Interventions des groupes invités14/12/20252025Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2025/12/une_252-c.jpg.484x700_q85_box-12%2C0%2C1372%2C1965_crop_detail.jpg

Interventions des groupes invités

Nous publions ci-dessous de larges extraits des interventions d’organisations sœurs de Lutte ouvrière, regroupées au sein de l’Union communiste internationaliste (UCI). Nos lecteurs peuvent retrouver leurs organes de presse respectifs sur Internet (voir en quatrième de couverture, ou à partir du site de l’UCI https://www.union-communiste.org/fr)

Combat ouvrier (Martinique et Guadeloupe)

Menaces de guerre

La région caraïbe est maintenant touchée par la politique de la canonnière de l’impérialisme américain sous prétexte de guerre contre le narcotrafic. Les avions et les bateaux de guerre coulent de petites embarcations prétendument transporteurs de drogue. Et sans preuve.

Trump en profite pour menacer des régimes comme celui de Maduro au Venezuela, pas assez soumis à l’impérialisme américain. Ces attaques ont déjà tué 80 personnes.

La guerre fait son apparition partout et, pour les peuples de la Caraïbe, elle n’est plus un événement lointain.

Pour l’instant, ces événements ne font pas discuter au sein de la population, hormis dans les milieux politisés. Mais si demain une nouvelle guerre mondiale devait avoir lieu, une génération de jeunes de Guadeloupe, de Martinique, de Trinidad et Tobago, de la Barbade ou de Saint-Vincent serait mobilisée pour défendre les intérêts de leur puissance coloniale respective, la France ou la Grande-Bretagne, la Hollande ou l’Espagne ou, peut-être même, ceux de l’impérialisme américain lui-même.

Alors, les commentaires sur l’actualité sont plus fréquents en ce qui concerne la crise politique actuelle dans l’Hexagone.

Vue d’outre-mer, cette crise politique offre un spectacle encore plus dérisoire que sur place. Aux yeux de populations éloignées des centres de décision, les événements politiciens renforcent le scepticisme et le désintérêt pour la chose politique. En effet, d’une manière générale et de tout temps, le taux d’abstention aux élections le montre bien. Aux dernières élections législatives anticipées, on a compté plus de 69 % d’abstention en Martinique et plus de 65 % en Guadeloupe. Nous n’avons jamais connu autant de ministres de l’Outre-mer : 10 en 8 ans. Ils ont servi quelques mois chacun en moyenne, certains quelques semaines, voire quelques jours.

Vie chère

Aux Antilles, la politique d’économie sur la population que veut réaliser l’État pour réduire sa dette a commencé à être ressentie par les travailleurs. Ils endurent déjà les mêmes restrictions que les travailleurs de l’Hexagone, avec comme toujours un coefficient d’aggravation. Car en Martinique et en Guadeloupe, les salaires sont en moyenne bien plus bas et il y a deux fois plus de chômage et de précarité que dans l’Hexagone.

Depuis octobre 2025, la prime de vie chère des travailleurs du public, ce que l’on appelle généralement les 40 %, est supprimée pour ces travailleurs en cas de congé de maladie. On peut se demander si cette mesure n’inaugure pas sa suppression par étapes. Rappelons que la prime de vie chère a été obtenue de haute lutte suite à une longue grève des fonctionnaires d’outre-mer en 1953. Jusqu’alors, cette prime de vie chère n’était accordée qu’aux fonctionnaires venant de l’Hexagone. C’était une véritable discrimination coloniale.

Eau polluée et sargasses nuisent à la santé

Le service public de l’eau est toujours dans un état déplorable, surtout en Guadeloupe. On en fait le constat chaque année. Mais au lieu de s’améliorer petit à petit, la situation s’aggrave. Des communes ou quartiers jusqu’ici épargnés subissent maintenant des coupures intempestives. Dans d’autres endroits, la population est parfois privée d’eau courante pendant plusieurs jours. Les annonces publiques pour avertir les gens de ne pas boire l’eau, ni même se brosser les dents avec, se répètent régulièrement. Et quand l’annonce arrive, la non-potabilité de l’eau, polluée par le chlordécone et d’autres souillures, a précédé l’annonce de plusieurs jours. Les stations d’épuration sont pourries, les tuyaux aussi. De plus en plus de plages sont polluées. En l’absence d’une très forte mobilisation, on ne verra pas les deux milliards nécessaires à la réfection générale du réseau d’adduction d’eau de la population. Et c’est toujours du bricolage d’année en année.

Sur le littoral, une grande partie est polluée par les sargasses : ce sont des algues brunes qui se développent à la surface de l’océan Atlantique et échouent sur les côtes. En se desséchant sur le rivage, ces sargasses dégagent une très forte odeur due au sulfure d’hydrogène et à l’arsenic. Les gaz dégagés attaquent les poumons, favorisent l’asthme et provoquent des affections de la peau. Ils détruisent peu à peu les appareils électroménagers chez les riverains. Presque toutes les îles de la Caraïbe sont touchées par ce phénomène.

Il y a peu de solutions à ce jour. Il existe bien les « sargators », ces bateaux capables de ramasser les algues avant leur échouage. Ils coûtent très cher. Il en faudrait plusieurs dans chaque île. Mais ni l’État, ni les assemblées locales ne veulent assumer ces dépenses pour l’instant.

Autre fait marquant, la montée de la criminalité, organisée ou pas. Il se passe rarement une semaine sans que l’on assiste dans les deux îles à des règlements de comptes criminels entre jeunes. Ces jeunes sont lourdement armés et s’entretuent.

Misère matérielle et morale… et ses conséquences

En Martinique, on a compté 33 homicides par armes à feu pour l’année 2025. En Guadeloupe, le cap des 47 homicides a été franchi au 1er novembre dernier. Ces crimes par arme à feu ou au couteau sont liés à des braquages ou à des vols de scooters, à des différends intrafamiliaux, et souvent au trafic de drogue. Ils ont des causes diverses mais une origine commune : la misère, matérielle et morale, la précarité, le chômage.

La baisse démographique et le vieillissement s’accentuent. Ce dernier est plus prononcé aux Antilles qu’en métropole. Près de 40 % de la population martiniquaise aura bientôt 60 ans ou plus. Les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans. En Guadeloupe, en 2023, les plus de 60 ans représentaient déjà 30 % de la population, contre 21 % en 2013. Dans 20 ans, la Martinique sera le département le plus vieux de France. De plus, les deux îles perdent ensemble environ 5 000 habitants par an. Les jeunes quittent les îles pour leurs études et trouver du travail. Ils partent surtout vers l’Hexagone, mais aussi un peu partout dans le monde, souvent au Canada.

Des grèves victorieuses

Dans cette situation générale plutôt sombre, il y a des travailleurs qui relèvent la tête et se battent.

Certes, dans les entreprises, il n’y a pas eu de grèves offensives. Mais une série de grèves a ponctué régulièrement la vie sociale.

À La Poste, la longue grève des salariés en Guadeloupe au mois de septembre était liée à la dégradation des conditions de travail. Les postiers ont dénoncé en particulier le manque criant d’effectifs qui les épuise. Ils ont protesté contre un projet de restructuration qui augmenterait la charge de travail sans effectifs supplémentaires. Cette grève fut un succès. Les postiers ont obtenu : la création immédiate d’une centaine de postes en CDI pour une grande majorité des agents ; l’arrêt des recrutements en intérim ; le maintien des bureaux de poste de plein exercice ; l’interruption des réorganisations pendant 6 mois ; la formation des postiers pour développer leurs compétences.

la fin des pressions managériales

En Martinique, en janvier, les postiers ont déclenché une grève reconductible, mais après quatre jours la direction cédait sur beaucoup de revendications. Celles-ci concernaient particulièrement les conditions de travail, d’hygiène, de sécurité et également les postes vacants qui n’ont pas été pourvus lors des dernières réorganisations. Une seconde grève des postiers de Martinique a eu lieu du 23 septembre au 2 octobre.

La direction de La Poste souhaitait passer de 22 à 12 tournées par semaine, avec la menace en perspective de perdre des postes de travail. Grâce à la grève, les travailleurs ont pu garder 16 tournées de distribution. Ils ont également obtenu le maintien d’une distribution par jour contre une distribution tous les deux jours comme le souhaitait la direction.

Des grèves dirigées par les travailleurs eux-mêmes

Dans le privé, en Martinique, il y a eu plusieurs grèves longues : dans le transport, celles des vedettes Blue Lines et Transaglo, ainsi que celle de l’Office national des forêts. Les grévistes ont pu arracher des petites victoires sur des questions de sécurité mais aussi pour des augmentations de salaire ou un treizième mois comme à Transaglo.

La dernière grève notable dans le privé a été celle des travailleurs de la SAUR, entreprise du service de l’eau, en Martinique. Elle a été dirigée par un comité de grève. Les grévistes réclamaient le paiement d’une prime promise par la direction. Elle a été un succès. Il est aussi à noter que les grévistes ont reçu le soutien de la population, malgré les coupures d’eau occasionnées par la grève.

En Guadeloupe, la grève récente des travailleurs de la société Rest’Antilles contre de mauvaises conditions de travail a aussi été dirigée par un comité de grève. Les travailleurs ont gagné sur toute la ligne, y compris le paiement intégral des jours de grève.

Contre la vie chère, les suites du RPPRAC

Le mouvement contre la vie chère commencé l’année dernière en Martinique n’a pas suscité autant de manifestations cette année. Les dirigeants du mouvement avaient créé le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC). Ils ont décidé de se constituer en parti, sous le nom Pour le peuple. Outre l’amélioration du pouvoir d’achat, sa principale revendication consiste à réclamer davantage d’autonomie législative pour la Martinique. La suite probable est la présentation de candidats de ce nouveau parti aux élections municipales de 2026, à Fort-de-France notamment.

Le mouvement et les manifestations contre la vie chère n’ont pas abouti vraiment à ce que la vie soit moins chère. Un projet de loi est monté à l’Assemblée nationale, mais vraiment vide. Par contre, ce mouvement a permis de faire connaître le scandale de la vie chère aux Antilles. Il a aussi contraint le Groupe Bernard Hayot – du nom du plus riche béké de la Caraïbe – à avouer qu’en 2023, malgré un bénéfice de 227 millions d’euros, il avait perçu 55 millions d’euros d’aides publiques.

La question de l’autonomie

Sur le plan politique, la question de l’autonomie revient comme l’année dernière au-devant de la scène, en Martinique comme en Guadeloupe. Ce sont les élus des assemblées locales et le gouvernement qui relancent la question du statut politique des deux îles.

Les travailleurs et la population sont très loin de ces préoccupations des élus. Il y a chez eux une méfiance accrue à l’égard des notables. La succession des affaires dans le milieu politicien, les condamnations qui frappent les élus et se succèdent d’année en année contribuent à cette méfiance.

En l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire, ce seront encore les mêmes notables et politiciens locaux qui seront aux affaires locales en cas d’autonomie. Ils ont beau tenter de se masquer derrière « les intérêts de la Martinique » ou « les intérêts de la Guadeloupe », cela ne fait pas d’eux les défenseurs des travailleurs et de la population pauvre. Ils demeurent membres du personnel politique de la bourgeoisie.

Alors, notre rôle est de pointer du doigt ces faux amis de la population et de les dénoncer comme tels. Régulièrement, nous devons nous positionner face à la propagande des régionalistes et nationalistes de tous bords qui pollue l’air du temps.

Nous ne sommes ni anti-autonomistes ni anti-indépendantistes, mais nous ne sommes pas non plus « autonomistes » ou « indépendantistes ; nous sommes des communistes révolutionnaires. Et à ce titre, nous sommes bien sûr pour gommer le plus possible de séquelles coloniales. Mais surtout, pour lutter contre l’exploitation capitaliste et à terme pour le renversement du capitalisme, qui est le père du colonialisme.

Aux prochaines élections municipales de mars 2026, nous pensons nous présenter en Guadeloupe dans cinq communes : Capesterre-Belle-Eau, Pointe-à-Pitre, Le Gosier, les Abymes et Deshaies ; et en Martinique, à Fort-de-France.

