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Dans le monde
Russie-Ukraine : les travailleurs face à la guerre
Censure militaire oblige, les médias, qui ne se font déjà d’habitude guère l’écho de la vie du monde du travail, la traitent encore moins en temps de guerre. Cela se vérifie en Russie comme en Ukraine.
Pourtant, les rares informations sur ces sujets montrent, d’un côté du front comme de l’autre, une aggravation de la situation des travailleurs, même lorsqu’ils ne sont pas mobilisés, et parfois des réactions ouvrières à ces attaques.
Poutine a signé, en juillet, une loi qui autorise à porter à six jours la semaine de travail, avec des horaires journaliers pouvant atteindre 12 heures dans les entreprises du secteur de la défense. Cela s’accompagne de jours fériés et de congés supprimés au nom des « mesures spéciales s’appliquant à l’économie » dans les conditions de « l’opération spéciale » en Ukraine.
Ce régime s’applique déjà, par exemple, aux dizaines de milliers de travailleurs des usines Rostekh, Almaz-Anteï et Roskosmos des environs d’Ekaterinbourg dans l’Oural, un fief du complexe militaro-industriel. Certaines directions n’ont pas attendu pour appliquer ce régime de surexploitation, puisque l’usine géante Ouralwagon y a été soumise dès le mois d’août.
Dans bien des régions, la situation semble identique et promise à s’aggraver encore. Choïgou, le ministre de la Défense, a déclaré qu’en 2023, on multipliera par 1,5 le nombre des entreprises relevant du régime des « commandes d’États pour la Défense ».
Les députés du parti de Poutine n’ont pas voulu être en reste : ils ont déposé un projet de loi qui autorisera à faire travailler des enfants à partir de 14 ans !
Malgré la quasi-loi martiale, cela provoque ici ou là des réactions de travailleurs contre leurs conditions de travail ou de salaire : grèves du zèle dans le secteur médical, débrayages pour percevoir son salaire. Le pouvoir sait que sa guerre et ce dont elle s’accompagne sont impopulaires dans de larges couches de la population. Alors, il intensifie sa répression contre des militants d’extrême gauche, des syndicalistes. La porte-parole du Conseil des mères et des épouses de soldats vient d’être arrêtée.
Après avoir démantelé le droit collectif du travail dans les entreprises de moins de 250 salariés, qui emploient les trois quarts de la classe ouvrière, le gouvernement de Zelensky a franchi une nouvelle étape. Une loi adoptée en octobre fusionne le Fonds d’État pour les retraites avec celui pour la Sécurité sociale. Ainsi, dès le 1er janvier 2023, des milliers d’employés de la Sécurité sociale perdront leur emploi et des dizaines de milliers d’autres perdront leurs indemnités maladie, invalidité ou maternité.
Dans sa grande bonté, le gouvernement prévoit qu’ils pourront s’adresser à des complémentaires privées… que, vu leurs salaires misérables, ils ne peuvent pas se payer.
Quand les travailleurs protestent, le pouvoir leur envoie la police, voire les hommes de la SBU, héritière ukrainienne du KGB. Car, même si on entend souvent dire, surtout dans les médias, que l’intervention de l’OTAN en soutien à l’armée de Zelensky se justifierait par un « il faut bien que les Ukrainiens se défendent », dès que certains d’entre eux se défendent contre un pouvoir qui les attaque, celui-ci frappe encore plus fort.
Ainsi, mi-décembre à Odessa, le grand port de la mer Noire, des marins ont assiégé le bâtiment de la SBU qui venait d’arrêter la dirigeante du Syndicat des gens de mer d’Ukraine, Kristina Korol. Alors que, en août, le gouvernement avait reconnu aux marins le droit d’embarquer sur des navires allant à l’étranger, cela ne s’est jamais concrétisé, les commissariats militaires y mettant leur veto. Alors, quand les marins ont protesté, la police politique a sévi.
Même chose dans des villes où la police a dispersé des gens qui protestaient contre le fait de devoir payer leurs factures d’énergie alors qu’ils n’avaient ni éclairage ni chauffage, la SBU se chargeant de trouver des « provocateurs » parmi eux.
À Kharkiv, la plus grande ville du pays après Kiev, les autorités s’en prennent notamment aux travailleurs des transports. À la fin du printemps, ceux des tramways avaient dû menacer de faire grève pour toucher deux mois d’arriérés de salaires. Aujourd’hui, ils continuent à tenir leur poste malgré les tirs de missiles sur la ville, mais ils n’ont même pas de gants d’hiver, de gilets protecteurs, de kits d’urgence médicale.
Leurs salaires, qui restent les plus bas (60 gryvnias, soit 1,53 euro de l’heure) des transports en Ukraine, continuent parfois d’être versés avec retard. Mais les amendes n’attendent pas pour tomber sur les conductrices pour « non-respect des règles de sécurité » alors qu’elles ne peuvent faire autrement vu l’état du matériel. Et celles et ceux qui protestent sont privés de primes pour « déloyauté », car le pouvoir tient pour criminel d’exiger de meilleures conditions de travail.