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- Lutte de Classe n°34
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Une seule police
Devant les huit morts, ouvriers, dont sept militants communistes, que fit une police déchaînée le 8 février 62, on ne peut s'empêcher de penser à quelques phrases célèbres prononcées il y a presque exactement dix-sept ans, un peu avant la naissance de Daniel Ferry, fin janvier 1945 à Ivry par Maurice Thorez :
« La sécurité publique doit être assurée par les forces régulières de police constituées à cet effet. Les gardes civiques et d'une façon générale, tous les groupes armés irréguliers, ne doivent pas être maintenus plus longtemps. » « Une seule armée, une seule police. »
Ces mots n'étaient pas des mots en l'air. Ils correspondaient à la politique du PCF : remettre en selle la bourgeoisie française et son État, ébranlés par la guerre.
Le 29 octobre 1944, le Gouvernement Provisoire accordait à Maurice Thorez le bénéfice d'une grâce amnistiante qui permit à celui-ci, après maintes sollicitations de rentrer en France. Le secrétaire du PCF arrive à Paris un mois plus tard, au moment où de Gaulle et Bidault s'envolaient pour l'URSS afin de signer le Pacte Franco-Soviétique. Et, trois jours plus tard, Thorez s'adresse à l'occasion d'un meeting qui se tient au Vel'd'hiv, à la population parisienne, et conclut son discours en ces termes :
« (Il faut) faire la guerre.
- Créer une puissante armée française
- Travailler et se battre
- Préparer dans l'union des coeurs et des cerveaux une France forte, libre et heureuse ».
Ce langage n'était pas nouveau dans la bouche d'un dirigeant « communiste ». en france, dès 1935, après la signature du pacte laval-staline, le p.c.f. s'est toujours rangé ostensiblement derrière la bourgeoisie dans sa « lutte pour la défense de la démocratie » approuvant le programme de défense nationale du gouvernement français. interrompue pendant la durée de l'alliance germano-soviétique, la politique nationaliste du p.c.f. reparaît de plus belle après l'agression allemande à l'est ; « 1'humanité » devient chaque jour plus délirante dans le chauvinisme. par conséquent, il n'est guère besoin pour thorez de surenchérir dans ce domaine ; d'ailleurs il est difficile d'aller plus loin. sa tâche, si elle s'inscrit dans la même perspective, est autre.
De la Résistance et de la « Libération » sont nés de nombreux organismes, locaux ou départementaux : les Comités Démocratiques de Libération (C.D.L.), les Milices Patriotiques armées, organismes qui sans menacer l'État gaulliste sont cependant « de trop ». Le PCF les contrôlaient ou les influençaient largement. Si ces comités ou ces milices ne constituaient pas un danger direct et immédiat pour de Gaulle et son gouvernement, puisque l'unanimité se faisait sur « la politique nationale », l'existence d'une « police et d'une administration parallèles » constituerait un risque, lorsque les masses, passée l'euphorie qui a suivi la « Libération », briseront cette unanimité. Elles pouvaient y trouver un appareil déjà constitué leur permettant d'entrer en lutte contre la bourgeoisie. Et cela de Gaulle ne pouvait d'aucune façon le tolérer. Il le déclare d'ailleurs sans ambage :
« L'effort national, dit-il, le 24 octobre dans une allocution radiodiffusée, doit se déployer dans l'ordre national, c'est à dire que ceux qui, de haut en bas, sont légalement responsables assument pleinement leurs responsabilités et que cessent absolument toutes improvisations d'autorité... La charge de gouverner incombe au gouvernement... Tout empiétement d'autorité porterait de graves atteintes à l'effort de guerre et de reconstruction, à la cohésion nationale et à la situation internationale de la France, c'est-à-dire qu'il serait condamnable et tôt ou tard condamné ».
Les FFI sont intégrés à l'armée régulière, les milices patriotiques dissoutes. Mais la reprise en main se fait difficilement. « L'Humanité » proteste violemment contre ce qu'elle appelle « le coup de force de de Gaulle », les milices sont réticentes à se dissoudre. Et c'est à Thorez que reviendra la tâche de faire admettre aux masses et aux militants de son Parti les décisions du Gouvernement.
Devant le Comité Central du PCF qui se tient à Ivry du 21 au 23 janvier 1945, il déclare :
« Nous qui sommes communistes, nous ne formulons pas présentement des exigences de caractère socialiste ou communiste. Nous disons cela au risque de paraître tièdes aux yeux des gens qui ont constamment à la bouche le mot de révolution. C'est un peu à la mode, les quatre années de « Révolution Nationale » sous l'égide de Hitler ont prévenu le peuple contre l'emploi démagogique de certains termes détournés de leur sens. Pour nous, nous disons franchement qu'une seule chose nous préoccupe, parce qu'une seule chose préoccupe le peuple : gagner la guerre au plus vite. »
Et c'est là qu'il ajoute :
« La sécurité publique doit être assurée par les forces régulières de police constituées à cet effet et les gardes civiques et d'une façon générale, tous les groupes armés irréguliers, ne doivent pas être maintenus plus longtemps ».
Usant de son autorité d'homme de « gauche » Thorez donne l'appui nécessaire à de Gaulle et à la bourgeoisie française pour réunifier et reprendre totalement l'appareil d'État en main.
Et « Le Monde » que « L'Humanité » accuse presque quotidiennement d'être le journal du Comité des forges, ne s'y trompe pas, il déclare enthousiaste :
« On ne peut qu'approuver le PCF quand il demande l'union de tous les Français dans le travail et l'effort commun pour la guerre, parlant ainsi le langage du général de Gaulle. »
Ce dernier dans ses « Mémoires de guerre » abonde dans le même sens :
« Quant à Thorez, écrit-il, tout en s'efforçant d'avancer les affaires du communisme, il va rendre, à plusieurs occasions, service à l'intérêt public. Dès le lendemain de son retour en France, il aide à mettre fin aux dernières séquelles des « Milices Patriotiques » que certains parmi les siens s'obstinent à maintenir dans une nouvelle clandestinité... il s'oppose aux tentatives d'empiétement des Comités de Libération et aux actes de violence auxquels cherchent à se livrer des équipes surexcitées. A ceux, nombreux des ouvriers, qui écoutent ses harangues, il ne cesse de donner pour consigne de travailler autant que possible et de produire coûte que coûte ».
Ces louanges du chef du Gouvernement Provisoire se passent de commentaires. La bourgeoisie peut à juste titre s'estimer heureuse des services que Thorez et les « camarades ministres » lui rendirent à cette époque.