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Viêt-nam 1968 : L'offensive du Têt faisait reculer la puissance américaine
Le Têt est la fête du nouvel an vietnamien et celle de l'année 1968, il y a quarante ans, est restée fameuse. En effet, dans la nuit du 30 au 31 janvier 1968, les troupes nord-vietnamiennes et les combattants du Front National de Libération (FNL) sud-vietnamien, qui luttaient pour renverser le régime soutenu par les États-Unis, lançaient une vaste offensive militaire dans tout le Viêt-nam du Sud. Celle-ci apparut d'autant plus inattendue que l'armée américaine, engagée depuis 1961 dans une escalade militaire pour empêcher la réunification du Viêt-nam du Sud avec le Nord, claironnait qu'elle avait la situation bien en mains.
Les États-Unis prennent le relais de la France
De 1945 à 1954, le peuple vietnamien, dirigé par le Viet-minh, un front indépendantiste conduit en fait par le Parti Communiste d'Hô Chi Minh, avait lutté contre le colonialisme français. Celui-ci, après la chute du camp retranché de Dien Bien Phu, avait dû se résigner à la négociation. Mais il parvint à imposer un partage du pays : seul le Nord fut réellement indépendant. Au sud fut mis en place un régime où l'impérialisme américain prit rapidement la place de la France. Les élections qui devaient mettre fin à cette division n'eurent jamais lieu. Les États-Unis entendaient désormais " empêcher que la perte du Viêt-nam du Nord n'ouvre la voie à l'expansion communiste ".
Le régime sud-vietnamien s'appuyait sur de grands propriétaires fonciers. Ce régime corrompu affronta une véritable insurrection paysanne dans les campagnes. Pour soutenir le régime à leur solde au Sud, les États-Unis offrirent d'abord de l'argent, des armes et des conseillers militaires, mais sans parvenir à contenir l'influence croissante du FNL. Dès 1961, les États-Unis engagèrent leurs avions et leurs soldats. Puis ce fut l'escalade. De 16 000 en 1963, les soldats américains présents étaient passés à un demi-million en 1967. À partir de 1965, des bombardements quotidiens frappèrent le Nord-Viêt-nam qui soutenait le FNL. Le Nord-Viêt-nam reçut un tonnage de bombes plus important que celui qui avait frappé l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais la population vietnamienne apprit à s'enterrer pour échapper autant que possible aux effets des bombardements.
L'offensive du Têt, qui dura selon les secteurs de plusieurs jours à plusieurs semaines, fut d'autant plus remarquée qu'elle s'attaquait aux villes : 36 des 44 capitales provinciales furent attaquées et 64 des 242 villes secondaires. Hué, ancienne capitale impériale, fut occupée durablement, tandis que des combattants vietnamiens attaquaient l'ambassade américaine au coeur de Saigon.
Pendant les mois précédant le Têt, l'état-major américain, relayé par l'administration du président d'alors, Lyndon Johnson, avait déclaré " irrémédiable " l'affaiblissement des combattants vietnamiens. Après le Têt, un diplomate dut admettre que " l'ennemi a frappé fort, avec une remarquable attention portée à l'organisation, à l'approvisionnement et au secret ".
La supériorité américaine ébranlée
Le choc fut d'autant plus profond pour l'opinion américaine et mondiale que l'on pouvait voir à la télévision des images des combats : les tireurs du FNL embusqués dans le jardin de l'ambassade américaine à Saigon ou encore le chef de la police de cette ville abattant froidement d'un coup de revolver un prisonnier aux pieds entravés.
En général, après l'offensive, les troupes américaines réoccupèrent en quelques jours le terrain, mais il fallut plus de trois semaines pour reprendre Hué, détruite au trois quarts par les bombardiers américains. La ville de Ben-trè, dans le delta du Mékong connut un sort voisin. Un colonel américain y fit une déclaration fracassante : " Nous avons dû détruire la ville pour la sauver " !