 

Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI, Côte d’Ivoire)

Instabilité sur la frontière nord et avancée des djihadistes

Plusieurs pays situés dans le voisinage de la Côte d’Ivoire sont traversés depuis quelques années, par une vague de coups d’État et l’arrivée au pouvoir de dirigeants hostiles à la présence française. Le Mali en fait partie, sa population est prise en tenaille entre la dictature des militaires et les attaques de bandes armées islamistes, fanatiques et obscurantistes, qui veulent imposer la charia. Depuis environ trois mois, ces bandes contrôlent les principales voies routières, et bloquent les camions-citernes transportant du carburant vers les grandes villes. Les répercussions de ce blocus sont importantes dans plusieurs secteurs de la vie économique et sociale. La population pauvre souffre, entre autres, de l’augmentation du coût du transport et des denrées. Devant ce chaos et la crainte d’un déferlement de violence, les chancelleries occidentales ont demandé à leurs ressortissants de quitter le pays.

Malgré le renfort des mercenaires de Wagner (remplacé par l’Africa Corps), ces bandes armées semblent étendre leur zone d’influence. Elles sont également présentes au Burkina Faso, au Niger et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest.

La Côte d’Ivoire est pour le moment épargnée, mais pour combien de temps ? On verra… même si les forces armées américaines et françaises sont présentes sur le sol ivoirien et veillent sur les intérêts de leurs grands capitalistes.

Pays agricole, la Côte d’Ivoire a toujours attiré des populations avoisinantes. Environ 5 à 6 millions de Maliens et de Burkinabés y habitent. Actuellement, il y a un nouvel afflux de personnes en détresse qui viennent se réfugier dans les villages frontaliers. Elles sont naturellement accueillies par les villageois qui font ce qu’ils peuvent avec leurs petits moyens. Il y a une réelle solidarité qui s’exprime.

Une relative prospérité économique au milieu d’un océan de misère

La Côte d’Ivoire est aussi un pôle économique régional. C’est par les ports d’Abidjan et de San-Pédro que transite, par exemple, une grande partie des marchandises destinées au Mali ou au Burkina. De plus, les industries qui alimentent ces deux pays en produits manufacturés sont en grande partie concentrées à Abidjan.

L’économie ivoirienne connaît une progression annuelle de 6 à 7 % depuis une quinzaine d’années. Son impact est visible à Abidjan au travers de ses constructions, ses travaux d’aménagement urbain et aussi son expansion : les champs de palmiers à huile cèdent la place à de nouvelles cités d’habitation.

Le président Ouattara se vante d’avoir un pays jeune, d’y avoir fait reculer le taux de mortalité, augmenter l’espérance de vie, et patati et patata. C’est de la désinformation, car si le pays est jeune, c’est surtout parce que les gens ne vivent pas vieux pour plusieurs raisons liées à la pauvreté et à l’incapacité de l’État de les soigner.

Le nombre de travailleurs du secteur privé qui perçoivent une pension de retraite est un peu plus de 100 000. Officiellement, il faut atteindre l’âge de 60 ans et avoir au moins 15 années de service pour avoir droit à une retraite pleine. Il y en a qui meurent avant d’atteindre cet âge. Quant à ceux qui n’en bénéficient pas, ils doivent se débrouiller pour survivre. Certains rentrent au village.

Les hôpitaux continuent d’être des mouroirs tout en étant hors de portée des populations pauvres. Il existe depuis quelques années une couverture maladie universelle (CMU), mais elle ne couvre pas grand-chose. Les malades vivent souvent avec leur mal et se soignent à l’indigénat, à l’aide de plantes, parfois de grigris proposés par des charlatans. Beaucoup de vieux travailleurs souffrent de graves handicaps et meurent à petit feu. Il suffirait pourtant souvent de bien peu de moyens pour les soigner.

Le district d’Abidjan concentre environ 6 millions d’habitants sur les 32 millions que compte le pays. La grande majorité de la population se démène dans une économie informelle. Les travailleurs dans les usines sont dans leur grande majorité des journaliers mal payés, avec un revenu incertain et irrégulier. Le secteur privé compte environ 3 millions de travailleurs. Les populations qui vivent de petits métiers, du petit commerce, que les autorités appellent « travailleurs indépendants », sont estimées à 8 millions.

La situation générale des travailleurs

Depuis la dévaluation de 50 % du franc CFA en 1994, la situation de la classe ouvrière se dégrade au fil des années. Les capitalistes font quasiment ce qu’ils veulent. Ils bénéficient du soutien sans faille d’un pouvoir qui écrase les plus pauvres. Ils se montrent d’autant plus durs et arrogants qu’il y a très peu de combativité au niveau des travailleurs. Les dirigeants des centrales syndicales qui ont pignon sur rue sont aux ordres du pouvoir, c’est un bien faible mot. Les travailleurs ne disposent d’aucune organisation digne de ce nom pour se défendre, ni syndicale, ni politique.

Quand il y a de l’emploi, de nombreux travailleurs font deux services de 8 heures à la file à cause des bas salaires. Même avec plusieurs années d’ancienneté, ils sont payés environ 7 euros la journée. Ce salaire ramené au mois représente aujourd’hui, disons, un sac de riz de 25 kg, un petit loyer et les frais pour se rendre au travail. Par exemple, dans une usine de cosmétique d’un millier de travailleurs dont une grande majorité sont des journaliers tournant en 3×8, ces travailleurs n’ont pas droit à un vestiaire et doivent être en tenue de travail avant d’entrer dans l’usine. Ils doivent se présenter bien avant l’heure devant l’entrée de l’usine, sans jamais être sûrs d’être pris, même s’ils ont un contrat.

Dans le bâtiment

Dans le secteur du bâtiment, la situation n’est guère meilleure, mais il y a du boulot. Actuellement, il y a pas mal de gros chantiers comme la construction d’une cité, de bâtiments de commerce, d’une tour, d’une ligne de métro aérien, de logements, de routes, etc.

De grosses entreprises, y compris des multinationales, sous-traitent avec d’autres entreprises employant plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de travailleurs. Ils bossent souvent au-delà des huit heures sans que les heures supplémentaires soient payées. Le barème officiel des salaires est rarement respecté. Voilà pourquoi, généralement quand le chantier arrive vers sa fin, n’ayant rien à perdre, à la différence des ouvriers d’usine, ceux du bâtiment expriment leur colère et prennent contact avec le syndicat pour les aider à organiser leurs luttes et réclamer ce que le patron n’a pas payé. Généralement, ils finissent par obtenir une partie de leur dû. Le plus souvent, ceux qui sont au-devant de ces luttes se font assez vite renvoyer, mais comme le chantier est presque terminé, il est de toute façon déjà temps de partir à la recherche d’un nouveau chantier.

La question du logement

La question du logement des travailleurs est un problème énorme. Ceux qui n’ont pas les moyens – ils sont très nombreux – sont contraints de se débrouiller comme ils peuvent en construisant des abris de fortune dans des endroits insalubres. Ils continuent d’être chassés régulièrement par les autorités à l’aide de bulldozers et de policiers en armes.

Il y a parfois des réactions de protestation et aussi des bagarres violentes contre ces opérations dites de « déguerpissement » (d’expulsion). Les petits vendeurs ambulants dans les marchés ou dans les rues sont aussi pourchassés.

Toute cette misère, cette brutalité et ces humiliations quotidiennes exploseront un jour ou l’autre à une échelle plus grande, comme on l’a vu récemment au Bengladesh, au Népal, au Maroc ou à Madagascar. Mais on sait par avance que sans l’existence d’une organisation prolétarienne révolutionnaire bien implantée dans la classe ouvrière et ayant une politique juste, ces explosions de colère seront inéluctablement déviées vers des impasses.

L’élection présidentielle de 2025

C’est dans ce contexte que l’élection présidentielle vient de se tenir le 25 octobre dernier. Ouattara est au pouvoir depuis quinze ans et s’est présenté à sa propre succession pour un quatrième mandat. Environ 44 000 corps habillés1 armés ont été mobilisés. Dès la nuit tombée, des camions remplis de corps habillés sillonnaient les quartiers populaires et embarquaient quasi systématiquement les jeunes déambulant dans les rues, à moins que la victime ait de quoi payer pour échapper à l’arrestation. Aussi, même dans les quartiers réputés être des bastions de l’opposition, dès 20 heures, les maquis2 étaient déjà désertés.

Ouattara craignait surtout les candidatures des deux principaux opposants : l’ex-président Laurent Gbagbo et le président du PDCI, Tidjane Thiam. Mais leurs candidatures ont été d’emblée interdites. Une marche de protestation unitaire a été autorisée à Yopougon, au début du mois d’août. Cela a été un succès, plusieurs milliers de personnes sont sorties dans les rues. Beaucoup de manifestants entonnaient des chants xénophobes à l’encontre de Ouattara, dans le genre « petit Mossi, rentre chez toi ». Les Mossis vivent majoritairement au Burkina Faso.

Ceux qui tenaient de tels propos ouvertement xénophobes se filmaient et diffusaient leurs vidéos sur les réseaux sociaux. Après quoi, les autorités ont annoncé que tous ceux-là allaient être recherchés par la police et poursuivis en justice. Par la suite, Gbagbo s’est exprimé et a demandé à ses partisans de ne pas tenir des propos xénophobes.

Les autorités en ont profité pour interdire les manifestations. Malgré cela, il y en a eu deux ou trois ailleurs qu’à Abidjan ; elles ont été réprimées.

La peur s’installe

Cette propagation de propos xénophobes a provoqué un sentiment de peur, notamment dans la capitale. Ayant déjà vécu ce genre de situation il y a quelques années, les gens craignaient une nouvelle flambée de violences. Personne n’a oublié les exactions, les morts et les blessés causés par les bandes armées qui paradaient dans les rues.

De nombreuses personnes ont alors envisagé d’envoyer leur famille au village, d’autres ont déjà commencé à le faire. Il nous est apparu utile de faire paraître un tract non signé, avec en en-tête uniquement le mot « travailleur », pour dénoncer l’ethnisme, la xénophobie, tous ces poisons qui divisent les travailleurs et qui sont entretenus et alimentés par les politiciens dans leur course à la mangeoire.

Ouattara a autorisé quatre petits candidats à se présenter face à lui. Ils ont surtout servi de caution démocratique à cette mascarade électorale. Dans bien des villes, très peu de gens sont allés voter. À Yamoussoukro, un bastion baoulé du PDCI, le jour de l’élection, il y a eu des affrontements avec les forces armées. Des bandes encagoulées en ont profité pour piller et tabasser des étrangers. On connaît le cas d’un petit commerçant guinéen, victime de ces jeunes voyous qui lui ont volé tout l’argent de son épicerie, mais ils l’ont aussi frappé et lui ont intimé l’ordre de rentrer chez lui en Guinée.

Dans un village baoulé proche de Yamoussoukro, la veille des élections, les autorités, accompagnées par des forces armées, sont venues installer des urnes mais les jeunes du village les en ont empêchées. Après un petit affrontement, les forces armées ont pris la fuite. Le lendemain, jour du vote, les autorités ont annoncé que les urnes prévues pour ce village avaient été transférées dans le village voisin, mais là-bas ces urnes ont été brûlées par la population.

Néanmoins, on peut dire que globalement les élections se sont déroulées dans un calme relatif dans l’ensemble du pays. Ouattara a peut-être fait le plein dans les villes au nord du pays, là où il y a son groupe ethnique.

Les petits candidats ont joué le jeu. Pour certains, c’était un moyen de se faire connaître et éventuellement d’obtenir un poste lucratif auprès de Ouattara. Pour d’autres, au moins pour Jean-Louis Billon, un homme d’affaires riche et ambitieux, c’était une occasion de se positionner… pour 2030, mais d’ici-là, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts.

À ce jour, le bilan officiel de cette élection, c’est une trentaine de morts et 1 560 arrestations. Dans 20 jours (le 27 décembre) auront lieu les élections législatives et le gouvernement continue de bâillonner l’opposition.

 

Organisation des travailleurs révolutionnaires (Haïti)

En Haïti, le processus du délitement et de la barbarisation de la société se poursuit. D’un côté, il y a les gangs criminels qui sont en mode « conquête et consolidation de leur pouvoir ». De l’autre côté, il y a le gouvernement, les élites, les possédants qui, tout en profitant du chaos et de la dictature des malfrats pour s’enrichir, feignent de les combattre. Leurs actions combinées sont un désastre pour les classes populaires. Deux facettes d’une même médaille, celle de la déchéance du système capitaliste.

