- Accueil
- Lutte de Classe n°39
- France : les révolutionnaires doivent-ils réclamer un gouvernement PC-PS ?
France : les révolutionnaires doivent-ils réclamer un gouvernement PC-PS ?
Aujourd'hui, bien qu'avec des explications et des justifications différentes, deux organisations de l'extrême-gauche trotskyste, l'OCI et la LCR, mettent en avant les mots d'ordre de « dissolution de l'Assemblée Nationale » et « gouvernement PC-PS ».
L'OCI dans un « appel aux travailleurs, militants et jeunes », publié dans Informations Ouvrières du 8 septembre 1976, proclame : « ... L'Assemblée Nationale doit être dissoute... Les masses laborieuses veulent un autre gouvernement que le gouvernement Giscard-Barre. Les masses laborieuses veulent le gouvernement de leurs partis, du PS et du PCF sans ministres représentants des organisations et partis bourgeois... ».
La LCR, de son côté, dans une déclaration de son bureau politique en date du 23 septembre, affirme : « ...Les travailleurs doivent exiger la dissolution de l'Assemblée et la démission de Giscard... Forts de la confiance de la majorité des travailleurs, PC et PS doivent revendiquer le pouvoir tout de suite... ».
De tels objectifs correspondent-ils à la situation ? Sont-ils avancés par la LCR et l'OCI de façon telle qu'ils ne contribuent pas à alimenter les illusions électoralistes des travailleurs ? Pour notre part, la situation ne nous semble pas correspondre à la mise en avant de tels objectifs, et la politique de l'OCI, comme celle de la LCR, nous semble finalement contribuer à entretenir, au sein de la classe ouvrière, les illusions réformistes.
Une tactique qui pourrait etre juste... si elle était opportune
Depuis Marx, les révolutionnaires socialistes ont toujours expliqué aux travailleurs que le Parlement - l'Assemblée Nationale - était un instrument de domination politique de la classe bourgeoise sur ceux qu'elle exploite et qu'elle opprime : les travailleurs et tous ceux qui ne vivent que de leur travail. Ils ont toujours expliqué que le « suffrage universel » était un leurre, un jeu truqué de telle sorte que les exploités et les opprimés n'aient aucune chance d'y être jamais majoritaires et que, de toute façon, la bourgeoisie, elle, ne cultivait aucun fétichisme légaliste vis-à-vis de ses Parlements élus « en toute démocratie », et qu'elle était capable de les dissoudre par la force, si besoin.
Aujourd'hui, cela est plus vrai que jamais, même si les travailleurs, encouragés en cela par les organisations « de gauche » dans lesquelles ils mettent toute leur confiance, cultivent de nombreuses illusions sur les vertus des bulletins de vote et sur la capacité d'un éventuel Parlement de « gauche » à changer la vie.
On peut imaginer certaines circonstances où des révolutionnaires auraient à mettre en avant des mots d'ordre tels que « gouvernement PC-PS », ou même « dissolution de l'Assemblée Nationale », et à réclamer des élections anticipées. Mais ce serait dans un but tactique, en réponse à une aspiration des travailleurs - même nourrie d'illusions électoralistes - que les partis de gauche ne seraient pas prêts à satisfaire.
La tactique viserait alors à mettre ces partis au pied du mur, à les acculer à assumer leurs responsabilités, et à montrer de quoi ils sont réellement capables.
Si aujourd'hui, par exemple, la classe ouvrière française - et même seulement la fraction la plus avancée politiquement de celle-ci - était prête à se mobiliser contre le décalage entre le pays « légal » et le pays « réel » ; contre le fait que la « majorité » qui siège à l'Assemblée qui vient d'ouvrir sa session est « minoritaire » et « illégitime » - même au regard des règles de fonctionnement de la démocratie bourgeoise ; si les travailleurs aspiraient de ce fait, tout de suite, à de nouvelles élections qui, à leurs yeux, pourraient amener un gouvernement PC-PS ; et s'ils croyaient vraiment que cela puisse changer leur vie, alors en effet des révolutionnaires pourraient soutenir, voire mettre en avant, un objectif politique tel que la dissolution de l'Assemblée Nationale et un gouvernement PC-PS.
