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Grande-Bretagne : Boris Johnson se prend pour le peuple
À en croire le Premier ministre Boris Johnson, les élections anticipées du 12 décembre auront été un raz-de-marée en faveur de son Parti conservateur et, surtout, de sa propre personne. Moyennant quoi Johnson se proclame désormais chef d’un « gouvernement du peuple » qui s’apprête à réaliser la « volonté du peuple », c’est-à-dire le Brexit version Johnson. Mais qu’en est-il réellement ?
Avec 365 élus (sur 650), le Parti conservateur a sans doute gagné 1,20 % de voix et 47 sièges par rapport aux élections précédentes, en 2017, et une majorité absolue confortable au Parlement. Alors même que son rival travailliste perd 8 % des voix et 59 sièges, pour tomber à 203 élus, son chiffre le plus bas depuis près d’un siècle.
Mais, au-delà de l’arithmétique parlementaire, ces résultats illustrent surtout à quel point le mode de scrutin majoritaire à un tour, en vigueur en Grande-Bretagne, favorise les deux grands partis bourgeois, conservateur et travailliste, en fonction de leur alternance au pouvoir.
C’est ainsi que, dans ces élections, il aura fallu 38 264 voix au Parti conservateur de Johnson pour obtenir un élu, mais pas moins de 336 038 voix au petit Parti libéral-démocrate, le 3e parti du pays. Quant au Parti travailliste, il lui en aura fallu 50 717.
En tout cas, les 43,6 % des suffrages obtenus par les conservateurs ne font pas du gouvernement Johnson le « gouvernement du peuple ». D’autant moins que, si l’on tient compte des 32,70 % d’abstention, qui sont dans la moyenne des élections récentes, sa majorité parlementaire aura été élue par moins de 30 % des inscrits. Il est vrai que l’on n’est pas très loin des 37 % d’électeurs inscrits dont le vote pour le Brexit, en 2016, continue à être présenté par le même Johnson comme la « volonté du peuple ».
Au-delà des distorsions dues au mode de scrutin, c’est d’ailleurs la question du Brexit qui a déterminé les pertes et gains en voix des deux grands partis. Le Brexit Party, le parti souverainiste de Nigel Farage, a apporté un soutien précieux à Boris Johnson en décidant de ne pas présenter de candidats contre les députés conservateurs sortants. Du coup, dans les circonscriptions conservatrices, les voix du Brexit Party se sont reportées sur les conservateurs.
Par ailleurs, une frange de l’électorat travailliste a voulu protester contre les ambiguïtés de la politique de Jeremy Corbyn sur le Brexit. Certains, hostiles au deuxième référendum que soutient Corbyn et à ses prises de position en faveur des travailleurs immigrés, ont voté pour le Brexit Party là où ils le pouvaient. D’autres, opposés au Brexit, ont voté pour le Parti libéral-démocrate parce qu’il se prononce pour l’arrêt pur et simple du processus du Brexit.
Finalement, les résultats des deux grands partis cachent le fait que, tout comme en 2017, les partis partisans d’un Brexit plus ou moins dur restent minoritaires dans l’électorat, avec 45,70 % des suffrages exprimés, face à ceux qui y sont opposés ou revendiquent l’organisation d’un deuxième référendum.
Cela n’empêche pas les manchettes tonitruantes de la presse et les mensonges de Johnson sur le thème du raz-de-marée. Et celui-ci entend mettre les bouchées doubles.
Bien sûr, il y a le Brexit qui devrait être effectif au 31 janvier : c’est-à-dire qu’à cette date s’ouvrira une période de transition d’un an (promet Johnson), pendant laquelle pas grand-chose ne devrait changer, sinon l’ouverture d’une nouvelle période de négociations sur les futures relations commerciales avec l’Union européenne.
Mais, là-dessus, Johnson ne peut pas faire grand-chose, sinon réitérer l’engagement de tenir les délais prévus. En attendant, il cherche à asseoir l’image d’homme d’action qu’il essaie de se donner. Il multiplie les annonces : renforcement de la législation antigrève dans les transports ; création d’un ministère de la Sécurité intérieure ; allongement des peines de prison ; renforcement des contrôles policiers et des fouilles contre les jeunes des quartiers populaires, etc.
Dans un contexte sans doute bien différent, mais également marqué par la montée de la pauvreté, au début des années 1980, le premier gouvernement de Margaret Thatcher avait lui aussi lancé un train de mesures antiouvrières et anti-immigrés. Il avait ainsi déclenché une explosion de colère : une grande vague d’émeutes urbaines. D’une façon ou d’une autre, à trop tirer sur la corde, Johnson finira lui aussi par en faire l’expérience.