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Dans le monde
Accord avec la Libye : Sous l'humanitaire... les affaires
Le conte très médiatiquement mis en scène sur le dévouement désintéressé de la famille Sarkozy pour la libération des infirmières bulgares a vécu. Ce n'est pas vraiment une surprise, mais plutôt une banalité de voir des politiciens s'agiter dans la représentation des intérêts de leurs industriels. Outre la centrale nucléaire, deux accords sont notamment évoqués avec des filiales d'EADS, l'un pour des missiles antichars Milan, l'autre pour des systèmes de communication radio sécurisées, ainsi que pour la construction d'une usine d'armement.
Sortie affaiblie de l'embargo d'une dizaine d'années, décrété par l'ONU au début des années 1990, la Libye a de gros besoins. Sa production de pétrole actuelle est par exemple encore inférieure à celle de 1992. D'un autre côté ses réserves pétrolières, importantes, en font un partenaire commercial solvable. Depuis la levée de l'embargo, en 1999 pour les relations commerciales courantes et en 2004 pour les ventes d'armes, les pays européens et les États-Unis se sont donc précipités en un ballet hypocrite mêlant négociations pour obtenir des contrats et déclarations saluant le retour dans le concert des nations d'un pays traité peu de temps auparavant d'État voyou.
L'Italie, l'ex-pays colonisateur, est aujourd'hui le premier partenaire commercial de la Libye. Elle représente 43 % des exportations du pays et 24,5 % de ses importations. Derrière il y a l'Allemagne (11,2 % du marché libyen),) le Japon (7,4 %), la Grande-Bretagne (6,9 %), devant la France (6,3 %), un partenaire économique pourtant très ancien.
C'est donc d'abord pour défendre les intérêts des industriels français que Sarkozy s'est déplacé le 25 juillet à Tripoli.
L'armée de l'air libyenne a déjà passé un contrat avec un consortium formé par Thales, la Snecma et Dassault Aviation pour la remise à niveau de douze Mirage F1 des années 1970. Mais elle lorgnerait aussi le Rafale. Il y aurait bien quelques problèmes diplomatiques à régler, notamment la politique de la Libye envers le Tchad, son voisin du sud et protégé de l'impérialisme français, mais le fait que cela n'a pas empêché la conclusion du contrat sur les missiles Milan est de bon augure.
La marine lybienne lorgne, elle, des corvettes, des frégates, des sous-marins. Le pays compterait aussi acquérir des moyens de surveillance du territoire et des frontières (Thalès et EADS sont sur les rangs) des hélicoptères de combat - il en a déjà acheté dix à l'Italie -, de transport de troupes et de matériel. Pas d'objections de nos gouvernants de ce côté-là puisque cela pourrait servir à limiter l'immigration clandestine d'Africains vers l'Europe.
Côté civil, dans la construction, c'est Vinci qui salive. Le groupe avait dû quitter la Libye après l'embargo. Il y est revenu il y a quatre ans pour un contrat pharaonique de pompage d'eau. Mais il voit plus loin : ports, aéroports, routes, ponts, bâtiments publics, infrastructure hôtelière " tout est à faire en Libye ", confie un de ses directeurs.
Dans tous les domaines, le céréalier Soufflet pour l'agroalimentaire, la BNP pour la banque, de grosses entreprises françaises comptent développer leurs activités. Airbus a vendu des avions à une compagnie libyenne, qui projette une quarantaine d'acquisitions en quelques années.
Côté pétrole, Total, présent en Libye depuis très longtemps, tire du pays 3 % de sa production globale et compte bien l'augmenter, notamment par sa participation à hauteur de 24 %, à l'exploitation d'un gisement particulièrement prometteur, à Murzuk dans le sud-ouest du pays.
Bref, des profits en perspective.
Pierre LEMAIRE
À cinéma, cinéma et demi
Le PS a bien du mal à exister. Il a jugé astucieux d'attaquer Sarkozy sur " la transparence " de l'accord avec la Libye et de réclamer une commission d'enquête parlementaire sur le sujet.
Un aspect bien secondaire, qui a permis à Sarkozy, de passer du costume de " chevalier blanc " des infirmières bulgares à celui de " défenseur des emplois dans nos usines ", si peu dérangé par l'attaque qu'il a même accepté la commission d'enquête.
Le PS est si préoccupé de son image de parti de gouvernement, qu'il est incapable de critiquer ne serait-ce qu'un tout petit peu le cynisme, l'appétit et l'âpreté au gain des entreprises françaises dans cette affaire. Et pas besoin d'une enquête parlementaire pour que ça se voie.