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- Lutte ouvrière n°2950
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il y a 80 ans
Grèce, 1944-1945 : Churchill et Staline contre la population
En octobre 1944, les troupes anglaises étaient accueillies en libératrices par la population grecque, mais dès décembre elles la bombardaient, donnant ainsi le coup d’envoi à ce qui allait devenir une guerre civile de plusieurs années.
En Grèce, la Deuxième Guerre mondiale avait commencé en octobre 1940 par l’attaque de l’Italie fasciste, suivie en avril 1941 par celle de l’Allemagne hitlérienne. Le pays avait subi la triple occupation des puissances de l’Axe, l’Allemagne, l’Italie et la Bulgarie.
La population avait dû faire face à des occupants secondés par un gouvernement grec collaborateur et des organisations fascisantes. La famine de l’hiver 1941-1942 avait fait des dizaines de milliers de morts. Les représailles aux actes de résistance, les arrestations, les exécutions sommaires, les déportations, les incendies de villages s’étaient multipliés.
La résistance communiste
En septembre 1941, le Parti communiste grec (KKE) créa un Front national de libération, l’EAM, puis l’Armée populaire de libération nationale, l’ELAS, qui finit par englober la résistance dans les villes et des groupes de partisans menant la guérilla aux occupants. À l’été 1944, quand les troupes allemandes se retirèrent, l’influence de l’EAM et de l’ELAS s’étendait à tout le pays.
Adoptant la politique de l’Internationale stalinisée, la direction du KKE avait abandonné toute perspective d’une révolution prolétarienne. Depuis 1934, elle affirmait que, dans un pays peu développé comme la Grèce, la première étape devait être une révolution démocratique bourgeoise. La Grèce était alors une monarchie et un pays pauvre, sous la tutelle des banques européennes, connaissant des coups d’État militaires périodiques, dont celui de Metaxas en 1936, qui avait assassiné, emprisonné ou déporté les opposants, en particulier ceux du Parti communiste.
Le but de l’EAM était l’élection d’une Assemblée constituante et la formation d’un gouvernement provisoire issu des partis ayant lutté contre l’occupant. Dans des régions déjà libérées, l’EAM-ELAS mit sur pied un pouvoir local, le « gouvernement de la Montagne », qui voulait préfigurer le futur gouvernement de la Grèce libérée, et sur lequel le contrôle du KKE était étroit.
Au sein de la population pauvre, le sentiment national éveillé par la lutte contre l’occupant se doublait d’un espoir d’émancipation sociale, en particulier dans les quartiers ouvriers de la capitale. Les militants, les sympathisants du KKE et une partie de la population attendaient la mise en place d’un nouveau pouvoir, qui aurait été une sorte de république populaire, la « laocratia ».
La « libération » selon l’impérialisme britannique
Pour Churchill et les dirigeants britanniques, il n’était pas question de céder un pouce de leur influence dans cette région. La Grèce, sa monarchie et ses gouvernements étaient depuis longtemps leur point d’appui vers le Moyen-Orient et le canal de Suez.
En 1943, après la déroute allemande devant Stalingrad et la défaite prévisible du régime hitlérien, le problème du partage du pouvoir dans l’Europe d’après-guerre était posé. Le souci des Alliés était d’éviter qu’une nouvelle vague révolutionnaire ne se déclenche, comme après la Première Guerre mondiale, mais aussi de se partager les zones d’influence. Le 9 octobre 1944 à Moscou, Churchill obtint de Staline un partage d’influence sur les Balkans, laissant la Grèce à la Grande-Bretagne, la Roumanie à Staline, et partageant la Yougoslavie entre les deux.
Le 12 octobre 1944, dès le départ définitif des troupes allemandes, les troupes anglaises occupèrent le terrain. Peu après s’installa le gouvernement concocté par Churchill, dirigé par le vieux politicien Papandréou, prétendument démocrate mais surtout anticommuniste. Le rétablissement du pouvoir d’État sous l’autorité britannique, la reconstitution d’une armée nationale, de la police, de la gendarmerie et des services publics, exigeaient de désarmer l’ELAS.
Le gouvernement d’union nationale de Papandréou comptait quelques membres du KKE. Mais, en même temps, les autorités britanniques s’appuyaient sur la résistance de droite, l’EDES, et reconstituaient des forces de répression englobant les anciens collaborateurs des nazis. Puis le chef des troupes britanniques, Scobie, ordonna la démobilisation des troupes de la Résistance. Georges Siantos, le dirigeant du KKE, s’opposa à l’ordre britannique et l’EAM, tout en proclamant son attachement à l’unité nationale, appela à une manifestation pacifique le 3 décembre 1944 à Athènes et à une grève générale le lendemain. La manifestation fut interdite et la police tira, faisant vingt-huit morts et de nombreux blessés.
L’écrasement
Les jours suivants, une partie de la population répondit spontanément aux provocations des groupes réactionnaires, s’attaqua au siège de la police protégé par les tanks britanniques. Les organisations locales de l’EAM et des syndicats débordèrent largement les objectifs de sa direction, qui appelait au calme.
En refusant de démobiliser les troupes de l’ELAS, Siantos avait espéré faire pression pour obtenir un « vrai » gouvernement d’unité nationale. Si la direction du KKE désigna comme ennemis les groupes réactionnaires, ex-collaborateurs des nazis, elle essaya de ménager les « libérateurs » anglais.
Alors que l’affrontement était engagé, cette politique du Parti communiste ne voulant rien d’autre qu’un gouvernement d’union avec des représentants bourgeois laissait les travailleurs sans perspective et allait faciliter leur écrasement.
Le 5 décembre, Churchill télégraphia à Scobie : « Vous devez neutraliser ou détruire les bandes EAM-ELAS qui approcheront de la ville (…) N’hésitez pas à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où une révolte serait en cours. » Une partie des bataillons de l’ELAS, bloqués dans le nord du pays, restèrent loin du champ de bataille d’Athènes. Sous les bombardements de l’aviation anglaise, ceux d’Athènes et la population des quartiers ouvriers se battirent avec acharnement contre la Garde nationale et les Bataillons de sécurité qui recrutaient dans la jeunesse des beaux quartiers.
Les staliniens du KKE n’oublièrent pas de combattre ceux qu’ils considéraient comme leurs ennemis intérieurs : la bataille d’Athènes fut aussi pour eux l’occasion d’éliminer leurs opposants, en particulier les trotskystes. Après les avoir traqués pendant l’occupation dans les prisons et les maquis, ils continuèrent cette répression dans les villes, entre autres dans les quartiers ouvriers d’Athènes. La police secrète du KKE, l’OPLA, se chargea d’éliminer des centaines de ces opposants.
Le 30 décembre 1944, le quartier ouvrier de Kaisariani, bastion du KKE, capitula. Les 4 et 5 janvier 1945, très affaiblies, les troupes de l’ELAS durent quitter Athènes. Le 12 janvier 1945, l’armistice et, un mois plus tard, l’accord de Varkiza, imposé à l’EAM par les Britanniques et le gouvernement grec à leur solde, entérinèrent la défaite. Néanmoins, l’ELAS existait encore et le KKE gardait, dans la population des villes et des campagnes, une influence trop grande selon le régime, qui était bien décidé à l’éliminer. La guerre civile allait durer de 1946 à 1949. La terreur d’extrême droite allait s’abattre sur les militants et les anciens de l’ELAS. En ne voulant pas d’une révolution, la direction du KKE avait livré les travailleurs grecs à la répression.