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- Lutte ouvrière n°2422
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Dans le monde
Haïti : Le Premier ministre défait, le président atteint, la rue doit aller plus loin
Les imposantes manifestations populaires à Port-au-Prince appelées par l'opposition et baptisées « opération Bukina Faso » ont eu raison du Premier ministre Laurent Lamothe, contraint à la démission après avoir été lâché par le chef de l'État visiblement vidé de son arrogance habituelle et très affaibli politiquement. La couardise de Martelly est telle qu'il a dû se cacher derrière une commission consultative de 11 membres pour demander à Lamothe de partir, lâchant ainsi du lest pour tenter d'obtenir une certaine accalmie, du moins dans la capitale, le théâtre des manifestations, et du coup sauver sa tête réclamée par des partis de l'opposition. (...)
À grand renfort de publicité autour de leurs maigres réalisations [Lamothe et Martelly] ont mobilisé de grands moyens (banderoles, affiches, panneaux, spots publicitaires) pour berner la population, lui laissant croire que le pays a décollé alors que les problèmes d'infrastructures du pays restent entiers, le chômage s'est aggravé avec les révocations tant dans le secteur privé que public, les prix du carburant, des produits de consommation courante, du loyer, des médicaments, de l'écolage (frais de scolarité), ont flambé, la gourde ainsi que le pouvoir d'achat ont chuté, les salaires ont baissé avec la dévaluation de la gourde et l'envolée des prix, la vie devient de plus en plus chère, la misère grandit et frappe des pans entiers de la population. C'est le gouvernement Martelly-Lamothe lui-même qui tirait la sonnette d'alarme sur la crise alimentaire dans certaines régions du pays.
Les taxes instaurées par le tandem Martelly-Lamothe pour augmenter les recettes de l'État épargnent les riches et frappent essentiellement les couches pauvres, directement ou indirectement. Même les bas salaires, comme ceux des ouvriers de la sous-traitance, sont l'objet de nouvelles taxes comme les 10 % prélevés sur le bonus de ces salariés à la fin de l'année. Avec ce couple-ami au pouvoir, le pays vient de faire un bond dans le classement des pays corrompus, arrivant ainsi en tête dans la région comme pays le plus corrompu. On comprend ainsi aisément à quelles fins est utilisée la part du lion des recettes publiques, comme ces fréquents voyages à l'étranger des deux compères avec des perdiem (argent de poche) astronomiques. (...)
Le mouvement de contestation gagne du terrain de semaine en semaine, les manifestations se multiplient à Port-au-Prince et les effectifs des manifestants vont crescendo malgré la répression, malgré des blessés et des morts. Si la mobilisation s'étend à la fin de l'année dans d'autres départements du pays avec la même ampleur, les jours de Martelly sont, par conséquent, comptés en dépit de l'appui de la diplomatie internationale qui ne tient pas longtemps quand la rue ne décolère pas.
Mais les leaders de l'opposition - MOPOD, Fanmi Lavalas, etc - à l'origine du mouvement de contestation ne réclament que le déchoukage [l'éviction] de Lamothe et de Martelly et l'organisation des élections générales dans le pays, c'est-à-dire des revendications ne visant qu'à satisfaire leurs ambitions politiques, à accéder à la mangeoire pour accaparer leur part du gâteau. La vie chère, les bas salaires et l'exploitation éhontée sur la zone industrielle notamment, le chômage grandissant, le manque cruel d'eau et d'électricité dans les quartiers pauvres, etc. Toutes ces revendications qui concernent au premier plan les travailleurs et les classes pauvres en général ne figurent ni dans le cahier des charges des leaders de l'opposition ni dans les pancartes exhibées par les manifestants servant de tremplins à ces politiciens assoiffés de postes et de privilèges, et qui ne feront pas mieux que Martelly et Lamothe une fois au pouvoir. Voilà les principales limites de cette mobilisation. (...)
Il est donc impératif que les classes pauvres aillent plus loin dans le cadre de cette mobilisation, qu'elles ne se contentent pas de déchouquer des politiciens corrompus pour mettre d'autres à la place ; un perpétuel recommencement. Elles doivent maintenir la mobilisation pour exiger la baisse des produits de première nécessité, l'augmentation du salaire minimum journalier à 500 gourdes, la création massive d'emplois à travers des projets de construction d'écoles, d'hôpitaux, de routes, de logements sociaux pour les sinistrés du séisme du 12 janvier et pour les familles pauvres en général, la distribution d'eau potable et d'électricité dans tout le pays, la gratuité de l'école, etc.
Oui, il faut aller plus loin. Il faut que ces déchoukages récurrents aboutissent un jour à un déchoukage plus profond, conscient et préparé, de tous les riches parasites et de leurs valets au pouvoir, de tous ceux qui vivent bien du travail de ceux qui vivent mal. Il faut nettoyer le pays de ces vermines qui accaparent quasiment toutes les richesses et qui contraignent l'immense majorité de la population à patauger dans la misère et dans la crasse. C'est la seule planche de salut pour les travailleurs et les classes pauvres du pays !