La violence des gangs et celle du gouvernement

Du côté des bandes criminelles. Tout l’arrondissement de l’Ouest et ses quatre millions d’habitants sont sous leurs bottes. Mais tout le pays subit depuis six ans déjà les conséquences de la montée en flèche de ces bandes armées. Ils contrôlent la circulation des hommes, comme celle des marchandises. Tous les véhicules sont rackettés aux barrières de péage. La population ne peut plus circuler par la route d’une ville à l’autre. À l’intérieur de la capitale, prendre le transport en commun habituel, le tap-tap, est risqué et les prix sont devenus prohibitifs. Pour fonctionner, les patrons de magasins, gros ou petits, les patrons d’entreprises, la direction des ports payent une redevance, un impôt au chef de gang qui contrôle la zone.

Le transport aérien international de l’aéroport de la capitale est paralysé, les grandes compagnies ne volent plus à destination d’Haïti, ainsi le champ est libre pour des petites compagnies. C’est un domaine très fructueux, car en l’absence de concurrence, les prix des billets flambent et les bénéfices de ces petits patrons explosent.

À Port-au-Prince, les rares quartiers qui ne sont pas encore sous la férule des gangs subissent régulièrement des attaques. De la commune de Port-au-Prince, capitale et siège du gouvernement qu’ils contrôlent à près de 90 %, les gangs mettent le cap sur le reste du pays. Trois autres départements, l’Artibonite, le Centre et le Plateau central sont fortement touchés. Des massacres, des déplacements de population, des incendies de maison et de fermes agricoles s’y déroulent régulièrement.

Cinq des principaux chefs de gangs se partagent le département de l’Ouest. Géographiquement, leurs positions sont telles qu’ils ceinturent toute la capitale tout en s’ouvrant sur le reste du pays. La forme de gestion qu’ils se sont donnée est une sorte de fédéralisme qui confère à chacun son autonomie dans ses zones d’influence mais leur entraide est maximale quand ils doivent s’attaquer à la population, pour conquérir de nouveaux territoires, faire face à la police et détruire les quelques infrastructures policières dont disposait le gouvernement.

De leurs bases opérationnelles, ils s’entourent d’une partie de la population pauvre qui n’a pas la possibilité d’aller ailleurs. Cette dernière se retrouve prisonnière des moindres caprices de ces énergumènes. Ils s’en servent comme bouclier humain en cas d’attaque de la police ou en cas de conflits entre bandes armées. Les gangs la dépouillent de tout ce qu’elle possède par le biais des impositions et de rapines de toutes sortes. Même circuler à pied est imposable dans certains de ces quartiers. Les gangs utilisent la population pour d’autres actions démagogiques comme l’organisation des manifestations ou grèves contre le gouvernement.

De l’autre côté, ceux qui prétendent combattre ces assassins, ce sont le gouvernement et ses forces de sécurité, c’est la diplomatie internationale menée par les États-Unis derrière lesquels se trouvent la France, le Canada, l’Allemagne. Quant à la bourgeoisie et aux élites, elles se taisent, profitent des nouvelles opportunités que leur offre la situation. Du point de vue des intérêts généraux de la classe ouvrière et des masses populaires, ce sont tous des bandits en col blanc qui essayent de camoufler les conséquences désastreuses de leur politique sur la vie de la population.

Depuis l’assassinat de Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, trois gouvernements se sont succédé au pouvoir. Loin des préoccupations de la majorité de la population, les tenants, les dirigeants au pouvoir se sont lancés dans une course aux richesses en ayant pour précepte la phrase de l’ancien président chanteur, Michel Martelly : « Profitez, profitez autant que vous pouvez mais ne vous laissez pas prendre. » Aujourd’hui, une grande majorité d’entre eux est dénoncée par la clameur publique avec pour certains des poursuites judiciaires en cours.

Depuis 2021, ces gouvernements ont été mis en place prétendument pour rétablir la sécurité et ramener le pays à un semblant de fonctionnement normal. Le résultat est un zéro pointé. La barbarie s’est installée, l’État s’est effondré laissant la place aux bandes criminelles. La misère s’est généralisée : près de la moitié de la population souffre de malnutrition et est en proie aux épidémies de toute sorte, VIH-SIDA, tuberculose et choléra, entre autres.

1,5 million de personnes ont été contraintes de fuir leur quartier et leur domicile. Une bonne partie d’entre elles traînent leur misère dans des camps de déplacés, de véritables enfers. La destruction physique du pays se poursuit à un rythme effréné. Les énormes dégâts environnementaux créés fragilisent encore plus la population et la mettent en difficulté aux moindres intempéries. Le passage de l’ouragan Melissa, fin octobre, a occasionné 50 morts, 13 portés disparus, selon les officiels, de nombreuses maisons inondées ou endommagées. Tout près, la Jamaïque, où pourtant l’œil du cyclone est passé, a enregistré 27 morts !

Malgré les horreurs des bandes criminelles contre la population, ces gouvernements dits de transition utilisent toujours la force brutale de ses forces dites de sécurité pour brider toutes les revendications. Que ce soient les professeurs, les petits employés de l’État, les étudiants, les syndicalistes ou les travailleurs, toute manifestation annoncée ou débutée est violemment dispersée par la police, entraînant des blessés et parfois des morts.

Du côté de la diplomatie, l’hypocrisie des capitales occidentales cache mal la haine, le mépris qu’elles vouent aux masses populaires haïtiennes. Fuyant l’insécurité et la misère son corollaire, les migrants haïtiens sont, à quelques exceptions près, criminalisés et traités en conséquence. Aujourd’hui, Haïti est isolé pas seulement à cause de la fermeture de l’aéroport international Toussaint Louverture de Port-au-Prince pour cause d’insécurité, mais les gouvernements de la région font tout pour bloquer l’arrivée des travailleurs haïtiens chez eux, en même temps qu’ils refoulent ceux qui y étaient déjà.

Pour la seule année de 2025, la République dominicaine a déjà refoulé 350 000 migrants haïtiens. Les dirigeants des îles Britanniques des Caraïbes en font autant. Depuis le Covid, les principales lignes aériennes françaises avaient enlevé Haïti de leurs destinations en dépit de la présence de nombreux travailleurs haïtiens qui sont dans les secteurs de l’agriculture. Les États-Unis ont placé Haïti sur une liste de 19 pays dont les ressortissants n’ont plus le droit d’entrer sur leur territoire. Donald Trump a annoncé que cette mesure tiendra malgré la qualification d’Haïti à la phase finale de la Coupe du monde de football, qui se tiendra dans trois pays d’Amérique, le Canada, le Mexique et les États-Unis. La France n’est pas en reste : les contrôles pour obtenir un visa sont multipliés, et en Martinique, Guadeloupe, Guyane les rétentions dans des centres, suivies de renvois en Haïti ont augmenté.

L’hypocrisie est à son comble dans l’engagement de ces pays dans les luttes contre les gangs armés. C’est une politique criminelle qui tend à dissuader les masses populaires de toute initiative autonome. Après des mois de blablas et de balades diplomatiques, une première mission, conduite par le Kenya, était arrivée en Haïti en juin 2024. Bilan de son action, zéro. Sous équipée, sous financée, cette mission a piteusement échoué. Les 185 pays de l’ONU étaient dans l’impossibilité de fournir les 2 500 hommes de troupe réclamés par la résolution. Une deuxième mission a été votée récemment et serait à pied d’œuvre sur le terrain. Dans la foulée, on a appris que ce sont les mêmes soldats kényans qui composent cette Force de suppression des gangs (FSG) et le même porte-parole, celui de l’ancienne mission, joue sa partition et dit tout et son contraire. Dans le même temps, Donald Trump fait l’étalage de la puissance de l’armée américaine pour faire pression sur le régime vénézuélien. Pour cela, il n’a pas besoin de l’aval des figurants de l’ONU.

La situation tragique des masses populaires

Dans une capitale détruite et aux bords de l’asphyxie, avec des quartiers populaires vidés de leurs habitants, les masses populaires, en proie à la violence des gangs et celle des forces de sécurité du gouvernement, au chômage, sont sonnées, désarticulées par le niveau de la violence qu’elles subissent. Leurs premiers réflexes sont des réflexes de survie. Pour ceux qui ont une famille, trouver un morceau de pain pour les enfants et un espace pour les abriter relève du défi. Les candidats à l’émigration se comptent par milliers. Rares sont ceux qui soutiennent les brigades d’auto-défense dans leurs quartiers ou dans leurs communes. Mais, dans certaines zones, cette résistance a permis de desserrer l’étau des gangs.

La désaffection de la population pour la politique ne date pas d’aujourd’hui. Pour les élections du deuxième mandat d’Aristide en 2021, seulement 5 % de la population en âge de voter y avait pris part. Et, depuis, cela n’a pas changé. De trahison en trahison, les politiciens qui incarnaient le changement aux yeux des masses populaires les ont trahies. Ils se sont enrichis tout en devenant leurs nouveaux bourreaux. En réaction, les gens en viennent à regretter un président vagabond comme Martelly.

La classe ouvrière, elle, fait face à une crise pour sa survie. Destructions des usines, des voies de communications, territoires morcelés et isolés, fermeture du principal aéroport international de la capitale, etc., et leurs conséquences, chômage de masse, accentuation de la misère. Aujourd’hui, le secteur de la sous-traitance dans la capitale est au plus mal. Mais c’est tout le secteur qui est frappé par la crise. Les salaires sont bloqués depuis 2022. Avec l’inflation, la valeur réelle du salaire minimum journalier ne vaut pas plus d’un dollar, insuffisant pour payer le transport et pour prendre un bol de riz pendant la journée de travail.

Aujourd’hui pour changer cela dans les intérêts des masses populaires, il faut franchir le cap imposé par la loi des gangs et celui de la bourgeoisie. Cela requiert de fortes mobilisations conscientes de la classe ouvrière et des masses populaires. C’est ce que nous véhiculons dans nos publications en leur direction.

Malgré tout, dans les usines, celles qui gardent un peu d’activités, les travailleurs ont encore du courage pour s’opposer collectivement à leurs mauvaises conditions de travail et de vie. À l’instar des deux semaines de grève et de manifestations des ouvriers du secteur textile dans le parc industriel dans le département du Nord-Est proche de la frontière dominicaine, au cours du mois d’octobre. Un mouvement qui a rencontré la sympathie de la population de la zone. Effrayé, le gouvernement a vite fait de reculer sur sa décision d’ajouter de nouvelles impositions au salaire de misère en vigueur. Au parc Sonapi à Port-au-Prince également, quelques échauffourées ont lieu dans certaines boîtes.

Ces grèves et manifestations en plein chaos, contre le gouvernement et l’exploitation capitaliste nous confortent dans notre action militante de nous joindre aux travailleurs dont seules les luttes conscientes peuvent débarrasser cette société de la barbarie.

 

The Spark (États-Unis)

Trump, des provocations grossières aux menaces

Aux États-Unis, le climat politique est toujours dominé par Trump et ses provocations presque quotidiennes sur les réseaux sociaux.

Dans une ambiance toxique, Trump cherche à se venger de ses « ennemis ». Exemples : il menace de poursuites les gouverneurs des États de l’Illinois et de Californie qui n’ont pas fait intervenir leur police pour défendre les agents de l’ICE (service de l’immigration) et les soldats de la Garde nationale dans leur chasse aux étrangers. Il essaie de faire condamner la procureure générale de l’État de New York et un membre du conseil de la Fed (la banque centrale) pour fraude au prêt hypothécaire. Pour essayer de faire condamner James Comey, ancien chef du FBI, alors que six procureurs fédéraux avaient jusque-là refusé de le poursuivre, il fait intervenir son avocat personnel. Tout récemment, six parlementaires démocrates, qui ont été militaires ou membres des services de renseignement, ont publié un communiqué appelant les soldats à désobéir à des ordres s’ils sont illégaux ; Trump a alors éructé : « Il faut les faire taire. TRAÎTRES ET SÉDITIEUX !!!! TOUS AU TROU ???? COMPORTEMENT SÉDITIEUX, ça mérite la PEINE CAPITALE ! » (La ponctuation est de Trump.) Les démocrates ont surenchéri, appelant à l’arrestation de Trump pour incitation au meurtre. Voilà le tableau…

Attaques contre les pauvres et cadeaux aux ultra-riches

C’est un spectacle burlesque… mais il ne fait pas rire tous ceux dont la situation s’est très fortement dégradée, du fait d’une hausse des prix des produits de première nécessité (logement, alimentation, soins médicaux) deux à trois fois plus forte que l’inflation officielle. Sur le marché du travail, on trouve de plus en plus de boulots mal payés et à temps partiel, et même en en exerçant deux à la fois, on ne peut pas subvenir aux besoins d’une famille avec enfants. Quant aux pensions de retraite ou d’invalidité, il n’y en a guère qui permettent de payer un mois de loyer.

