Et on comprend pourquoi les Fabius, les Jospin, les Hollande peuvent considérer aujourd'hui le congrès d'Epinay comme un acte fondateur... important pour eux.