Bolivie : La population en lutte pour ne pas laisser brader les richesses du pays16/10/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/10/une1837.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Bolivie : La population en lutte pour ne pas laisser brader les richesses du pays

En Bolivie, le week-end des 11 et 12 octobre, neuf personnes ont été tuées par les forces de l'ordre au cours d'affrontements entre des manifestants et l'armée dans une banlieue de la ville où siège le gouvernement, La Paz. Les manifestants, des paysans planteurs de coca et des ouvriers d'entreprises publiques en cours de privatisation, protestent depuis plusieurs semaines, notamment contre l'exportation de gaz naturel aux États-Unis et au Mexique, via le Chili.

C'est en août 2002 que l'actuel président, Sanchez de Lozada, candidat du MNR (le vieux Mouvement National Révolutionnaire, qui n'a rien de révolutionnaire puisque c'est plutôt le parti des grands propriétaires) avait été désigné au terme d'une élection où il avait obtenu 22% des suffrages, tandis qu'un leader paysan, dirigeant du MAS (Mouvement pour le Socialisme), Evo Morales, obtenait de son côté 21% des voix. Ce dernier est très populaire dans les milieux de planteurs de coca mobilisés contre les programmes anticoca imaginés à Washington pour lutter contre les trafics de drogue, Car, si les Boliviens sont grands consommateurs de coca, une plante qu'ils mâchent pour tromper les vertiges d'un pays situé pour l'essentiel en haute altitude, cette plante est aussi la base de la cocaïne.

75% de la population dans une misère extrême

Les programmes d'éradication de la production de coca, et des difficultés économiques identiques à celles de l'ensemble de l'Amérique latine, qui ont conduit à des effondrements spectaculaires comme celui de l'économie argentine, expliquent la chute de l'économie, dont la croissance entre 1995 et aujourd'hui a été ramenée d'un taux de 5% à 1%. 75% des 8,7 millions de Boliviens vivent dans une très grande pauvreté. Les 20% les plus riches -essentiellement les Blancs et les métis- accaparent 54% de la richesse nationale tandis que les 20% les plus pauvres n'ont que 4% de cette richesse à se partager. Beaucoup émigrent dans les pays voisins. Pour eux, même l'Argentine ravagée par la misère et la faim offre des perspectives attrayantes avec ses "petits boulots".

Comme ses prédécesseurs, l'actuel président a eu beaucoup de mal à imposer les mesures d'austérité exigées en échange des prêts du Fonds Monétaire International. Pour enrayer un déficit budgétaire qui a tendance à se creuser, le gouvernement n'a rien trouvé de mieux que d'augmenter les impôts et diminuer les salaires et les pensions, ce qui ne pouvait qu'alimenter une crise sociale devenue explosive.

La crise a commencé en septembre dernier par des barrages routiers organisés par les organisations de paysans et indigènes, les organisations indiennes -80% de la population, et généralement les plus pauvres- étant une force importante. Elles demandaient que l'actuel gouvernement applique les promesses du précédent président, le général Banzer, ex-dictateur devenu président "démocratique", décédé en 2002. Celui-ci avait promis en 2000 de satisfaire 72 revendications paysannes, concernant notamment des distributions de terres et un développement de la mécanisation. Un millier d'agriculteurs membres de la confédération syndicale paysanne se lançaient en même temps dans une grève de la faim, tandis que les planteurs de coca réclamaient de poursuivre cette culture qui est leur seule source de revenus.

La défense du gaz naturel a uni tous les mécontents

La protestation combinée des paysans et des planteurs de coca avec celle des ouvriers des entreprises en cours de privatisation, qui dénoncent notamment les exportations de gaz en direction des États-Unis et exigent la nationalisation de ce secteur, a assez vite convergé et paralysé la ville de Cochabamba, celle qui a élu le député paysan Evo Morales. Celui-ci a appelé à une grève nationale illimitée et à des barrages routiers contre l'exportation de gaz, soulignant que l'actuel président cherche à exporter le gaz via le Chili parce qu'il a des intérêts personnels dans certaines entreprises de ce pays. Le président se défend en expliquant que la Bolivie n'ayant pas de littoral, il lui faut bien traiter avec un port d'un pays voisin.

