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La commission d'enquête sur les accusations contre Michel Varga
Il y a un peu plus d'un an, une commission d'enquête était constituée, avec la participation de représentants de plusieurs organisations révolutionnaires : la Ligue Communiste Révolutionnaire (France), Lutte Ouvrière (France), le Socialist Workers Party (USA), la Tendance Spartaciste Internationale, la Workers Socialist League (WSL Grande Bretagne).
L'objet de cette commission d'enquête était constitué par les accusations lancées par l'OCI (Organisation Communiste Internationaliste) contre un de ses anciens dirigeants, Michel Varga. Michel Varga et un certain nombre de militants de l'OCI et du regroupement international qui lui est lié, le Comité International de Reconstruction de la Quatrième Internationale, s'étaient séparés, en 1972, de l'OCI et de ce Comité, à la suite de divergences politiques. C'est peu après cette scission que l'on vit l'OCI lancer, contre Michel Varga et ses partisans, une campagne d'accusations, affirmant détenir les preuves que Varga était « un agent de la CIA et du KGB ». L'OCI s'appuyait pour cela sur les archives de Michel Varga, en possession desquelles elle était rentrée.
D'autre part, à plusieurs reprises, des militants de l'organisation fondée par Michel Varga - la LIRQI, Ligue Internationale de Reconstruction de la Quatrième Internationale, puis la LOR, Ligue Ouvrière Révolutionnaire - se plaignirent d'avoir été l'objet de violentes agressions de la part de militants de l'OCI, ayant pour but de tenter de les empêcher de vendre ou diffuser leur presse.
C'est face à cette situation que Michel Varga et son organisation s'adressèrent aux différentes organisations révolutionnaires pour leur demander de créer une commission d'enquête sur les accusations portées par l'OCI, et sur les violences dont ils se plaignaient.
En ce qui concerne Lutte Ouvrière, nous nous sommes immédiatement déclarés d'accord pour participer à une telle commission d'enquête. Car la situation créée était telle, selon nous, qu'elle impliquait l'ensemble du mouvement révolutionnaire, et en particulier du mouvement trotskyste. Une organisation en accusait une deuxième d'être dirigée par un agent de la CIA et du KGB. La seconde répondait en accusant la première de remplacer les arguments politiques par les calomnies et par les coups. Que la vérité soit d'un côté ou de l'autre, ces accusations étaient de toute façon graves. C'était le climat de la discussion politique entre organisations se réclamant de la révolution socialiste, en un mot le respect de la démocratie ouvrière qui était mis en cause, aussi bien par l'accusation d'être manipulé par des services de renseignements, que par l'accusation d'employer des méthodes staliniennes.
En dernière analyse, c'était à l'ensemble du mouvement révolutionnaire de trancher le conflit en vérifiant si oui ou non l'une de ces accusations était fondée. Car c'est à lui, en dernière analyse, d'empêcher que des méthodes qui lui sont étrangères aient cours et se répandent en son sein. Voila pourquoi, à partir du moment où une des organisations en cause demandait la tenue d'une commission d'enquête, nous pensions qu'aucune organisation disposant de quelque responsabilité et de quelque influence dans le mouvement révolutionnaire, et ayant les moyens matériels et humains de participer à une telle commission, ne pouvait se dérober à cette demande. C'est pourquoi, en ce qui nous concerne, nous avons donné notre accord.
Il était clair, selon nous, que les militants siégeant dans cette commission d'enquête s'engageaient, de ce fait même, à juger sur les faits et rien que sur ceux-ci, à les vérifier scrupuleusement et objectivement, en faisant abstraction des divergences politiques ou des affinités qu'eux-mêmes ou leur organisation pouvaient avoir avec telle ou telle des parties en cause. La commission d'enquête n'avait pas à juger, bien entendu, la politique menée par les uns et les autres, et elle devait juger indépendamment des relations politiques que ses membres pouvaient entretenir avec les deux parties.
C'est d'ailleurs pour cette raison que nous fûmes conduits, en accord avec d'autres organisations, à refuser les bases politiques proposées par la LIRQI à la commission d'enquête qu'elle demandait. Ces bases revenaient en effet, à juger par avance que les accusations de l'OCI étaient des calomnies, ôtant ainsi toute objectivité, et toute crédibilité, toute raison d'être même, à la commission d'enquête qui se serait formée sur ces bases. La déclaration de constitution de la commission d'enquête, au contraire, écarte tout jugement a priori. Cela à conduit la LIRQI à en récuser par avance les conclusions, et à former sa propre « commission d'enquête contre les calomnies sur Michel Varga » avec comme principal participant... elle-même. C'est une attitude que nous avons jugée irresponsable, et elle ne nous a pas empêchés de créer, avec la LCR, le SWP, la TSI et la WSL, une commission d'enquête sur Ies bases qui nous semblaient justes.