Il n’est pas surprenant que la politique de Trump au service des riches et de lui-même alimente de la colère. La loi qu’il a prétentieusement appelée « One Big Beautiful Bill » (Grande et belle loi) offre aux ultra-riches de nouvelles exonérations d’impôts et taille dans deux programmes d’assurance médicale qui bénéficient à plus de 30 % de la population. Trump utilise bel et bien sa position de président pour se remplir les poches, ce qui ne le rend guère différent de nombre de ses prédécesseurs, si ce n’est par l’ampleur du détournement. Son appât du gain et sa recherche insatiable des honneurs jouent-ils un rôle dans ses décisions de politique étrangère ? C’est plus que probable aux yeux des observateurs.

Rafles de migrants promues en spectacle

Chaque soir, la télévision montre des images choquantes de rafles de migrants à leur domicile ou sur leur lieu de travail. Vous avez peut-être vu ces escadrons d’hommes masqués en uniformes militaires à Los Angeles, sans insignes ni rien permettant de les identifier, dotés d’armes automatiques prêtes à tirer ou de bâtons pour regrouper leurs cibles ; et ces hommes armés descendant d’un hélicoptère militaire à Chicago, pénétrant dans un immeuble par le toit, arrachant les gens à leur sommeil et les forçant à attendre dans la rue – hommes, femmes, enfants, vieilles grands-mères en vêtements de nuit, menottés, alignés, pour être conduits en car on ne sait où. Ou encore la rafle organisée dans une usine Hyundai en Géorgie, où des centaines de techniciens sud-coréens ont été entassés en prison.

Beaucoup des personnes incarcérées se sont retrouvées dans des centres de détention à l’autre bout du pays, ce qui rendait le contact avec leurs proches ou leur avocat impossible. Certains ont été expulsés par avion vers le Soudan ou le Nicaragua, pays dont Trump annonça fièrement que les dirigeants mettaient des places de prison à disposition des États-Unis pour une poignée de dollars.

Ces actions sont horribles. Mais en plus, elles sont orchestrées comme une campagne télévisée destinée à terrifier celles et ceux qui ne sont pas raflés. Car il reste encore beaucoup de migrants aux États-Unis : celles et ceux qui travaillent dans l’agriculture en Californie ou dans d’autres États de l’ouest, dans de petites boutiques à Chicago et dans le Midwest, ou encore dans les usines des constructeurs automobiles asiatiques dans le sud. Malgré tout le battage autour de ces rafles, ils sont encore 14,8 millions, c’est-à-dire un peu plus que sous l’administration Biden, et quatre millions de plus qu’à l’époque d’Obama. Si Obama a organisé des expulsions à un rythme plus soutenu que Trump, celui-ci fait des expulsions un spectacle.

Les expulsions et le renforcement des contrôles aux frontières sont certes un marqueur des promesses de campagne et de la politique de Trump, mais il marche sur une ligne de crête : il propage des images de rafles pour complaire aux souhaits de sa base de se débarrasser des étrangers « qui prennent le travail des Américains » ; mais l’économie ne peut fonctionner que grâce au travail de millions d’immigrants.

Le sadisme de ces rafles et expulsions, et le fait que bon nombre d’expulsés détiennent un permis de séjour valide, voire possèdent la citoyenneté des États-Unis, visent à terrifier tout le monde, et en particulier celles et ceux qui sont en règle. C’est véritablement du terrorisme : le but est d’amener les gens à « s’expulser » eux-mêmes, et ceux qui restent à se tenir à carreau. La bourgeoisie des États-Unis ne cherche pas à freiner Trump, elle le laisse faire car jusqu’à maintenant, cette méthode a plutôt bien fonctionné pour elle.

Il y a autre chose à dire à propos de l’envoi par Trump des agents de l’ICE dans les villes. En théorie, l’armée n’est pas autorisée à agir à l’intérieur des frontières nationales – même si elle l’a déjà fait, par exemple lorsqu’elle a réprimé une marche d’anciens combattants sans-abri en 1932, et lorsque, pendant les émeutes urbaines de 1967, la 82e division aéroportée de parachutistes a patrouillé dans les rues de Détroit. La Garde nationale elle-même n’est pas censée pénétrer dans des zones civiles, à moins que le gouverneur d’un État ou le maire d’une ville le lui demande. En envoyant les agents de l’ICE dans les villes et en affirmant qu’elles sont submergées de criminels, Trump a confectionné une excuse bidon pour envoyer l’armée quand lui ou l’un de ses successeurs le décideront. Lors d’une réunion de tous les généraux des États-Unis, il a ainsi proposé que ces villes qu’il considère comme des « bastions du crime » servent de terrain d’entraînement pour l’armée.

Avec des variantes, Trump s’est successivement attaqué à différentes catégories : fonctionnaires fédéraux, enseignants du public, professeurs d’université, avocats, journalistes, travailleurs de la santé… Si la cible change, la méthode reste la même : des menaces tonitruantes suivies de quelques actions spectaculaires destinées à crédibiliser les menaces.

Opposition populaire aux rafles

Jusqu’à maintenant, il n’y a eu que peu de résistance d’ampleur contre le style ou la politique de Trump. Mais il y a tout de même eu du sable dans les rouages. À Los Angeles et dans l’agglomération de Chicago notamment, les rafles de migrants dans les quartiers et sur leurs lieux de travail n’ont pas été si faciles. Dans chacune des villes visées par Trump, des centaines de personnes ont été raflées, mais plusieurs dizaines n’ont pas pu l’être, par exemple dans la banlieue de Boston ou dans celle de Chicago, où les voisins et les proches ont compliqué la tâche de l’ICE.

Dans certaines villes de petite taille, où l’arrivée de migrants a été synonyme de croissance démographique et économique, les agents de l’ICE ont été empêchés de s’approcher d’eux, y compris dans des États républicains comme le Texas et le Montana.

Cela a râlé aussi dans les zones rurales, durement frappées par les fluctuations rapides des droits de douane appliqués par Trump, qui se sont répercutés sur les prix et ont grossi les stocks de soja voire de bœuf qui ne trouvaient plus preneurs.

Les démocrates tentent de canaliser le mécontentement

En octobre, les démocrates ont essayé de capitaliser sur ce mécontentement en organisant une journée de manifestation dans des villes de toute taille, voire dans des villages. L’objectif était clairement de créer une vague de soutien aux démocrates en vue des élections de mi-mandat qui auront lieu l’année prochaine. Mais ces manifestations se concentraient sur le comportement de Trump et sur sa prétendue tentative de s’ériger en dictateur.

Même si l’appareil du Parti démocrate a organisé ces manifestations dans tout le pays, même si c’est lui qui a choisi leur revendication très limitée – « No Kings » (« pas de rois ! ») –, il n’y avait ni banderoles ni affiches aux couleurs du parti. Il y avait certes des membres connus du Parti démocrate dans les cortèges, mais ils n’étaient pas présents en tant qu’organisateurs. Ils prétendaient être juste là en tant que « citoyens ordinaires ». En réalité, il s’agissait d’un moyen de mobiliser les électeurs, à un moment où le soutien populaire envers les démocrates était encore plus faible que la cote de popularité en baisse de Trump.

Le ressentiment populaire envers Trump s’est reflété dans les élections de novembre, à échelle limitée car essentiellement locales. Les démocrates ont remporté des victoires à l’échelle d’États (le New Jersey et la Virginie), ainsi qu’un référendum en Californie. Il s’agit là d’États traditionnellement démocrates, mais l’ampleur de leurs victoires était remarquable. Enfin, il y a eu un résultat que tout le monde a remarqué et qui a enthousiasmé une grande partie de la gauche : des candidats se présentant sous le nom de Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) ont remporté les élections municipales à New York et Seattle. Le mot « socialiste » a peut-être été ajouté à leur nom, mais ils se sont présentés comme démocrates et ont aligné leur politique sur celle d’autres maires démocrates. On est loin du retour à l’époque d’Eugene Debs. Mais le résultat a suffi à déclencher chez Trump des vitupérations en cascade contre le péril communiste, jusqu’à ce que, la semaine suivante, Zohran Mamdani se rende à la Maison Blanche et fasse la cour à Trump. En fin de compte, Trump et Mamdani se sont décrits comme « deux types qui ont grandi dans le Queens et se comprennent bien ». Trump a déclaré avec effusion qu’il se sentait désormais en sécurité à New York, avec Mamdani comme maire.

La base de Trump fissurée

Enfin, la base électorale de Trump montre des signes de fracture.

Le déclencheur pour les partisans du mouvement MAGA (Make America Great Again – Rendre sa grandeur à l’Amérique) a été les grandes manœuvres de Trump pour empêcher la divulgation des dossiers de l’affaire Epstein, dont Trump lui-même affirmait, il y a quelques années, qu’ils contenaient les noms de membres de « l’élite », de « riches » qui s’étaient livrés à des abus sexuels sur des enfants. Pour beaucoup de partisans du mouvement MAGA, c’était une ligne rouge à ne pas franchir. D’autres problèmes se sont également posés. Le plus important était peut-être le refus de Trump de renouveler l’extension de Medicaid et des subventions pour l’assurance maladie. Comme l’a fait remarquer Marjorie Taylor Greene, députée de Géorgie, autrefois la plus fervente défenseuse de Trump au Congrès, même sa famille se plaignait de la perte prochaine de son assurance maladie. En fait, les coupes dans la couverture médicale pénalisent davantage les habitants des États républicains que ceux des États démocrates. Et puis, la tradition isolationniste bien ancrée dans les zones rurales semble avoir été ravivée par les actions belliqueuses de Trump dans les Caraïbes, alors qu’il avait fait campagne en promettant d’en finir avec les guerres en cours et de ne pas en engager de nouvelles. Finalement, le vote visant à divulguer l’ensemble des dossiers Epstein a été presque unanime. Mais cette décision a été prise à l’unanimité uniquement parce que les républicains savaient que Trump avait perdu le vote. Cela n’a pas protégé Marjorie Taylor Greene, porte-parole putative des mécontents vis-à-vis de telle ou telle politique de Trump : quatre jours après le vote, elle a démissionné du Congrès, après avoir été victime d’une campagne massive de menaces et de quasi-agressions.

Un autoritarisme croissant

Voilà donc la situation dans laquelle nous nous trouvons. À certains égards, elle n’est pas très différente de la dernière année de la présidence Biden, si ce n’est par le caractère extrême des menaces agitées par Trump. Il n’y a rien de nouveau chez Trump, à part qu’il pousse le bouchon, y compris lorsqu’il s’agit de décorer la Maison Blanche. Trump, quoique mégalomane, n’est pas un dictateur, mais simplement un président de plus dans la lignée de tous ceux qui ont cherché à concentrer un maximum de pouvoir entre leurs mains.

Ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est certainement pas du fascisme, un terme souvent utilisé à tort et à travers, ni comparable à la répression de la période McCarthy, où des personnes ont été emprisonnées, ont perdu leur emploi, leur logement et leurs allocations, ont perdu leurs amis et se sont vu retirer la garde de leurs enfants en raison des causes qu’elles défendaient. Mais, à tout le moins, il y a un autoritarisme croissant, qui pourrait prendre différentes formes à l’avenir, et se renforcer très rapidement.

 

Workers’ Fight (Grande-Bretagne)

Une vraie blague : la ministre des Finances, Rachel Reeves, aurait fait volte-face sur son projet d’augmenter l’impôt sur le revenu parce que cela romprait une promesse électorale faite l’année dernière et, selon les ministres travaillistes, cela entraînerait une perte de confiance de la population dans le gouvernement, les hommes politiques, et la politique en général !