En sommes-nous là ?
Certes, dans les entreprises et les quartiers, le mécontentement est profond. Il s'exprime ouvertement ; « On ne peut plus accepter cela, il faut faire quelque chose ». Les travailleurs attendent, c'est manifeste, de la part des partis et des syndicats, une initiative qui leur permette de manifester leur mécontentement publiquement massivement. Et c'est bien pourquoi les deux plus importantes centrales syndicales ont décidé une journée de grève générale et de manifestations le 7 octobre.
Mais jusqu'ici les travailleurs ne sont nullement mobilisés pour un changement de gouvernement immédiat. Quand ils espèrent quelque chose, c'est qu'aux prochaines élections, en 1978, enfin, une majorité de gauche se dégage des urnes. C'est tout.
Et, en ne se portant pas candidats, tout de suite, au gouvernement, les partis de gauche ne sont nullement en retrait par rapport aux aspirations - même électoralistes - des travailleurs. Malgré leur vif mécontentement, ceux-ci acceptent tout à fait l'idée qu'il y a des règles démocratiques et parlementaires qu'il convient de suivre. Pour les travailleurs, comme pour les grands partis en qui ils ont mis leur confiance, l'horizon politique reste 1978.
Ainsi, quand l'OCI affirme qu'un élan profond, seulement freiné par les directions politiques des PC et PS, pousserait les travailleurs à aller manifester devant le Palais-Bourbon pour réclamer la dissolution de l'Assemblée qui y siège ; et quand la LCR, de façon certes un peu plus nuancée, laisse supposer que les travailleurs s'attendent à ce que dès maintenant le PC et le PS assument leurs responsabilités gouvernementales, l'une et l'autre de ces deux organisations déforment la réalité.
En fait, pour qu'il soit possible de mettre au pied du mur les organisations réformistes sur ce plan-là, il manque l'aspiration et la combativité des masses. Les révolutionnaires ne peuvent avoir d'influence que lorsqu'ils traduisent les espoirs des masses travailleuses et non pas lorsqu'ils prennent leurs désirs pour des réalités. Vouloir démasquer le PC et le PS pourrait, répétons-le, être une tactique juste si - et la condition est d'importance - il existait une poussée des masses ; si les travailleurs les plus conscients attendaient des directions réformistes une initiative immédiate, même sur le terrain qui est celui de ces réformistes.
Mais ce n'est pas le cas pour le moment. La mobilisation ouvrière, sur ce plan, n'existe pas. Et l'OCI a beau écrire que « il n'y aura pas de transition entre le bonapartisme en décomposition et une autre forme de domination de la bourgeoisie, sans crise révolutionnaire », ou encore : « Oui, c'est une certitude, la chute de Chirac ouvre directement le processus qui conduit à la crise révolutionnaire », ce sont des propos qui tiennent plus de l'incantation que de l'analyse marxiste.
En fait, la LCR comme l'OCI ne partent pas du degré de conscience et de mobilisation des travailleurs pour déterminer quels sont les problèmes sur lesquels ceux-ci sont prêts à se mobiliser, et donc pour déterminer les objectifs que lés révolutionnaires doivent mettre en avant.
Aujourd'hui, par exemple, il convient sans doute de mettre en avant un certain nombre de mots d'ordre - eux du Programme de Transition d'ailleurs - contre le chômage, la crise, la réduction des salaires, toutes choses qui constituent la préoccupation de la masse des travailleurs et sur lesquelles ceux-ci pourraient être sensibles aux solutions - et aux mots d'ordre - des révolutionnaires.
La LCR comme l'OCI sont à la recherche du mot d'ordre qui pourrait créer - par ses seules vertus - la mobilisation qui n'existe pas. Et pour cela, elles partent d'un schéma pré-établi : les travailleurs, ayant plus ou moins confiance dans les partis réformistes, peuvent être mobilisés pour porter ceux-ci au gouvernement ; une fois ceux-ci dans la place, les travailleurs, tous gonflés de leurs illusions sur le nouveau gouvernement, essaieront de pousser en avant pour de nouveaux avantages, et alors entreront en conflit avec ces partis réformistes ; alors les illusions tomberont.
