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- Lutte ouvrière n°2283
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Il y a 30 ans, 2 avril-20 juin 1982 : La guerre des Malouines entre les généraux argentins et le gouvernement Thatcher
Il y a trente ans, en 1982, la junte militaire argentine tentait, sans succès, de reprendre les îles Malouines à l'État britannique. Situées à 480 km des côtes de l'Argentine, elles devraient légitimement revenir à Buenos Aires, ou en tout cas à l'Amérique latine, ce qui mettrait fin à une tutelle coloniale britannique qui dure depuis 1833 -- une revendication qui vient d'ailleurs d'être relancée par la présidente Cristina Kirchner avec d'autant plus de ferveur qu'on y aurait découvert du pétrole. Mais en 1982, alors qu'on on y élevait surtout des moutons, la revendication argentine allait entraîner une guerre absurde.
Quand la junte militaire cherche une diversion
En 1981, la dictature militaire au pouvoir en Argentine depuis 1976 était en perte de vitesse. Elle voulait jouer sur les sentiments anti-impérialistes, profonds dans un pays longtemps sous la tutelle de la Grande-Bretagne puis des États-Unis, pour tenter de détourner le mécontentement de la population et retrouver une popularité. Ces sentiments se manifestèrent avec d'autant plus de force que le conflit, une fois engagé, entraîna un soutien à la couronne britannique de la part de toutes les grandes puissances impérialistes.
L'invasion fut programmée pour avril. En prologue, le général-président Galtieri fit envahir le 26 mars la Géorgie du Sud, à 1 400 km au sud-est des Malouines. Le 2 avril, engins d'assaut et commandos débarquaient aux Malouines, et le lendemain le gouverneur britannique et ses maigres troupes capitulaient. Ce résultat déclencha à Buenos Aires une véritable liesse. Tous les partis politiques, y compris les péronistes et le Parti communiste, par ailleurs tous interdits, s'alignèrent derrière la junte militaire. La CGT péroniste et l'extrême gauche péroniste (les Montoneros) firent de même. Et cela, alors que la junte avait assassiné des milliers d'opposants, syndicalistes de la CGT, militants et sympathisants des Montoneros ou du Parti communiste. Trois jours avant l'invasion, le 30 mars, des manifestations de la CGT contre la dictature avaient même été réprimées brutalement, avec des morts et des blessés et deux mille arrestations, dont celle du secrétaire de la CGT. Mais le 2 avril bureaucrates syndicaux et représentants des partis d'opposition se rendirent à l'invitation du général Galtieri et appelèrent les travailleurs à fêter l'invasion.
La contre-offensive britannique
Avant de se lancer, la junte avait déduit du retrait des troupes britanniques des Malouines quelque temps auparavant (pour des raisons budgétaires) et d'une modification de la loi sur la nationalité, défavorable aux résidents britanniques des îles, que la Grande-Bretagne ne lèverait pas le petit doigt pour celles-ci.
Le calcul était erroné. Une fois l'invasion enclenchée, le Premier ministre britannique du moment, Margaret Thatcher, fit un raisonnement symétrique.
Même si le temps de l'Empire britannique était depuis longtemps révolu, elle jugea qu'elle pouvait s'offrir une démonstration de force à bon compte et sans grand risque dans le contexte des Malouines. Aussi dénonça-t-elle l'agression d'une dictature (on a vu depuis qu'elle pouvait être moins regardante à ce sujet, quand elle offrit plus tard sa protection au général chilien Pinochet rattrapé à Londres par la justice espagnole) et lança une expédition militaire pour reprendre le contrôle des îles.
Les dirigeants européens se solidarisèrent avec Thatcher. En revanche les dirigeants américains hésitèrent entre le soutien au Royaume-Uni ou à une junte très active contre « l'influence communiste » en Amérique latine. Finalement, Reagan se déclara en faveur de la Grande-Bretagne et les États-Unis lui offrirent leur assistance. En France, Mitterrand soutint Thatcher et lui livra des informations confidentielles sur les avions et missiles vendus à l'Argentine. Les forces britanniques, en route vers les Malouines, purent faire escale à Dakar après s'être entraînées en Bretagne.
Le 25 avril, l'armée anglaise put reprendre la Géorgie du Sud. Le 1er mai, les attaques aériennes contre les Malouines commencèrent. Le 2, le croiseur argentin General Belgrano fut coulé, causant plus de 300 morts. Le 4 mai, un destroyer britannique était coulé par un missile français Exocet, sans que cela ralentisse l'intensité des attaques britanniques. Le 21 mai, 5 000 soldats britanniques débarquèrent. La bataille fit rage et 1 400 soldats argentins furent faits prisonniers. Le 1er juin, les effectifs britanniques doublaient et le 11 juin, l'assaut était donné à la garnison argentine de Port Stanley. Enfin, le 14 juin, 10 000 soldats argentins se rendaient et la souveraineté britannique était rétablie. Cette guerre de 72 jours, conduite dans des conditions difficiles sur ces îles très froides, fut terminée le 20 juin, après avoir tué 255 Britanniques et 649 Argentins. Ce succès permit à Thatcher et aux conservateurs d'être réélus en 1983 tandis que la défaite précipitait la chute des militaires argentins. Une nouvelle junte amorça une transition vers des élections qui ramenèrent en 1983 un gouvernement civil, celui du radical Raul Alfonsin. Cette guerre fut aussi une vitrine pour le missile français Exocet, dont les commandes grossirent.
Aujourd'hui, l'impérialisme britannique est toujours aux Malouines où il n'a rien à faire. Si du pétrole y a été découvert, il serait juste qu'il profite d'abord aux peuples des pays d'Amérique latine, en aidant à leur développement au lieu d'aller encore enrichir les compagnies britanniques. Pour autant rien ne justifiait, hier, de s'aligner derrière la junte militaire qui restait une dictature antiouvrière, même si elle s'opposait sur un point à la puissance britannique.
La lutte contre l'emprise des trusts impérialistes sur l'économie des pays d'Amérique latine reste à mener, mais elle n'a rien à voir avec le triste substitut que la dictature argentine a voulu en offrir avec son aventure militaire aux Malouines. C'est une des luttes que la classe ouvrière de ce continent devra mener, en commençant par s'en prendre aux intérêts des grandes sociétés nord-américaines et européennes sur son propre sol, aux capitalistes du continent qui leur sont liés et aux gouvernements à leur service, et y compris aux militaires qui, le temps d'une campagne, cherchent à se donner un vernis populaire.