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Indonésie - Octobre 1965 : Cinq cent mille communistes massacrés
Il y a quarante ans, l'Indonésie était le théâtre d'un des plus grands massacres politiques du 20e siècle. Le Parti Communiste le plus important du monde hors du camp «socialiste» était anéanti sans une ombre de résistance, aux applaudissements des gouvernements impérialistes. Le bloc dit «socialiste» autour de l'URSS stalinienne garda un silence gêné. La Chine seule éleva quelques protestations, car le Parti Communiste Indonésien (PKI) avait choisi Pékin contre Moscou, dans la querelle sino-soviétique.
Il y eut, en quelques semaines, plus de 500000 morts. Deux millions de prisonniers furent enfermés pour des années dans des camps de concentration. Des villages entiers furent rayés de la carte: il suffisait pour cela que le chef du village ait appartenu au PKI, ou qu'on ait cru qu'il en faisait partie. Plusieurs vagues de tueries succédèrent encore au grand massacre de 1965. Il y eut aussi pendant des années des procès, qui firent des milliers de morts. En 1990 encore, il y eut des exécutions à ce titre.
Ce bain de sang montrait l'échec de la politique du PKI, une politique nationaliste de soutien à un gouvernement soi-disant progressiste et non aligné.
Car depuis 1951, le PKI s'était mis à la remorque du président nationaliste Sukarno et du Parti National Indonésien (PNI) que celui-ci avait créé en 1927, au lendemain d'une première destruction du PKI par les autorités coloniales hollandaises. Le PKI avait une seconde fois été réduit à presque rien en 1949, par Sukarno cette fois.
Dans le sillage de Sukarno, le PKI connut un succès croissant. Il faisait contrepoids aux forces conservatrices et aux propriétaires terriens, enracinés en particulier dans la communauté musulmane majoritaire dans le pays. Il donnait au président Sukarno une assise dans les syndicats et la classe ouvrière, importante dans les plantations et dans les secteurs du pétrole et du caoutchouc. Il lui permettait aussi de résister aux pressions pro-occidentales de l'armée et d'affirmer sa stature de leader «non aligné».
La conférence de Bandung en 1955, en Indonésie, en présence de l'Indien Nehru, de l'Égyptien Nasser, du Yougoslave Tito et d'autres leaders du Tiers Monde qui refusaient de s'aligner aussi bien sur Moscou que sur Washington, avait consacré le prestige international de Sukarno. Mais la situation sociale indonésienne était caractérisée par la domination des groupes impérialistes, conservant l'essentiel du pouvoir économique. L'influence du PKI servit à faire patienter les masses affamées et à combattre les menées sécessionnistes qui agitaient de nombreuses îles composant ce pays. Au lieu d'organiser les luttes des ouvriers et des paysans pauvres, il joua un rôle d'étouffoir et combattit même les grèves paysannes qui éclataient à Java.
En 1957, Sukarno séquestra les biens des compagnies néerlandaises et expulsa 46000 Hollandais. Puis il nationalisa le pétrole et réalisa un timide début de réforme agraire, récupéra de haute lutte la Nouvelle-Guinée occidentale et s'opposa à la création de la Malaisie sous influence occidentale. Cela suffit au PKI pour s'aligner sur cette politique au nom de l' «anti-impérialisme» et accepter d'entrer au gouvernement.
En 1965, le PKI était à son apogée, revendiquant plus de trois millions de membres (l'Indonésie comptait alors 100 millions d'habitants), sans compter les dix à quinze millions de personnes organisées dans les syndicats, les organisations de jeunesse, les associations diverses qu'il contrôlait. Dès 1955, il avait obtenu 16% des voix aux élections. Il comptait de nombreux députés, cinq ministres. Mais il jouait le rôle de simple auxiliaire de la politique de Sukarno, en équilibre instable entre l'Ouest et l'Est, entre les grands propriétaires et les petits paysans, entre les forces progressistes et l'armée agitée de multiples complots. Et son sort était plus que jamais lié à celui du régime.
En octobre 1965, l'équilibre se rompit. L'armée mit sur la touche Sukarno, qui resta formellement président jusqu'en 1967, et elle prit le pouvoir. L'occasion fut fournie par une tentative avortée de putsch en faveur de Sukarno, menée par quelques officiers de la garde présidentielle. C'était peut-être une simple provocation. En tout cas l'armée, sous la conduite du général Suharto, dénonça une tentative de prise du pouvoir par le PKI. Elle avait l'aide des services secrets américains. Déjà enlisés dans la guerre du Vietnam, les États-Unis s'employaient à combattre partout l'influence des «rouges».
Et à partir du 8 octobre, ce fut une répression sauvage, menée non seulement par les militaires mais aussi par les associations, organisations de jeunesse, milices et partis musulmans, catholiques, protestants et bouddhistes, unis contre les «athées» et ceux qui se présentaient comme les représentants des pauvres et des exploités. Dans certaines régions, le «travail» était fait avant même l'arrivée des commandos parachutistes. Anesthésiés par des années de collaboration gouvernementale, les membres et sympathisants du PKI, croyant au soutien de Sukarno, se laissaient égorger. Le 18 octobre, le PKI fut officiellement interdit, mais il n'existait déjà plus.
La fin du PKI, et des centaines de milliers d'ouvriers et de paysans qu'il entraîna dans sa chute, n'était pas le résultat d'une politique trop revendicative, trop sensible aux revendications populaires, mais de son alignement derrière un gouvernement bourgeois nationaliste, soi-disant progressiste, qui l'avait utilisé pour neutraliser les révoltes des opprimés.