Bolkestein de retour au Parlement européen16/02/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/02/une1959.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Bolkestein de retour au Parlement européen

Même révisée, la directive veut toujours renforcer l'arsenal du patronat

Mardi 14 février, des dizaines de milliers de manifestants, venus d'une vingtaine de pays, se sont rassemblés à Strasbourg devant le Parlement européen, afin d'exiger le retrait du projet de libéralisation des services, la fameuse directive Bolkestein.

Derrière de nombreuses banderoles de syndicats allemands, on pouvait compter des métallurgistes du Land de Bade-Würtemberg voisin, où des négociations salariales sont en cours, des salariés de l'automobile comme ceux de Volkswagen, et un gros cortège de travailleurs des services publics portant les drapeaux de leur syndicat Ver.di.

Sur l'une des banderoles, on pouvait lire: «L'ennemi ce n'est pas le travailleur polonais, ce n'est pas l'Europe, c'est le gouvernement et le capital».

Et il est vrai que les travailleurs de multiples origines, réunis au hasard des calculs du patronat pour qui le travail humain n'est qu'une marchandise, pourraient à eux tous imposer ce qui n'est la priorité ni de la Commission européenne ni des parlementaires: un véritable nivellement par le haut des conditions de salaire et d'existence des travailleurs d'Europe.

Quant à la directive, son objectif, même après révision, reste de libéraliser encore plus le secteur des services en facilitant l'arrivée sur le marché européen des entreprises sous-traitantes originaires des pays nouvellement entrés dans l'Union européenne. Au nom de la libre concurrence, il s'agirait même, pour l'Union européenne, d'«éliminer tous les obstacles juridiques à l'établissement d'un véritable marché intérieur».

Jusqu'à présent, le rapport destiné à être voté par les parlementaires européens conservait le point le plus dénoncé dans la directive initiale: le «principe du pays d'origine» pour une entreprise prestataire de service. Les entreprises sous-traitantes pourraient ainsi payer leurs salariés au tarif en vigueur dans leur pays d'origine, même si ceux-ci travaillent dans un pays où les conditions sont meilleures. C'était inciter les entreprises en mal de sous-traitants à en chercher dans les pays à bas salaires, contribuant ainsi à tirer vers le bas les salaires européens.

Maintenant que le vote de cette directive est arrivé à échéance et que les parlementaires sont invités à bénir démocratiquement la directive de la Commission européenne, les deux grands partis du Parlement, le Parti Populaire (droite) et le Parti Socialiste, selon une procédure qui leur est habituelle, ont passé un compromis dans la coulisse pour gommer de ce texte ce qui fâche, et qui menaçait de faire capoter le vote.

Formellement donc, «le principe du pays d'origine» a été retiré. Et les sous-traitants des pays les moins bien lotis socialement appelés à intervenir dans les pays mieux dotés devraient payer les salariés au tarif en vigueur dans le pays d'accueil. En revanche, les autres contraintes des prestataires de services devraient être légères: ils ne seront pas tenus d'ouvrir un bureau dans un pays où ils souhaitent fournir temporairement leurs services et pourront utiliser leur propre matériel de travail. Si l'État d'accueil pourra éventuellement invoquer certaines «exigences» au nom de l'ordre public, de l'environnement, de la santé, de la protection sociale, toutefois ces «exigences» devront être «proportionnées», tenir compte de la «nécessité» et «non discriminatoires», ce qui laisse la place à des interprétations en défaveur des salariés.

On saura jeudi 16 février si ce compromis a été payant et jusqu'à quel point la directive a été amendée, du moins si elle est votée. En effet, le compromis ne satisfait pas la droite libérale. Le nouveau président de l'organisation patronale européenne (Unice), le baron Seillière, a fait savoir qu'il y était opposé. Les représentants des dix pays récemment entrés le sont également. À gauche, outre le flou restant dans la directive même amendée, il reste aussi des sujets de discorde sur les secteurs concernés par cette directive. Certains comme la santé, les services sociaux, la culture ou l'audio-visuel, en sont écartés, mais aux secteurs de l'eau, de l'énergie ou du ramassage des ordures, visés par cette directive, pourraient s'ajouter ceux de l'enfance et des soins aux personnes âgées. Car le rôle de cette directive est aussi d'ouvrir aux entreprises privées une partie des services publics. Et cet aspect-là n'a pas été gommé.

Et puis, directive ou pas, les patrons de différents secteurs économiques ne l'ont pas attendue pour faire appel, chaque fois que c'était possible, à des salariés payés aux tarifs de l'Est de l'Europe, voire du Tiers Monde, comme on l'a vu avec les chantiers de Saint-Nazaire ou EDF à Porcheville. Sans parler des sociétés de transport et des entreprises du bâtiment, sous-traitants de grands groupes capitalistes, qui se jouent des lois sociales.

Car, pour les patrons, tout est bon pour rabaisser salaires et conditions de travail. Les syndicats ont raison de dénoncer ces pratiques. Mais l'intérêt des travailleurs n'est pas de s'en prendre aux travailleurs de la sous-traitance mais d'établir avec eux des relations fraternelles, afin d'imposer tous ensemble qu'ils bénéficient des mêmes conditions de salaires et des mêmes droits que dans le pays d'accueil.

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