Mort aux vaches17/10/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Mort aux vaches

La presse de la semaine dernière a révélé à l'opinion publique qu'à part l'armement moderne mis en oeuvre avec les manoeuvres Valmy et autres, le facteur humain était toujours déterminant, qu'en définitive rien ne peut remplacer l'occupation du terrain par l'homme, et que ce facteur humain était loin d'être ignoré dans nos casernes.

On nous a « appris » en effet que la toute moderne armée française ne dédaignait pas les méthodes d'abrutissement consacrées par l'usage et que les « adjudans Flick » ou les sergents « gueule de vache » ne se trouvait pas seulement dans les romans populistes ou les ouvrages de Courteline, mais qu'on pouvait les rencontrer en particulier dans les unités parachutistes. Lesquelles unités sont justement le « fer de lance » humain de l'année française.

Séances de « pelote » - (la « pelote » dans les maisons de correction, les prisons et les bagnes, cela consiste faire sortir à l'improviste les prisonniers de leur lit, de nuit évidemment, pour les faire tourner en file dans la cour jusqu'à épuisement... des surveillants - dans les unités paras, c'est la même chose, mais cela se passe dans les champs, avec trente kilos sur le dos) - nettoyage des latrines avec une brosse à dents, bleus à qui l'on fait bouffer les ordures, mégots et autres, qu'ils n'ont pas balayés, recrues battues, les plus faibles transformés en souffre-douleur et martyrisés, rien ne manque aux plus belles traditions. Ces messieurs des armées modernes manquent même terriblement d'imagination.

Ce « scandale » que la presse a révélé à l'opinion, le fut à la suite de la publication par l'hebdomadaire « France-Dimanche » d'une lettre provenant d'un témoin, involontaire et civil, de brutalités sur un jeune soldat épuisé au cours d'un entraînement. Cette lettre en a amené d'autres. Les autorités militaires et civiles ont dû intervenir. Toute la presse à son tour en a parlé. Une enquête est en cours... trois caporaux ont été cassés et un caporal-chef (du contingent) sera traduit devant le tribunal militaire. Selon que vous serez... etc., il y a beau temps que la sagesse populaire est au courant.

Les « coupables », puisque pour une fois il en fallait, ne pouvaient être que des caporaux, pas même de carrière bien sûr.

Ce n'est pas que le caporal-chef en question soit bien digne d'estime. Il n'était qu'un instrument, mais un instrument parfaitement adapté. Dans « Paris-Presse » du 17 octobre 1962, on peut lire une interview de son père : « A quelques jours des élections, on cherche à salir l'armée. Mon fils est une victime. Un garçon doux comme une fille, élevé avec ses deux soers, d'ailleurs vous pouvez vous rendre compte : il savait tricoter et se servait de la machine à coudre de sa mère ». On apprend par la même occasion que le père est « un homme décidé, énergique, qui fut garde du corps d'un chef de la résistance française », que « pour lui, tout ce qui n'est pas français est ennemi », qu'il « aime la discipline et l'armée » et qu'il dit au reporter : « d'ailleurs je me suis engagé à dix-huit ans, en 1929, c'est tout dire ». En effet.

Le garçon en question sera probablement un sujet de choix pour les psychiatres qui seront chargés de l'examiner pour le tribunal militaire. Elevé avec ses soers dans l'ombre d'un père autoritaire, comment ne se serait-il pas défoulé lorsque des galons sur une manche lui permirent, à bon compte, « d'en faire baver » à ceux qu'on lui confiait ? Ceci dit, les galons en question, on les lui a donnés. On l'a choisi. Tel qu'il était, et sans doute parce qu'il était ainsi. De plus, les officiers ne pouvaient pas ne pas savoir ce que tout le monde autour de la caserne Niel savait.

Bien qu'il faille un concours de circonstances assez rare pour que la grande presse en arrive à parler de ce qui se passe dans les casernes, ces faits ne sont pas isolés. D'autres témoignages, rendus publics à cette occasion, l'on montré. Mais, cela a toujours été, et cela ne peut manquer d'être, la base même de la formation que l'on donne aux jeunes dans les casernes de la bourgeoisie. Les romans, à défaut d'autre chose, nous apprennent qu'il en est de même un peu partout dans le monde. Il y a deux ans, un « scandale » du même ordre était révélé aux États-Unis. Cela se passait cette fois dans le fameux corps des « marines ». Le coupable, qui fut condamné à une peine légère (il y avait eu deux morts), était cette fois-là un sergent. Ce n'est pas que les armées impérialistes se copient, c'est plutôt que le même objectif étant à atteindre, les procédés employés sont les mêmes.

L'armée de la bourgeoisie ne peut être réformée. Quand on parle de l'épuration de l'armée, on se moque du monde, ou bien alors il s'agit d'épurer tout le monde. La plus « républicaine » des armées ne peut être autre chose que ce qu'est l'armée française actuellement.

Maurice Thorez s'adressant aux ouvriers de Renault le 29 septembre n'a dit qu'une seule chose juste, c'est « plus d'armée, plus de caserne, plus d'État-Major, plus de généraux ! » Il oubliait sans doute que c'est lui qui avait le plus contribué au lendemain de la « Libération » à recréer l'armée, les casernes, l'État-Major et les généraux, en mettant tout le poids d'alors du PCF pour faire accepter par la classe ouvrière la ré-instauration du service militaire obligatoire.

Il est bien évident, contrairement à ce qu'affirme plus loin Maurice Thorez, que même rénovée, la « démocratie » française ne se passera pas d'armée permanente et de la pourriture galonnée qui règne dans ses casernes, et que cette phrase-là, Thorez s'empressera vite de l'oublier sous prétexte de réalisme.

Il n'y a pas dans notre société une même loi pour tous, une loi qui s'applique également aux bourgeois et aux prolétaires. Il n'y a que la loi que le plus fort impose au plus faible. La bourgeoisie le sait, c'est pourquoi elle a ses casernes et ses adjudants « gueule de vache ».

Ce ne sont pas les lois de la République et des généraux qui protégeront nos jeunes dans les casernes, c'est le prolétariat, appliquant sa propre loi et réservant ses balles à ses propres généraux.

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