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Dans le monde
Irak : Un nouveau paravent pour l'occupation américaine
Le gouvernement irakien présidé par Iyad Allaoui s'est vu reconnaître sa "souveraineté", toute formelle, le 28 juin, avec deux jours d'avance sur le calendrier initialement prévu, certainement pour couper court à la vague d'attentats qui allait crescendo à mesure qu'on se rapprochait du 30 juin. L'administrateur américain Paul Bremer va quitter Bagdad, tandis que le nouvel ambassadeur américain, John Negroponte, a pris possession de l'ambassade. Mais ce petit ballet ne change pas grand-chose à la réalité de l'occupation par les troupes américaines rebaptisées force multinationale .
L'hypocrisie de l'ONU
C'est dire toute l'hypocrisie contenue dans la résolution 1546 adoptée, le 8 juin dernier, par le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui prévoit qu'après le transfert du pouvoir au gouvernement irakien intérimaire, l'autorité provisoire de la coalition -c'est-à-dire les troupes américaines et leurs supplétifs- "cesse d'exister."
On trouve d'ailleurs, en annexe de cette résolution, une lettre du Premier ministre irakien qui demande que... soit maintenue la présence de la force multinationale, c'est-à-dire de l'armée américaine. Si ce Premier ministre commande désormais les forces de sécurité irakiennes, la résolution précise que celles-ci n'assumeront ces tâches "qu'à terme." Et, en attendant, il revient aux troupes américaines, pardon à la "force multinationale", "de prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak." C'est pourquoi son commandant siégera lui aussi dans le comité ministériel pour la sécurité nationale, cadre dans lequel le gouvernement irakien et la force multinationale "se mettront d'accord sur l'ensemble des questions relatives à la sécurité."
Dans une autre lettre, signée cette fois par le secrétaire d'État américain Colin Powell, et également annexée à la résolution, il est précisé que la force multinationale pourra mener "des opérations de combat contre les forces qui cherchent à infléchir par la violence l'avenir politique de l'Irak." Il y a actuellement 141000 soldats américains en Irak, contre 113000 il y a deux ou trois mois. Et, "pour le cas où nous en aurions besoin", le secrétaire d' État à la Défense Rumsfeld a préparé l'envoi de 25000 soldats de plus.
C'est le nouvel ambassadeur des États-Unis, John Negroponte, qui succède de fait à Paul Bremer, l'administrateur de l'Irak, en prenant la tête de l'ambassade américaine la plus nombreuse du monde. Ce diplomate a derrière lui quarante ans de carrière sur trois continents, dans des zones comme les Philippines, le Mexique et le Honduras. Il résidait dans ce dernier pays, entre 1981 et 1985, quand les États-Unis soutenaient les "contras" , ces forces contre-révolutionnaires opposées aux sandinistes du Nicaragua voisin. Il est soupçonné d'avoir couvert des exactions des escadrons de la mort, ce qu'il a nié bien entendu. C'est ce qui a retardé une nomination aux Nations Unies, où il a été ambassadeur à partir de 2001. Ce dernier poste, maintenant que les États-Unis entendent associer l'ONU à leur présence en Irak, lui vaut sa nomination présente.
Iyad Allaoui, ancien du Baath et de la CIA
La collaboration sera d'autant plus facile entre le Premier ministre irakien et les autorités américaines que celui-ci est un homme des États-Unis. Iyad Alaoui a appartenu au parti Baath (la "Renaissance" en arabe), le parti de Saddam Hussein, jusqu'à ce qu'il quitte l'Irak, en 1990, lors de la tentative de celui-ci de récupérer le Koweït. Dans l'exil, son parti, l'Entente nationale irakienne, bénéficiait du soutien de la CIA et des services secrets britanniques.
En fait, en désignant Iyad Allaoui comme Premier ministre, les dirigeants américains tentent de s'appuyer sur les anciens du Baath, sur une partie de l'ancien appareil de la dictature de Saddam Hussein, pour remettre en place un pouvoir politique. Si les élections prévues avant janvier 2005 ont bien lieu, elles ne pourraient donc n'être qu'un paravent pour un régime tout aussi dictatorial que le précédent... si du moins Allaoui réussit à reconstituer autour de lui l'ancien appareil d'État. Il est vrai que cela n'est pas sûr car, après plus d'un an d'occupation, les anciens de celui-ci se sont éparpillés en multiples factions et cliques, faisant des choix politiques différents.
Quant aux marges de manoeuvre du gouvernement Allaoui, elles sont passablement réduites, de toute façon, par l'occupation américaine d'une part, par le chaos économique régnant d'autre part.
Les attentats des groupes de guérilla de ces dernières semaines ont frappé les infrastructures pétrolières. L'État irakien dépend à 95% du pétrole. Et, entre le 14 et le 21 juin, l'Irak a été privé de recettes pétrolières avec la rupture des oléoducs de la région de Bassora. Les ressources de la production de pétrole restent inférieures de 30% à ce qu'elles étaient avant l'intervention américaine. Dans ces conditions, l'État maintient tout au plus le train de vie de son administration et fournit les rations alimentaires dont a besoin un Irakien sur six du fait d'un chômage à 50%.
Et puis l'État irakien est toujours étranglé par une dette développée depuis la fin des années soixante-dix et qui culmine à 120 milliards de dollars (la moitié sont des intérêts). Pour le moment, ses seuls fonds sont constitués des quelque 18 milliards de dollars de crédits américains, dont 8 milliards ont été distribués aux entreprises américaines engagées dans la reconstruction.
Voilà ce qu'il en est de la "souveraineté" de l'Irak proclamée solennellement le 28 juin: un paravent pour l'occupation américaine, qui ne mettra certainement fin ni au chaos économique, ni au chaos politique, ni à la violence qui éclate chaque jour dans le pays, et que le peuple irakien est chaque jour le premier à payer.