Février 1945, la conférence de Yalta : un partage du monde contre les peuples05/03/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/03/une_2953-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1265%2C1644_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

Février 1945, la conférence de Yalta : un partage du monde contre les peuples

« Trump va-t-il rééditer Yalta ? » « Guerre en Ukraine : le nouveau Yalta », les déclarations de Trump ouvrant la voie à des discussions avec Poutine sur l’Ukraine ont provoqué une profusion de références à la conférence qui se tint du 4 au 11 février 1945 dans cette ville du bord de la mer Noire située en Crimée. Elle avait réuni le président des États-Unis, Roosevelt, le Premier ministre britannique Churchill, et, pour l’URSS, Staline, alors que la guerre contre l’Allemagne était sur le point d’être gagnée.

À Yalta, les trois puissances se partagèrent les zones d’influence dans l’Europe ravagée par la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, si l’URSS a disparu depuis plus de trente ans, les États-Unis continuent à vouloir étendre leur domination quitte à pactiser avec leur ennemi russe. C’est cela qui « ébranle » les dirigeants européens, et pas le sort des peuples, toujours victimes des ententes entre grandes puissances.

Les futurs vainqueurs se partagent l’Europe

Les marchandages sur le sort de l’Europe, une fois l’Allemagne définitivement vaincue, avaient commencé bien avant la conférence, et même presque immédiatement après l’entrée en guerre de l’Union soviétique en juin 1941. À Téhéran, avant même la victoire à Stalingrad en 1943 qui marqua le tournant de la guerre, Staline avait mis en avant des revendications territoriales, telles que l’absorption des États baltes et de la Pologne orientale. Roosevelt ne voyait pas d’inconvénient à discuter en particulier du découpage de la Pologne. « Après tout, il appartiendrait aux grandes puissances de décider ce qui serait attribué à la Pologne », avait-il déclaré en 1943. Avec ce même cynisme, les trois « grands » allaient décider du sort de centaines de millions de personnes en déterminant leurs zones d’influence respectives.

Ainsi, le protocole final de Yalta prévoyait que chacune des trois puissances occuperait avec son armée une zone séparée de l’Allemagne. Finalement, on fit une petite place à la France, de sorte que le démembrement du pays comportait quatre zones d’occupation au lieu de trois.

Toutes les tractations se firent sur la base du rapport de force sur le terrain. Il n’y eut aucune naïveté, ni aucune faiblesse d’un Roosevelt comme le veut la légende. La répartition des zones d’influence entre les futurs vainqueurs suivit la marche des armées. Or, en février 1945, si les armées allemandes résistaient encore à l’Ouest face aux armées américaines et britanniques, en Europe de l’Est, les armées soviétiques n’étaient plus qu’à quelques dizaines de kilomètres de Berlin. Roosevelt, s’adressant à un groupe de sénateurs américains, en janvier 1945, avoua : « Les forces d’occupation ont le pouvoir là où se trouvent leurs armées, et chacun sait que les autres ne peuvent rien y changer », et il ajouta : « Les Russes ont le pouvoir en Europe de l’Est. »

Un autre point préoccupait davantage Roosevelt : il voulait obtenir l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon qui tenait encore tête aux forces anglo-américaines, et il l’obtint. Et pour prix de son aide, l’URSS se vit reconnaître le rétablissement des droits sur le sud de Sakhaline, les îles Kouriles et la base de Port-Arthur.

Mais, si les impérialismes britannique et américain firent ces concessions, ce fut aussi pour associer l’URSS à ce qui les préoccupait au plus haut point : le maintien de l’ordre durant la période critique qui allait s’ouvrir dès la fin des hostilités.

Des alliés unis par la peur de la révolution

Churchill et Roosevelt savaient qu’il y avait un risque réel que de la guerre puisse naître la révolution. Les guerres, et d’autant plus des conflits durables et étendus à l’échelle mondiale, tendent à ébranler les fondements de la société. La Première Guerre mondiale en avait apporté la preuve. En 1917, les travailleurs avaient pris le pouvoir en Russie, premier épisode contagieux d’une vague révolutionnaire qui avait ébranlé le monde.

En 1939, lors d’une conversation avec Hitler, l’ambassadeur de France en Allemagne avait fait remarquer à propos de la signature du pacte germano- soviétique : « Staline a joué un gigantesque double jeu. En cas de guerre, le vainqueur réel sera Trotsky. Y avez-vous pensé ? » « Je le sais », avait répondu Hitler. En évoquant Trotsky, Hitler et le représentant de la France voulaient évoquer le risque d’une révolution prolétarienne. En 1945, le problème des dirigeants impérialistes était encore bien là. Les souffrances imposées aux populations allaient-elles provoquer une nouvelle vague révolutionnaire ? Les événements insurrectionnels survenus en Italie en 1943 et en Grèce en 1944 pouvaient-ils s’étendre ? Les classes ouvrières allemande et japonaise ne pouvaient-elles pas se révolter à leur tour ? Les dirigeants impérialistes agirent en conséquence pour occuper militairement les pays libérés ou vaincus en attendant que se reconstituent des appareils d’État.

Il fallait mettre en place des gouvernements offrant toutes garanties, et en particulier des « autorités gouvernementales largement représentatives de tous les éléments démocratiques des populations ». Mais pour prévenir toute révolte, toute tentative des travailleurs de s’organiser pour se débarrasser par eux-mêmes des régimes en place, il fallait terroriser les populations civiles en les bombardant massivement. Ce fut une politique systématique et minutieuse. Dès 1942, l’aviation anglaise largua des bombes incendiaires particulièrement meurtrières sur les grandes villes allemandes. Au moment de Yalta, Cologne, puis Hambourg et Berlin, notamment, avaient déjà été livrées aux flammes. Deux jours après la fin de la conférence, les 13 et 14 février 1945, ce fut au tour de Dresde d’être bombardée. Il y eut plus de 130 000 victimes et la ville fut littéralement rasée. La même politique de terreur visa la population du Japon. Au début de l’année 1945, cent villes avaient été bombardées et huit à dix millions de leurs habitants avaient dû fuir, avant même les bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki en août 1945.

Dans cette entreprise de mise au pas de la population, les États-Unis et la Grande-Bretagne avaient besoin d’avoir des garanties de Staline. La méfiance était de mise, en particulier du fait de l’influence de l’URSS sur la classe ouvrière au travers des partis communistes. Mais Staline s’appliqua à rassurer les dirigeants impérialistes, par exemple en dissolvant l’Internationale communiste en 1943 et en ne protestant pas contre le massacre des communistes grecs par l’armée anglaise, l’année suivante.

La collaboration de la contre-révolution stalinienne a ainsi permis à l’impérialisme non seulement d’éviter une vague révolutionnaire en Europe, mais de se maintenir pour toute une période historique.

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