Ce n’est pas seulement le froid qui les a tués02/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1948.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Ce n’est pas seulement le froid qui les a tués

À peine les premiers froids tombés, que des «sans-domicile-fixe», terme rebattu pour désigner ceux qui n'ont pas de domicile du tout, meurent de froid chaque jour.

Le premier de ces morts était jeune, 38 ans. Il était travailleur intérimaire, avec des contrats plus ou moins longs et des paies insuffisantes pour payer son loyer. Expulsé de son logement à la date limite du 31 octobre, pendant trois semaines il avait passé les nuits dans sa voiture, jusqu'à ce qu'une nuit trop froide le tue.

D'autres morts ont suivi, plus âgés, sans travail. Tous étaient de ces sans-domicile, à qui, le froid venu, on n'offre que des asiles pour une nuit, d'où ils sont chassés le matin, obligés de recommencer à chercher pour la nuit suivante. Un abri que nombre de ces hommes ne recherchent même pas, par dignité, par prudence et parce qu'une nuit passée au chaud ne fait que repousser l'échéance.

On nous parle «d'exclus» pour en faire des cas particuliers, accidentels. Mais un quart au moins des sans-domicile sont des travailleurs en activité. Ils passent la nuit dehors, dans des abris de fortune, dans des gares, sous des ponts d'autoroute, et retournent le matin au travail comme ouvriers ou employés. Leur salaire ne suffit pas à payer un loyer. Ou, du moins, leur fiche de paie n'offre pas aux propriétaires une garantie suffisante pour qu'ils puissent décrocher un appartement à louer.

Devant la rapidité avec laquelle ces morts se sont succédé alors que l'hiver ne fait que s'annoncer, le Premier ministre Villepin a condescendu à une visite dans un centre d'hébergement et a annoncé que des mesures seront prises pour que les sans-domicile ayant un contrat de travail puissent rester un mois entier dans le centre d'hébergement d'urgence.

Qu'ils sont généreux, ces hommes de la bourgeoisie! Au même moment était voté le budget qui prévoit trois milliards six cents millions d'euros d'allégements fiscaux destinés aux plus riches, le fameux «bouclier fiscal», pour leur permettre de ne pas payer trop d'impôt sur la fortune. Il ne s'agit même pas là de cadeaux aux entreprises sous prétexte de «favoriser l'emploi», qui finissent aussi dans la poche des actionnaires. Il s'agit d'un cadeau fiscal direct aux plus riches.

S'il n'y avait pas des associations, des Restos du Coeur au Secours Populaire, il n'y aurait pratiquement rien pour ceux qui se retrouvent en situation d'extrême précarité. Même pas de quoi éviter de mourir de faim. Et si l'hiver rend leur situation particulièrement dramatique, si la presse en parle, combien d'entre eux meurent même en été, de mauvais soins ou de sous-alimentation, parce que les Restos du Coeur ne sont pas en activité? L'État est défaillant sur ce point comme sur bien d'autres qui concernent les classes populaires.

Mais le problème n'est pas seulement de venir au secours de ceux qui sont tombés dans la misère. Pourquoi la misère monte-t-elle? Pourquoi une fraction croissante de la classe des travailleurs doit-elle s'estimer heureuse si elle a un toit, même si c'est dans des appartements insalubres ou des bâtiments mal entretenus, où les ascenseurs en panne et non réparés se traduisent aussi, parfois, par mort d'homme?

Ceux qui se retrouvent sans domicile sont l'expression la plus dramatique de l'appauvrissement dans les classes populaires.

Près de trois millions de personnes ont beau travailler, elles ne touchent que des salaires inférieurs à 600 euros par mois, à peine plus de la moitié du smic. C'est l'ensemble du monde du travail qui est poussé vers l'appauvrissement par les licenciements, par la précarité, par l'insuffisance des salaires. Et l'État ne fait rien contre ce mal engendré en permanence par l'économie capitaliste. Il aggrave la situation en faisant des économies sur les classes populaires, afin de favoriser toujours plus la minorité riche.

Changer cette société est une question de vie ou de mort. Dans le plein sens du terme.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 28 novembre

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