Syrie : la chute du dictateur n’est pas la libération du peuple18/12/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/12/une_2942-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1265%2C1644_crop_detail.jpg

Dans le monde

Syrie : la chute du dictateur n’est pas la libération du peuple

Plus de dix jours après la chute de Bachar Al-Assad, le soulagement de la population syrienne s’exprime encore. Les témoignages continuent de révéler la férocité du régime de celui qui était au pouvoir depuis vingt-quatre ans. Mais si la chute du dictateur ouvre un espoir, ce n’est en rien l’assurance d’une véritable libération.

Celui que tous présentent comme le sauveur est Abou Mohammed Al- Jolani, nom de guerre qu’il a abandonné au profit du vrai, Ahmed Al- Charaa. Djihadiste, ancien d’Al-Qaida, il est le chef d’Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), une des milices qui sévissent en Syrie depuis que le printemps arabe de 2011 s’est transformé de mouvement populaire en guerre de bandes contre l’armée de Bachar Al-Assad, sauvé en 2015 par la Russie, avec l’accord tacite des États-Unis. L’appui de la Turquie, qui a financé et armé Al-Jolani, sa capacité à gérer la région d’Idlib et, surtout à y maintenir l’ordre, ont fait de lui l’homme de la situation.

« Oui, nous avons été en contact avec HTC et d’autres parties », a déclaré le secrétaire d’État américain Antony Blinken à Aqaba, en Jordanie, le 14 décembre. Il est en effet très probable que cette offensive ait été préparée en accord avec les puissances régionales, et sans doute avec celui des États-Unis et de la Russie. On assiste depuis au ballet des déplacements de divers représentants européens, notamment français, qui d’ailleurs, dans le passé, ont toujours maintenu une complicité avec la dictature des Assad.

Al-Jolani doit maintenant opérer la passation entre l’ancien pouvoir et le nouveau. Les fonctionnaires sont invités à revenir travailler, les soldats de l’armée d’Assad à ne pas s’inquiéter, de même que les policiers. Le but est à l’évidence d’éviter un chaos semblable à celui qui avait suivi la destruction brutale de l’appareil d’État de Saddam Hussein à l’issue de la guerre menée par les États-Unis contre l’Irak en 2003.

Le 14 décembre, Ahmed Al-Charaa a annoncé que le ministère de la Défense allait dissoudre toutes les factions armées, dont HTC, pour fonder une nouvelle armée, et qu’aucune arme ne serait tolérée hors du contrôle de l’État. Reste à voir s’il pourra vraiment contrôler les milices qui se sont multipliées durant la guerre civile. D’ores et déjà, des témoignages font état de captures de femmes et d’exécutions sommaires par des milices de diverses obédiences.

Le chef d’HTC multiplie par ailleurs les gestes et déclarations pour convaincre de sa volonté de réconciliation. Mais nombre d’alaouites, les adeptes d’une des nombreuses religions de ce pays multi-confessionnel, celle à laquelle appartenait Assad, craignent des représailles. Il en est de même des populations chiites qui ont fui vers la frontière libanaise par peur de subir les représailles de miliciens sunnites. Nombre de Syriens se méfient du nouveau pouvoir.

À l’espoir suscité par la chute de la dictature se mêle en effet l’inquiétude face à l’avenir. Plus de 95 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. L’inflation est galopante, les prix à la consommation ayant été multipliés par 55 entre 2011 et fin 2022, selon les chiffres de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies. Trois jours après la chute du régime, le dollar avait bondi de près de 50 % par rapport à la devise du pays.

Les infrastructures sont toujours à terre : 7 000 écoles ont été détruites ou endommagées, et plus de 2 millions d’enfants sont déscolarisés, selon l’Unicef. Quelle garantie la population a-t-elle qu’elle pourra manger à sa faim, se loger, que les hôpitaux et les écoles seront reconstruits, qu’elle aura la liberté de s’exprimer, de s’organiser, et pour les femmes de ne pas porter le hidjab ?

Derrière Al-Jolani, les puissances impérialistes et régionales se tiennent en embuscade, chacune avec ses propres objectifs. L’État d’Israël, après avoir occupé une nouvelle zone du plateau du Golan, a bombardé jusqu’à Damas et à la région côtière, qui abrite une base navale russe. Les forces armées kurdes, qui sont appuyées par les États-Unis et occupent une zone au nord-est de la Syrie, sont confrontées à la Turquie, qui veut les en chasser. Celle-ci cherche en effet à régler un double problème : empêcher les Kurdes d’unifier leur territoire en établissant une zone tampon, voire réussir à renvoyer les 3 millions de Syriens réfugiés sur son sol. Les États-Unis, eux, ont près de 1 000 soldats sur place. Ils ont bombardé les poches occupées par l’État islamique pour empêcher cette milice, bien plus incontrôlable de leur point de vue, de profiter de la situation.

« Notre message au peuple syrien est le suivant : nous voulons qu’il réussisse et nous sommes prêts à l‘aider à y parvenir » a déclaré Blinken le 14 décembre. Ce genre de promesse, les dirigeants impérialistes l’ont fait maintes fois avec le résultat désastreux que l’on sait. L’exemple de l’Afghanistan, où les talibans furent leurs protégés avant de devenir des ennemis à abattre, est là pour le rappeler. Leur prétendue aide consiste en effet, dans le seul but d’avancer leurs pions, à s’appuyer sur les forces les plus réactionnaires.

La population n’aura aucune garantie de voir son sort changer si elle s’en remet à de prétendus sauveurs, des seigneurs de guerre et des grandes puissances qui ne sont préoccupés que par le maintien de leur domination.

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