Cette commission d'enquête est aujourd'hui parvenue aux termes de ses travaux. Mais elle n'est pas parvenue à une conclusion unanime. En effet, le texte que nous publions ci-après n'est signé que par les représentants de trois organisations, la LCR, le SWP et la TSI (Tendance Spartaciste Internationale). La WSL n'a pas, pour des raisons pratiques, participé en fait à la commission d'enquête, ni donc au rapport final. Quant à nous, Lutte Ouvrière, nous avons refusé de signer le texte en question.
En effet, à la suite du travail de la commission d'enquête - analyse de l'argumentation des uns et des autres, confrontation de celle-ci avec un certain nombre de témoignages - il nous est apparu clairement que l'argumentation de l'OCI, dans ses accusations portées contre Michel Varga, était tendancieuse et malhonnête. Nous attirons l'attention, en particulier, sur les faits suivants :
- L'OCI s'appuie essentiellement sur les « archives Varga », c'est-à-dire sur un certain nombre de lettres écrites par Michel Varga entre 1956 et 1962.
- Or, à cette époque, Michel Varga ne s'affirmait nullement militant révolutionnaire. Au contraire, il participait à des revues d'orientation social-démocrate. C'est dans le cadre de cette activité politique qu'il fonda, à Bruxelles, l'Institut Imre Nagy et édita la revue Études ; et il semble que cet Institut ait reçu pour son financement les subventions de services officiels occidentaux.
- Les lettres sur lesquelles l'OCI s'appuie sont en particulier celles dans lesquelles Varga, à l'époque, parlait du financement de son institut. L'OCI affirme avoir ignoré l'existence de ces lettres, aussi longtemps que Varga était membre de l'OCI, et en tire argument pour prouver la « duplicité » de Varga.
- S'il n'a pas été possible d'établir si oui ou non l'OCI connaissait l'existence de ces lettres lorsque Varga a adhéré à l'OCI, la commission d'enquête a par contre établi que l'OCI ne pouvait rien ignorer de ce passé politique de Michel Varga, ni de l'existence de l'Institut Imre Nagy. En effet, deux de ses principaux dirigeants, Jean-Jacques Marie et Pierre Broué, ont collaboré à la revue Études publiée par l'Institut Imre Nagy, et il semble même que ce soit dans le cadre de cette activité qu'ils sont entrés en contact avec Michel Varga, pour le gagner finalement à l'OCI. Or, dans toute son argumentation contre Michel Varga, L'OCI tait soigneusement le fait qu'elle était avertie de ce passé politique, et présente donc les faits de façon tendancieuse et malhonnête.
- Mais l'OCI est encore plus tendancieuse et malhonnête dans la suite de son argumentation, lorsqu'elle accuse Varga d'avoir été, dans ses rangs, après son adhésion en 1962, un « agent provocateur » de la CIA. Pour « prouver » cela, le seul argument de l'OCI est en fait le passé politique de Varga, et le fait qu'il aurait caché ce passé à l'OCI, ce qui, on l'a vu, est sujet à caution. De toute façon, cela n'apporte pas même le début d'une preuve que dans l'OCI, Michel Varga ait été effectivement un agent manipulé par la CIA.
- Quant à l'accusation d'être « un agent du KGB » , les dirigeants de l'OCI ont reconnu eux-mêmes, devant la commission d'enquête, qu'elle s'appuyait uniquement « sur un raisonnement politique », c'est-à-dire qu'ils ont déduit cette accusation... de la politique défendue par Varga, et non pas de la moindre preuve matérielle !
Il nous paraît donc clair que ces très graves accusations portées par l'OCI contre Michel Varga ne se basent sur aucune preuve sérieuse, et nous les jugeons donc, quant à nous, mensongères et calomniatrices.
