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Turquie : Öcalan peut-être libéré, et la population kurde ?
Le 25 février, le dirigeant kurde Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 26 ans en Turquie, a lancé depuis sa prison dans une île de la mer de Marmara un appel à l’autodissolution du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, et au désarmement de ses groupes militants.
Quelques jours plus tard, le PKK a confirmé son accord par un appel au cessez le feu, qui reste unilatéral en l’absence d’engagement de la part du président turc Recep Tayyip Erdogan et de son parti, l’AKP. Mais pour l’instant limitée aux cercles dirigeants kurdes de Turquie, cette prise de position répond à des contacts avec le pouvoir turc et ses services secrets, et ne surgit pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Depuis des années, le gouvernement d’Erdogan a fait s’abattre la répression sur les militants pro-kurdes, y compris les élus locaux, sous l’habituelle accusation de terrorisme. Mais plus récemment, en octobre 2024, c’est le dirigeant du MHP Devlet Bahçeli, connu pour ses prises de positions hostiles aux Kurdes et allié d’extrême droite de l’AKP au parlement, qui a laissé entrevoir un changement d’attitude.
Si maintenant Öcalan lui-même annonce la dissolution d’une organisation qui mène depuis plus de quarante ans le combat contre le pouvoir turc, c’est évidemment que des négociations secrètes ont eu lieu avec celui-ci, et qu’il a obtenu des promesses. Mais quelles sont ces promesses ? Sans doute Öcalan s’est- il vu promettre sa libération en échange de sa reddition, mais pour la population kurde de Turquie, meurtrie par des années de guerre, aucune concession n’est annoncée. Qu’en sera-t-il des droits exigés de longue date, des lois antiterroristes, de la libération des prisonniers politiques, de la réintégration dans leurs responsabilités des élus du DEM, le parti pro-kurde, destitués arbitrairement ? En échange de la soumission d’Apo, l’Oncle, ainsi qu’est surnommé Öcalan par ses partisans, rien n’est dit pour l’instant.
« Lorsque la pression du terrorisme et des armes sera éliminée, l’espace démocratique de la politique s’élargira naturellement » est la seule promesse faite par Erdogan le 28 février. De sa part, l’élargissement en question apparaît comme une sinistre plaisanterie. Au contraire, la répression de toute voix s’opposant à son pouvoir dictatorial ne cesse de s’abattre, et les arrestations continuent.
En fait, Erdogan est surtout préoccupé de se maintenir au pouvoir après l’élection présidentielle de 2028, lorsqu’il aura obtenu un changement constitutionnel lui autorisant un quatrième mandat. Vu son discrédit dans une grande partie de l’opinion publique qui le considère comme responsable de l’effondrement des conditions de vie et de l’inflation, Erdogan a absolument besoin d’un appui, et le recherche du côté du parti pro-kurde DEM, qu’il n’a cessé de combattre ces dernières années. C’est la seule ressource qui lui reste pour faire face au parti social-démocrate kémaliste CHP, arrivé largement en tête dans les grandes villes aux dernières élections municipales.
Les aspirations des Kurdes de Turquie sont ainsi peut-être en train de devenir un simple objet de marchandage électoral pour permettre à Erdogan de se maintenir au pouvoir. Cela annonce peut-être aussi un autre marchandage, cette fois entre les partis kurdes de Syrie, avec lesquels le PKK est largement lié, et le nouveau pouvoir de Damas. Quant à savoir ce que les populations kurdes des deux pays peuvent en attendre, l’opacité des négociations ne permet pas de le savoir mais ne promet rien de bon.