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Grande-Bretagne : Blair ou la chronique d'un départ annoncé
Que Blair ait démissionné de ses fonctions de leader du Parti Travailliste (et par conséquent de Premier ministre) le 10 mai, était prévu de longue date et n'a donc étonné personne.
On ne peut pas en dire autant du ton du discours annonçant cette décision, où il dit, entre autres : " La nation britannique est une nation bénie. C'est une nation spéciale. Le monde entier le sait bien et, au fond de nous-mêmes, nous le savons tous. C'est la plus grande nation qui soit sur cette planète. " Même si, au fil des années, il est devenu de plus et plus fréquent pour Blair d'user de chauvinisme et de bondieuseries pour renforcer la démagogie de ses propos.
Mais Blair devait aussi, par le même tour de passe-passe, réussir à escamoter une poutre de taille. Car officiellement son départ est un départ " volontaire ". Après avoir battu le record de longévité de ses prédécesseurs travaillistes, Blair est censé mettre un terme, a-t-il dit, à une " décennie bien remplie de services à mon pays ", dont la tâche sera " poursuivie par mon bon ami Gordon Brown " (ministre des Finances de Blair depuis dix ans et numéro 2 du régime). Mais qu'en est-il réellement ?
En 2005, Blair et les travaillistes n'ont remporté leur troisième élection parlementaire consécutive que de justesse, alors que leurs rivaux conservateurs n'avaient toujours pas commencé le ravalement de façade dont ils avaient besoin pour bénéficier du retour de balancier du bipartisme. Mais, pour la première fois dans l'histoire du pays, un parti remportait une élection avec le soutien d'à peine plus d'un cinquième des inscrits.
Déjà à ce moment, du fait des postures populistes qui lui étaient habituelles, Blair concentrait sur son nom tout le ressentiment de ceux qui auraient rêvé de faire payer au gouvernement ses mensonges et sa politique irakienne, ou encore les attaques des travaillistes contre les services publics, la montée des profiteurs privés dans les interstices de la santé publique et de l'éducation, etc.
Il n'en fallut pas plus pour que germe l'idée qu'un Parti Travailliste " ravalé ", c'est-à-dire débarrassé de la " gamelle Blair ", aurait quand même plus de chances de battre les conservateurs aux élections suivantes.
Mais Blair ne l'entendait pas de cette oreille. Au contraire, il célébrait le caractère " écrasant " de la victoire travailliste, tout en s'engageant à conduire le parti une nouvelle fois à la victoire lors des élections parlementaires suivantes, en 2009. Pire, Blair tenait à répéter qu'il entendait battre le record de longévité de tous les Premiers ministres britanniques, y compris celui de douze ans établi par Thatcher.
À partir de ce moment, les hautes sphères travaillistes n'en finirent plus de s'échauffer. Jusqu'à ce que l'élection municipale partielle de mai 2006 (l'ensemble des sièges municipaux sont renouvelés suivant une rotation sur quatre ans) fasse éclater la vérité : avec l'équipe réunie par son nouveau leader, un jeunot du nom de David Cameron, le Parti Conservateur réussissait à repousser les travaillistes en troisième position.
Dès lors, la position de Blair devenait difficile. En septembre dernier, après avoir pris la température du congrès du parti, il annonça officiellement qu'il démissionnerait de sa direction avant un an. Fin septembre, il fixait comme date butoir le lendemain des élections municipales de mai 2007.
Ainsi les travaillistes auront une année entière pour tenter de remonter la pente avant leur prochain test électoral, celui des municipales de 2008. Et compte tenu de leur situation catastrophique dans les municipalités aujourd'hui (les travaillistes y ont trois fois moins de conseillers que les conservateurs), même un succès modeste pourra y être présenté comme une grande victoire.
Quant à Gordon Brown, le remplaçant de Blair, il ne changera bien sûr pas sa politique au service du grand capital, ne serait-ce d'ailleurs que parce qu'il a été lui-même le concepteur ou le réalisateur de bien des politiques de son prédécesseur. Mais, au moins, devant l'électorat, Brown pourra pointer le doigt du mécontentement vers les " erreurs " ou les " excès " de Blair, sans changer pour autant son cap d'un iota.