De plus, les témoignages recueillis par la commission d'enquête établissent de façon irréfutable que, à plusieurs reprises, des militants de l'OCI ont exercé des violences physiques contre les militants de la LIRQI-LOR, dans le but d'empêcher la diffusion de leur presse. Dans les circonstances où ces violences ont été commises, il est impossible, quels que soient les silences observés à ce propos par les dirigeants de l'OCI, que ces violences aient été exercées sans leur consentement, et même sans leur direction effective. Il s'agit donc bien d'une politique délibérée de la direction de l'OCI.
L'ensemble de ces faits ressort clairement, selon nous, des travaux de la commission d'enquête, des documents et des témoignages qu'elle a recueillis. Dès lors, il nous paraissait que le minimum, pour les militants ayant participé à cette commission, était d'appeler un chat un chat, et de caractériser les accusations de l'OCI, comme nous venons de le faire, comme de pures et simples calomnies.
Or le texte élaboré par les représentants de la LCR, du SWP et de la TSI, et que nous publions plus loin, s'il laisse effectivement apparaître un certain nombre des conclusions que nous venons de formuler, nous apparaît, aussi, bien significatif par ce qu'il ne contient pas. Ne parlons pas de la position de la Tendance Spartaciste Internationale, qui estime important d'ajouter, à la fin du texte, que « Michel Varga est un individu louche et hautement douteux », et cela pour la seule raison qu'il « a refusé de faire la lumière sur son passé », c'est-à-dire de témoigner devant la commission d'enquête.
L'attitude de Michel Varga, refusant de témoigner devant la commission d'enquête, est en effet condamnable et démontre un manque profond de sérieux politique ; elle montre qu'au fond, il se soucie plus d'utiliser cette affaire pour ce qu'il croit être une activité politique de son organisation, que de combattre les méthodes utilisées par l'OCI. Mais cela ne suffit pas pour le qualifier de « louche » ou de « douteux ».
On voit que la Tendance Spartaciste ne manque pas, elle non plus, de légèreté dans ses condamnations. Et le fait que la LCR et le SWP acceptent de voir ces insultes gratuites, qu'ils ne signent pas, figurer à côté de leur texte, comme si cela n'avait pas d'importance, en dit long déjà sur leur propre légèreté,
Mais le plus grave est que le texte élaboré par la LCR et le SWP se borne à constater que « (les accusations contre Michel Varga) ne sont pas prouvées ». Et s'il se borne à ce constat, c'est que les représentants de la LCR et du SWP ont refusé explicitement de parler de calomnies. Ce refus reflète une volonté d'éviter de se prononcer clairement sur les méthodes employées par l'OCI. Il aboutit à renvoyer en quelque sorte les protagonistes dos à dos, en disant certes que l'OCI n'a rien prouvé mais en laissant aussi planer un certain doute sur Varga lui-même.
Or, comme les termes du texte que ces trois organisations ont signé le montrent, ce refus de parler de « calomnies » dans le texte, ne résulte pas d'un doute des participants à la commission d'enquête, qui effectivement n'ont pas trouvé, eux non plus, de bases aux accusations de l'OCI. Ce refus résulte en fait, au moins en ce qui concerne le SWP et la LCR, d'une volonté politique de ces deux organisations de ne pas dire ce qu'elles pensent ou, ce qui revient au même, de ne pas tirer leurs conclusions jusqu'au bout. Et on peut se demander à bon droit si cette attitude ne résulte pas d'une volonté politique de ces organisations, et en tout cas du SWP, de ménager l'OCI et ses relations avec elle, en vue d'un possible rapprochement politique. Le SWP, qui a coexisté longtemps avec l'OCI, dans le même regroupement international, ne souhaite-t-il pas ménager la possibilité d'établir de nouvelles relations de ce type avec l'OCI ?
Nous sommes en tout cas en désaccord avec cette attitude, et cela nous a conduit, pour notre part, à refuser de signer un texte qui ne contienne pas une caractérisation sans équivoque des accusations de l'OCI comme des calomnies. Car cette attitude ressort de l'opportunisme pur et simple.
Nous avons refusé quant à nous, de laisser influer notre appréciation de la politique de l'OCI, ou de la LIRQI, dans notre jugement à l'issue de la commission d'enquête. Bien des divergences politiques nous séparent tant de l'OCI que de la LIRQI, et le fait que nous jugions les accusations de l'OCI comme calomnieuses ne nous rapproche pas politiquement de la LIRQI. Ce n'est pas non plus une manoeuvre politique contre l'OCI. C'est le constat qu'un certain nombre de méthodes ont été employées, que des militants révolutionnaires conséquents et honnêtes ne peuvent que combattre, qu'ils soient ou non proches politiquement de ceux qui les ont employées. Car, nous en sommes convaincus, la classe ouvrière ne pourra jamais être victorieuse si ceux qui militent pour sa victoire ne sont pas capables de faire régner en leur sein, des rapports politiques, démocratiques et sains, c'est-à-dire les méthodes de la démocratie ouvrière ; et si, au contraire, ils emploient des méthodes staliniennes, résultat direct de la pression de l'ennemi de classe.