Ces gens-là croient pouvoir gérer l’économie de la Grande-Bretagne en tirant sur quelques ficelles budgétaires, comme s’il s’agissait d’une île isolée et comme si les circonstances objectives et l’économie mondiale n’existaient pas… On se demande si c’est de l’arrogance ou de la stupidité. Ils doivent quand même savoir que presque aucun électeur ne leur fait confiance de toute façon. Mais ils sont clairement perturbés par le fait que le Parti travailliste et son cher leader (Keir Starmer) sont à la traîne dans les sondages, loin derrière le parti populiste Reform UK et même derrière les Verts à l’heure qu’il est…

Peut-être croient-ils vraiment avoir remporté les élections législatives l’année dernière parce que les gens les trouvaient formidables, mais en réalité seuls 25 % environ des électeurs ont voté pour le Parti travailliste. Après 14 ans au pouvoir, ce sont les conservateurs qui ont perdu – au profit du Parti travailliste et aussi de Reform UK, le nouveau parti de Nigel Farage. Rappelons également que le taux de participation n’a été que de 59,7 %, le plus bas depuis les législatives de 2001 ! Aucun parti n’a suscité de grand enthousiasme. Et aujourd’hui, les gens sont encore plus blasés.

Les travaillistes attaquent la santé

Pour en revenir à Rachel Reeves et au budget, comme la France et les États-Unis, l’État britannique est endetté. Certes, un peu moins que la France, où la dette représente 115 % du PIB, et que les États-Unis, où elle est montée à 125 % du PIB. Au Royaume-Uni, elle est estimée à 95,3 %. Reeves est censée essayer de la réduire, même si les services publics, en particulier le système de santé (le NHS), sont en crise grave et ont un besoin urgent d’investissements ! Pour équilibrer ses comptes, elle aurait pu augmenter l’impôt sur le revenu et/ou imposer des impôts supplémentaires aux riches… Mais étant donné que les dépenses publiques les plus importantes sont dans la protection sociale, c’est celle-ci qui a été visée par les coupes budgétaires. Reeves a donc choisi de s’en prendre aux travailleurs les plus pauvres. Et aussi au NHS.

Les services administratifs du NHS ont été supprimés en Angleterre, ce qui a entraîné la suppression d’environ 9 000 emplois, dont des emplois de soignants. D’autres postes sont simplement laissés vacants. Les médecins dits « résidents » sont à nouveau en grève pour obtenir une augmentation de salaire, mais aussi parce qu’il manque 20 000 places dans les formations pour se spécialiser. Ils sont coincés pendant des années dans des emplois moins bien rémunérés, où leurs compétences de spécialistes sont utilisées mais pas reconnues, et où ils ne bénéficient même pas d’un repos adéquat entre leurs gardes. Ils en ont donc assez et sont épuisés. Leur salaire annuel est environ la moitié de celui d’un conducteur de train et de 25 % inférieur à celui d’un ouvrier chez Ford. Le ministre de la Santé les a qualifiés de méchants gloutons. Mais la plus grande faiblesse de leur grève est qu’elle reste sectorielle.

La carte anti-immigration

Ce qui a fait la une de l’actualité, c’est la nouvelle tentative du Parti travailliste de renverser la tendance dans les sondages en jouant la carte anti-immigrés. Les embarcations de fortune qui traversent la Manche sont constamment à la une, et ce n’est pas pour rien. Ce triste spectacle est une condamnation de cette société.

Toujours est-il que la ministre de l’Intérieur, la travailliste Shabana Mahmood, a décidé d’adopter la stratégie des sociaux-démocrates danois. Peu lui importe que, selon bien des sondages, le coût de la vie et le système de santé arrivent en tête des préoccupations populaires, loin devant la question de l’immigration. Et peu lui importe que dans la classe ouvrière on sache très bien que les travailleurs migrants et les réfugiés, en nombre relativement faible (40 000 par an) ne sont pas la cause de la crise économique, mais un symptôme de celle-ci !

À vrai dire, la stratégie consistant à reprendre ce sujet chéri des populistes et de l’extrême droite n’a même pas fonctionné pour la social-démocratie danoise : elle n’a pas accru sa cote de popularité dans les sondages, ni gagné d’élections… On dirait que les électeurs danois ne sont pas nés de la dernière pluie et que, soit ils se sont déjà détournés du gouvernement, soit ils préfèrent l’original à la copie…

De plus, comme le soulignent certains commentateurs, le Danemark et la Grande-Bretagne ne jouent pas exactement dans la même division en termes d’attractivité pour les migrants. Ces derniers préfèrent la Grande-Bretagne parce qu’ils parlent anglais du fait des liens hérités du colonialisme, et parce que leurs amis et leur famille s’y trouvent déjà.

Néanmoins, Mahmood a dévoilé un projet visant à imposer aux demandeurs d’asile un délai ahurissant de 20 ans avant de pouvoir demander la citoyenneté, et à rendre leur « droit de séjour » temporaire, révisable toutes les 30 semaines. Elle a également déclaré que les travailleurs migrants actuellement titulaires d’un visa de travail devront attendre encore 15 ans s’ils souhaitent faire une demande de naturalisation…

Il ne s’agit encore que de propositions, qui doivent être approuvées par la Chambre des communes et la Chambre des lords pour entrer dans la loi. Le soutien des cinq députés de Reform UK et de 120 députés conservateurs, qui ont déjà exprimé leur approbation, pourrait ne pas suffire, étant donné que de nombreux députés travaillistes, libéraux-démocrates et verts s’y opposent. L’avenir nous le dira.

Nationalisme tous azimuts

Pour en revenir à la croissance visible du soutien aux populistes et à l’extrême droite : nombreux sont ceux qui pointent du doigt la classe ouvrière blanche du nord du pays et les ex-électeurs travaillistes de la « ceinture rouge » – en réalité une « ceinture rouillée »3.

À Workers’Fight, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec ce diagnostic car l’analyse des votes lors des dernières élections a montré que les voix en faveur de Reform UK provenaient principalement des électeurs conservateurs. Ce que les conservateurs ont perdu, Farage l’a gagné. Pour autant que nous puissions en juger, les travailleurs blancs démoralisés restent principalement dans le camp des abstentionnistes.

Cela dit, il existe sans aucun doute un courant de fond réactionnaire dans la société britannique. Nous l’avons constaté dans les années 1970 et 1980, puis à nouveau pendant la période qui a précédé le Brexit. Il s’agit bien d’un mouvement réactionnaire au sens propre du terme. Il se manifeste sous la forme d’un nationalisme rétrograde qui a repris de la vigueur grâce aux politiciens traditionnels qui se font concurrence avec des politiques menant toute la population dans l’impasse.

Ainsi, la campagne visant à hisser partout des drapeaux – l’Union Jack du Royaume-Uni et la croix de Saint-Georges de l’Angleterre – a été explicitement soutenue par la plupart des responsables politiques, y compris le Parti travailliste et la BBC, qui affirment que cette campagne n’est pas raciste. Il n’y a là, selon eux, que bon vieux patriotisme et amour de la patrie. Mais le déploiement des drapeaux était en réalité une campagne lancée par l’extrême droite – par un membre éminent du groupuscule Britain First qui, contrairement à Tommy Robinson, est fier de se qualifier de fasciste.

Nous ne savons pas comment cette extrême droite est perçue par les travailleurs en dehors de notre milieu très restreint. C’est Tommy Robinson qui a été le principal organisateur de la Marche pour l’unité du Royaume-Uni du 13 septembre, qui a rassemblé 150 000 personnes à Londres, grâce à l’aide d’Elon Musk.

Si Robinson a déjà brûlé un drapeau nazi, apparemment il n’a aucun problème à fréquenter Musk et des néonazis. Il a commencé à arborer des drapeaux israéliens à l’époque où il faisait partie de l’English Defence League, bien avant le 7 octobre 2023, afin de prouver qu’il n’était pas antisémite et parce que son activité principale vise les musulmans – il est virulemment anti-islamique. Et c’est là un des périls principaux dont la poussée d’extrême droite actuelle est porteuse.

Outre les manifestations de cet été contre les demandeurs d’asile et la tentative d’associer prédation sexuelle et criminalité au statut de réfugié, ce sont les attaques contre les mosquées et les musulmans qui ont augmenté, parallèlement à la récente recrudescence d’attaques contre les Juifs et les synagogues en raison de la guerre menée par Israël contre Gaza. Cependant, il est également important de noter que, si la manifestation « Unite the Kingdom » a rassemblé beaucoup de monde, tous les autres rassemblements qui ont appelé à noyer les réfugiés et à brûler les hôtels où ils sont accueillis ont vraiment été petits, avec des centaines de participants plutôt que des milliers…

À notre connaissance, ces idées anti-immigrés ou anti-musulmans ne sont pas partagées par les travailleurs dans les entreprises où nous diffusons nos bulletins. Mais, comme je l’ai dit, nous nous adressons à un milieu plutôt restreint à Londres et Oxford, et Londres est après tout une ville en majorité immigrée.

 

Bund Revolutionärer Arbeiter (Allemagne)

Les conséquences politiques de l’aggravation de la crise économique

Avec l’aggravation de la guerre économique internationale, la classe capitaliste est ouvertement passée à l’attaque. Le nouveau gouvernement, une coalition entre la CDU (centre droit) et le SPD (social-démocratie), en est une expression. Sur le modèle de celui de Trump aux États-Unis, il compte plusieurs dirigeants d’entreprises à la tête de ministères clés.

La seule décision de nommer Friedrich Merz comme chancelier est déjà une déclaration de guerre à toute la classe ouvrière. Millionnaire réactionnaire, ancien directeur général pour l’Allemagne du plus grand groupe d’investissement, BlackRock, il affiche ouvertement son mépris envers les travailleurs.

Dès sa nomination, il a commencé à traiter les travailleurs allemands de fainéants qui auraient longtemps vécu au-dessus de leurs moyens et il promet une série de « réformes » radicales du code du travail et de la sécurité sociale… sur le modèle des lois Hartz du chancelier Schröder d´il y a vingt ans.

Autoriser des journées de travail de 13 heures, repousser l’âge de la retraite qui est déjà de 67 ans aujourd’hui, ne plus payer une prothèse du genou pour les retraités au-delà de 75 ans… Toutes les semaines une nouvelle idée est lancée pour faire trimer les travailleurs encore plus et pour drainer encore plus d’argent public vers les caisses patronales, prétendument pour relancer l’économie allemande.

Rien que dans les six premiers mois du nouveau gouvernement, plus de 50 milliards de réductions d’impôts par an ont déjà été accordés au patronat. Ne parlons même pas des subventions dont les sommes dépassent l’imagination. La dette publique, qui était jusque-là proportionnellement bien inférieure à celle des autres pays européens, explose littéralement.

Toute la caste politique, y compris l’opposition, est d’accord. Pour soutenir les grands groupes industriels dans leur guerre économique internationale, toute entrave doit sauter : restrictions budgétaires, sécurité au travail, normes de construction, protection de l’environnement. Un exemple : une porte-parole des Verts – dont l’image écolo est la principale carte de visite – a récemment revendiqué que l’industrie de l’acier soit exemptée de toute restriction en matière d’émission de CO2. Elle argumentait que seule une telle mesure sauverait la compétitivité des fonderies en Allemagne et que ce serait vital, car en cas de guerre, il faudrait bien de l’acier produit en Allemagne pour assurer la production d’armes.

La propagande militariste

La militarisation a fait un bond en avant avec le nouveau gouvernement. Il a encore augmenté le budget de l’armement qui dépassera les 100 milliards en 2026. Et maintenant il lui faut de futurs soldats pour utiliser toutes ces armes, et surtout il lui faut préparer idéologiquement la population.

Le gouvernement vient donc de décider de réintroduire dès le mois de janvier un service militaire qui peut durer entre 6 et 23 mois. Tous les garçons de 18 ans devront dorénavant passer un entretien et un examen médical obligatoires. Le service militaire lui-même reste au volontariat pour le moment. Mais le gouvernement a déjà annoncé que, si l’objectif de 30 000, puis de 40 000 volontaires par an n’est pas atteint, il deviendra obligatoire.

Vendredi 5 décembre, environ 35 000 lycéens ont manifesté contre le service militaire. En revanche, la majorité de la population approuve plutôt ces mesures. Car depuis le début de la guerre en Ukraine, la propagande qu’une Allemagne sans défense serait une prochaine victime de l’expansionnisme guerrier de Poutine est omniprésente. Et malheureusement, il faut constater que cette propagande, reprise y compris par les syndicats, fait son effet. Un de nos axes de discussions important est donc d’essayer de convaincre que le risque de guerre ne vient pas d’un Poutine, mais bien de notre propre classe dirigeante.

