- Accueil
- Lutte ouvrière n°1841
- Chartres : Un centre-ville qui s'embellit, des quartiers populaires qui paient la note
Leur société
Chartres : Un centre-ville qui s'embellit, des quartiers populaires qui paient la note
Début octobre ont commencé les travaux de ce que la mairie de Chartres appelle l'opération "Coeur de ville". Sans modestie, le journal municipal parle du "plus grand chantier du siècle".
Il s'agit de réaménager les principaux boulevards de la ville, d'y créer des espaces arborés avec des jeux d'eau, de transférer la bibliothèque municipale dans le bâtiment de l'Hôtel des Postes pour en faire une médiathèque, d'implanter un multiplexe cinématographique et de créer un parking souterrain surdimensionné, de près de 1 200 places. Au total, cela devrait coûter près de 18 millions d'euros aux contribuables. Si tout va bien, tout sera fini en juin 2006... soit neuf mois avant les prochaines municipales.
Car le maire, Jean-Pierre Gorges, un jeune loup madeliniste membre de l'UMP, entend soigner sa clientèle électorale, avant tout les commerçants et le milieu aisé du centre-ville. Mais il a aussi des perspectives nationales. Élu en 2001 sur la base du discrédit de la municipalité PS précédente et devenu député lors de la vague bleue de juin 2002, il cherche à se bâtir une notoriété dépassant les limites de la Beauce. Alors il multiplie les occasions de faire parler de lui: passage à la télé en septembre dernier lors de la "Fête du Parfum et de la Lumière", accueil d'une étape du Tour de France en juillet 2004. Le remodelage du centre-ville est à mettre au compte de cette ambition.
Dans les municipalités où ce genre de travaux ont été engagés, cela s'est souvent traduit par des trous financiers considérables, parce que les coûts finaux se sont avérés largement supérieurs aux prévisions. Le maire, qui se targue d'être un bon gestionnaire, soutient qu'il n'en ira pas de même. Comme, en même temps, il veut baisser les impôts locaux (en pourcentage, ce qui profitera avant tout aux plus fortunés), il a trouvé une solution simple: rogner sur tous les services utiles à la population.
Il y a d'abord les conséquences directes du réaménagement du centre-ville. Les travaux et la gestion du parking ont été attribués à une société spécialisée, Q-Park, qui en aura l'exploitation (ainsi que celle des parkings déjà existants) jusqu'en 2035! Et pour contraindre les habitants à utiliser ces installations, le stationnement payant en surface va être étendu à de nombreux quartiers et son coût augmenté. De son côté, La Poste, implantée depuis les années trente dans un superbe bâtiment classé, va être réinstallée dans des locaux plus petits, ce qui ne contribuera guère à améliorer l'accueil du public.
Et puis il y a toutes les économies réalisées sur les budgets sociaux. Déjà celui consacré au CCAS avait été diminué... sous prétexte qu'il n'était pas entièrement utilisé! Le seul foyer de jeunes travailleurs existant a fermé ses portes fin octobre, faute de subventions. Outre l'hébergement des jeunes aux ressources modestes, il proposait également, le midi, des repas bon marché à un certain nombre de salariés. Il était certes en déficit mais les différents organismes qui le subventionnaient, dont la mairie, ont estimé que cela coûterait trop cher. Mais, dans le même temps, le maire considère comme indispensable de consacrer 440000 euros.... uniquement à "communiquer" sur son opération "Coeur de ville".
Dans les quartiers populaires de la périphérie, on assiste à la disparition ou à la réduction de bien des structures qui permettaient d'apporter un soutien à la population: fermeture d'un centre de santé ici, d'une halte-garderie ou d'une PMI ailleurs, fermeture en cours de plusieurs centres sociaux (Saint-Chéron, Beaulieu) et licenciement du personnel d'animation. Les centres de loisirs (qui assurent des activités pour les enfants le mercredi et pendant les vacances scolaires) ont été réorganisés. Les 6-12 ans sont désormais envoyés dans un centre unique. Les activités proposées sont plus attrayantes mais les tarifs plus élevés. Résultat: l'été dernier, seulement une vingtaine d'enfants, sur la centaine qui fréquentaient la Maison des enfants de Beaulieu, sont allés dans le nouveau centre de loisirs du Rigeard.
A la rentrée scolaire, le tarif de la cantine a augmenté de 10 à 15% pour nombre de parents. Tout simplement parce que le mode de calcul a été modifié et que la mairie inclut désormais dans les revenus toutes les allocations (familiales ou logement) déjà perçues par ailleurs. Si un foyer touche déjà des allocations parce qu'il a un revenu modeste, il paiera donc plus cher!
En septembre, le service des bus, déjà largement insuffisant, a été revu à la baisse: suppression des passages le dimanche matin et disparition d'une ligne. A Lèves, une commune de banlieue touchée par cette suppression, cela a entraîné des perturbations dans les établissements scolaires. Et le premier jour, les handicapés qui travaillaient au Centre d'Aide par le Travail (CAT) se sont retrouvés dans la rue, sans moyen de transport pour rentrer chez eux.
Il existe aussi des menaces sur les bibliothèques de quartier comme celle du Forum de la Madeleine ou de Beaulieu, sous prétexte qu'il n'y en aurait plus besoin avec la future médiathèque centrale. C'est pourtant dans les quartiers populaires qu'elles sont le plus indispensables.
Voilà quelques aspects de l'envers de l'opération "Coeur de ville". Ce projet tape-à-l'oeil et qui n'intéresse qu'une minorité de la population de la ville est d'autant plus choquant que, dans cette période de montée du chômage et de la misère, il contribue à aggraver, au niveau local, les attaques menées par le gouvernement et le patronat contre le monde du travail.