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Leur société
Ni putes ni soumises : Tenir bon contre tous ceux qui oppriment les femmes
Il y a tout juste un an, le 4 octobre 2002, Sohane, 18 ans, était brûlée vive dans un local à poubelles de la cité Balzac à Vitry-sur-Seine, aspergée d'essence par un garçon de la cité à qui elle résistait, brûlée vive parce qu'elle refusait de se soumettre aux lois imposées par ces garçons qui considèrent les femmes comme des objets soumis aux hommes. Six mois après le crime, lors de la reconstitution des faits, à sa descente du fourgon de police, l'assassin de Sohane était accueilli sous les applaudissements de garçons de la cité. Et depuis, comme l'a déclaré le 5 octobre dernier lors de l'Université des femmes de quartiers, Fadela Samara, présidente du mouvement "Ni putes, ni soumises" et auteur du livre du même nom, des garçons disent à des filles qui ne se plient pas à leur loi: "Ferme ta gueule, sinon je vais te cramer".
L'horrible tragédie de Vitry n'était qu'une des manifestations extrêmes de cette situation et il n'y a pas un pouce de terrain à céder à ceux qui refusent aux femmes d'être des personnes à part entière et leur dénient, sous la contrainte ou la menace, le droit de pouvoir choisir leur vie en dehors des lignes tracées par des préjugés réactionnaires.
Il faut lire le livre de Fadela Amara(1), sa dénonciation de ce qui se passe aujourd'hui dans les cités de toutes les banlieues où sévissent les caïds ignorants sous l'emprise des intégristes islamistes.
"A partir du moment où ces imams se sont implantés dans bon nombre de cités, on a vu un certain nombre de garçons adopter des comportements radicaux par rapport aux filles, notamment en voulant les faire rentrer à la maison. (...) Cet islam des caves et sa propagande religieuse intolérante ont donné aux garçons un cadre théorique et des outils pour opprimer les filles. Celles qui ne rentraient pas dans le moule se sont fait traiter de "mécréantes" ou de "mauvaises femmes".
Ce sont ces garçons qui aujourd'hui cherchent à imposer aux filles le port du voile islamique. Il y a celles qui résistent et refusent de porter le voile. "Ces résistantes sont encore majoritaires dans nos quartiers mais elles trinquent tous les jours. Ce sont elles que les mecs des cités prennent le plus volontiers comme cible de leur violence. Elles subissent un véritable harcèlement fait d'insultes, de bousculades quotidiennes. Sans parler des viols, dont elles sont aussi les premières victimes. La vie de ces femmes est souvent un enfer."
Quant à certaines qui portent sciemment et volontairement le voile: "Ce ne sont pas des gamines en désarroi psychologique, en situation de faiblesse ou en quête identitaire, qui porteraient le voile parce qu'il leur assure une reconnaissance, en signifiant leur appartenance à une communauté. Non, ce sont de vraies militantes. (...). Les filles de ma génération -y compris les musulmanes pratiquantes dont je fais partie- se sont battues contre ce foulard parce qu'il a toujours été synonyme d'oppression et d'enfermement des femmes".
Ce n'est pas parce qu'il est, ou n'est pas, "islamique" qu'il faut s'opposer au voile partout où on le peut et notamment dans les établissements scolaires, c'est parce qu'il est un élément et un symbole de cette oppression des femmes que des hommes veulent faire régner. Et, ce n'est pas parce que ces garçons sont musulmans qu'il faut baisser les bras devant l'accusation aussi fausse que démagogique d'encourager le racisme. C'est tout le contraire. Tous les préjugés religieux -qu'ils soient le fait des religions musulmane, catholique ou juive- doivent être combattus parce qu'ils sont réactionnaires. Ce sont les droits des femmes qui sont menacés, tout comme ils le sont lorsque des commandos d'intégristes catholiques empêchent des interruptions volontaires de grossesse et, comme aux États-unis, assassinent des médecins qui acceptent d'en pratiquer; ou encore que des intégristes juifs, musulmans et bientôt catholiques imposent des horaires spécifiques pour les femmes dans les piscines. Dans les établissements scolaires, là où nous sommes, c'est possible et c'est donc un devoir de combattre cet obscurantisme.
Ceux qui baissent les bras devant cette pression, sous prétexte de ne pas écarter de l'école les jeunes filles qui portent le voile, se trompent. Pire, ils ouvrent la voie à l'oppression de toutes celles qui résistent.
"Quand à la fin des années 1980, le phénomène est apparu avec les premières tensions à l'école autour d'une poignée de filles qui sont venues voilées dans l'enceinte scolaire, j'ai fait partie, écrit Fadela Amara, de ceux qui disaient qu'il ne fallait pas les exclure. Notre raisonnement était simple: ces filles sont sous la pression familiale; pour les aider à s'en extraire, il est préférable de les garder à l'école. Nous voulions parier sur l'école républicaine pour qu'elles arrivent à trouver les moyens d'imposer leurs choix de vie et refuser ensuite le voile. L'avis du Conseil d'État, en 1989, qui autorisait les signes religieux à condition qu'ils ne soient pas ostentatoires et qu'ils n'apparaissent pas comme du prosélytisme, nous apparaissait juste et balancé. Il permettait à ces jeunes filles, malgré la pression, de pouvoir continuer à aller à l'école, seul lieu, pour elles, d'émancipation possible. Malheureusement, dix ans après, c'est un échec."
Il faut que l'école, par l'interdiction du voile pour toutes -les volontairement soumises et les réfractaires- soit un havre et un lieu de résistance pour toutes celles que l'on cherche à contraindre de le porter.
Sophie GARGAN
(1) Ni putes ni soumises
de Fadela Amara
Éditions La Découverte
12 €