Malgré tout, le nouveau gouvernement, censé être le chien de combat du patronat, a déjà montré ses premières failles. Car pour avoir la majorité, la CDU de Merz était obligée de s’allier au Parti social-démocrate SPD. Celui-ci, pour ne pas perdre ses derniers électeurs, qui viennent essentiellement du milieu ouvrier et syndical, est bien obligé de faire semblant de s’opposer au moins aux projets les plus anti­ouvriers et réactionnaires de Merz, pendant qu’une fraction de la droite pousse les projets encore plus loin, quitte à faire exploser la coalition.

Si le gouvernement a survécu ces six premiers mois, c’est avant tout grâce au profond sens des responsabilités du Parti social-démocrate envers la bourgeoisie.

Les suppressions d’emplois industriels

Pendant que le gouvernement est encore en train de se disputer sur les attaques à mener contre le monde du travail, celles-ci battent déjà leur plein dans les entreprises. En deux ans, 200 000 emplois ont été détruits rien que dans l’industrie.

Entre 2010 et 2018, le nombre de salariés augmentait dans les entreprises. Mais depuis, on assiste à un revers brutal. Après trois années de récession, le patronat est décidé à se débarrasser radicalement et au plus vite de tout ce qui pourrait entraver le maintien de ses profits faramineux. On assiste à une série d’attaques violentes, avec des licenciements de masse et des annonces de fermetures de sites les unes après les autres.

On n’en est pas à la « désindustrialisation de l’Allemagne ». Mais c’est une saignée brutale. Et cette fois, elle frappe aussi en grand nombre des travailleurs qui se croyaient encore un peu protégés : les travailleurs des grands groupes de l’automobile, de la construction mécanique, de la chimie, de la fonction publique. Parallèlement, il y a une chasse aux travailleurs malades.

Prenons l’exemple d’un pôle chimique dans la région de la Ruhr, un site avec 10 000 salariés répartis sur plus de 70 usines. Récemment encore, des centaines de jeunes y étaient embauchés en CDI, chaque année, après leur apprentissage. Pour eux, cela voulait dire avoir un travail « à vie », à 3 000 euros net. Quand on venait discuter devant la porte de l’usine, la réaction était souvent : « Ce n’est pas nous qu’il faut aller voir. Nous, ça va bien. »

Depuis deux ans, la situation a complètement changé. Rien que cette année, trois usines sur le site ont été fermées, entraînant des centaines de licenciements. Par ailleurs, tous les apprentis du site ont également été licenciés, 3 500 travailleurs sont externalisés et d’autres sont menacés de baisses importantes de salaire. Et c’est pareil dans toute la chimie.

Ce n’est pas par hasard si précisément à ce moment-là, le gouvernement durcit massivement les sanctions contre les chômeurs. Si on refuse une offre d’emploi, le RSA ainsi que toute aide au logement et au chauffage peuvent dorénavant être complètement supprimés pour plusieurs mois. Il faut bien faire en sorte que ces centaines de milliers de travailleurs licenciés des grands groupes industriels acceptent maintenant les boulots précaires, au SMIC, avec des conditions de travail dégradées !

Pour le moment, les travailleurs se sentent pour la plupart impuissants face à cette vague de fermetures et de licenciements. D’autant plus que les syndicats les confortent dans ce sentiment. Pire, ils racontent aux travailleurs que l’ennemi ce n’est pas le patron qui licencie, mais le gouvernement qui impose trop de charges aux entreprises.

Par exemple, dans une usine de chimie Ineos en Rhénanie du Nord-Westphalie, les travailleurs viennent d’apprendre au mois d’octobre que la moitié de l’usine fermera fin décembre. La seule réaction du syndicat a été de dire aux travailleurs : « Ne vous inquiétez pas. Les avocats vont négocier un bon plan social. Par contre si on veut sauver le reste de l’usine, il faudra se bagarrer, pour que le gouvernement “nous” aide… contre les concurrences chinoise et américaine. » Dans toute la chimie, face à la série incessante d’annonces de fermetures, les syndicats n’ont pas appelé à un seul débrayage.

Dans les autres secteurs, ce n’est pas beaucoup mieux. Même quand les travailleurs veulent se bagarrer, comme dans l’automobile, les syndicats font tout pour éteindre la petite flamme.

C’était le cas de Volkswagen en début d’année. Et plus encore chez Ford à Cologne, où la direction avait annoncé le licenciement de 3 000 ouvriers, un quart de l’effectif de l’usine. 94 % des 11 000 ouvriers avaient alors voté la grève illimitée pour se bagarrer contre ces licenciements. Mais le syndicat IG Metall n’a malgré tout appelé qu’à un débrayage de 24 heures, avant de signer un accord par lequel il acceptait tous les licenciements. Si on voulait démoraliser même les travailleurs qui ne l’étaient pas encore, on ne pouvait pas faire mieux !

Nous essayons de discuter avec les travailleurs du danger de se laisser embrigader par la logique patronale de concurrence, qui les divise entreprise par entreprise et pays par pays et les empêche de se battre contre leur véritable adversaire, alors qu’il faudrait au contraire s’unir pour pouvoir se défendre face à ses attaques massives. Nous tentons de démontrer que cette guerre économique est en train de nous mener vers la guerre tout court.

Montée de l’extrême droite et des idées réactionnaires

La politique de démoralisation et de division menée par les directions syndicales fait le jeu de l’extrême droite.

Celle-ci se renforce à grande vitesse. Le parti d’extrême droite, qui existe depuis à peine douze ans, est devenu le deuxième parti à l’Ouest et le premier dans toutes les régions de l’ancienne Allemagne de l’Est. Et bien que son langage devienne de plus en plus radical, qu’il revendique même ouvertement la déportation de millions de migrants, même s’ils ont acquis la nationalité allemande, il continue à gagner des électeurs, y compris dans le milieu immigré.

Mais cette évolution rapide choque aussi beaucoup de gens. D’autant que la politique de Merz consiste à essayer de faire concurrence à l’AfD en menant lui aussi une politique très réac­tion­nai­re et agressive envers les immigrés. À peine 24 heures après avoir été nommé chancelier, dans une campagne très médiatisée, il a instauré un contrôle aux frontières.

Merz annonce régulièrement le nombre d’expulsions, comme il annoncerait des scores de match de football. Et lui et ses ministres lancent des provocations calculées, expliquant par exemple que les immigrés d’origine arabe, de même que les musulmans, seraient imprégnés de conceptions préhistoriques du mâle, ou encore que les immigrés nuiraient à l’image des villes allemandes.

Face à ces propos, on a entendu à plusieurs reprises des travailleurs immigrés dire : « Il faudrait que nous, les immigrés, on fasse grève une journée. Ils verraient alors comment ils ont besoin de nous. » Bien que plutôt sympathiques, ces propos traduisent aussi une division entre « eux » et « nous », selon l’origine, qui existait peu au sein de la classe ouvrière en Allemagne jusque-là.

Tout cela pèse sur le quotidien du monde du travail et aussi sur nos activités militantes. Lors des dernières élections, l’AfD est venue en tête dans quasiment tous les quartiers ouvriers où nous sommes régulièrement présents, et elle commence à se faire sentir dans les entreprises.

D’un autre côté, cette évolution réactionnaire inquiète aussi notamment une partie de la jeunesse. Parmi eux, certains ont commencé à se poser des questions sur la société, parfois à travers leurs disputes régulières avec leurs parents influencés par les idées de l’extrême droite.

Il y a donc des gens révoltés face à l’évolution inquiétante de la société. Nous essayons de trouver parmi eux ceux qui sont prêts à se pencher vraiment sur les origines de cette évolution pour tenter de les convaincre de la validité de nos idées.

 

Lutte ouvrière - Arbeidersstrijd (Belgique)

Alors que les crises de gouvernement se multiplient en France ou en Allemagne, en Belgique, le pays qui détient le record de 541 jours sans gouvernement, nous avons actuellement un gouvernement en état de marche. Dans le capitalisme en crise, cela veut dire que nous avons un gouvernement de combat contre les travailleurs.

En place depuis décembre 2024, il vient d’annoncer son troisième paquet d’attaques antiouvrières.

Le Premier ministre de cette coalition de droite est Bart de Wever du parti nationaliste flamand NVA. Ce personnage et son parti ont joué un rôle important en 2010-2011, quand le pays est resté 541 jours sans gouvernement sous la pression des nationalistes flamands, dans une ambiance où les gens avaient peur que le pays n’éclate. Jusqu’à ce que le parti socialiste francophone accepte de réaliser les mesures exigées par le patronat… pas seulement flamand.

Aujourd’hui, De Wever qui, il y a 15 ans, disait souhaiter la disparition de la Belgique et qui rechignait devant le drapeau belge ou l’allégeance au roi, dit aujourd’hui vouloir célébrer les 200 ans de la Belgique en 2030 en tant que Premier ministre…

Arriver jusque-là ne sera pas si simple. Et pas seulement parce que l’extrême droite flamande risque de récupérer une partie de ses électeurs déçus, mais aussi parce que la bourgeoisie qu’il sert est tout entière prise dans une situation sans issue. Et qui dépasse largement la petite Belgique ou la toute petite Flandre !

La question des avoirs russes

Cela se voit en ce moment dans l’histoire des avoirs russes. Le Premier ministre belge fait actuellement parler de lui, parce qu’il est beaucoup moins chaud que Merz, Macron et Von der Leyen pour enfreindre le droit international et violer la sacro-sainte propriété privée pour saisir les 180 milliards d’euros russes afin de financer la guerre en Ukraine. Cet argent est gelé chez Euroclear, une banque qui se trouve à Bruxelles.

La PDG d’Euroclear prévient du risque d’une grave perte de crédibilité du système bancaire, et d’une possible crise financière. De Wever et la bourgeoisie belge craignent visiblement d’ouvrir une boîte de Pandore et d’être pris pour cible… par la Russie peut-être, mais surtout par les marchés financiers ! Le journal belge Le Soir titrait : « Le dilemme Euroclear : terrible cas de conscience de Bart de Wever : sauver l’Ukraine ou les finances de la Belgique. » Ce sont les pressions qu’il reçoit des différents côtés qui détermineront la décision finale (Merz vient de l’inviter à dîner en tête-à-tête). Mais peu importe de quel côté ce sera et quel diable sortira de la boîte Euroclear, les conséquences seront pour les travailleurs et la population.

Marche à la guerre et guerre sociale

Et bien sûr, la Belgique suit la même voie de militarisation. Le ministre de la Défense, Théo Francken (NVA également), vient d’envoyer une lettre à tous les jeunes de 17 ans les invitant à s’engager dans le nouveau service militaire volontaire d’un an. Il leur promet un salaire de 2 000 euros et de « se faire des amis pour la vie ». En fait, il n’y a que 500 places. Mais l’objectif du moment est atteint : faire entrer l’idée de la guerre et du sacrifice pour « son pays » dans les foyers.

Pendant ce temps, la guerre sociale bat son plein. Les attaques pleuvent tous azimuts et à tous les niveaux du pouvoir, ainsi que dans les entreprises bien sûr. Baisse des pensions, économies drastiques dans les services publics, dans les écoles, une nouvelle limitation de l’indexation des salaires, travail du dimanche, toujours plus de flexibilité, augmentation de toutes les taxes communales… Et pour faire accepter les conditions de travail et de salaire dégradées aux travailleurs, la mesure la plus spectaculaire : la limitation des droits de chômage à deux ans. À partir de janvier 2026, près de 200 000 chômeurs vont successivement perdre leurs droits aux allocations. Tout le monde est touché, et l’inquiétude monte, tout comme le sentiment d’impuissance… pour l’instant.

Des réactions encourageantes, mais bien circonscrites

Cependant, le 14 octobre, une manifestation nationale à l’appel des directions syndicales a rassemblé 120 000 personnes. Se voir si nombreux avait un effet encourageant. Et une deuxième manifestation aurait peut-être rassemblé encore plus de monde. C’est bien pour ça que les directions syndicales ont appelé à… la grève. On a eu 3 jours de grève : dans les transports publics, puis dans tous les services publics, puis générale, avec le secteur privé. La grève, en Belgique, ça veut dire qu’il y a des piquets, tenus par les permanents et les délégués. Les travailleurs restent très majoritairement à la maison. Au lieu de se trouver à 120 000, on se retrouve à 4, 5 ou 10 dans le froid…

Appeler à ce genre de grève, c’est un moyen que les directions syndicales n’utilisent pas pour la première fois pour en fait éviter des situations où les travailleurs peuvent se compter et constater qu’ils sont nombreux. Et la cible des directions syndicales, c’est surtout le gouvernement, pour tenter de refaire une santé électorale à la gauche, pas les patrons. Comme le président de la FGTB wallonne, Tamellini, affirmait fin octobre dans la presse : « Les syndicats, contrairement à ce qu’on croit, sont les premiers défenseurs du développement économique. Les meilleurs ambassadeurs des entreprises, ce sont les délégués syndicaux. » Plutôt que renforcer les travailleurs face aux attaques graves actuelles et à venir, les directions syndicales ont – une fois de plus – renforcé la démoralisation des militants.

