Il y a trente ans : Mars 1985 : Gorbatchev au pouvoir en URSS01/04/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/04/2435.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y a trente ans : Mars 1985 : Gorbatchev au pouvoir en URSS

Il y a trente ans, en mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev accédait à la tête du parti dit communiste et donc de l’État soviétique. L’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) est alors une grande puissance faisant partie, avec les États-Unis, des Deux Grands. Pourtant, fin 1991, à peine six ans plus tard, l’URSS va disparaître, ayant explosé en quinze pays indépendants, éclatés en régions souvent dressées les unes contre les autres. De sanglants conflits vont opposer et continuent d’opposer l’Arménie à l’Azerbaïdjan, la Géorgie à ses républiques autonomes, la Russie à la Tchétchénie, etc., avec, dernière en date, la guerre entre l’Ukraine et les séparatistes du Donbass.

L’arrivée de Gorbatchev au pouvoir allait donc marquer une étape décisive dans la désagrégation de l’URSS, et la destruction de ce qui restait des acquis de la Révolution de 1917. La population allait assister au pillage de l’économie par les responsables de l’administration et du parti, à l’effondrement de la production, avec comme conséquences un chômage de masse, chose inconnue en URSS, et un appauvrissement terrible pour près de 300 millions d’ex-Soviétiques.

Une page se tourne

Avec l’arrivée de Gorbatchev au Kremlin, une époque s’achevait : celle où la caste dirigeante, la bureaucratie, avait pu jouir de ses privilèges sans que cela déstabilise tout le régime.

Depuis le milieu des années 1920, dans cet État issu de la révolution ouvrière victorieuse d’Octobre 1917, l’espoir s’était évanoui d’être bientôt rejoint et épaulé par des pays développés, telle l’Allemagne, où une autre révolution prolétarienne l’aurait emporté.

Dans une URSS laissée exsangue par la guerre civile, avec une classe ouvrière épuisée et le recul des perspectives révolutionnaires internationales, la couche des administrateurs, des chefs petits et grands – la bureaucratie – réussit à exercer seule le pouvoir. Staline, le chef que les bureaucrates s’étaient donné pour briser le Parti bolchevique de Lénine et Trotsky, imposa un régime de terreur sur tout le pays, bureaucrates compris. Cette dictature personnelle, qu’ils durent supporter pendant trente ans, fut le prix acquitté par les membres de l’appareil d’État et du Parti pour asseoir leur situation privilégiée.

Après la mort de Staline en 1953, Khrouchtchev lui succéda en garantissant aux bureaucrates que c’en serait fini des méthodes expéditives contre eux. Mais la dictature ne se relâcha pas sur le reste de la société. Puis, en 1964, de hauts dirigeants de la bureaucratie, menés par Brejnev, évincèrent Khrouchtchev.

De « stagnation » en « remise en chantier »

Pendant plus de vingt ans, il s’instaura un donnant-donnant entre le Kremlin et la masse des bureaucrates. Ils pouvaient profiter de leurs privilèges et les accroître au détriment de l’économie, pourvu que cela ne perturbe ni le fonctionnement ni l’équilibre du pouvoir au sommet.

Sous cette apparente stabilité, l’économie soviétique, essoufflée car pillée de toutes parts, s’enfonçait dans la crise. Le pouvoir central réussissait de moins en moins à contrôler les agissements de son propre appareil, et se révélait impuissant à redresser la situation.

L’âge et la maladie finirent par avoir raison des hiérarques du brejnévisme et une nouvelle page s’ouvrit avec Gorbatchev. Succédant à des vieillards, il incarna, à 54 ans, la prise des commandes par une nouvelle génération et associa son nom à des réformes. Mais elles furent plus annoncées que réalisées. Si Gorbatchev déclara que l’URSS avait besoin d’une remise en chantier générale – ce que signifie le mot russe « perestroïka » – des millions de bureaucrates ne l’entendaient pas de cette oreille.

Au sommet de l’État, le nouveau dirigeant ne put conforter son pouvoir. Face à lui et contre lui, des membres du Bureau politique se plaçaient en défenseurs des pesanteurs du régime que Gorbatchev dénonçait publiquement. À tous les niveaux, nombre de bureaucrates ne voulaient à aucun prix de réformes qui, décidées dans l’intérêt collectif de leur système, pouvaient léser leurs intérêts particuliers.

