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Dans le monde
Les prisons clandestinesdu monde «démocratique»
Le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Alvaro Gil Roblès, a l'impression d'avoir visité une des prisons clandestines américaines en Europe, un de ces «sites noirs» que les services américains sont accusés d'avoir installés dans plusieurs pays. Ces prisons ont «traité» des prisonniers soupçonnés, à tort ou à raison, d'être liés à des organisations terroristes islamistes.
Le commissaire du Conseil de l'Europe a témoigné avoir visité, en 2002, une prison installée au coeur du camp de l'OTAN de 300 hectares, appelé Bondsteel, au sud de Pristina, la capitale du Kosovo. La prison «ressemblait à une reconstitution de Guantanamo, en plus petit»: «De petits baraquements en bois étaient entourés de hauts barbelés, a expliqué le commissaire européen. J'ai vu entre quinze et vingt prisonniers, enfermés dans ces maisonnettes, revêtus de combinaisons orange comme celles des détenus de Guantanamo.»
Selon le commissaire européen, ceux qui sont passés par cette prison ont été traités comme ceux de Guantanamo, c'est-à-dire au mépris des lois les plus élémentaires. Ils n'avaient aucun moyen de faire appel à des avocats pour les défendre.
À l'époque, les autorités américaines lui avait assuré que cette prison allait être démantelée courant 2003. Selon le commissaire, les prisonniers qui y étaient enfermés pouvaient être des Afghans en cours de transfert vers Guantanamo.
Le témoignage du commissaire européen a été démenti par le général français Marcel Valentin, qui a commandé la force multinationale de l'OTAN au Kosovo (KFOR), entre octobre 2001 et octobre 2002. Mais le général aurait peut-être mieux fait de rester muet: son démenti a parfois l'accent d'un demi-aveu! Il a en effet expliqué au quotidien Le Monde n'avoir «jamais été choqué s'agissant des conditions de détention. C'était une prison militaire comme tant d'autres. Amnesty International et la Croix-Rouge n'ont rien trouvé à redire sur les conditions de détention. Bien sûr que les gens y étaient incarcérés dans des conditions d'exception, et que je disposais de pouvoirs d'exception: il n'y avait au Kosovo ni justice, ni police, ni prison. Les prisonniers n'avaient donc pas d'avocat. Ils subissaient une garde à vue prolongée.»
Selon le général, 75 personnes auraient ainsi été détenues dans la période où il était présent, et d'ajouter: «Ce centre de détention n'a jamais contenu que les personnes que la KFOR, conformément à la résolution 1244 des Nations unies, avait pour mission d'arrêter et de détenir.» Quoi de plus normal que cet arbitraire, en effet, puisqu'à ce moment l'OTAN, le paravent des grandes puissances impérialistes, assumait les sales besognes de l'intervention guerrière engagée contre la Serbie? Et si cette prison n'est pas un «site noir», on ne s'y comportait de toute évidence pas mieux qu'à Guantanamo, dont personne ne nie l'existence.
En attendant, la révélation de l'existence de ces prisons secrètes fait scandale parmi les dirigeants européens. La Suisse a exigé des explications de Washington sur le survol de son territoire par des avions transportant des détenus tombés entre les mains des services américains. L'Allemagne s'inquiète et l'ex-secrétaire général de l'OTAN pendant la guerre contre la Serbie, aujourd'hui représentant de la politique extérieure de l'Union européenne, Javier Solana, a protesté contre l'éventuelle présence de «petits Guantanamo» en Europe.
Quant à l'armée américaine, elle s'en est sortie une fois de plus en démentant «l'existence d'une prison secrète au camp Bondsteel», mais elle a admis qu'il y existe toujours une prison «destinée à des personnes arrêtées durant les opérations de maintien de la paix de l'OTAN au Kosovo», ajoutant que personne n'y serait détenu actuellement et qu'«elle n'est pas utilisée comme une prison clandestine par la CIA».
Si les autorités américaines le disent... c'est que ça doit être aussi vrai que l'existence d'armes de destruction massive en Irak!