Irlande : Le droit à l'avortement reste toujours à conquérir22/03/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/03/une1756.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irlande : Le droit à l'avortement reste toujours à conquérir

Le 7 mars, pour la seconde fois en dix ans, s'est tenu en République d'Irlande un référendum sur l'avortement. Mais il ne s'agissait pas de permettre à l'électorat de se prononcer sur la libéralisation de l'avortement. Au contraire, tout comme le précédent référendum de novembre 1992, celui-ci proposait de restreindre encore plus les cas où l'avortement jouit aujourd'hui d'une semi-légalité.

Cette fois encore, le lobby anti-avortement et le gouvernement Fianna Fail, qui organisait ce référendum pour s'assurer son soutien électoral, en auront été pour leurs frais. Comme en 1992, le " Non " l'a emporté, de très peu il est vrai (tout juste 10 000 voix), tandis que les abstentions ont atteint 57 %, un niveau record, qui traduit sans doute le dégoût de l'électorat face à l'hypocrisie de cette farce " démocratique ".

Il faut rappeler qu'il fallut attendre 1983 pour que soit amendée une loi adoptée sous l'occupation britannique en 1861, qui prévoyait les travaux forcés à perpétuité pour toute femme accusée d'avortement ou de tentative d'avortement sur sa propre personne. Et encore ne s'agissait-il de la part du gouvernement d'alors que de faire mine de céder aux pressions européennes en pleine phase de construction du marché unique. Car dans les faits, l'article qui fut ajouté à la constitution irlandaise nuança sans l'annuler la loi de 1861, précisant simplement que cette loi devait être appliquée " avec tout le respect qui est dû au droit de la mère à la vie ".

Mais rien ne fut prévu pour obliger l'Ordre des médecins irlandais à modifier son règlement qui prévoyait la radiation immédiate pour tout médecin pratiquant un avortement, quelles qu'en soient les conditions. De sorte que le seul moyen pour les Irlandaises de se faire avorter dans une semi-légalité resta le coûteux voyage en Angleterre. De toute façon l'amendement constitutionnel était rédigé de façon si floue qu'il laissait aux tribunaux toute liberté d'interprétation, que ceux-ci ne manquèrent pas d'utiliser dans le sens le plus réactionnaire. C'est ainsi qu'en 1988 la Cour suprême s'en servit pour interdire toute information sur les possibilités d'avortement en Grande-Bretagne. De fait, l'avortement resta totalement illégal en Irlande.

Puis vint, en février 1992, ce qui devait devenir " l'affaire X " : sur plainte du ministre de la Justice, une enfant de 14 ans enceinte à la suite de viols répétés se vit interdire par les tribunaux d'aller subir un avortement en Grande-Bretagne. L'affaire fit d'autant plus scandale que la démarche du ministre de la Justice avait été provoquée par la tentative des parents de lancer des poursuites contre le violeur. Cette fois, malgré les exhortations horrifiées de la toute-puissante Eglise catholique, toute une partie de l'opinion bascula du côté de la jeune " X ". Saisie par les parents, la Cour suprême finit par rendre un jugement sans précédent. Estimant que cette grossesse pouvait nuire à la vie de la mère en l'incitant au suicide, elle cassa l'interdiction faite à la jeune " X " de se rendre en Angleterre pour se faire avorter. C'était la première fois qu'un tribunal irlandais reconnaissait dans la pratique le droit à l'avortement, même assorti de telles réserves.

C'est ce précédent juridique créé par l'arrêt de la Cour suprême de 1992 que le lobby anti-avortement, et en particulier l'Eglise catholique, n'a eu de cesse d'effacer depuis lors, pour refermer ce qu'il considère, à juste titre, comme une faille béante dans le monument d'hypocrisie que constitue la répression de l'avortement dans le pays. Et le référendum du 7 mars n'avait d'autre but, comme celui de 1992, que d'amender la constitution pour exclure explicitement le risque de suicide du champ du " droit de la mère à la vie ".

Mais il faut croire que l'enfer et ses apôtres calotins n'inspirent plus la même terreur dans les rangs de la population irlandaise, en particulier parmi les moins de 40 ans dont les sondages indiquent que seule une petite minorité a choisi le " Oui " à une restriction majeure des cas où l'avortement est possible. Cela ne veut pas dire que l'emprise de l'Eglise sur la société irlandaise soit vraiment affaiblie, comme le montre le taux élevé du " Oui " dans les campagnes. D'autant que tous les partis font preuve d'une complaisance criminelle à son égard, en particulier en lui concédant sans réticence le monopole de l'éducation, y compris des partis qui se disent " de gauche ", comme le Parti Travailliste ou le Sinn Fein nationaliste. Mais cela veut sans doute dire que la crise, l'urbanisation et la dégradation sociale aidant, toute une fraction de la population s'identifie de moins en moins aux boniments réactionnaires des curés et accepte de plus en plus mal leur tutelle. On ne peut que s'en réjouir.

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