Mais, d'une part, quand les travailleurs ne sont pas mobilisés sur ce plan, les mots d'ordre avancés par ces organisations tombent à plat. Et d'autre part - et c'est encore plus grave - puisque ce schéma prévoit que dans un premier temps c'est seulement sur des illusions que peuvent se mobiliser les travailleurs, la LCR et l'OCI, qu'elles le veuillent ou non... cultivent les illusions.
Quand des révolutionnaires cultivent les illusions réformistes
Si, en avançant aujourd'hui les mots d'ordre de « dissolution de l'Assemblée Nationale » et « gouvernement PC-PS », l'OCI et la LCR ne commettaient qu'une erreur d'appréciation de la situation, ce serait certes regrettable, mais pas si grave.
Mais ce qui l'est nettement plus, c'est qu'en avançant ces objectifs politiques, ces deux organisations, qui se réclament du trotskysme, laissent planer bien des équivoques, par ce qu'elles disent comme par ce qu'elles taisent, tant sur la démocratie bourgeoise que sur l'aptitude des PC et PS au gouvernement à changer le sort des travailleurs.
Toujours dans « l'Appel aux travailleurs, militants et jeunes » publié dans Informations Ouvrières du 8 septembre 1976, on peut lire : « L'Assemblée Nationale s'apprête à voter un plan d'austérité et le budget qui menacent directement toutes les masses laborieuses du pays. De quel droit ? A de multiples reprises, le suffrage universel a désavoué cette Assemblée Nationale. Les militants, les organisations, les partis ouvriers, attachés au respect des règles de la démocratie, ne peuvent en tirer qu'une conclusion : cette Assemblée Nationale doit être dissoute... Cette Assemblée Nationale est illégitime du point de vue de la démocratie ».
Que des gens, qui se réclament du trotskysme, c'est-à-dire de la dictature du prolétariat, se placent de cette façon « du point de vue de la démocratie », est pour le moins inattendu. En général, c'est dans les colonnes de l'Humanité qu'on trouve une telle prose. Car Informations Ouvrières parle bien ici au nom de la « démocratie »... bourgeoise. Sans aucune phrase de réserve sur le caractère tronqué, trompeur, dictatorial même pour les masses ouvrières de cette « démocratie », exercée de tout temps par les bourgeois contre les travailleurs.
Mais alors, si demain les résultats de nouvelles élections législatives, anticipées ou non, n'amènent pas une majorité de députés PC-PS ? Qu'expliqueront donc aux travailleurs qui leur auront fait confiance les militants de l'OCI ? Qu'ils doivent s'incliner devant la « démocratie », accepter pour une nouvelle législature un quelconque Chirac ? C'est du moins ce que n'importe quel « travailleur, militant, jeune » qui suivrait « l'Appel » de l'OCI pourrait en conclure.
En fait, toute l'argumentation qui consiste à affirmer et réaffirmer que le gouvernement Giscard est « minoritaire » est à double tranchant. Car présentée telle quelle, sans être accompagnée d'aucune formule claire de dénonciation du parlementarisme bourgeois, elle laisse supposer que si ce gouvernement n'était pas « minoritaire » - et il reste quand même à prouver qu'il le soit - il n'y aurait pas lieu d'en contester la légitimité ; et que les travailleurs devraient d'ailleurs s'incliner devant toutes les Assemblées « bien » élues
Certes, il est bien évident que les militants de l'OCI et de la LCR n'ont pas d'illusions démocratiques. Ils savent pertinemment, eux, que tout parlement bourgeois est une machine à tromper et opprimer les masses populaires ; que de toute façon, il ne s'y décide rien et que les bourgeois maintiennent ce théâtre d'ombres pour mieux distraire les travailleurs.