Les représentants de la LCR et du SWP n'ont pas, selon nous, respecté cette attitude, sans doute en fonction de calculs politiques portant sur leurs relations réciproques et sur leurs relations avec l'OCI. C'est typiquement une attitude opportuniste et sans principe, qui reflète au fond un mépris profond pour les principes de la lutte révolutionnaire. En tout cas, lorsque cette attitude sans principe revient à couvrir, ou à se taire, à propos des calomnies employées contre un militant, c'est une capitulation pure et simple.
La commission d'enquête aura sans doute permis de rétablir un certain nombre de faits à propos de ce qui était son objet, les accusations portées par l'OCI contre Michel Varga. Mais le déroulement de cette commission d'enquête aura démontré aussi le peu de sérieux d'un certain nombre d'organisations du mouvement révolutionnaire à l'égard de l'emploi de procédés qui sont totalement étrangers à celui-ci. Car, si l'attitude de l'OCI, portant des accusations très graves sans la moindre preuve, pour salir un adversaire politique, est inqualifiable, que penser de la légèreté avec laquelle des organisations comme La LCR, le SWP, la TSI et... Michel Varga lui-même ont répondu à cette situation ? En fait, leur attitude ne révèle pas un véritable souci d'examiner sérieusement les accusations lancées et les méthodes utilisées, et d'en juger de façon objective, dans le but de maintenir un climat et des relations saines, à l'intérieur du mouvement révolutionnaire. Elle révèle que ce souci disparaît devant des préoccupations de boutique à courte vue, où l'emploi de calomnies, ou même la polémique contre ces calomnies sont considérés comme des méthodes politiques après tout à l'égal de bien d'autres, et contre lesquelles il n'est pas si important que cela de lutter. Et cette absence de principes dans les relations entre organisations révolutionnaires révèle une grave faiblesse.
Conclusions de la commission d'enquête
Michel Varga (c'est le pseudonyme politique adopté par Balaszc Nagy) est aujourd'hui le principal leader de la Ligue Internationale de Reconstruction de la Quatrième Internationale, la LIRQI, qui se proclame aujourd'hui simplement « Quatrième Internationale ». Après l'insurrection de 1956 en Hongrie, il émigra en Europe occidentale et devint à la fin des années 1950 un des fondateurs de « l'institut Imre Nagy de sciences politiques » et du journal publié par cet institut, Études. Le but de cet institut, tel que Varga l'exposa en 1958, était d'analyser les problèmes du socialisme, et particulièrement les problèmes de la Hongrie de 1948 à 1956. Pour ces projets, Varga entra en relations avec différents groupes et individus du mouvement ouvrier.
En 1961, Michel Varga rompit avec l'institut et le journal. En 1962, il rejoignit l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI). A la fin de 1972, une scission se produisit entre un groupe conduit par Varga et l'OCI. Le groupe formé par Varga prit le nom tout d'abord d'OCI-fraction LIRQI.
En 1973, l'OCI publia des textes (traduits du hongrois) extraits des archives de Varga que l'OCI s'était procurées. Ces textes concernent la période 1957-1960, et les extraits publiés par l'OCI sont essentiellement des parties de la correspondance de Varga. Sur la base de ces extraits, l'OCI accusa Varga d'être un agent de la CIA et du KGB.
Le 27 mars 1976, les organisations Lutte Ouvrière, Ligue Communiste Révolutionnaire, Socialist Workers Party (USA), la Tendance Spartaciste Internationale et la Workers Socialist League (Grande-Bretagne) décidaient de se constituer en commission d'enquête sur la base de la déclaration suivante :
DÉCLARATION
« Depuis un certain temps, l'organisation Communiste Internationaliste (OCI) a avancé un certain nombre d'accusations, affirmant que Balaszc Nagy, dit Michel Varga, serait un « agent payé par la CIA » et un « provocateur du Guépéou ». Les dirigeants de la LIRQI, l'organisation à laquelle appartient Michel Varga, ont demandé une « commission ouvrière d'enquête » pour prendre position sur la « campagne d'accusations sans preuves lancée par la direction de l'OCI » aussi bien que sur « l'extension de ces accusations à la Ligue internationale en tant que telle ; allant jusqu'aux attaques physiques répétées contre les militants de l'OCI-fraction LIRQI, notamment lors des manifestations unitaires contre le franquisme et de la diffusion devant le meeting pour la libération du mathématicien soviétique Léonid Pliouchtch ».