Dans ces combats, 40 000 combattants vietnamiens trouvèrent la mort contre 1 100 soldats américains et 2 500 soldats sud-vietnamiens, alliés des États-Unis. 15 000 civils connurent le même sort et un million de réfugiés furent jetés sur les routes. L'état-major militaire américain considéra qu'il l'avait emporté, et réclama un renfort de 200 000 soldats. Pour le principal général américain Westmoreland, écraser l'adversaire sous un déluge de feu et de troupes restait la seule façon de gagner la guerre.
Mais, en fait, l'offensive du Têt avait démontré que même en bénéficiant d'une supériorité technique énorme, l'armée U.S. était incapable de venir à bout de la volonté d'indépendance d'un peuple dressé contre elle. Prolonger la guerre devenait contre-productif. Face aux incertitudes de l'état-major, aux effets des dépenses militaires sur l'économie et à une opinion publique de plus en plus hostile à la guerre (en quelques jours le nombre d'Américains en faveur de la guerre tomba de 48 à 36 %), Johnson, jusqu'alors avocat de l'escalade, fit volte-face.
Le tournant politique de Johnson
Le 31 mars 1968, Johnson annonça donc conjointement qu'il renonçait à se représenter à l'élection présidentielle prévue à la fin de l'année et qu'il allait ouvrir une négociation avec les porte-parole du FNL pour examiner les conditions d'un retour à la paix. Ainsi, la soif d'indépendance et la détermination du peuple vietnamien, qui n'avait certes pas les moyens matériels de battre l'armée américaine, obligeaient les dirigeants américains à chercher une issue au conflit.
À ce stade, les dirigeants américains n'écartaient pas le choix d'une nouvelle escalade si les exigences de leurs adversaires ne leur permettaient pas de sauver la face. Mais en acceptant la négociation, les États-Unis admettaient tacitement que le Sud-Viêt-nam puisse passer à terme sous le contrôle du FNL. Ils reconnaissaient qu'ils n'étaient pas capables de maintenir dans leur zone d'influence, par la seule force des armes, un pays décidé à conquérir son indépendance.
Cependant, ils entendaient aussi préserver pour l'essentiel l'équilibre des forces entre les deux blocs issus de la Deuxième Guerre mondiale. Ils se lancèrent donc dans une offensive diplomatique, se réconciliant avec la Chine pour l'associer au maintien de cet équilibre mondial.
Cette politique fut menée en pratique par le successeur du démocrate Johnson, le républicain Nixon. Celui-ci poursuivit les négociations, se rendit lui-même en Chine et à Moscou, sans pour autant cesser les hostilités au Viêt-nam. Si la puissance de feu américaine ne permettait pas aux États-Unis de gagner la guerre, elle pouvait au moins peser sur les négociations. C'est ainsi que sous Nixon la guerre fut élargie aux pays voisins, le Laos et le Cambodge, dont les populations subirent également un déluge de feu.
Il fallut cinq ans pour qu'en janvier 1973 les accords de cessez-le-feu soient signés entre le Nord-Viêt-nam, le FNL, les États-Unis et leur allié, le régime sud-vietnamien. Les troupes américaines quittèrent le Viêt-nam en mars 1973, mais le régime de Saigon poursuivit la guerre pendant encore deux ans, avec l'aide des États-Unis, avant de tomber à son tour en avril 1975, permettant au Viêt-nam d'être enfin réunifié.
La leçon du Viêt-nam n'a pas empêché, plus de trente ans après, les États-Unis de s'embourber dans d'autres conflits, en Irak et en Afghanistan, qui apparaissent de plus en plus sans issue. Là aussi, la question du retrait des troupes américaines est posée et, cette fois encore, les États-Unis ne veulent pas se retirer en perdant la face. Quitte à faire payer au prix fort la domination aux peuples du Moyen-Orient, comme hier à ceux de la péninsule indochinoise.