Les communistes révolutionnaires n’ont évidemment aucun moyen de peser, mais toute la situation est propice à la discussion avec des travailleurs comme avec des jeunes, avec ceux qui sont prêts à aller à contre-courant ou cherchent des idées.

 

L’Internazionale (Italie)

Derrière les fanfaronnades de Meloni

Mobilisations ouvrières pour la cause palestinienne

Après de nombreuses années d’immobilisme quasi total, une nouveauté est apparue : les manifestations et les grèves en faveur de la population de Gaza qui, de la mi-septembre à la mi-octobre, ont été des mobilisations importantes dans de nombreuses villes. La Confédération générale du travail (CGIL) y a également participé, en appelant à une journée de grève générale le 3 octobre en accord avec l’USB, le syndicat indépendant le plus connu.

Cette adhésion massive a été un phénomène qui a beaucoup intéressé et fait écrire les journalistes, qui ont généralement souligné le caractère spontané de la participation aux manifestations. Aujourd’hui, tout cela semble s’être estompé. Quoi qu’il en soit, le souvenir de ce moment où l’on a vu descendre dans la rue bien des gens qui, en temps normal, n’auraient même pas songé à le faire, reste vivant dans tous les esprits.

Les groupes et les éléments les plus actifs, par exemple parmi les dockers, ont agi activement, notamment à Livourne, Gênes et Ancône, pour empêcher l’accostage de navires soupçonnés de transporter des armes vers Israël. Ces actions ont bénéficié d’un soutien massif, non seulement de la part des dockers, mais aussi des manifestants. Leur nombre, une fois rassemblés sur les quais, a découragé l’accostage des navires et obligé les compagnies maritimes à chercher d’autres escales.

Un autre fait positif a été la mobilisation des travailleurs de la sidérurgie. Ce secteur fait l’objet depuis un certain temps d’une restructuration dont les contours ne sont pas bien compris, mise à part la volonté certaine de réduire les effectifs dans ce qui était autrefois les « cathédrales » de la production sidérurgique publique. Dans cette lutte, toujours en cours, ce sont principalement les travailleurs de Tarente et de Gênes qui sont en grève. Tarente est la plus grande aciérie d’Italie et l’une des plus grandes d’Europe, avec environ 7 950 employés sur les 9 700 que compte le groupe. À Gênes comme à Tarente, les ouvriers ont occupé l’autoroute et à Gênes, ils ont bloqué l’aéroport.

Comme toujours lorsque le climat social s’échauffe et que des mobilisations importantes ont lieu, la question de la direction politique du prolétariat se pose. Nous savons bien que les forces et les groupes politiques qui exercent la plus grande influence sur les différentes mobilisations de masse et mouvements de grève sont tous, d’une manière ou d’une autre, rattachés à la bourgeoisie et limités à son horizon politique. Et dans cette situation le degré de radicalité atteint par ces luttes ne compte pas beaucoup.

Dans le cas des manifestations et des grèves en faveur du peuple palestinien, la présence absolument prépondérante de drapeaux palestiniens rendait claire, même visuellement, la subordination au nationalisme palestinien, sans laisser aucune place à une réflexion internationaliste et communiste, sans aborder le moins du monde la question des classes sociales et sans qu’apparaisse le besoin de se différencier de la bourgeoisie palestinienne.

En ce qui concerne les métallurgistes, disons que, quelle que soit la dureté des formes de lutte, l’un des principaux objectifs des syndicats est le retour en force de l’État dans le capital de la société Acciaierie d’Italia, en insistant dans chaque localité pour le maintien de la production sur place, en en faisant une question locale. Défendre Tarente ou défendre Gênes semble alors prévaloir sur « défendre la classe ouvrière ».

À Gênes, la Fédération des métallos (Fiom) a même réalisé une banderole avec la phrase, en ancien génois, « Che l’inse ? » (J’y vais ?), qui selon la légende aurait été prononcée par Balilla, un jeune garçon du quartier populaire de Portoria, et qui a déclenché, en 1746 (!), la révolte populaire contre les occupants autrichiens et piémontais. L’identification à l’histoire de la ville a joué un mauvais tour à la Fiom génoise, en lui faisant ressusciter l’un des héros et des mythes utilisés par la suite par le fascisme : Balilla, précisément.

Il est certain que la situation de la classe ouvrière dans son ensemble nécessiterait une grande mobilisation générale, solidement organisée pour durer dans le temps et orientée vers quelques objectifs importants, compréhensibles et partageables par tous. La grève nationale convoquée par la CGIL pour le 12 décembre donnera un peu la mesure de la situation, du moins en ce qui concerne les secteurs les plus organisés du monde du travail. Mais il faut dire que la direction du syndicat n’a même pas voulu renouveler l’expérience unitaire avec le syndicalisme de base et qu’il y a donc déjà eu, fin novembre, un appel à la grève générale de l’USB et d’autres syndicats.

Le gouvernement, lui, a choisi la voie de l’insulte et du dénigrement de la CGIL et du syndicalisme le plus combatif. Et il se vante de ses « succès » dans le domaine économique, y compris l’augmentation du nombre d’emplois. Nous n’avons pas le temps ici d’analyser les données sur lesquelles se fondent les fanfaronnades de Meloni et de ses acolytes, mais il est évident que c’est le nombre de travailleurs des tranches d’âge les plus élevées qui augmente, en raison du recul de l’âge de la retraite, tandis que celui des travailleurs des tranches plus jeunes diminue.

Parasitisme croissant sur fond d’économie stagnante

Entre autres, la quasi-stagnation du PIB, qui replace l’Italie en bas du classement des pays européens en termes de croissance, atteste que cette augmentation du nombre d’emplois se produit en grande partie dans des secteurs de « travail pauvre », c’est-à-dire avec des salaires très bas et dans des domaines peu qualifiés. La semi-stagnation de la demande intérieure de biens de consommation va dans le même sens.

Bien sûr, tout cela n’empêche pas la minorité privilégiée du pays d’accroître sa richesse. Il existe une bourgeoisie qui, dans ses secteurs les plus riches, ceux des millionnaires ou même des milliardaires, n’est pas touchée par les politiques économiques des différents gouvernements et à qui on ne demande pas de contribuer à renflouer les caisses de l’État, qui sont exsangues notamment quand il s’agit de financer l’éducation, la santé ou le logement social.

Ainsi, au Parlement la discussion budgétaire actuelle porte sur environ 18 milliards et demi d’euros. L’augmentation de la richesse patrimoniale enregistrée en 2024 par les 70 milliardaires italiens officiellement recensés est de 71 milliards, soit près de quatre fois plus !

Le capitalisme italien a renforcé ses caractéristiques parasitaires au cours des dernières années. La famille Agnelli, autrefois symbole de l’industrie nationale, contrôle désormais une société financière qui constitue en fait le « coffre-fort » familial, Exor, domiciliée fiscalement aux Pays-Bas, actionnaire de référence de Stellantis, propriétaire de plusieurs journaux italiens, ainsi que de The Economist, mais surtout avec des ramifications financières dans le monde entier.

Pour résumer les caractéristiques du capitalisme italien, trois points sont à souligner.

1. Le poids croissant du secteur financier et de la rente sous toutes ses formes.

2. La pulvérisation du système productif.

3. L’importance de la propriété publique dans le petit groupe des grandes entreprises. Parmi ces grandes entreprises publiques, celles liées à l’énergie occupent une place prépondérante, suivies par celles qui opèrent dans le secteur de la défense.

Les implications politiques de ce « modèle » capitaliste sont diverses. Mais il suffit de souligner les relations tout à fait particulières qui se sont développées au fil des ans entre le secteur capitaliste-étatique et l’appareil d’État, les gouvernements et les différents partis politiques. Par exemple, il est presque communément admis par les commentateurs que l’ENI, la grande société italienne des hydrocarbures, a développé une très forte influence sur la politique étrangère italienne, déterminant souvent son orientation ou développant une diplomatie parallèle.

Militarisation et offensive culturelle nationaliste

En matière de politique étrangère, le gouvernement Meloni a cherché dès le début à se présenter comme l’allié le plus fidèle des États-Unis en Europe. Cela était vrai à l’époque de Biden et encore plus à celle de Trump. La position de Trump sur la guerre en Ukraine a permis à Meloni et à ses associés de jouer encore plus le rôle d’alliés de Zelensky, mais dans la pratique ils tempèrent considérablement leur soutien et ils misent surtout sur la « solution diplomatique » recherchée par l’administration américaine, plutôt que sur une victoire militaire ukrainienne impossible.

Alors que l’opinion publique est déjà très opposée à une implication directe de l’Italie dans la guerre, cela renforce la conviction que Meloni est une sorte de garantie de paix pour les Italiens, tandis que le Parti démocrate (PD), de centre gauche, est perçu comme le « parti de la guerre » en raison de ses déclarations répétées en faveur d’un soutien militaire encore plus important à Kiev, d’une armée européenne, etc.

Comme dans d’autres pays européens, une simplification du champ politique s’est ainsi imposée, avec d’un côté les objectifs du centre gauche : européisme, armée européenne, armes à l’Ukraine, guerre contre la Russie. De l’autre côté, les objectifs du centre droit apparaissent comme étant la souveraineté nationale, une armée nationale, une aide militaire limitée à l’Ukraine et la perspective de bonnes relations avec tous, y compris la Russie.

Dans notre propagande, nous parlons parfois de « militarisation » de l’économie. Cela est vrai davantage en tant que tendance, en tant que point d’arrivée de l’évolution actuelle des relations économiques et politiques internationales. L’État italien, le capitalisme italien, sont sans aucun doute eux aussi entrés dans le tourbillon du réarmement, mais cela ne se fait pas de manière linéaire et sans heurts.

La question de l’acier elle-même nous montre quelque chose. L’acier est sans aucun doute un matériau indispensable à la fabrication d’armes lourdes et légères. La possession physique d’entreprises sidérurgiques sur son propre territoire national favorise sans aucun doute les perspectives de réarmement d’un pays. Pourtant, cette simple constatation n’incite ni le gouvernement ni aucun groupe conséquent de la bourgeoisie italienne à revendiquer la possession et la réorganisation des aciéries afin de fournir une base matérielle à la « défense de la patrie ».

Sur le plan propagandiste et, disons, culturel, les choses avancent plus rapidement et, surtout, sans trop de remises en question. Le ministre de la Défense, Guido Crosetto, a promu toute une série d’initiatives qui vont dans le sens d’une réévaluation des forces armées, de leurs « valeurs » (?), de l’histoire nationale vue sous l’angle des batailles et des guerres, sans trop insister sur le front où les militaires italiens étaient déployés. Tout est dissimulé sous des mensonges bien ficelés qui masquent les véritables raisons des guerres, les crimes commis dans le passé par l’armée italienne, la décimation de ses propres soldats lorsqu’ils étaient jugés coupables de « désertion »…

L’offensive propagandiste patriotique s’étend à la publicité et aux fictions télévisées. Ce ne sont pas seulement des publicités pour le recrutement dans les différentes forces armées et de police. Les fictions proposent constamment des types idéaux d’Italiens : bon caractère, empathie, sympathie pour les plus faibles, mais aussi intelligence, courage et amour pour la patrie jamais ostensiblement exagéré.

Ces productions télévisées nous parlent de soldats, de scientifiques, de médecins, d’entrepreneurs, avec une technique certes beaucoup plus raffinée que celle du cinéma de l’époque de Mussolini, mais qui vise toujours à renforcer le sentiment d’« identité nationale » jusqu’à en faire, évidemment, quelque chose que l’on doit être prêt à défendre au péril de sa vie si nécessaire.

