Chercheurs : Le mouvement continue!24/03/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/03/une1860.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Chercheurs : Le mouvement continue!

Un mouvement social peut-il être soumis à des lois scientifiques? En ce qui concerne le mouvement des chercheurs, en tout cas, il y en a une qui se vérifie depuis trois mois: chaque fois que le pouvoir fait une déclaration, leur mobilisation augmente d'un cran! Chirac vient d'en faire les frais, après Raffarin quinze jours plus tôt, Devedjian au mois de février, et Haigneré, la ministre de la Recherche, chaque fois qu'elle a ouvert la bouche depuis Noël. À sa lettre lénifiante, sans fond ni forme, a répondu une manifestation sans précédent de plusieurs dizaines de milliers de membres des laboratoires de la recherche publique dans tout le pays.

Même les chiffres de la police commencent à devenir impressionnants. À Paris, le 9 mars -jour de la démission des directeurs de laboratoire- elle avait compté 5000 personnes à Paris (comme il y avait déjà plus d'un millier de directeurs de laboratoire à l'intérieur de l'Hôtel de Ville, ce chiffre paraissait franchement sous-évalué). Le 19 mars, lors de la nouvelle mobilisation des chercheurs dans la rue, elle en comptait 9500 à Paris et encore plus dans des rassemblements partout en province! Entre-temps, donc, Chirac avait parlé, et rien dit, si ce n'est répété les promesses qu'il avait prononcées dans ses voeux de Nouvel An («Aujourd'hui, la recherche est soutenue à hauteur de 2 ,2% du produit intérieur brut. En 2010, ce sera 3%.»), déclaration qui, incidemment, est à l'origine de la pétition des chercheurs qui en avaient déjà assez de subir les coupes budgétaires et les suppressions de postes, mais qui, là, ont pris le coup de sang parce que Chirac se payait franchement leur tête.

Après trois mois, les laboratoires (dont la façade est désormais souvent barrée d'une banderole «labo en lutte») sont donc plus mobilisés que jamais. Plus de la moitié des directeurs de laboratoire ont à présent annoncé leur demande de décharge des tâches administratives; des milliers de responsables d'équipe ont fait de même. La pétition des chercheurs continue d'engranger des signatures (on dépasse aujourd'hui 70000) et des appels parallèles font florès.

Parmi ceux-ci, la nouveauté sans doute la plus importante de ces dernières semaines est la mobilisation des jeunes chercheurs, jusque là cantonnée à une apparition d'un collectif national, qui prend aujourd'hui des formes multiples. Ainsi, on a vu apparaître, y compris sur les écrans de télévision, ces milliers d'étudiants qui, après leur thèse, sont partis aux USA, en Grande-Bretagne, en Suisse ou jusqu'en Australie pour travailler, en attendant un poste aujourd'hui très improbable dans un labo français. Des rassemblements de centaines de ces étudiants «expatriés» (on évalue leur nombre à plus de 10000) ont eu lieu à l'étranger devant des ambassades, des consulats ou simplement des «sites» représentant la France. On a aussi vu, soudain, la galère des «précaires», ces milliers d'autres étudiants, en France ceux-là, en thèse ou même au-delà de bac + 8, qui vivent d'expédients, de petits boulots ou de ces maintenant fameuses «libéralités» dont le scandale a éclaté ces dernières semaines: des CDD payés par diverses sources caritatives, qui ne sont de fait que des sommes -en général 1000 euros par mois, au mieux 1500- données sans aucune couverture sociale, mais avec la bénédiction du gouvernement!

Alors, dans les labos, l'heure n'est certainement pas à baisser les bras. Le principal risque, qui a commencé d'être dénoncé dans de nombreuses assemblées générales, est la tentation -à laquelle une certaine proportion des mandarins de la recherche, y compris certains membres du collectif «Sauvons la recherche», semble sensible- de commencer de papoter sur «l'avenir de la recherche» et «les réformes nécessaires». Si ces discussions académiques prenaient le dessus, elles aboutiraient bien sûr à mettre un peu en sourdine les revendications premières qui concernent l'ensemble du mouvement: l'ouverture des postes statutaires de chercheurs, d'enseignants du supérieur, d'ingénieurs et de techniciens, et l'augmentation des crédits de recherche. Le comité d'organisation des «états généraux de la recherche», mis en place par les caciques de l'Académie des Sciences après une visite au ministère, représente bien, dans sa composition même, cette tendance mandarinale: sur trente membres, un seul jeune chercheur (ce qui fait bondir les «expatriés» et les précaires), un technicien (ajouté à la hâte lorsqu'on s'est rendu compte qu'on les avait oubliés!), seulement sept femmes (alors que la profession est majoritairement féminine...), une sous-représentation manifeste de certaines disciplines considérées comme moins «importantes» (telles les sciences humaines et sociales).

Tout cela provoque une grande méfiance contre ce qui, appuyé par quelques textes bien choisis de «grands noms» de la recherche dans les journaux, ressemble fort à une déviation du mouvement vers des objectifs qui ne servent pas les intérêts du personnel mais qui sont, en revanche, bien ceux du gouvernement.

Aujourd'hui, la mobilisation des labos est telle qu'il y a sans doute peu de danger que cette manoeuvre aboutisse. Il est bon néanmoins que des voix s'élèvent pour dénoncer ce piège, que le gouvernement avait vainement essayé de tendre depuis des mois.

Marc Peschanski

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