De même, il est bien évident que les militants de l'OCI et de la LCR n'ont pas d'illusions sur l'aptitude d'un gouvernement PC-PS à changer radicalement le sort des travailleurs. Ils ne croient pas, eux, à ce mot d'ordre de gouvernement PC-PS qu'ils inscrivent sur leurs banderoles et au bas de leurs appels programmatiques. Ils savent que Marchais et Mitterrand sont des politiciens de la même eau que tous les autres. Ils savent que l'Union de la gauche viendra au gouvernement quand la bourgeoisie voudra, et si elle veut bien confier à l'Union de la gauche le soin de gérer la crise, sur le dos des travailleurs.
Mais tout cela, ils ne le disent pas clairement, fermement et honnêtement aux travailleurs. A chaque fois qu'ils parlent de « gouvernement PC-PS », ils ne prennent pas la peine de préciser que ce gouvernement-là, même s'il venait à voir le jour, ne représenterait pas les intérêts des travailleurs.
C'est pourtant d'importance. Et c'est pourtant facile à dire.
Car bien sûr, à condition que la situation s'y prête, c'est-à-dire à condition que les travailleurs se mobilisent pour la venue d'un gouvernement PC-PS, les révolutionnaires pourraient mettre ce mot d'ordre en avant. Mais sans ambiguïté, en s'adressant de la façon suivante aux travailleurs :
« Vous comptez sur une majorité de gauche à la Chambre et sur un gouvernement PC-PS pour changer votre sort ? Nous, révolutionnaires, nous n'y croyons pas. Nous sommes convaincus que vous vous faites d'immenses illusions en comptant sur des bulletins de vote, et non sur vos seules forces et vos seules luttes. Les Mitterrand et les Marchais sont des politiciens qui veulent bien de vos voix pour accéder au gouvernement. Mais ils veulent être ministres pour gérer la crise de la bourgeoisie et utiliser dans l'intérêt unique de celle-ci l'immense capital de confiance que vous mettez en eux. Cela dit, si vous tenez vraiment à tenter cette expérience de porter au gouvernement le PC et le PS, nous sommes prêts à la faire avec vous. Si même, vous voulez dès aujourd'hui que cela se fasse, poussez donc le PC et le PS de l'avant. Immédiatement. Demandez-leur d'exiger la dissolution de l'Assemblée Nationale ! C'est vrai que le gouvernement de Giscard a contre lui la grande masse de ceux qui travaillent, que la soi-disant « majorité » électorale sur laquelle il s'appuie ne représente rien. Exigez donc du PC et du PS qu'ils se déclarent prêts, tout de suite, à assumer les tâches gouvernementales. Là encore, nous serons avec vous : nos bulletins de vote, à nous révolutionnaires, n'empêcheront pas Marchais et Mitterrand de devenir ministres. Mais nous vous le répétons : s'ils le deviennent, ils ne feront pas une autre politique que Barre. N'est-ce pas d'ailleurs une preuve de ce qu'ils représentent ? Ils se refusent à accéder à vos aspirations, ils n'osent même pas bousculer les institutions et prendre l'initiative d'engager la lutte pour le gouvernement tout de suite ».
Les révolutionnaires peuvent avoir un langage et une politique qui ne cultivent pas les illusions électoralistes, tout en montrant aux travailleurs dans les faits, sur le terrain des luttes, des manifestations, des élections aussi, qu'ils sont de leur côté. Les révolutionnaires doivent être dans le camp des travailleurs - même quand ceux-ci se trompent - sans pour autant céder sur une seule ligne de leur programme. C'est cela, mener une politique de Front Unique Ouvrier.
Mais bien sûr, cela suppose de la part des révolutionnaires d'avoir le courage de leur programme, d'avoir en l'occurence le courage de dire ce qu'ils pensent de l'Union de la gauche, en prenant le risque de heurter de front bien des illusions.
C'est ce risque que ne veulent pas courir l'OCI et la LCR. Pour ne pas déplaire, pour ne pas trop froisser les convictions des militants du PC, du PS, ils laissent finalement au fond de leur poche une partie de leur programme. Cela s'appelle de l'opportunisme. Et c'est cet opportunisme-là qui les conduit, pour se ranger du côté des travailleurs, à se ranger par la même occasion derrière l'Union de la gauche.