Pour contourner ces blocages, au sommet puis dans des milieux de plus en plus larges de l’appareil, Gorbatchev et ses partisans cherchèrent des appuis dans d’autres couches de la société, telle que la petite bourgeoisie des grandes villes. Gorbatchev lui promit la « glasnost » (transparence des prises de décision), ce qui l’enthousiasma car elle rêvait de la fin de la censure, d’élections libres et de multipartisme… Derrière ce qu’elle appelait la démocratie, elle aspirait à vivre comme ses sœurs des pays riches, y compris à « faire des affaires », à gagner de l’argent par l’exploitation.

Sur ce terrain, Gorbatchev trouva encore plus démagogue que lui dans les sommets de la bureaucratie. Son allié au Bureau politique, Eltsine, devint son grand rival lorsqu’il promit à la petite bourgeoisie de restaurer le « marché », et à la bureaucratie de légaliser sa mainmise de fait sur les entreprises. S’étant fait élire à la tête de la république soviétique de Russie, Eltsine invita ses pairs, les chefs des autres républiques soviétiques, à « prendre autant de pouvoir qu’ils le pourraient », donc à saper le pouvoir central incarné par Gorbatchev.

Un pays et sa population livrés à la curée

En 1990, les événements s’emballèrent. Des pénuries en tout genre s’abattirent sur les consommateurs, les chefs des régions retenant dans leurs fiefs tout ce qui y était produit. Cela paralysa l’économie, organisée et fonctionnant jusque-là comme un tout centralisé et planifié à l’échelle du pays le plus vaste de la planète. Les entreprises d’État commencèrent à voir leurs biens, leur production, aspirés par des filiales privées créées tout exprès par les bureaucrates eux-mêmes.

Partout, les dirigeants prônaient l’indépendance, ici de leur république, là de leur région. Dans un pays en voie d’éclatement, jeté dans le chaos économique, politique et social, les électeurs votèrent massivement pour les indépendances, face à un système central largement associé par les populations aux maux qu’elles subissaient.

L’instauration de l’état d’urgence, en août 1991, fut une tragi-comédie. Ses responsables, une poignée de dirigeants, y renoncèrent trois jours plus tard, faute d’avoir trouvé du soutien dans leur propre appareil militaire et administratif. Eltsine et ses comparses ukrainiens et biélorusses se sentirent alors libres de porter le coup de grâce et, fin décembre 1991, ils proclamèrent la dissolution de l’URSS. Le poste de président de l’URSS, auquel Gorbatchev s’était fait élire, n’ayant plus de raison d’être, ils se débarrassaient de la tutelle d’un pouvoir central.

Les barons de la bureaucratie soviétique, autoproclamés « démocrates », avaient les mains libres, chacun dans son fief. Comme on pouvait s’y attendre, il n’y eut aucune démocratie pour la population, mais la bacchanale d’une foule de bureaucrates, d’affairistes, de mafieux lancés à la curée sur les ressources du pays. L’économie s’écroula ; des fortunes colossales s’édifièrent qui allèrent se cacher dans les paradis fiscaux ; des dizaines de millions d’ex-Soviétiques virent leur niveau de vie s’effondrer ; la mortalité grimpa en flèche tandis que les services sociaux et de santé publique disparaissaient.

Quant au délitement du pouvoir central, la fin de l’URSS n’y mit pas un terme. En Russie, il se poursuivit pendant dix ans avant que Poutine ne rétablisse une certaine autorité de l’État, à coups de trique. Avec des variantes, des régimes policiers, militarisés et corrompus se mirent en place dans les ex-républiques soviétiques. Ces systèmes dictatoriaux sont nécessaires aux nantis locaux, et aux sociétés étrangères qui font affaire dans ces pays, pour les piller et exploiter férocement leurs classes laborieuses.

Gorbatchev et ses velléités de réformer l’URSS ne firent ainsi qu’ouvrir la voie au règne des bureaucrates ex-soviétiques, des nouveaux bourgeois et des mafieux qui prospèrent dans leur ombre.

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