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Dans le monde
Russie : Attentats terroristes à Moscou et terrorisme d'État du Kremlin
Lundi 29 mars, à une heure de pointe matinale, des bombes ont explosé dans deux stations du métro de Moscou. Le bilan provisoire fait état d'une quarantaine de morts et d'une centaine de blessés.
Provocation de l'extrême droite, manipulation des services secrets, acte d'islamistes ou d'indépendantistes caucasiens... Les possibles instigateurs de cette boucherie ne manquent pas. Pourtant, avant même de faire allusion à une vidéo qui montrerait les femmes kamikazes responsables de ces explosions, les autorités policières ont pointé du doigt la « piste caucasienne ».
LE CAUCASE A FEU ET A SANG...
Il y a un an, l'actuel Premier ministre Poutine avait prétendu que son « opération contre terroriste » s'était achevée avec succès, autre nom de la guerre russo-tchétchène qu'il avait engagée fin 1999. À cette époque, Poutine avait pris prétexte d'une série d'attentats à Moscou (293 tués en trois semaines) pour lancer son armée sur la Tchétchénie, une petite république du Caucase russe devenue indépendante de fait après l'implosion de l'Union soviétique fin 1991.
Dès le début, on soupçonna les services secrets russes d'avoir organisé ces attentats, tant ils arrivaient à point nommé pour permettre à Poutine de se poser en chef à poigne, garant de l'ordre et de la stabilité, ce qui allait lui permettre peu après de se faire élire président de la Fédération de Russie.
Dix ans après, non seulement la paix n'est pas revenue en Tchétchénie, mais le chaos a gagné les régions voisines. La population tchétchène survit sous la botte d'un dictateur local adoubé par Moscou, le mafieux Kadyrov, qui a instauré la loi islamiste et qui s'appuie sur la terreur qu'inspirent ses tueurs-racketteurs. Quant aux autres populations du Caucase Nord, elles aussi sont prises en étau entre les hommes de guerre que le Kremlin a nommés à la tête de ces républiques et leurs rivaux des bandes armées, qui se proclamaient jadis plus ou moins indépendantistes, mais qui se revendiquent désormais presque toutes de l'islamisme.
... ET LUTTE DE CLANS AU KREMLIN
Affrontements armés, rackets, tortures, enlèvements, loi martiale, exode forcé... Ce qu'on impose à ces populations constitue le meilleur agent recruteur des groupes islamistes auprès d'hommes et de femmes dont certains, estimant ne plus rien avoir à perdre, sont prêts à se faire sauter avec une ceinture d'explosifs.
En novembre dernier, profitant de ce qu'un attentat attribué à un groupe tchétchène venait de faire 26 morts dans un train de prestige entre Moscou et Saint-Pétersbourg, le président Medvedev a reconnu que « le chômage, la pauvreté, les clans et la corruption » forment le lit du bourbier sanglant du Caucase. Dans la foulée, il a écarté quelques dirigeants locaux nommés par Poutine, son prédécesseur devenu Premier ministre, et placé un de ses hommes à la tête d'une super-région nouvellement formée, celle du district fédéral du Caucase Nord. Et il a chargé son gouverneur général de contrôler, entre autres, les flux financiers que se disputent les mille et une officines de la bureaucratie russe, notamment militaire... et les bandes islamo-indépendantistes du Caucase.
Autrement dit, une mission impossible. À moins qu'elle n'ait été que la feuille de vigne destinée à camoufler un règlement de comptes au sommet entre les deux têtes de l'exécutif russe, Poutine et Medvedev, qui rivalisent dans la perspective de l'élection présidentielle russe de 2012.
UNE SAINTE ALLIANCE AU SOMMET CONTRE LA POPULATION
Dès l'annonce de l'attentat du 29 mars, Poutine et Medvedev ont, d'une seule voix pour une fois, juré « d'anéantir les terroristes ». Toute l'histoire récente depuis l'effondrement de l'URSS, il y a bientôt vingt ans, incite à douter qu'ils y parviennent. En revanche, cet attentat aura comme conséquence immédiate une intensification de la chasse au faciès à laquelle se livre la police dans tous les coins de Russie depuis des années, contre les travailleurs tchétchènes et plus généralement caucasiens.
Dans le Caucase même, il est probable que la caste militaire se sentira les coudées encore plus franches que d'habitude pour s'en prendre à tous ceux qu'elle décidera de cataloguer, à tort ou à raison, comme ayant partie liée avec des « terroristes » ou tout simplement des « extrémistes » - une accusation fourre-tout largement employée en Russie même contre tous ceux qui critiquent un peu vivement les autorités.
D'ailleurs, à Moscou et dans les autres grandes villes russes, même situées à des milliers de kilomètres du Caucase, il est probable que les récents attentats seront le prétexte à un nouveau tour de vis du pouvoir. En particulier Poutine, qui se veut l'incarnation de la « dictature de la loi », pourrait en profiter pour reprendre la main - si tant est qu'il l'ait jamais perdue face à Medvedev - et pour durcir ses méthodes à l'encontre de toute forme d'opposition.
Quand la crise économique étend ses ravages et que, ici ou là, des franges de la population laborieuse relèvent la tête, voire essaient de donner de la voix, ces attentats, quels qu'en soient les réels commanditaires, risquent une fois encore de faire le jeu des ennemis des peuples du Caucase et des travailleurs de toute la Russie.