- Accueil
- Lutte ouvrière n°2073
- États-Unis 1933 : Roosevelt instaurait le New Deal
Divers
États-Unis 1933 : Roosevelt instaurait le New Deal
Le 4 mars 1933, Franklin Roosevelt, candidat du Parti Démocrate élu quatre mois plus tôt à la présidence des États-Unis, prenait ses fonctions. Immédiatement, entre mars et juin 1933, il engagea une série de réformes économiques destinées à sortir le pays de la crise dans laquelle il s'enfonçait depuis le krach boursier d'octobre 1929.
Dans le pays champion de la libre concurrence, le New Deal (ou « nouvelle donne ») marque l'intervention de l'État dans les affaires de la bourgeoisie. Dans les milieux d'affaires ou politiques réactionnaires, certains y virent un dirigisme incompatible avec leur liberté d'entreprendre, qu'ils assimileront d'autant plus au socialisme qu'un volet social complétait les lois destinées à relancer l'économie. En fait, la quinzaine de lois qui furent votées entre mars et juin 1933 n'étaient rien d'autre qu'une tentative pour replâtrer un système capitaliste qui menaçait ruine et empêcher une explosion sociale en accordant quelques droits aux syndicats et une aide aux plus pauvres. Les contraintes demandées aux capitalistes américains étaient destinées avant tout à protéger leurs intérêts, et elles étaient bien loin de l'encadrement total de l'économie qui fut imposé par le fascisme à certains de leurs homologues européens.
Une crise durable.
En 1933, la crise touchait tous les secteurs de l'économie. Plus de 5 000 banques avaient fermé depuis le krach de 1929, entraînant la fermeture d'entreprises, faute d'avoir de l'argent. La production industrielle avait chuté de 50 %, mettant au chômage 15 millions de travailleurs (sans indemnités, à cette époque), soit entre un quart et un tiers de la population ouvrière. Ceux qui avaient encore un emploi connaissaient une baisse de leur salaire. La pauvreté se généralisait, les travailleurs qui ne pouvaient plus payer leur loyer étaient expulsés de leur logement, de vastes bidonvilles (les « hoovervilles », du nom du précédent président) firent leur apparition, et les soupes populaires étaient pour beaucoup le seul moyen de se nourrir. Dans les campagnes, de nombreux fermiers furent expulsés de leurs terres, les métayers et ouvriers agricoles se retrouvaient sans emploi. Pendant ce temps-là, les stocks de marchandises et de nourriture étaient pleins, mais ne pouvaient s'écouler faute d'acheteurs.
La situation était explosive, ouvriers et paysans ne se laissant pas réduire à la misère sans réagir. Des émeutes spontanées éclataient un peu partout dans le pays et, malgré une répression brutale, la révolte menaçait de se généraliser. Roosevelt réussit alors à convaincre les capitalistes que, s'ils ne voulaient pas tout perdre, ils devraient accepter quelques contraintes visant, d'une part, à réguler le système afin de relancer l'économie et, de l'autre, à accorder quelques aides sociales aux travailleurs pour éviter les mouvements de révolte.
Relancer l'économie capitaliste.
La première mesure, prise le 5 mars dans l'urgence, fut de décréter la fermeture de toutes les banques et d'interdire les transactions sur l'or pendant une semaine, afin d'assainir le système bancaire. Le 9 mars fut voté l'Emergency Banking Act (loi d'urgence bancaire) qui autorisait les banques dont la situation était saine à rouvrir, les autres pouvant obtenir des crédits auprès des banques fédérales de réserve pour se renflouer. L'interventionnisme de l'État se faisant en faveur des milieux d'affaires, ces derniers surent composer avec leurs principes de défense farouche de la « libre entreprise » !
Pour faire des économies dans les caisses de l'État, un projet de loi économique (Economy Bill) fut déposé le 20 mars, prévoyant de baisser de 15 % les salaires des fonctionnaires fédéraux et les pensions des anciens combattants.
En ce qui concerne l'industrie et l'agriculture, Roosevelt allait mener une politique malthusienne de limitation de la production afin d'écouler les stocks et de relever les prix de vente des marchandises, pour permettre aux capitalistes de faire des profits.
