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- Lutte ouvrière n°2551
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Russie 1917 : la révolution au fil des semaines
Lock-out patronal et contrôle ouvrier
Tout en s’enrichissant de façon éhontée avec les commandes de guerre, de plus en plus d’industriels organisaient le sabotage de la production et la fermeture de leurs usines, pour affaiblir les travailleurs et la révolution. Kevin Murphy raconte le cas de l’usine métallurgique Goujon à Moscou.
« Le 20 juin, Goujon informa la commission usine [de la commission d’arbitrage mise en place par le gouvernement provisoire] qu’il avait l’intention de fermer l’usine ; il la sermonna au sujet du conflit sur les salaires et du renvoi de personnel d’encadrement sous la menace de la violence. Que cette question n’ait pas été résolue « sape les bases mêmes d’une discipline saine, sans laquelle le fonctionnement d’une entreprise demeure inconcevable ». (…) Il concluait que la commission avait abouti à la « désorganisation complète du travail de l’usine » et, devant de telles circonstances, accusait-il, il était « nécessaire de fermer l’usine ». Deux jours plus tard, le conseil d’administration publia une note qui disait : « L’usine se trouve dans un état de complète désorganisation », et il en appelait au gouvernement pour trouver une solution à la crise financière. Si le gouvernement ne prend pas des mesures immédiates, menaçait la direction, « le 1er juillet, l’usine sera fermée ».
Les travailleurs de l’usine Goujon n’acceptèrent pas l’imminente fermeture sans se battre. Le 28 juin, le comité d’usine rapporta au soviet de Moscou que trois de leurs membres s’étaient opposés à la direction à propos de sa tentative de lock-outer l’usine. Le directeur avait ordonné de couper l’électricité, mais le comité d’usine trouva suffisamment de matière première et de combustible et ordonna de son côté de continuer à produire. Les représentants des travailleurs de l’usine demandèrent ensuite au soviet d’intervenir pour s’assurer que l’alimentation électrique ne serait pas coupée.
En fin de compte, la tentative de Goujon de lock-outer l’usine métallurgique de Moscou eut un effet boomerang. (…) Le gouvernement provisoire l’a réquisitionnée « à cause de son importance exceptionnelle pour l’industrie métallurgique de la région de Moscou ». (…)
Dans un article intitulé La crise approche, le marasme grandit, publié le 30 juin (13 juillet selon le calendrier actuel) dans la Pravda, Lénine s’appuie sur le cas de l’usine Goujon pour dénoncer l’attitude conciliatrice des Socialistes-révolutionnaires et des mencheviks face au sabotage des capitalistes avec la complicité du gouvernement provisoire et l’urgence que les travailleurs prennent eux-mêmes le pouvoir à travers les soviets.
« Force nous est de sonner chaque jour le tocsin. Toutes sortes de sots nous ont reproché d’être « pressés » de transmettre tout le pouvoir d’État aux soviets des députés soldats, ouvriers et paysans, alors qu’il serait « plus modéré et plus convenable » d’« attendre » avec componction une Assemblée constituante compassée.
Les plus sots de ces petits bourgeois imbéciles peuvent maintenant constater que la vie n’attend pas, que ce n’est pas nous qui sommes « pressés », mais la débâcle économique. (...)
La commission économique du comité exécutif du soviet de Petrograd a décidé « de porter à la connaissance du gouvernement provisoire » que « la direction de l’usine Goujon désorganise manifestement la production et prépare sciemment l’arrêt de l’entreprise », et, que le pouvoir « doit par conséquent assumer l’administration de l’usine... et lui fournir des fonds de roulement ». Ces fonds de roulement, nécessaires d’urgence, se montent à 5 millions de roubles.
Cette conférence « attire l’attention du gouvernement provisoire (pauvre et innocent gouvernement provisoire, d’une candeur enfantine ! Lui qui n’en savait rien ! Il n’y est pour rien ! ) sur le fait que la conférence des usines de Moscou (...) a déjà dû s’opposer à la cessation de l’activité de l’usine de construction de locomotives de Kolomna, ainsi que des usines de Sormovo et de Briansk ». (...)
Où et comment trouvera-t-on l’argent ? N’est-il pas évident que, s’il est facile d’« exiger » 5 millions d’un coup pour une usine, on doit tout de même comprendre qu’il en faudra bien davantage pour l’ensemble des usines ?
N’est-il pas évident que, si la mesure que nous exigeons et préconisons depuis le début d’avril n’est pas prise, si la fusion de toutes les banques en une seule banque contrôlée n’est pas décidée, si le secret commercial n’est pas aboli, on ne trouvera pas d’argent ?
Les Goujon et autres capitalistes s’acheminent sciemment vers la cessation de l’activité des entreprises. Le gouvernement est de leur côté. Les Tsérétéli et les Tchernov [chefs mencheviks et SR] ne sont que des figurants ou des pions sur l’échiquier. N’est-il pas enfin temps de comprendre, Messieurs, que le peuple rendra les partis SR et menchevique responsables, en tant que partis, de la catastrophe ? »