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Tribune de la minorité
Carnaval à pékin
Le XVIème congrès du parti communiste chinois s'est achevé le 14 novembre. La population chinoise semble avoir hésité entre l'indifférence et (loin de la police) la franche rigolade. Le spectacle de ces bureaucrates corrompus convertis au capitalisme sauvage et écoutant religieusement l'Internationale, a de quoi susciter les lazzi.
Les dirigeants chinois ont tout de même innové en inscrivant dans les statuts du parti qu'il ne représentait plus seulement " les ouvriers, les paysans et les intellectuels révolutionnaires ", mais aussi " les forces productives les plus avancées du pays ". Autrement dit, en jargon mandarinal, le parti annonce qu'il accueillera désormais les capitalistes en son sein.
Comme des poissons dans l'eau...
Comme s'ils n'y étaient déjà ! Ce sont les bureaucrates eux-mêmes, à tous les niveaux du pouvoir, qui se sont lancés dans la course au profit capitaliste, dès le début des réformes de Deng Xiaoping à la fin des années 1970. Des ministres, des gouverneurs de province et des généraux ont monté leurs entreprises, en concurrence les uns contre les autres, ou en utilisant leurs postes pour s'octroyer des monopoles commerciaux, piller des fonds publics, monter des sociétés avec des investisseurs étrangers. Les familles des plus grands dignitaires du régime sont richissimes, à commencer par la famille de Deng, dont les rejetons, qui ont leurs entrées dans l'armée, ont fait du commerce des armes une source inépuisable de revenus. Dans le capitalisme, les bureaucrates chinois sont depuis longtemps comme des poissons dans l'eau.
Mais pourquoi s'entêtent-ils à conserver quelques oripeaux du maoïsme, et surtout le régime du parti unique ? C'est que l'essor du capitalisme amène justement les dirigeants chinois à pérenniser la dictature.
Derrière la croissance spectaculaire du PNB depuis 20 ans, il y a aussi l'expansion des inégalités. De 80 à 100 millions de travailleurs migrants ont quitté leur village et circulent de ville en ville pour trouver un job au salaire dérisoire sur les chantiers ou dans les usines. A la misère de ces nouveaux prolétaires s'ajoute celle de dizaines de millions d'ouvriers du secteur d'État licenciés. Le pouvoir souhaite en effet privatiser les secteurs d'État rentables et liquider le reste, et devrait encore licencier au moins 15 millions d'ouvriers d'ici 2005, après en avoir renvoyé autant depuis 1996. Ici ou là, des travailleurs ont réagi. En 1996, par exemple, dans une ville du centre, des dizaines de milliers d'ouvriers du textile qui ne recevaient plus leurs salaires depuis 6 mois avaient manifesté en passant d'usine en usine pour étendre leur mobilisation, incendié le siège de la préfecture et séquestré des responsables locaux. Dans la province du Heilongjiang (l'ex Mandchourie), au nord-est de la Chine, une région de mines et de sidérurgie ravagée par les fermetures, de violents affrontements ont opposé 20 000 ouvriers aux forces de l'ordre en février dernier ; en mars, à Daqing (bassin pétrolier), 50 000 travailleurs ont participé à des manifestations qui ont tourné à l'émeute. A chaque fois, les mots d'ordre étaient les mêmes : l'exigence d'un emploi et du versement des salaires et des pensions.
Depuis quelques années, le pouvoir, pour contenir ces révoltes, évite d'engager la troupe de façon trop massive et violente. Il se contente de faire disparaître des " meneurs ", fait des concessions en payant une partie des salaires impayés et, pour se dédouaner, fait parfois emprisonner des cadres locaux pour détournements de fonds en prétendant ainsi venger la population. Surtout, il a isolé la zone des " troubles " pour éviter que la révolte ne se généralise et devienne un défi au pouvoir qui pourrait inciter bien d'autres opprimés à s'engouffrer dans la brèche.
Hu Jintao : le profil de l'emploi
Car c'est cela que peut craindre le pouvoir chinois : une multiplication des conflits à l'échelle de tout le pays, qui entraînerait des secteurs aussi divers que la vieille classe ouvrière des industries d'État édifiées à l'époque de l'étatisme maoïste, les travailleurs surexploités des multinationales étrangères et des nouvelles entreprises privées qui prospèrent depuis 20 ans, tous les prolétaires de Canton, Shangaï, Pékin ou centres industriels de Mandchourie ou du centre de la Chine. C'est pourquoi les dirigeants chinois tiennent tant à étouffer toute forme de vie politique indépendante ou toute organisation syndicale libre, qui pourrait d'une manière ou d'une autre être le point de ralliement d'une révolte, voire lui donner un contenu politique national. Tous les moyens d'information sont muselés, les téléspectateurs accablés de spectacles musicaux... de l'armée. La chasse aux opposants est impitoyable.
Le nouveau chef officiel du régime, Hu Jintao, était secrétaire du parti en mars 1989 au Tibet, quand des émeutes violentes s'étaient déclenchées contre l'armée chinoise. Il avait alors organisé une répression brutale. Trois mois plus tard, les étudiants de Pékin occupaient la Place Tien-An-men et déclenchaient une grave crise politique, car au delà de leurs revendications démocratiques, ils risquaient (bien malgré eux peut-être !) de devenir les catalyseurs d'une révolte générale, contre l'arbitraire du pouvoir mais aussi contre le chômage et le développement de la misère dans les villes, les licenciements, les salaires de misère. Hu s'était alors rangé sans états d'âme dans le camp des partisans de l'écrasement du mouvement par les chars. C'est aussi sur de tels critères qu'il fut sélectionné par ses comparses comme un homme digne de diriger le pays !
Pour que le capitalisme puisse continuer de se développer dans l'ordre, le PCC semble donc bien déterminé à maintenir une chape de plomb sur la population. Le carnaval de ce parti soi-disant communiste, unique " représentant du peuple chinois ", continue, mais c'est un carnaval sanglant.