Même dans les écoles, l’offensive « culturelle » nationaliste se poursuit. Les initiatives se multiplient, impliquant parfois même les enfants du primaire, toujours dans le double objectif d’augmenter le « taux de patriotisme » de la population et de présenter le monde militaire comme un milieu amical, qui peut d’ailleurs aussi offrir un travail rémunéré, quelque chose qu’il faut soutenir et approuver dans tous les cas. L’armée, ce sont « nos garçons qui nous défendent », comme on l’a entendu récemment lors d’une rencontre avec une classe d’écoliers dans le Sud.

Sınıf Mücadelesi (Turquie)

Le clan d’Erdogan s’accroche au pouvoir

Depuis l’an dernier, la situation en Turquie a continué de se dégrader sur tous les plans, économiquement, politiquement et socialement. Une conséquence est le discrédit total du gouvernement Erdogan, qui se maintient au pouvoir en appliquant une répression accrue. Il entretient aussi l’apparence d’une ouverture sur la question kurde, en ayant des rencontres avec le parti nationaliste kurde, le DEM. Cela ne débouche sur rien de concret mais cela permet de faire des discours sur une « solution » qui aboutirait à « la fraternisation des peuples kurde, arabe et turc » en Turquie et dans tout le Moyen-Orient !

Il y a déjà eu une tentative de ce genre il y a une dizaine d’années, après laquelle le pouvoir d’Erdogan non seulement n’avait pas tenu ses promesses, mais avait augmenté la répression contre le mouvement nationaliste kurde. Aujourd’hui aussi, il est probable qu’on arrive à une impasse et un échec. Le pouvoir d’Erdogan, qui est incapable de reconnaître les droits de la population turque sera tout aussi incapable de les reconnaître à la population kurde de Turquie. En fait, Erdogan propose cette alliance au DEM pour obtenir les voix de la population kurde aux prochaines élections, que sinon il est sûr de perdre, mais il n’est pas prêt à faire la moindre concession concrète.

En attendant, le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, très populaire et qui est le principal opposant à Erdogan, a été emprisonné au mois de mars et il est maintenant menacé de 2 340 années de prison ! Le dossier d’accusation fait 3 700 pages et accumule les accusations sans aucune preuve. Plusieurs maires d’arrondissements d’Istanbul et le conseil d’administration de la municipalité sont également mis en examen pour diverses infractions plus ou moins inventées comme le trucage d’appels d’offres, le blanchiment d’argent, des tentatives d’abus de pouvoir et l’encaissement de pots-de-vin. Mais Imamoglu est également « tenu responsable des crimes commis par d’autres », en tant que dirigeant d’une organisation qui n’est autre que le Parti social-démocrate CHP, l’ancien parti de Mustafa Kemal, qui est pourtant bien loin d’être un parti révolutionnaire. […]

Une base sociale érodée par la crise

Le problème d’Erdogan est que, depuis dix ans, le régime a perdu progressivement sa base sociale et électorale à cause de ses méthodes dictatoriales et surtout du fait de l’usure économique. En octobre 2023, le taux de chômage avait atteint 21,3 % et le taux actuel est de 28,6 %. Alors que l’on compte 32 millions et demi de salariés, le nombre de chômeurs dépasse 11 millions de personnes, soit un taux de chômage de 25 %. Le résultat de cette crise économique est qu’en octobre 2023, près de 23 millions de personnes étaient poursuivies en justice car elles ne pouvaient plus rembourser leurs dettes. Et ce chiffre a continué à augmenter.

Quand le parti d’Erdogan est arrivé au pouvoir en 2003, la dette extérieure était de 130 milliards de dollars et actuellement elle grimpe à 550 milliards de dollars. Parallèlement, une minorité de capitalistes et de dirigeants proches d’Erdogan se sont enrichis énormément. Mais 20 % des ressources de l’État sont englouties dans le paiement des seuls intérêts de la dette.

Pour pouvoir rester au pouvoir avec une telle dégradation sociale, Erdogan et sa bande ont appliqué « la méthode du bâton ». Aussi, ces dix dernières années, les mises en détention ont battu des records. Rien que ces six derniers mois, il y a eu 50 000 incarcérations supplémentaires. Et le nombre total des prisonniers a franchi 400 000, alors que les prisons ne comptent que 300 000 places. Ainsi, sur un total de 143 pays, la Turquie d’Erdogan est classée officiellement en 118e position pour le respect des lois et en 134e position en ce qui concerne le respect des droits humains fondamentaux.

Bien sûr, on peut penser que le mécontentement de la population finira par exploser comme on l’a vu dans plusieurs pays ces dernières années, et cela a d’ailleurs commencé à se produire en mars après l’arrestation d’Imamoglu. Mais en fait, le parti kémaliste CHP, qui est devenu le plus grand parti d’opposition depuis les élections municipales de 2024, sert un peu de soupape de sécurité. Depuis mars dernier, il a organisé 59 meetings de masse, même dans les forteresses du parti d’Erdogan, en promettant que « demain sera merveilleux » mais en n’offrant comme perspective que de bien voter aux prochaines élections. Il n’y a certes pas à s’en étonner de la part de ce parti bourgeois qui a été longtemps au gouvernement et qui est vraiment un élément du système politique.

D’autre part, s’il y a bien des luttes qui continuent dans différents secteurs, elles sont en général bien encadrées par les bureaucraties syndicales et, face à elles, le pouvoir et le patronat peuvent faire quelques concessions sur le plan économique. Mais on ne peut que se demander jusqu’à quand la bourgeoisie turque réussira à empêcher que la situation ne débouche sur une véritable explosion sociale.

 

Lutte ouvrière (La Réunion)

Le lourd tribut de l’exploitation

Les travailleurs, à La Réunion, sont confrontés aux mêmes difficultés sociales qu’ici. Le poids du chômage et de la précarité dégrade les conditions d’existence des classes populaires. Le patronat avide de profits impose l’aggravation des conditions de travail et les bas salaires. En 2024, huit travailleurs ont perdu la vie au travail. Le chiffre des accidents du travail est en hausse. 6 650 accidents déclarés, ça fait presque 30 accidents pour 1 000 salariés. Le secteur du BTP n’est plus le seul à être gravement touché.

Prenons la grande distribution, entre les mains de quelques riches familles et groupes capitalistes hexagonaux ou antillais, qui emploie des milliers de salariés. La rentabilité est supérieure à celle de la métropole. Ces exploiteurs affirment avec fierté que les périodes de crises favorisent leurs affaires. En effet, ils ne se sont pas privés d’augmenter les prix durant le Covid et le blocage du canal de Suez. Leurs profits augmentent d’année en année. Les consommateurs en payent le prix, ça c’est visible. Ce qui l’est moins, c’est ce qu’ils coûtent aux travailleurs, payés la plupart du temps au Smic avec des contrats précaires et à temps partiel pour des cadences infernales, un travail physique et répétitif, la pression des chefs pour faire du chiffre et la polyvalence. Des conditions de travail qui occasionnent maladies musculosquelettiques et burn-out.

Dans les entreprises de service à la personne qui emploient plusieurs milliers de travailleuses, les recrutements se font aussi au smic et bien souvent à temps partiel. De plus, ces travailleuses sont contraintes de prendre leur véhicule personnel pour effectuer leurs déplacements et leurs indemnisations ne couvrent pas intégralement les frais engagés. En ne remplaçant pas les départs en retraite, les démissions et les arrêts maladie, les patrons font tout pour récupérer ce qu’ils ont dû lâcher en augmentation de salaires dans des secteurs qui s’étaient mobilisés. Ainsi les chefs utilisent tous les stratagèmes pour faire accepter de faire faire le travail de plusieurs par une seule personne. Finalement, les arrêts maladie et les accidents de travail ne cessent d’augmenter.

Dans les hôpitaux, le sous-effectif est chronique : 48 % des soignants seraient en situation d’épuisement. En fait, c’est dans tous les secteurs, privé comme public, que la situation des travailleurs se dégrade. La disparition de milliers d’emplois aidés, comme les emplois PEC, et la réduction de leur prise en charge par l’État enlève un gagne-pain aux familles les plus modestes et fait peser en même temps un grave danger sur les activités indispensables d’associations et des collectivités locales.

Face à l’ampleur des attaques patronales dans les petites boîtes comme dans des plus grandes, le syndicat CGTR est appelé à l’aide dans des conflits collectifs, sur les salaires ou contre des licenciements. La politique des révolutionnaires est alors d’y défendre quelques principes de démocratie dans la lutte. Mais de nombreux travailleurs isolés, déboussolés ou voulant fuir l’enfer du travail, en sont réduits à entamer de longs et hasardeux parcours devant les prud’hommes pour récupérer leur paie ou des indemnités.

Seuls les révolutionnaires peuvent alors leur faire découvrir les idées de la lutte de classe et leur faire prendre conscience que les travailleurs font tout fonctionner dans la société et que les patrons sont les profiteurs et les parasites. Déjà, les patrons sont choyés par les responsables de droite et de gauche à coups de millions de subventions. Mais en plus, comme encore récemment lors de la mort d’un patron réunionnais, les responsables politiques, LFI en tête, n’ont pas assez de mots pour exprimer leur tristesse…

Le cyclone, révélateur de l’incurie de l’État

Le 28 février, le passage du cyclone Garance a fait 5 morts, a eu des impacts importants sur les habitations, l’agriculture, les réseaux électriques et de téléphonie, les bâtiments publics. Il y a eu des coupures électriques dans tous les secteurs de l’île. La remise en état des réseaux de téléphonie a pris jusqu’à 5 mois dans certains quartiers. Des habitants ont fait entendre leur colère en bloquant les rues, comme à Saint-André ou à Saint-Benoît. En fait, Garance a révélé le manque chronique de moyens et d’entretien des réseaux, les malfaçons dans les constructions, les incohérences des contrats de partage des réseaux mobiles et d’internet entre les principaux opérateurs de l’île et les sous-traitants qui se renvoient la balle quand il s’agit d’intervenir pour faire les réparations…

Les coupures d’eau trop fréquentes ne sont pas dues au cyclone mais à l’incurie générale concernant la gestion de ce produit de nécessité vitale. Dans le cirque de Salazie, des habitants s’organisent. À la veille d’élections municipales, ils veulent que le maire mette les compagnies fermières en demeure de remplir leurs obligations. Pour bien se faire comprendre, ils invitent la population à apporter leurs factures d’eau à la mairie dans une opération « pas d’eau, pas de paiement ».

La campagne municipale

Comme c’est le cas depuis 2001, Lutte ouvrière présentera une liste à la mairie de Saint-Benoît. La question de la vie qui devient de plus en plus dure, la question du pouvoir d’achat, y est la première préoccupation des travailleurs. Saint-Benoît est une ville particulièrement touchée par le chômage. Beaucoup de familles vivent des revenus sociaux. Les gens râlent beaucoup sur les prix qui ne cessent d’augmenter. Même les produits locaux sont hors de prix (banane : 7 euros le kilogramme, les poivrons : plus de 5 euros, etc.). On entend dire : « On mange moins, on ne va plus chez le dentiste. On serre les dents, mais bientôt on serrera nos gencives. » Un jeune travailleur dénonce : « Je bosse 6 jours sur 7, je suis à découvert tous les mois. Mon patron n’a aucun respect. Si je dis quelque chose, je saute. » Même si le maire Selly a apporté un temps son soutien à Macron – ce qui lui était largement reproché –, ce n’est pas là-dessus qu’il est le plus critiqué aujourd’hui. Les critiques portent surtout sur la déliquescence de la ville.

Sur ce thème, associant insécurité et délinquance, le RN s’est renforcé et on entend : « Eux, au moins, ils parlent clair ». Certains ajoutent : « Je ne suis pas raciste, mais il y a trop de délinquance, trop d’étrangers. » Un agriculteur avoue même : « Mon gendre est comorien, mes petits-enfants ressemblent à des Comoriens. Je les adore. Mais je pense voter RN. » La sécurité, ce thème cher à l’extrême droite, est même devenue un des axes de campagne du député LFI Ratenon, qui présente une liste aux municipales de Saint-Benoît.

L’affirmation de la force qu’aura le camp des travailleurs, unis contre les exploiteurs, suscite de la sympathie. Ce qu’un travailleur a résumé ainsi : « On n’a pas les mêmes origines. Mais on a les mêmes galères. Et si on se lève ensemble, on aura aussi les mêmes victoires. »

1Personnes portant l’uniforme.

2Petite échoppe de cuisine traditionnelle.

3 Référence à la ceinture de l’acier de la région des Grands Lacs aux États-Unis, devenue « ceinture de la rouille » quand les usines fermèrent.

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