Nous estimons que de telles accusations à l'encontre d'un militant ou d'une organisation sont suffisamment graves pour que l'ensemble du mouvement révolutionnaire ait à vérifier si elles sont fondées ou non. Voilà pourquoi nous avons décidé de nous constituer en commission d'enquête pour inviter la direction de l'OCI à nous présenter toutes les preuves qu'elle prétend détenir et pour demander à tous ceux qui pourraient fournir des éléments de jugement sur cette affaire de venir témoigner.
La commission se donne pour but une vérification scrupuleuse des faits et des documents, vérification qu'elle rendra publique. Pour que cette vérification se fasse avec le plus d'autorité possible, elle invite toutes les organisations se réclamant du mouvement ouvrier révolutionnaire à participer activement à ses travaux ».
Après un an de travail, la commission d'enquête estime maintenant être parvenue au terme de celui-ci, Elle a recueilli des témoignages et a procédé à des vérifications dans la mesure de ses possibilités.
Pour des raisons pratiques, le représentant de la WSL n'a pu participer régulièrement aux travaux de la commission. Cinq personnes y ont participé sur des bases régulières : André Frys (LO), André Roussel (LO), Gus Horowitz (SWP), Georges Marion (LCR), Jean Lesueur (TSI). Les représentants de Lutte Ouvrière ont décidé de faire un rapport séparé. Ce rapport est donc fait par les trois participants suivants à la commission d'enquête Gus Horowitz (SWP), J. Lesueur (TSI), G. Marion (LCR).
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
Les membres de la commission d'enquête tiennent à formuler, au terme de leurs travaux, les observations préliminaires suivantes, qui ont trait au déroulement de l'enquête elle-même.
1) A deux reprises, des militants de l'OCI - d'abord Claude Chisserey et Gérard Bloch, puis Pierre Lambert - ont accepté de répondre à ses questions. Mais de nombreuses lettres, demandes de témoignages d'autres membres de l'OCI, faites par la commission d'enquête, sont restées sans réponse de la part de l'OCI. Pierre Lambert, quant à lui, a déclaré sur ce point : « Nous ne laisserons pas la commission d'enquête investiguer à l'intérieur de l'OCI. Le but de votre commission est de dire si les documents produits par l'OCI sont authentiques ou non ». Sur la question des violences exercées par des militants de l'OCI contre la LIRQI, puis la LOR (nom pris par la section française de la LIRQI), les représentants de l'OCI ont nié, ou refusé de répondre.
2) C'est à la demande de la LIRQI que les organisations composant la commission d'enquête ont décidé de constituer celle-ci. Mais la LIRQI exigeait que la commission d'enquête se constitue sur la base de la reconnaissance a priori que les accusations de l'OCI étaient des calomnies. Voyant que les organisations en question n'épousaient pas son point de vue, la LIRQI a alors formé sa propre commission d'enquête, la « commission d'enquête contre les calomnies sur Michel Varga », dont elle est en fait la seule participante. Par la suite, à une occasion des membres de la LIRQI ont accepté de témoigner devant la commission d'enquête sur la question des violences. Récusant par avance la commission comme une « manoeuvre », Michel Varga a quant à lui refusé explicitement toute collaboration avec la commission,
CONCLUSIONS SUR LE FOND
Malgré l'attitude de l'OCI et de la LOR à l'égard de la commission d'enquête, les membres soussignés de celle-ci sont parvenus aux conclusions suivantes, qui leur sont communes
1) Varga était-il un agent du KGB ?
L'OCI n'a fourni aucun élément prouvant que Michel Varga était en relation avec le KGB ou le gouvernement soviétique. Selon les propres termes des dirigeants de l'OCI, cette accusation est basée uniquement sur un « raisonnement politique ».
Selon la commission, cette accusation n'est donc pas prouvée.
2) Varga était-il un agent de la CIA ?
