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- Lutte ouvrière n°2340
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Leur société
Affaire Tapie-Crédit lyonnais (suite) : Le temps des copains et des coquins
En effet Pierre Estoup, un des trois juges du tribunal arbitral privé mis sur pied sous Sarkozy pour trancher le litige entre Tapie et le Crédit lyonnais, a été mis en examen. Flanqué de l'ex-radical de gauche Bredin et de l'UMP Mazaud, Estoup aurait été le principal rédacteur de la décision favorable à Tapie. Or, il avait « oublié » de mentionner ses liens avec l'avocat de Tapie ; un soupçon de connivence aggravé par la découverte au domicile d'Estoup d'un livre avec une dédicace de Tapie : « Avec toute ma reconnaissance ». Motif de la mise en examen : « escroquerie en bande organisée ».
Tapie, qui s'y connaît autant en bluff qu'en rodomontades, a réagi dans les colonnes du Journal du Dimanche : « Si on découvre la moindre entourloupe, le moindre dessous-de-table ou quoi que ce soit d'anormal, alors dans la seconde, de mon initiative, j'annule l'arbitrage. » De fortes paroles, lancées par un homme qui une semaine avant prétendait qu'il ne lui restait que le quart des 403 millions empochés grâce à l'arbitrage aujourd'hui mis en cause... Or, s'il allait au bout de cette déclaration, il lui faudrait rembourser la totalité. Ferait-il alors appel à BTF (Bernard Tapie Finance), sa structure financière domiciliée... en Belgique ?
Les magistrats cherchent maintenant à délimiter les contours de la « bande organisée ». Lors de son entretien avec les juges, Christine Lagarde a expliqué qu'elle n'avait pas pris seule sa décision. Elle a évoqué le rôle de Claude Guéant, ex-secrétaire général de l'Élysée, et de son adjoint François Pérol, deux très proches de Sarkozy, et celui de son propre directeur de cabinet, Stéphane Richard (nommé depuis PDG d'Orange). Ce dernier est invité à s'expliquer le 10 juin devant la même cour que Lagarde. On parle aussi de Borloo, ex-avocat de Tapie, nommé ministre de l'Économie pour un mois juste au moment où la décision d'arbitrage se mettait en place (pas de chance !) Faut-il y ajouter Copé, qui avait déposé en 2007 un projet législatif en faveur de l'arbitrage privé ?
Cet arbitrage, qui au bout du compte s'est avéré dévastateur pour les finances publiques, a été préféré parce qu'il permettait d'aboutir sûrement et rapidement à un dédommagement de Tapie. Cette procédure inhabituelle, à la limite illégale, a été choisie arbitrairement par les sommets de l'État d'alors. Elle est d'autant plus choquante qu'il s'agissait, pour satisfaire un allié de Sarkozy, de gruger l'État, puisque toutes les décisions antérieures prises dans cette affaire avaient débouté Tapie.
L'État devrait maintenant se constituer partie civile pour récupérer son dû. L'État PS pourrait ainsi récupérer les 403 millions que l'État UMP a alloués à Tapie dans de telles conditions. En ces temps où les mesures d'austérité s'amoncellent, il peut espérer démontrer qu'elles ne frappent pas que les classes populaires.
Tout le monde peut aussi deviner que la « bande » a un « chef de bande ». Des agendas de Sarkozy entre les mains des juges indiquent que les rencontres entre lui-même et des protagonistes de cette affaire ont été nombreuses. Comment imaginer en effet que la procédure aujourd'hui contestée ait pu être décidée sans l'aval de Sarkozy ? Ce dernier a montré pendant cinq ans qu'il laissait peu de pouvoir de décision à ses subordonnés et se retrouve aujourd'hui avec de multiples casseroles : affaire Karachi, financement libyen de sa campagne de 2007, sondages de l'Élysée ou largesses de Liliane Bettencourt. Toutes ces affaires du passé donnent maintenant du travail aux magistrats.
Il reste que la République « des copains et des coquins » implique autant la droite que la gauche gouvernementales. Son fonctionnement quotidien prépare les affaires de demain.