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Grande-Bretagne : Un désaveu cinglant pour le gouvernement Blair
Tout le monde en Grande-Bretagne s'attendait à une claque spectaculaire pour le gouvernement Blair, lors de la quadruple élection du 10 juin -élections européenne et municipale, auxquelles s'ajoutaient celles du maire et du conseil du Grand Londres.
Une grande partie de l'électorat avait en effet de bonnes raisons de vouloir sanctionner Blair -qu'il s'agisse de ses mensonges à propos de l'Irak, de la poursuite de l'occupation militaire, ou encore de la dégradation croissante de la couverture sociale, en particulier des retraites et de la santé, ou de celle des services publics. Et cela n'a pas manqué.
L'hécatombe travailliste
On l'a vu d'abord au niveau de la participation électorale, qui est restée en dessous des 40% sur l'ensemble des différents scrutins. Il est vrai qu'il s'agit du meilleur chiffre pour de telles élections depuis dix ans, mais il faut dire qu'une partie importante de cette augmentation est due au nouveau système de vote postal dans une partie du pays.
Ensuite, ce vote de sanction s'est exprimé dans chacun des scrutins du 10 juin. Aux municipales, qui concernaient environ un tiers de l'électorat (une partie des sièges municipaux sont renouvelés chaque année, pour une durée de quatre ans), c'est la première fois dans l'histoire du pays qu'un parti au pouvoir arrive en troisième position dans un tel scrutin -26% des voix aux travaillistes contre 38% aux conservateurs et 29% aux libéraux-démocrates.
Les travaillistes perdent ainsi 20% des sièges de conseillers municipaux qu'ils détenaient, soit 476 sièges qui viennent s'ajouter aux quelque 2800 sièges perdus depuis que Blair est arrivé au pouvoir, en 1997. Qui plus est, le parti perd une nouvelle série de ses bastions ouvriers -dont Newcastle, le Saint-Nazaire anglais, et Doncaster, ville minière et métallurgique dont la municipalité avait été travailliste depuis la fondation de ce parti, en 1905. La position dominante que les conservateurs avaient acquise l'an dernier, pour la première fois depuis les années 1950, grâce au vote sanction contre la guerre en Irak, se trouve désormais très largement consolidée.
Si, en revanche, le candidat travailliste à la mairie de Londres, Ken Livingstone, a été réélu, ce n'est pas grâce au soutien du Parti Travailliste, mais malgré lui. Livingstone, qui avait quitté ce parti il y a quatre ans en se posant en champion de l'opposition à Blair, a fini par réintégrer récemment le giron travailliste. Et c'est avec un score nettement réduit qu'il a été réélu. Seule son opposition affirmée, non plus à Blair mais à la guerre en Irak seulement, semble l'avoir sauvé de la déroute, si l'on en juge par l'élection parallèle à l'assemblée du Grand Londres, où les travaillistes obtiennent 11% de voix de moins que Livingstone et sont nettement devancés par les conservateurs.
Quant aux élections européennes, elles se soldent par un désaveu encore plus retentissant pour les travaillistes. Car, même s'ils arrivent cette fois en deuxième position, c'est avec seulement 22,6% des voix, le plus bas score jamais réalisé par les travaillistes, contre 26,7% aux conservateurs.
Désaveu à la droite de Blair, mais pas à sa gauche
Le faible écart entre les deux grands partis aux européennes tient à l'émergence d'un trouble-fête -UKIP, le Parti pour l'Indépendance du Royaume-Uni- qui obtient plus de 16% des voix, surtout aux dépens des conservateurs mais aussi, dans une certaine mesure, des travaillistes.
Les origines de UKIP remontent à 1993, lorsque Paul Sykes, promoteur immobilier multi-milliardaire, s'associa à d'anciens dignitaires conservateurs sur la base d'un objectif unique:le retrait pur et simple de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Récemment, l'incapacité du Parti Conservateur à regagner du crédit et les divisions du Parti Travailliste sur la Constitution européenne ont grossi ses rangs d'un certain nombre de transfuges des deux partis. Parmi ceux-ci, on trouve d'autres richissimes conservateurs comme Sykes, mais aussi des artistes connus ou encore l'ex-député travailliste Kilroy-Silk, très connu grâce à ses nombreuses années comme présentateur-vedette à la télévision.
Dans cette élection européenne, le langage populiste de UKIP, qui clamait ce que le respectable Parti Conservateur n'ose pas dire, en faisant appel ouvertement aux préjugés isolationnistes, voire xénophobes et racistes latents dans l'électorat, lui a donc permis de se gagner les voix d'une partie des mécontents et, du coup, en prenant la troisième place devant les libéraux-démocrates, de jouer dans la cour des grands, après des années d'obscurité.
C'est sur le succès de UKIP, bien plus que sur les causes du désaveu infligé à Blair, que les médias et les politiciens ont mis l'accent, bien trop contents de pouvoir se raccrocher à une bouée de sauvetage aussi bien ancrée à droite. À entendre les ministres de Blair dire leur "intention d'écouter les électeurs de UKIP", on ne peut que se remémorer la façon dont, l'an dernier, le gouvernement avait pris prétexte de la demi-douzaine de sièges municipaux obtenus par l'extrême droite pour justifier une série de mesures drastiques contre les travailleurs immigrés, sous prétexte de ne pas "prêter flanc à la démagogie raciste". Et il n'est pas douteux que les progrès électoraux de UKIP serviront eux aussi à Blair pour justifier d'autres concessions aux plus réactionnaires et d'autres surenchères à droite.
S'il y avait bien des façons pour les électeurs de voter à la droite de Blair, les travailleurs n'avaient guère le moyen de se servir de leur bulletin de vote pour exprimer leur opposition à la servilité du gouvernement travailliste à l'égard du capital, en Irak comme en Grande-Bretagne. Car, dans ces élections, aucun courant n'avait choisi d'incarner une politique se situant clairement à la gauche de Blair et indiquant une perspective de lutte pour le monde du travail.
Sans doute, pour la première fois, une partie de l'extrême gauche était présente à l'échelle nationale aux élections européennes. Mais ces organisations avaient choisi de se présenter dans le cadre d'une alliance ambiguë ("Respect - la coalition unitaire"), dont le porte-parole était un ancien député travailliste, affairiste notoire et adversaire de l'avortement, et dont les participants allaient de personnalités pacifistes opposées à la guerre en Irak à des courants islamistes intégristes. Voter pour une telle alliance pouvait apparaître comme un moyen de voter contre la politique de Blair en Irak, mais certainement pas comme un moyen de le faire au nom des intérêts du monde du travail. De sorte que les 1,5% de voix obtenus par "Respect" à l'échelle nationale (dont 4,7% sur l'agglomération de Londres) n'apparaissent pas plus comme un désaveu de gauche de la politique de Blair que les 6,2% obtenus par les Verts, par exemple.
Il reste que les travailleurs britanniques ont bien des comptes à régler avec le gouvernement travailliste et ses mandataires de la City de Londres. Et s'ils n'ont pas eu les moyens de le montrer lors de ces élections, ils le feront peut-être demain en utilisant des méthodes plus appropriées, celles de la lutte des classes. En tout cas, c'est ce que l'on peut souhaiter.