La situation à Sangatte15/11/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/11/une1789.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

La situation à Sangatte

Suite à la décision de Sarkozy décrétant la fermeture du centre de Sangatte, les forces de police ont été déployées autour du centre pour empêcher l'entrée de tout nouvel arrivant, les anciens devant montrer leur badge pour y accéder.

On a pu voir, dès le mardi soir 5 novembre, les réfugiés, dans la nuit et la pluie, errer dans les rues de Calais, et les fourgons de police, en faction aux endroits stratégiques, multiplier les contrôles. Tentant de trouver un refuge, devant le hall de la gare fermée, dans les cabines téléphoniques, sous les abris-bus, dans les parcs, les réfugiés se sont fait pourchasser, et parfois frapper par les flics. Certains ont été arrêtés puis relâchés dans la campagne, ou d'autres gardés pour être reconduits à la frontière.

Le centre de Sangatte a été, depuis qu'il existe, une occasion pour bon nombre de politiciens locaux, de droite comme de gauche, de flatter l'électorat dans le sens de la démagogie xénophobe, en exigeant sa fermeture. Jack Lang, élu député socialiste de la circonscription, avait fait un cinéma électoral dans ce sens en multipliant les proclamations et initiatives médiatiques en faveur d'un durcissement du droit d'asile en Angleterre. Aujourd'hui, il brille par son mutisme... et il peut s'estimer exaucé par le gouvernement britannique qui vient de voter une loi rendant plus difficile la situation des immigrants, en particulier en ne leur accordant plus de permis de travail.

Quant au maire communiste de Calais, Jacky Hénin, il fait de la valse-hésitation sur le sujet. Il s'était prononcé l'an dernier pour la fermeture du centre d'hébergement. Mais voilà qu'il déclare vendredi soir : « J'ai toujours condamné la fermeture du centre de Sangatte », pour préciser les jours suivants, qu'il est contre sa fermeture prématurée.

Mis devant le fait accompli de l'occupation d'une salle de sports par les militants d'un collectif d'aide aux réfugiés (composé des Verts et d'associations caritatives) pour permettre à une quarantaine d'entre eux de ne pas dormir dehors dans le froid le ventre vide, il a entériné le fait en s'estimant pris au piège. Le lendemain soir, face à l'occupation d'une autre salle pour les mêmes raisons, il a fait donner la police qui a évacué la salle de façon musclée. La photo de l'abbé Falala traîné de force par les CRS, publiée dans le journal local, a illustré les méthodes policières.

Le maire de Calais ne veut pas d'un « Sangatte-bis », surtout sur sa commune ! Il a convoqué une réunion de tous les élus locaux et des associations pour traiter du problème. Il a obtenu l'unanimité municipale, ralliant le soutien de l'opposition de droite dans sa démarche : envoyer une délégation d'élus à Paris pour une entrevue avec Sarkozy. Il est vrai que Sarkozy fait sa mise en scène sécuritaire tout en se défaussant sur les responsables locaux pour gérer le problème. Delebarre, ancien ministre et maire socialiste de Dunkerque a accusé pour sa part les militants associatifs de manipulation. Le désarroi d'hommes sans abri fuyant la dictature, la misère et la guerre dans leur pays est bien le cadet des soucis de tous ces gens-là pour qui ce n'est qu'une anicroche qui peut gêner leur carrière politique !

À l'issue de cette réunion, l'abbé Boutoille, exaspéré à l'idée que les réfugiés allaient encore une fois passer la nuit dehors, a arraché au maire l'autorisation d'hébergement dans une église désaffectée. Cette église est occupée depuis samedi 9 novembre au soir, et les réfugiés y ont afflué jusqu'à plus d'une centaine.

Une « solution » a alors été proposée par le préfet : les réfugiés doivent accepter de se faire évacuer vers des centres d'accueil hors du Calaisis et auront la possibilité de demander l'asile politique en France. C'est une proposition hypocrite qui se donne de faux airs humanitaires. Dans leur grande majorité, les réfugiés ont refusé, et ils ont entamé une grève de la faim. Ce qu'ils veulent, c'est gagner l'Angleterre à tout prix. Ces réfugiés sont aujourd'hui en majorité des Kurdes irakiens qui ont déjà de la famille ou des amis en Angleterre et dont un certain nombre parlent l'anglais, langue de leur ancienne puissance coloniale. Du coup, les réfugiés ne quittant pas les lieux, les CRS ont été envoyés lundi soir pour boucler l'église.

Les réfugiés n'ont aucune confiance. Et on les comprend ! Combien de travailleurs sans papiers en France attendent toujours depuis des mois ou des années en vain l'autorisation de la préfecture !

Le préfet et autres responsables politiques, en même temps que des militants associatifs, dénoncent le rôle des passeurs qui manipuleraient les réfugiés afin qu'ils refusent la solution proposée. Mais même s'il est sûr qu'existe une mafia qui profite de leur situation, le véritable problème est justement qu'ils veulent « passer » en Angleterre, et pour tenter d'y arriver, ils considèrent qu'il vaut mieux rester à Calais que partir à l'autre bout de la France. Un responsable Vert qui avait hébergé à son domicile des réfugiés pour leur éviter de passer la nuit dehors, a dû se rendre à l'évidence : ils ne veulent pas se laisser convaincre, et finalement il les a déposés dans la zone du port pour qu'ils retentent leur chance.

La délégation d'élus est sortie apparemment satisfaite, toutes composantes confondues (sauf les Verts), de sa rencontre mardi avec Sarkozy : ils auront droit à un traitement privilégié, puisqu'ils accompagneront le Premier ministre lors de sa prochaine visite à Londres. Mais c'est se moquer des réfugiés que de faire passer pour une mesure en leur faveur cette dernière trouvaille : une campagne d'information en leur direction va être organisée, avec équipe de traducteurs et plaquettes multilingues à l'appui, pour leur expliquer la procédure de demande de droit d'asile en France. Cela ne changera rien aux raisons qui ont fait qu'ils se retrouvent à Calais, au seuil de cette Grande-Bretagne qu'ils veulent atteindre.

Sarkozy a voulu « envoyer un signal au monde » ; question gesticulation médiatique, c'est fait. Mais contrairement à ce qu'il prétendait, il n'a résolu aucun problème. En tout cas, ce qui est indigne et révoltant, c'est que les grands pays impérialistes qui ont une responsabilité dans la situation qui a fait fuir ces réfugiés, la France et la Grande-Bretagne en particulier, se rejettent la responsabilité et ne trouvent pas de solution parce qu'elles ne veulent pas en trouver.

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