Alors qu'une partie de la population était affamée, faute d'argent pour se nourrir, l'Agricultural Adjustment Act, voté le 12 mai, visait à faire remonter les prix agricoles, en encourageant les propriétaires terriens à réduire les surfaces cultivées et abattre une partie de leur cheptel. En contrepartie, afin qu'ils ne perdent rien, l'État leur versait des indemnités compensatrices, qui allaient essentiellement profiter aux grosses exploitations agricoles. Mais les ouvriers agricoles et les métayers, jetés sur les routes, furent les premières victimes de cette réduction des cultures, de même que les petits fermiers pauvres qui survivaient déjà difficilement avec leur maigre production.
La même politique fut suivie pour l'industrie avec le National Industrial Recovery Act (NIRA - loi pour une relance industrielle), la grande loi du New Deal, qui visait à relancer la production en limitant la concurrence sauvage que se menaient les capitalistes. Elle prévoyait que les industriels s'entendent pour fixer des quotas de production et des minima pour les prix et les salaires, et baissent les horaires de travail afin de créer des emplois. Les accords seraient négociés entre employeurs, syndicats et gouvernement. Les industriels les plus réactionnaires crièrent aussitôt au socialisme, pour la double raison que l'État intervenait dans leurs affaires et accordait quelques droits aux syndicats. Cet « étatisme » était cependant bien limité et n'allait au-delà de l'incitation : aucune clause n'étant prévue dans le NIRA pour forcer les employeurs à respecter la loi. De plus, l'administration mise en place pour son application était contrôlée par le milieu des affaires ! Quant aux minima fixés par branche pour les salaires, ils étaient la plupart du temps inférieurs à ceux déjà versés. Un article du NIRA, la clause 7A, autorisait cependant les travailleurs à participer aux discussions collectives avec leur employeur et à adhérer au syndicat de leur choix.
Empêcher l'extension de révoltes.
Pour combattre le chômage, Roosevelt mit aussi en place une politique de grands travaux, semblable à celle des régimes fascistes italien et allemand. Au niveau de chaque État, ils concernaient la réfection ou la construction d'écoles, de musées ou de bâtiments publics. Mais le principal programme mis en route fut l'aménagement de la vallée du Tennessee (Tennessee Valley Authority), vaste chantier financé par des crédits fédéraux à partir de mai 1933, se traduisant par la construction d'un réseau public de barrages et de centrales hydroélectriques afin de canaliser les crues du fleuve et de fournir de l'électricité meilleur marché aux entreprises et aux habitants de cette région. Ces grands travaux ne parvinrent cependant pas à éliminer le chômage. Au plus fort, ils occupèrent 4 millions de travailleurs, recevant des salaires inférieurs à ceux versés par les entreprises, afin de ne pas concurrencer ces dernières et de préserver leurs intérêts.
Il en alla de même pour les lois sociales qui furent adoptées les années suivantes. Elles visaient avant tout à calmer les explosions de colère qui se produisaient et ébranlaient le système. Car si les prix remontèrent suite aux mesures prises, assurant plus de profit aux entreprises, les salaires ne suivaient pas. L'été 1934, les dockers se mirent en grève sur la côte californienne, les camionneurs à Minneapolis ; une grève des travailleurs du textile, partie du sud des États-Unis, s'étendit jusqu'en Nouvelle-Angleterre, dans le nord-est du pays. En 1935 fut votée une loi de Sécurité sociale, qui instituait entre autres une assurance chômage ; mais celle-ci était financée par des retenues effectuées sur les salaires. En outre, les Noirs, les domestiques et les salariés agricoles en étaient exclus, tout comme ils l'avaient été de la fixation d'un salaire minimum ou des subventions versées aux agriculteurs, afin de ne pas heurter le Sud réactionnaire qui votait traditionnellement démocrate.
Les mesures mises en place par Roosevelt n'avaient rien de socialiste, comme l'étiquette lui en a parfois été attribuée. Elles étaient un expédient choisi par la bourgeoisie américaine pour se sortir de la crise. Le New Deal ne permit cependant pas une relance de l'économie suffisante pour qu'elle retrouve son niveau d'avant la crise. Il ne répondit pas non plus aux attentes du monde ouvrier, et le grand mouvement de grèves qui se produisit en 1936-37 en fut le témoignage, et aussi la preuve de la force de la classe ouvrière américaine et de sa capacité à proposer ses propres solutions face à la crise. Mais, peu après, le monde capitaliste s'engageait dans la nouvelle boucherie de la Seconde Guerre mondiale.