Pour affirmer cela, l'OCI s'appuie essentiellement sur les « archives Varga » qui regardent la période 1957-1960.
Ces archives montrent que dans cette période, après avoir quitté la Hongrie, et avant de rejoindre l'OCI, Michel Varga a cherché un soutien financier auprès de multiples sources, y compris des sources proches du gouvernement américain, du « State Department » ou du « Free Europe Committee », afin de financer l'institut Imre Nagy. Les archives montrent qu'il chercha cet argent activement, en pleine connaissance de cause, et en tentant d'en cacher l'origine.
Mais ces archives ne prouvent pas que Varga ait été à cette époque un agent de la CIA. Elles ne prouvent pas que Varga ait été un tel agent après avoir rejoint les rangs de l'OCI en 1962, ni qu'il ait eu des contacts dans cette période avec la CIA.
Selon la commission, cette accusation d'appartenir à la CIA n'est donc pas prouvée.
3) L'OCI avait-elle connaissance du passé de Varga avant de l'accepter dans ses rangs ?
Il n'existe pas de documents permettant de répondre à cette question.
Dans les publications de la LIRQI, Michel Varga a affirmé que l'OCI était pleinement informée de son passé avant qu'il ne rejoigne ses rangs. Mais Michel Varga a refusé d'apporter son témoignage à la commission.
L'OCI quant à elle a réaffirmé qu'elle ne connaissait pas le passé de Varga, tel qu'il apparaît à la lumière des archives. Pierre Lambert l'a répété dans son témoignage devant la commission d'enquête.
La commission a également entendu les témoignages de Albi et de Kaldy, deux militants hongrois aujourd'hui respectivement de la LCR et de Lutte Ouvrière, qui avaient travaillé avec Varga après 1962, dans son organisation trotskyste hongroise, la LRSH. D'après leurs déclarations, l'OCI avait eu en sa possession suffisamment d'informations sur le passé de Varga pour attirer des soupçons sur la source du financement de l'institut Imre Nagy. Pierre Lambert, cependant, a témoigné qu'en 1962, l'OCI n'avait pas de base pour de tels soupçons.
Deux dirigeants de l'OCI, Pierre Broué et Jean-Jacques Marie, ont avant 1962 collaboré à plusieurs reprises à la revue Études, éditée par l'institut Imre Nagy. Ils connaissaient donc au moins l'existence de l'Institut, Mais la commission n'a pu recueillir leur témoignage concernant l'étendue de leur connaissance de l'institut à cette période du fait du refus de l'OCI. Pour la même raison, elle n'a pas pu non plus recueillir le témoignage de Roger Monnier, militant de l'OCI chez qui Varga aurait déposé ses archives.
La commission n'est donc pas en mesure de savoir si l'OCI n'a eu connaissance des archives qu'en 1973.
4) Les violences
La commission a entendu des témoignages indiquant qu'en plusieurs occasions l'OCI a exercé des violences contre des membres de la LIRQI, pour empêcher la diffusion de la presse de celle-ci et non pour se défendre. Les témoignages proviennent de différents individus et de différentes organisations.
La commission est donc convaincue que ces violences ont effectivement eu lieu. Il est inadmissible pour une organisation du mouvement ouvrier d'agir de cette façon, et cela doit cesser.
Les travaux de la commission d'enquête ont, devant l'ensemble du mouvement ouvrier, un caractère public, afin de permettre à l'ensemble des militants ouvriers qui le souhaitent de se faire une opinion par eux-mêmes. C'est l'ensemble du mouvement ouvrier que Io commission fait juge de « l'affaire Varga » et de l'attitude adoptée par les protagonistes de celle-ci.
Paris, le 29 mai 1977
Gus Horowitz (Socialist Workers Party)
Jean Lesueur (Tendance Spartaciste Internationale)
Georges Marion (Ligue Communiste Révolutionnaire)
La Tendance Spartaciste internationale tient à spécifier qu'elle vote pour ces conclusions avec les réserves suivantes et dont la reproduction constitue la condition à sa signature :
1) Les accusations non prouvées de l'OCI doivent être caractérisées comme des calomnies.
2) L'attitude actuelle de Varga, c'est-à-dire de refuser de faire la lumière sur son passé, doit amener à le caractériser comme un individu louche et hautement douteux.
3) Les violences de l'OCI contre les partisans de Varga doivent être caractérisées comme relevant de méthodes staliniennes,