Les barrages routiers et les manifestations expriment les multiples mécontentements de la population pauvre: la soif de terre, l'exigence d'une mécanisation de la production agricole, le faible revenu que tire la Bolivie de l'aire de libre échange (ALCA), la privatisation des entreprises publiques ou encore le maintien de la production de coca. Mais c'est la question de l'exportation du gaz à un prix bradé qui fédère toutes les colères et qui a entraîné la multiplication des manifestations. "Le gaz nous appartient de droit, le récupérer et l'industrialiser est un devoir", scandaient les manifestants.

Le gouvernement a évoqué l'idée de consulter la population, mais Morales a fait valoir qu'un million de Boliviens mobilisés contre la privatisation du gaz, bradé à des compagnies étrangères, c'est une consultation bien suffisante. Le gouvernement a finalement eu recours à la force et mobilisé l'armée et la police pour empêcher les barrages routiers et réprimer les manifestants, sans succès. La ville d'El Alto, au sud de La Paz, où se trouve l'aéroport de cette ville, a été paralysée à son tour. L'armée est intervenue pour libérer 2000 personnes emprisonnées entre deux barrages routiers à Warisata, où il y a eu des affrontements et où deux manifestants ont été tués.

La répression ne vient pas à bout des manifestants

La répression n'a pas arrêté la contestation. Les barrages routiers et les manifestations ont continué. La principale centrale syndicale, la COB (Centrale Ouvrière Bolivienne), dont les effectifs ont fondu en même temps que se développait un chômage massif, a appelé à son tour à la grève générale et, comme le reste de l'opposition, à la démission du président.

Les tirs de l'armée, les 11 et 12 octobre, n'ont pas plus désamorcé la colère. Pour tenter de resserrer les rangs autour de sa personne et conserver les rênes du pouvoir, le président agite la menace d'un coup d'État de l'armée contre lui. En attendant, c'est lui et son armée qui se comportent comme des putschistes: depuis le début de ces événements, au moins 70personnes ont trouvé la mort et 150 ont été blessées. Et ces assassinats ont plutôt fait monter la colère.

Lundi 13, tandis que le vice-président prenait des distances vis-à-vis du président bolivien, ce dernier annonçait qu'il suspendait l'exportation de gaz et relançait l'idée d'une consultation de la population. Mais il n'était pas sûr qu'il parvienne à reprendre le contrôle de la situation: l'opposition réclamait toujours sa démission et, lundi, La Paz restait paralysée par la grève illimitée.

Mardi 14, la grève s'était généralisée à d'autres villes, notamment Oruro, Potosi et Cochabamba. Le lendemain, elle s'étendait au reste du pays. Deux colonnes d'environ 10000 ouvriers et paysans, à l'appel de la COB, s'étaient mises en marche en direction de La Paz. Le quartier administratif de La Paz, la place Murillo, où se trouve le palais du gouvernement, la chancellerie et le Parlement, était sous la protection de l'armée et de ses tanks, mais le chef de l'armée déclarait publiquement que l'armée entendait défendre la Constitution mais "pas appuyer le président en tant que personne". Les banques ont décidé de suspendre toutes leurs opérations dans tout le pays. Malgré cela, le président Gonzalez de Lozada disait toujours ne pas vouloir renoncer.

La population veut garder le contrôle du gaz, car elle sait bien que c'est une des premières sources de richesse du pays, la deuxième réserve naturelle d'Amérique latine après celle du Venezuela. Et elle ne veut pas que cette richesse profite d'abord à des grandes compagnies privées, alors que les Boliviens manquent de tout. On le voit, une fraction de la population bolivienne est consciente, et prête à lutter pour contrôler ce qui est fait des richesses qu'elle produit et finalement de l'économie.

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